Intervention de Meyer Habib

Séance en hémicycle du 24 février 2014 à 16h00
Géolocalisation — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMeyer Habib :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous abordons aujourd’hui, pour la seconde fois dans cet hémicycle, l’examen d’un projet de loi dont chacun reconnaît, dans les circonstances actuelles, l’utilité et la nécessité.

En effet, quatre mois après la décision de la Cour de cassation rendue à la lumière des interprétations de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt Uzun du 2 septembre 2010, l’intervention du législateur s’imposait.

Le groupe UDI, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, vous a d’ailleurs rapidement alertée sur la nécessité de légiférer en la matière. Notre collègue Jean-Christophe Lagarde, qui est intervenu sur ce texte en première lecture, avait notamment déposé une proposition de loi sur le sujet dès le mois de décembre.

Le contenu des deux arrêts rendus par la Cour de cassation a été rappelé : le 22 octobre dernier, la chambre criminelle de la Cour de cassation invalidait les opérations de géolocalisation en temps réel réalisées sous le contrôle du procureur de la République.

Selon la Cour, une mesure de géolocalisation en temps réel d’un téléphone mobile peut être mise en place sur autorisation et sous le contrôle du juge d’instruction.

En revanche, utilisée dans le cadre d’une enquête préliminaire diligentée sous le contrôle du procureur de la République, elle aurait constitué une ingérence dans la vie privée dont la gravité nécessite qu’elle soit exécutée sous le contrôle d’un juge du siège.

Ce qui est remis en cause est donc bien l’ingérence dans la vie privée et non le principe même de la géolocalisation.

En rendant ces décisions, la Cour de cassation a révélé une faille de notre système judiciaire : notre législation n’encadre pas ou du moins pas suffisamment le recours à cette technique ; elle n’offre pas toutes les garanties nécessaires au respect de la vie privée des personnes soupçonnées d’avoir commis une infraction, ainsi que vous venez de le rappeler.

D’une part, l’opération de géolocalisation est placée sous le seul contrôle du procureur de la République, lequel, en raison de son manque d’indépendance, n’est pas une autorité judiciaire au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

D’autre part, trop générales, trop imprécises, les dispositions du code de procédure pénale sur lesquelles se fondaient jusqu’à présent les forces de police et les magistrats pour utiliser ce procédé, ne prévoient ni les circonstances ni les conditions dans lesquelles une mesure de surveillance judiciaire peut être mise en place.

Conséquence directe de ces décisions : les mesures de géolocalisation doivent être interrompues ou exclues dans les enquêtes diligentées sous la direction du procureur de la République. Quant aux procédures en cours s’appuyant sur une géolocalisation ordonnée par le procureur, elles doivent être annulées, au risque d’entraîner la remise en liberté des personnes interpellées.

La question du seuil de la peine d’emprisonnement permettant le recours à la géolocalisation est l’une des dispositions les plus importantes puisqu’elle doit permettre d’assurer un juste équilibre entre le respect de la vie privée et les nécessités de la rapidité et la performance de l’enquête policière.

Le texte gouvernemental avait fixé ce seuil à trois ans. Puis, le Sénat a restreint le recours aux infractions les plus graves en le limitant aux crimes et délits punis d’une peine d’emprisonnement d’une durée égale ou supérieure à cinq ans ou, s’il s’agit d’un délit prévu par le livre II du code pénal, c’est-à-dire les atteintes aux personnes, punies d’une peine d’emprisonnement d’une durée égale ou supérieure à trois ans.

Notre assemblée avait fixé ce seuil à trois ans d’emprisonnement au moins, toutes infractions confondues, permettant ainsi de recourir à ces procédés pour des délits punis de trois ans d’emprisonnement qui ne constituent pas une atteinte aux personnes mais pour lesquels une telle opération peut se révéler indispensable.

Nous avions notamment évoqué le délit d’évasion et nous avions proposé de l’étendre au délit de non-présentation d’enfants, utile pour prévenir d’éventuels enlèvements. Pour ne pas entraver l’action de la police et de la gendarmerie, nous devons veiller à ne pas définir de façon trop restrictive le champ d’application de la géolocalisation.

Si cette proposition n’a pas été retenue, le texte adopté par la CMP garantit que les atteintes aux personnes, ainsi que le délit de recel et le délit d’évasion punis d’au moins trois ans entreront dans le champ de la géolocalisation. Je crois donc que sur ce point nous pouvons nous satisfaire de l’accord obtenu.

De même, la décision de la CMP de fixer à quinze jours, au lieu de huit jours comme le prévoyait le Sénat, la durée initiale pendant laquelle une opération de géolocalisation peut être autorisée par le procureur de la République, avant d’être soumise à une décision du juge des libertés et de la détention, va dans le bon sens.

La machine judiciaire aurait pu difficilement répondre en huit jours. Il s’agit donc d’une disposition équilibrée et le délai ainsi fixé demeure d’ailleurs inférieur à celui d’un mois au-delà duquel la Cour européenne des droits de l’homme estime la saisine du juge nécessaire.

Concernant les cas d’urgence, le Sénat a opportunément permis à un officier de police judiciaire de prendre l’initiative de poser une balise de géolocalisation, à condition toutefois d’en avertir immédiatement le procureur de la République et de recueillir l’accord écrit du magistrat compétent dans un certain délai.

Restait à déterminer ce délai. Alors que le Sénat l’avait fixé à douze heures, l’Assemblée nationale puis la commission mixte paritaire ont prévu de le porter à vingt-quatre heures. Le groupe UDI, qui avait d’ailleurs proposé un amendement en ce sens, s’en réjouit.

Il est nécessaire de tout mettre en oeuvre pour faciliter le déroulement de l’enquête et ne pas entraver le travail des forces de police et de gendarmerie dans des situations d’urgence et dans des circonstances difficiles. Le délai de douze heures serait difficilement applicable puisqu’il imposerait une permanence de jour et de nuit des magistrats, ce qui engendrerait des coûts supplémentaires et des risques de désorganisation importants dans nos tribunaux.

Ce débat ne nous permet pas d’avoir aujourd’hui une réflexion aboutie concernant l’indépendance nécessaire du procureur de la République qui n’est pas considéré comme une autorité judiciaire.

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