Intervention de Thierry Braillard

Séance en hémicycle du 24 février 2014 à 16h00
Géolocalisation — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThierry Braillard :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, il était urgent de légiférer sur cette technique d’investigation qu’est la géolocalisation. C’était urgent, tout d’abord, pour mettre fin à la situation jugée illicite par la Cour de cassation, faute de loi suffisamment précise qui encadre la mise en place d’un tel dispositif, telle que définie par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. C’était urgent, aussi, car c’est un sujet grave dont il est question, un sujet qui touche directement à l’une de nos libertés fondamentales, le droit au respect de la vie privée. C’était urgent, enfin, car la géolocalisation est un outil essentiel, on le sait, dans le cadre des enquêtes menées, la plupart du temps, sous l’autorité du procureur de la République. Aussi, le texte aujourd’hui soumis à notre vote est attendu, à la fois par les forces de l’ordre, désireuses de mener à bien leurs investigations, et par les magistrats, soucieux que la justice soit rendue sans porter d’atteintes non nécessaires à ce bloc intangible de libertés si précieux. Je tiens à souligner, au nom du groupe des radicaux de gauche et apparentés, la réactivité dont vous avez fait preuve, madame la garde des sceaux, à la suite des deux arrêts rendus par la Cour de cassation le 22 octobre 2013 annulant des opérations de géolocalisation. Je vous en félicite, mais cela ne m’étonne pas, je vous connais. Dès que des libertés individuelles ou collectives sont en jeu, on peut compter, je le sais, sur votre sagacité et sur votre autorité naturelle.

Bien qu’il soit regrettable qu’un sujet d’une telle importance doive être traité aussi rapidement, la qualité des échanges entre la chancellerie et les parlementaires a permis d’élaborer, dans un état d’esprit constructif, un texte de qualité, et ce malgré quelques petits points de désaccord.

Un autre arrêt, celui de la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris, qui a décidé de résister, cela arrive, à l’analyse de la Cour de cassation en validant les deux demandes de géolocalisation pourtant invalidées par cette dernière, nous rappelle que l’absence de dispositions législatives claires crée une confusion intolérable pour le justiciable. S’il n’est pas de notre ressort de nous prononcer sur l’opportunité de cette décision, il est, en revanche, de notre devoir d’assurer à nos concitoyens, dont nous sommes les représentants, l’accès à un procès équitable et le respect des droits de la défense. Cela passe par « l’existence d’une procédure juste et équitable garantissant l’équilibre des droits des parties », comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel. C’est grâce à notre prérogative de législateur que nous y parvenons, en définissant une règle applicable à tous, en conformité avec les normes supérieures et la jurisprudence européenne.

La géolocalisation est de plus en plus utilisée, on le sait, pour les filatures, notamment dans les enquêtes portant sur le grand banditisme ou les affaires de trafic de stupéfiants. Les technologies évoluent, notre législation doit aussi évoluer ; il faut l’adapter pour que les procédures ne puissent être invalidées par les juges dans des affaires aux enjeux importants.

Toute la difficulté dans cet exercice était de trouver le juste équilibre entre protection des libertés individuelles et les nécessités de la recherche de la vérité. S’il y a eu débat sur le champ d’application initial que nous, radicaux de gauche, jugions trop large, la solution trouvée lors de la réunion de la commission mixte paritaire nous semble satisfaisante, solution de compromis entre l’amendement proposé par le groupe RDSE, adopté au Sénat, et la disposition votée par notre Assemblée. Il a en effet été décidé de distinguer parmi les délits punis d’une peine d’emprisonnement de trois ans ceux pour lesquels le recours à un dispositif de géolocalisation semble particulièrement nécessaire.

En revanche, il nous semble regrettable que la proposition du président du groupe RDSE au Sénat, Jacques Mézard, ait été rejetée. Il s’agissait de rétablir le délai de huit jours pour la saisine du juge des libertés et de la détention aux fins d’autoriser de continuer une opération de géolocalisation, délai conforme, notre collègue écologiste l’a rappelé, à la recommandation de la CNIL saisie pour avis par Mme la garde des sceaux. Huit jours semblaient être un « délai de sagesse », pour reprendre les mots de mon collègue et ami sénateur.

Il est vrai que la Cour européenne des droits de l’homme a estimé qu’un délai plus long pouvait être acceptable. Cependant, comme le dit le proverbe, « qui peut le plus peut le moins », et n’était-il pas opportun d’agir, sur cette question, en précurseurs ? Mais, conscients de l’urgence de la situation et reconnaissant qu’il n’y a pas de différence fondamentale entre huit et quinze jours, nous nous accordons pour dire qu’il n’y a plus lieu de débattre.

Bien entendu, comme nous sommes, vous le savez, des partenaires loyaux : Nous voterons ce texte, fruit du compromis trouvé lors de la CMP, où un travail collaboratif de qualité a permis le résultat que l’on connaît.

Enfin, je profite de cette tribune pour faire passer deux messages.

Le premier s’adresse à vous, madame la présidente. Nous, députés radicaux de gauche, estimons qu’il est tout à fait anormal que nous soyons systématiquement exclus de toutes les commissions mixtes paritaires. Celles-ci, en vertu du droit parlementaire en vigueur, sont censées refléter la représentation nationale dans son ensemble. Or, depuis le début de cette législature, ce n’est pas le cas. Nous estimons qu’il serait légitime de notre part, dans un esprit pour le moins démocratique, d’exiger le droit d’y être représenté et d’obtenir de temps à autre une place de suppléant.

Le second s’adresse à vous, madame la garde des sceaux. Il est relatif aux observations faites par un autre excellent collègue, Alain Tourret, à propos de la conservation des scellés, en relation avec sa proposition de loi. Vous lui aviez répondu que vous ne pouviez vous prononcer sur une loi qui n’était pas encore votée ; nous vous donnons donc rendez-vous jeudi pour examiner ce texte.

Pour conclure, nous espérons que ce projet de loi clarifiera la situation et permettra aux officiers de police judiciaire, ainsi qu’aux magistrats du siège et du parquet, de travailler dans de meilleures conditions en s’assurant de rechercher vérité et justice sans atteinte à ces libertés qui nous sont tellement chères.

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