Intervention de Gilbert Collard

Séance en hémicycle du 30 octobre 2012 à 21h30
Projet de loi de finances pour 2013 — Justice

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilbert Collard :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, chers collègues, j'oserai dire que ce n'est pas la justice qui a été abandonnée, mais les justiciables.

Je n'ai pas envie de polémiquer sur ce budget, pour une raison simple et que vous pouvez comprendre : tout comme le médecin n'aime pas que l'on se joue des malades, je n'aime pas, ayant trop fréquenté la misère des tribunaux, que l'on se joue de la justice.

Je sais qu'une justice de pauvres fait des pauvres de justice. Malheureusement, depuis de longues années, notre justice a été abandonnée. L'affaire d'Outreau en a été un exemple retentissant ; mais combien d'autres affaires discrètes, qui recèlent autant de souffrance, et que l'on ne voit pas !

Ce budget pose de nombreux problèmes. Tout d'abord, au-delà de la question budgétaire, se pose la question idéologique – hélas ! – du rééquilibrage entre la victime et le prévenu. Je n'ai pas de choix à faire entre la victime et le prévenu : si le prévenu est peut-être innocent, la victime, elle, l'est à coup sûr. Mais lorsque je lis votre circulaire, madame la garde des sceaux, je ne peux m'empêcher de penser que vous faites preuve d'un préjugé, sinon un présupposé politique, qui vous renvoie, et c'est charmant et poétique, à l'époque où Victor Hugo créait Jean Valjean… C'est loin ! Depuis, la délinquance a horriblement évolué, et tous les criminologues – Edwin Sutherland et bien d'autres – nous crient, et nous ne les entendons pas, qu'une nouvelle génération de délinquants et de criminels a surgi du fond de nos échecs et de nos abandons. (Sourires sur les bancs du groupe SRC.) Et si ces mots vous font glousser, c'est tant mieux !

Quand j'entends parler du tout carcéral, j'ai envie d'inscrire cette formule dans le dictionnaire de la langue de bois qui fait le cercueil des démocraties.

Le tout carcéral, qu'est-ce que cela veut dire ? Qu'il y aurait des juges capables de jeter des justiciables en prison tout simplement parce qu'il y a des places ? Il serait temps de considérer que, « tout carcéral » ou « tout pas-carcéral », c'est le juge qui décide, et il décide en fonction d'un dossier, d'une humanité. « Inflation carcérale », « déflation carcérale »… Comme si l'humanité était une économie pénale avec laquelle on jouerait, au gré des flux et des reflux ! Le juge est en face d'un justiciable ; et qu'il y ait ou non des places de prison, il devrait pouvoir dire le droit, un point c'est tout. Malheureusement, la situation budgétaire fait que, hélas… Et derrière cet « hélas ! », il y a des hommes, des femmes, prévenus ou victimes, qui pleurent.

Et c'est là qu'on se heurte à la question de l'exécution des peines, que votre budget ne règle pas.

Quand un juge dit à un justiciable : « Au nom du peuple français, vous êtes condamné à faire un an de prison », la victime le croit. Mais on l'a escroquée, au point que parfois, son propre avocat lui-même n'ose pas le lui dire : ce ne sera pas un an, ce ne sera peut-être même pas un jour. Il y a bien là une escroquerie judiciaire inimaginable. Si vous saviez le ressentiment que cela crée dans la population ! Quand on voit que moins de la moitié des peines sont exécutées, que l'aménagement des peines est désormais une solution au problème du logement carcéral, on se dit que les 6 500 places de prison dont vous faites l'aumône à la justice, c'est vraiment peu, c'est vraiment très peu. Mais ce n'est pas forcément votre faute !

Et que dire de la délinquance des mineurs ? Quatre nouveaux centres éducatifs fermés seulement ouvriront en 2013, alors qu'on assiste au surgissement une délinquance juvénile… qui est adulte. Car là est le paradoxe : on a l'âge adulte dans l'âge juvénile.

Enfin, pour respecter le temps de parole qui m'est imparti, parce que je suis respectueux de l'ordre, je conclurai en vous disant, madame la garde des sceaux, que si les avocats et les juges portent la robe noire, c'est parce qu'ils sont en deuil des illusions humaines, est-il écrit dans Le colonel Chabert. Je crains qu'avec vous, ils ne soient dans le deuil des illusions budgétaires !

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