La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)
Nous abordons l'examen des crédits relatifs à la justice (n° 251, annexe 32, n° 258, tomes VI à IX).
La parole est à M. Étienne Blanc, rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, ministre de la justice, mes chers collègues, le rapporteur spécial que je suis ne peut que se féliciter des chiffres inscrits dans le projet de loi de finances pour 2013 : le budget de la mission « Justice » sera l'un des rares à continuer à augmenter en valeur constante : + 4,3 % avec le compte d'affectation spéciale « Pensions » et + 2,9 % hors compte d'affectation spéciale. Il atteindra 7,7 milliards d'euros en 2013. Si l'inflation reste limitée à 1,8 %, comme cela est prévu, ce projet de budget permettra une réelle avancée dans des domaines très divers.
Cette hausse s'inscrit dans une tendance longue puisque le budget de la justice a progressé d'environ 20 % depuis 2007. En 2002, ce budget représentait 1,7 % du budget de la nation ; en 2013, il en représentera environ 2,7 %. Les gouvernements successifs ont donc engagé un effort de rattrapage considérable pour donner au ministère les moyens de répondre aux attentes des Françaises et des Français en matière de justice. Le budget pour 2013 poursuit cet effort d'autant plus remarquable dans le contexte particulièrement difficile et tendu de nos finances publiques.
Ce projet inscrit une hausse des effectifs de la mission de 500 emplois pour l'année 2013 : 480 pour la justice judiciaire et vingt pour la justice administrative ; comme les prévisions triennales prévoient une évolution similaire en 2014 et 2015, la commission a constaté avec satisfaction que ce sont donc 1 500 agents supplémentaires qui devraient augmenter les effectifs du ministère de la justice sur trois ans.
Mais cette hausse des moyens et des effectifs ne bénéficiera pas de la même manière à tous les programmes. Sur les six programmes de cette mission, les trois principaux ont plus particulièrement retenu mon attention : les programmes « Justice judiciaire », « Administration pénitentiaire » et « Protection judiciaire de la jeunesse ».
S'agissant du programme « Justice judiciaire », les crédits de paiement inscrits progresseront de 107 millions d'euros, soit 3,6 %, pour dépasser pour la première fois le seuil symbolique des 3 milliards d'euros – 3,068 milliards d'euros exactement.
Les emplois inscrits dans ce programme atteindront 31 455 postes, soit une augmentation nette de 278 emplois. L'augmentation budgétaire permettra la création de 104 postes de magistrats, 76 emplois de personnels d'encadrement, 242 postes de greffiers et de personnels de l'insertion et de l'éducation et 36 postes de personnels administratifs et techniques de catégorie B ; en contrepartie, 180 emplois de personnels administratifs et techniques de catégorie C seront supprimés. J'imagine, madame la garde des sceaux, que vous nous parlerez de l'informatisation qui nous permet de réaliser ces économies sensibles.
Les moyens supplémentaires qui sont accordés à ce programme ne seront pas de trop pour faire face aux nombreux défis auxquels il est confronté. Avec la commission, nous en avons relevé trois.
Le premier défi est celui de la hausse continue des frais de justice : expertises, traductions, interceptions téléphoniques. L'an dernier, les frais de fonctionnement de ce programme ont dû être ponctionnés de 15 millions d'euros pour financer le dépassement du budget des frais de justice. En 2013, les crédits consacrés à ces frais seront augmentés de 62 millions d'euros, soit 15 %, en prévision de la hausse du nombre d'actes.
Parallèlement, les experts se plaignent d'être payés tardivement, au point que, dit-on, certains médecins seraient maintenant réticents à travailler pour l'institution judiciaire. Sans compter que leur responsabilité est de plus en plus souvent mise en cause, ainsi que nous le rappelle régulièrement l'actualité ; et les problèmes administratifs ajoutent évidemment à leurs difficultés.
À la cour d'appel de Lyon, où je me suis rendu dans le cadre de mes auditions, le coût des frais de justice a bondi en quatre ans de 17 à 23 millions d'euros, alors que le budget de fonctionnement du ressort de la Cour reste stationnaire à 9 millions d'euros…
Ponctionner les frais de fonctionnement des juridictions pour financer les frais d'expertises inquiète les magistrats, et ce n'est pas de bonne politique. Cette question devra être tranchée. Le ministère de la justice entend-il instaurer un dispositif de limitation de ces frais, ce qui peut poser problème à l'indépendance des magistrats ? Les organisations professionnelles de magistrats y sont farouchement opposées : elles considèrent que ce serait une entrave au bon fonctionnement de la justice et qu'il serait inadmissible de refuser une expertise, en particulier lorsqu'il s'agit de prouver la culpabilité ou l'innocence d'une personne, ce qui soulève des problèmes de défense des droits. Autant de points sur lesquels, madame la garde des sceaux, nous attendons vos réponses.
Le deuxième défi à relever est celui de l'exécution des peines.
On estime à environ 85 000 le nombre de peines en cours d'exécution. C'est un « stock » plus élevé que dans les autres pays d'Europe. Je rappelle qu'il ne s'agit pas, contrairement à ce que l'on entend souvent, de peines non exécutées, mais de peines en attente d'exécution, même si nous savons pertinemment qu'un certain nombre d'entre elles ne seront jamais exécutées.
Qu'en est-il exactement, madame la garde des sceaux ? Comment comptez-vous vous y prendre pour réduire ce stock ? C'est une demande ancienne de vos prédécesseurs, des justiciables et de l'ensemble des partenaires du fonctionnement de l'institution judiciaire. D'après les chiffres qui m'ont été fournis par vos services, il semblerait que ce stock ait encore augmenté en 2012.
Pourtant, nous savons tous que le caractère pédagogique de la sanction ne vaut que si son exécution est rapide. Ce n'est pas lorsque le condamné est réinséré, une fois qu'il a fondé une famille, plusieurs années après les faits, qu'il doit être incarcéré ; c'est au moment le plus proche du prononcé de la sentence et de son caractère définitif.
Un troisième défi à relever pour ce programme est celui de la célérité de la justice, encore beaucoup trop lente. Cela suppose de recruter des magistrats, mais aussi des greffiers. Cela suppose également d'améliorer le fonctionnement des systèmes d'informations du ministère, souvent défaillants.
Dans la précédente mandature, à la demande du président de la commission des lois, j'avais commis un rapport sur l'application Cassiopée. Ceitiquée pour sa complexité et pour ses lourdeurs, elle a mis beaucoup de temps à se mettre en place. Mais ceux qui l'utilisent aujourd'hui semblent dire que son usage est satisfaisant. Toutefois, les extractions statistiques que doit permettre Cassiopée manquent aujourd'hui de fiabilité, et l'infocentre ne donne pas satisfaction. Enfin, la connexion entre Cassiopée et les fichiers de police et de gendarmerie serait source de gains importants de productivité – si l'on peut dire en matière judiciaire. Mais si cela fonctionne avec la gendarmerie, il semble qu'avec la police, ce soit plus compliqué.
Le développement des procédures simplifiées peut constituer une autre piste susceptible de désengorger les tribunaux et d'accélérer le cours de la justice. C'est le cas notamment de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, également appelée le « plaider coupable », critiquée à l'époque,…
…mais qui aujourd'hui semble donner satisfaction.
Je vous parlais il y a quelques instants de l'audition que j'ai pu effectuer à la cour d'appel de Lyon. Les procédures simplifiées y représentent 52 % de l'activité pénale, ce qui est considérable. Le premier président de la cour d'appel nous a d'ailleurs confié que renoncer à ces procédures ou en réduire le champ et en revenir à la procédure classique conduirait à une thrombose des juridictions. Un certain nombre de professionnels souhaitent l'extension du champ de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité et des ordonnances pénales. La question fait débat, certains avocats ayant émis des réserves. Quel avenir entendez-vous réserver à ces procédures, madame la garde des sceaux ? Pensez-vous les développer ?
Quatrième défi, lancinant : le recouvrement des amendes. En ces temps budgétairement difficiles, améliorer le recouvrement des amendes doit être une priorité de l'administration. Encore faudrait-il connaître exactement le montant de ces amendes. À travers les réponses à mon questionnaire budgétaire, j'ai pu mesurer à quel point les chiffres, qui vont de 260 millions à 400 millions d'euros, pouvaient être fluctuants entre la place Vendôme, chargée du prononcé des sanctions, et Bercy, chargé de leur recouvrement. Le temps entre le prononcé et l'encaissement n'explique pas tout.
Cela m'amène à m'interroger sur les lacunes statistiques qui existent dans ce domaine, ainsi que sur la coopération entre les deux administrations, celle de la justice et celle des finances, coopération qui pourrait être nettement améliorée.
Au total, d'après les chiffres que vos services nous ont fournis, il semblerait que le taux de recouvrement des amendes dans l'année qui suit leur prise en charge par le ministère des finances n'atteigne pas 50 %. Pour ce qui concerne les amendes forfaitaires majorées, le taux est encore plus faible : à peine 30 %.
Quelles mesures comptez-vous mettre en oeuvre, madame la garde des sceaux, pour améliorer le taux de recouvrement des amendes prononcées par les juridictions ?
J'évoquerai maintenant le programme « Administration pénitentiaire ».
Dans un budget favorisé, l'administration pénitentiaire apparaît comme particulièrement privilégiée, avec un budget qui frôle les 3,2 milliards d'euros, en hausse de 6 % ; 211 postes supplémentaires sont inscrits dans le plafond d'emplois du programme en 2013.
Le principal défi qui se pose à cette administration est celui de la surpopulation carcérale. Un programme immobilier de 24 000 places avait été annoncé par le précédent Gouvernement ; l'objectif étant de parvenir à un total de 80 000 places d'ici à 2020.
Il ressort des auditions que nous avons menées et des réponses que nous avons reçues au questionnaire envoyé à vos services que ce programme a été remis en cause et que votre administration se dirigerait plutôt vers la construction de 6 500 places nouvelles d'ici à 2018, ce qui porterait à 64 000 le nombre de places disponibles. Vous considérez, à juste titre, que la mise en chantier de prisons nouvelles ne peut constituer la seule réponse à la surpopulation carcérale. Sur ce sujet, madame la garde des sceaux, je partage votre point de vue : la détention ne peut pas être la seule réponse à la délinquance. Pour autant, vous aller vous heurter à une réalité : celle de la hausse continue de la surpopulation carcérale. Vos services ont peu de prise sur la hausse importante du nombre de détenus, compte tenu de l'indépendance des magistrats. Et les chiffres sont éloquents : en 2011, entre le 1er janvier et le 31 décembre, le nombre de détenus a augmenté de 4 200, passant de 60 500 à 64 700, malgré la forte hausse – 40 % en un an – du nombre de peines de substitution, les placements sous bracelet électronique notamment ou encore les travaux d'intérêt général.
Au 1er septembre 2012, les prisons françaises comptaient plus de 66 000 détenus, ce qui correspond à une nouvelle augmentation de 1 500 détenus supplémentaires sur les neuf premiers mois de l'année 2012.
Ainsi, au moment même où vous mettez en chantier ce programme, le nombre de détenus est déjà supérieur de 2 000 au nombre de places censées être disponibles dans six ans.
Je publie dans mon rapport budgétaire le taux d'occupation de tous les établissements pénitentiaires français. Vous y constaterez ainsi des chiffres assez inquiétants : dans les maisons d'arrêt, le taux d'occupation atteint 246 %, à Béthune, 227 % à Orléans, 204 % à Nîmes et 186 % à Nouméa. Dans les centres pénitentiaires, la situation n'est guère meilleure : 159 % à Bordeaux, 145 % à Fresnes, 143 % à La Santé, 137 % aux Baumettes et 135 % à Fleury-Mérogis.
En 2013, un établissement nouveau sera livré à Rodez tandis que les constructions les plus avancées lancées par le précédent gouvernement se poursuivront. Les opérations les plus emblématiques se situent à Valence, Beauvais, Lutterbach, Orléans, Riom, mais aussi outre-mer, à Ducos en Martinique. Des rénovations lourdes seront entreprises à Fleury-Mérogis, à Aix-en-Provence, à La Santé, aux Baumettes, à Nantes et à Nouméa. La commission en est particulièrement satisfaite.
Comme nous l'avons vu, les peines de substitution se développent et il s'agit, nous en sommes tous persuadés, de l'un des plus sûrs moyens de lutter contre la surpopulation carcérale et d'accélérer le rythme d'exécution des peines. Mais la justice se donne-t-elle vraiment les moyens d'explorer cette voie ? La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 prévoit que toute personne condamnée à une peine de prison inférieure à deux ans doit se voir proposer une peine de substitution. Qu'en est-il dans la réalité ? Les juges d'application des peines sont-ils suffisamment nombreux ? Les procédures qui leur incombent ne sont-elles pas trop lourdes ? les formalités ne sont-elles pas excessives ? Les moyens financiers pour leur permettre de hâter les mises en exécution et les adaptations de peines seront-ils débloqués ?
L'autre grande difficulté à laquelle est déjà confrontée l'administration pénitentiaire, c'est la prise en charge de la santé en détention, notamment des problèmes d'ordre psychiques. J'ai remis au président de la commission des lois un rapport où se trouve un tableau précis de la situation que connaissent les détenus français. Les problèmes somatiques, psychosomatiques et psychiatriques sont nombreux. Les prévalences en prison sont manifestes.
Le précédent gouvernement avait lancé un programme de construction d'unités hospitalières spécialement aménagées, les UHSA. Ces unités accueillent, à temps complet et avec leur consentement, les personnes détenues souffrant de troubles psychiatriques et qui souvent n'ont plus leur place en prison. Le programme de construction portait sur 705 lits, en deux tranches de construction. La première tranche, d'une capacité de 440 places, a commencé à être mise en oeuvre depuis 2010 et trois établissements, à Lyon, Toulouse et Nancy ont été inaugurés. Allez-vous poursuivre ce programme ? Quels seront les moyens financiers que vous mettrez à la disposition du suivi et du traitement de la psychiatrie dans nos établissements pénitentiaires ?
J'en arrive enfin au programme de protection judiciaire de la jeunesse. C'est un budget de 791 millions d'euros. Il augmente de 18,6 millions d'euros, soit 2,4 % supplémentaires par rapport à 2012. Le Gouvernement met l'accent sur la protection judiciaire de la jeunesse en créant 111 postes en 2013, principalement dans les métiers du greffe, de l'insertion et de l'éducation.
Le programme de protection judiciaire de la jeunesse gère notamment les centres éducatifs fermés créés par la loi de septembre 2002. Comme vous le savez, ils furent décriés lors de leur création. Ces centres éducatifs destinés aux jeunes auraient accueilli 3 800 mineurs en une décennie. Fin 2011, il existait 44 centres sur l'ensemble du territoire pour une capacité totale de 500 places. Chaque centre accueille en moyenne douze mineurs encadrés par une vingtaine de spécialistes, c'est-à-dire des éducateurs, des enseignants, des psychologues et des infirmiers.
Quatre nouveaux Centres éducatifs fermés devaient être inaugurés en 2013 à Angoulême, Épinay-sur-Seine, Cambrai et Marseille, après trois autres ouverts fin 2012. Or, lorsque vous avez pris vos fonctions à la tête du ministère, madame la garde des sceaux, vous n'avez pas paru très enthousiasmée par ces projets, affirmant que vous vouliez les évaluer, ce qui vous a d'ailleurs placée en contradiction avec les promesses faites par François Hollande qui avait annoncé lors de la campagne électorale le souhait de porter à quatre-vingts le nombre de ces établissements.
J'observe pour ma part que, si ces établissements étaient discutés au moment de leur création, chacun reconnaît aujourd'hui que les jeunes qui s'y trouvent placés sont bien encadrés, bien formés et bien suivis. Pour leur parcours de vie, ce passage en CEF n'est pas une marque mais au contraire un nouvel espoir.
Vous avez déclaré vouloir lancer un audit sur le rôle et les résultats de ces centres éducatifs fermés. Avez-vous reçu les résultats de cette étude et, le cas échéant, pouvez-vous nous en dévoiler les grandes lignes ? Votre opinion a-t-elle évolué ? Les quelques projets que j'ai évoqués seront-ils remis en cause ou parviendront-ils à bonne fin ?
Voilà pour ce qui concerne les trois principaux programmes de la mission justice. Je voulais aussi vous poser quelques questions sur le projet de construction d'une cité judiciaire sur le site des Batignolles à Paris. C'est un dossier ancien et discuté. Cette cité doit regrouper en un site unique et fonctionnel des services répartis en différents points de la capitale. Un contrat de partenariat public privé a été signé en février 2012 avec une grande entreprise française du bâtiment et un architecte de renom.
L'instruction du permis de construire est en cours, paraît-il. Sur ce sujet également, vous avez lancé un audit et vous avez laissé entendre que vous prendriez votre décision au cours de l'automne. L'avez-vous prise ? La cité judiciaire de Paris, que les professionnels appellent de leurs voeux, sera-t-elle faite ?
En conclusion, madame la garde des sceaux, votre ministère est confronté à un nombre important de défis. Chacun sait qu'ils sont lourds à relever et qu'ils sont placés sous l'oeil attentif d'une opinion publique exigeante. Vous bénéficiez d'un budget qui, je pense, vous donne les moyens d'affronter ces grands défis, au moins partiellement, et d'améliorer le fonctionnement de la justice au quotidien. C'est incontestablement ce qu'attendent les Français et c'est sur les résultats obtenus que je jugerai l'action du Gouvernement.
Au bénéfice de ces observations, j'ai l'honneur de vous confirmer que la commission des finances a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission justice. Pour ma part, je m'en remettrai bien sûr à la sagesse de l'Assemblée.
La parole est à M. Sébastien Huyghe, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, pour l'administration pénitentiaire.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la commission des lois a donné un avis favorable aux crédits de la mission « Justice », mais elle l'a fait, s'agissant du programme « Administration pénitentiaire », contre l'avis de votre rapporteur pour avis.
En effet, si le premier budget d'une législature est un acte politique important qui permet à un gouvernement de donner aux priorités qu'il affiche une traduction budgétaire, le budget de la justice pour 2013 apparaît à cette aune extrêmement décevant. Il y a en effet entre les paroles et les actes budgétaires un écart important. Bien que le Gouvernement clame que la justice est l'une de ses priorités, cette affirmation ne trouve aucune traduction budgétaire concrète en matière d'administration pénitentiaire.
Le budget de l'administration pénitentiaire est, pour 2013, en hausse de 6 % pour les crédits de paiement, mais en baisse de 38,5 % pour les autorisations d'engagement. Le plafond d'autorisation d'emplois est en hausse de 189 équivalents temps plein, soit une progression de 0,5 %.
Que signifient ces chiffres ?
Ils signifient tout simplement que l'ambition du nouveau gouvernement pour l'administration pénitentiaire se limite à achever l'exécution du programme immobilier « 13 200 » lancé par la précédente majorité en abandonnant l'essentiel du programme NPI et l'intégralité du programme prévu par la loi du 27 mars 2012 de programmation pour l'exécution des peines. L'objectif annoncé par le Gouvernement est de porter la capacité d'accueil de notre parc pénitentiaire à 63 500 places seulement en 2018, alors que 67 300 personnes sont aujourd'hui incarcérées, soit 4 000 de plus que le nombre de places prévues par le nouveau Gouvernement. Celui-ci est bien loin de l'ambition que s'était donnée la précédente majorité d'adapter le parc pénitentiaire aux besoins réels de notre pays en matière d'exécution des peines avec une capacité qui devait être portée à 80 000 places.
La hausse des crédits de paiement et la légère augmentation du nombre d'emplois ne correspondent en réalité qu'aux crédits et aux emplois nécessaires pour l'armement de nouveaux établissements dont la construction avait été lancée par la précédente majorité.
Les choix budgétaires du Gouvernement pour l'avenir de l'immobilier pénitentiaire traduisent très clairement un renoncement à doter la France d'un parc pénitentiaire rénové et conforme à ses besoins en matière d'exécution des peines Ce renoncement sera très lourd de conséquences. Il est très critiquable, à trois titres.
Premièrement, cette absence d'ambition est contraire à plusieurs dispositions législatives en vigueur. Elle est contraire, tout d'abord, à la loi du 10 août 2007 sur les peines plancher, qui avait pour objet et a eu pour effet de rendre plus effective la réponse pénale apportée par la justice aux actes commis par les récidivistes. Elle nécessite, pour sa bonne exécution, une offre de places de prison suffisante. Or, les peines plancher sont aujourd'hui toujours applicables, et c'est heureux. Le Gouvernement n'a pour l'heure pris aucune initiative concrète pour les supprimer à brève échéance. Peut-être craint-il la réaction de nos concitoyens qui y sont majoritairement favorables ?
L'absence d'ambition en matière pénitentiaire est également contraire à la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, dont l'article 100 prévoit que l'encellulement individuel dans les maisons d'arrêt devra être la règle à la fin de l'année 2014. En stoppant net l'effort immobilier engagé par la précédente majorité, le Gouvernement prend le risque de ne pas permettre la mise en oeuvre effective du principe de l'encellulement individuel en 2014.
Deuxièmement, renonçant à construire de nouveaux établissements pénitentiaires, le Gouvernement socialiste a également suspendu un certain nombre de décisions de fermeture qu'avait prises la précédente majorité. Sur trente-six établissements qui auraient dû fermer d'ici à 2016 parallèlement aux ouvertures de nouveaux établissements, quatorze seulement seront effectivement fermés par le Gouvernement. Pour les vingt-deux autres, le Gouvernement n'a pour l'heure pas pris de décision.
Ce faisant, il prolonge inutilement la durée de vie d'établissements pourtant à bout de souffle, qui ne sont plus conformes aux besoins de l'exécution des peines au XXIe siècle, dont la moyenne d'âge est de cent quarante-six ans et qui connaissent un taux moyen de surpopulation de 125 % ! Là où la précédente majorité avait, de façon responsable et humaniste, décidé de créer un parc pénitentiaire moderne et conforme aux exigences de l'exécution des peines au XXIe siècle, le Gouvernement fait, quant à lui, le choix de faire survivre un peu plus longtemps encore la France pénitentiaire du XIXe siècle.
Enfin, bien que l'abandon de l'effort budgétaire en faveur du milieu fermé soit présenté comme destiné à favoriser le milieu ouvert et les aménagements de peine, celui-ci ne bénéficie d'aucun moyen nouveau. Le Gouvernement indique en effet, dans les documents budgétaires et dans la circulaire de politique pénale de Mme la garde des sceaux, qu'il souhaite développer de façon importante les aménagements de peine.
J'appartiens à un groupe qui a voté la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 et a adopté des budgets qui, de 2002 à 2012, ont permis une augmentation de 80 % des effectifs des services pénitentiaires d'insertion et de probation, les SPIP, qui comptaient 2 200 agents en 2002 et près de 4 100 en 2011. Dans ces conditions, nous ne saurions être que favorables au principe du développement des aménagements de peine. Mais ce soutien au principe des aménagements est subordonné à deux conditions. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Il se comporte comme un délinquant : il ne respecte même pas son temps de parole !
La première, c'est que ces aménagements soient réservés aux personnes qui manifestent une réelle volonté de s'engager sur le chemin de la réinsertion et que votre objectif principal, madame la garde des sceaux, ne soit pas de vider les prisons par ce biais. La seconde condition, c'est que ces aménagements soient assortis d'un véritable accompagnement et d'un véritable contrôle de la part des agents des SPIP.
Je conclus, monsieur le président.
Ces éléments étant rappelés, il aurait fallu, puisque le Gouvernement délaisse le milieu fermé, qu'un effort conséquent soit fait en faveur du milieu ouvert, en cohérence avec l'affichage de l'objectif du développement des aménagements de peine.
Plusieurs députés du groupe SRC. La conclusion !
Dans ces conditions, comment ne pas être déçu et inquiet en constatant que le Gouvernement ne prévoit de créer que 63 ETPT ?
Monsieur le rapporteur, si vous ne concluez pas, je vous coupe le micro !
Pour résumer, le budget 2013 de l'administration pénitentiaire, c'est un milieu fermé largement délaissé, un milieu ouvert nullement renforcé, avec, en bout de chaîne, la sécurité des Français qui risque, hélas, d'être sacrifiée ! Pour ces raisons, et bien que la commission des lois ait donné un avis favorable aux crédits de la mission justice, votre rapporteur pour avis vous demande, de ne pas voter ce budget de la justice pour 2013.
La mission d'un rapporteur, monsieur, commence par le respect du règlement de l'Assemblée ; or vous aviez cinq minutes. Je demanderai dorénavant à tout un chacun de bien vouloir s'en tenir au temps qui lui est alloué.
La parole est à Mme Nathalie Nieson, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République pour l'accès au droit, la justice et l'aide aux victimes.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, pour mon premier rapport pour avis, au nom de la commission des lois, sur les questions d'accès aux droits, à la justice et l'aide aux victimes, j'aurais pu axer mon travail sur la suppression de la contribution pour l'aide juridique de 35 € mise en place par le précédent gouvernement. Cette taxe acquittée par les justiciables a fait l'objet de très vives critiques lors de mes auditions et déplacements.
Elle remet en cause le principe de gratuité d'accès à la justice. Elle est un recul pour l'accès au droit.
Mais je vous ai aussi entendu, madame la garde des sceaux, lors de votre audition par la commission des lois le 5 juillet dernier. Vous nous avez expliqué que la suppression de cette contribution devait être compensée par un mode de financement alternatif restant encore à trouver. J'ai aussi entendu votre engagement, devant l'assemblée générale extraordinaire du conseil national des barreaux, à supprimer cette contribution dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014.
Voilà pourquoi j'ai plutôt décidé d'axer mon rapport sur une autre urgence, l'aide aux victimes. Je me réjouis de l'effort financier fait cette année, le budget qui lui est consacré augmentant de près de 2,6 millions d'euros.
Je dois vous avouer que j'ai trouvé pour le moins paradoxal que l'ancienne majorité, qui plaçait pourtant la victime au centre de ses discours, ait voté deux années de suite des budgets en réduction ne donnant pas aux associations les moyens de mettre en oeuvre cette politique prétendument volontariste.
Ainsi, en 2011, les crédits de l'aide aux victimes ont été réduits de 5 %, puis de 3 % en 2012.
La disparition de sept associations depuis 2010 ainsi que les graves difficultés financières de plus de la moitié de celles qui restent ont déjà créé des brèches dans le maillage territorial de l'aide aux victimes, au mépris du principe de continuité du service public sur l'ensemble de notre territoire et de nos obligations européennes d'adopter des mesures permettant de mieux protéger les droits des groupes vulnérables et des victimes de la criminalité.
Je note aussi votre volonté de réorienter les crédits du FIPD, utilisés majoritairement ces dernières années en faveur de la vidéosurveillance.
En dépit de tous ces efforts, le secteur associatif d'aide aux victimes a besoin d'un mode de financement complémentaire et pérenne. L'idée d'instaurer une contribution pour l'aide aux victimes, une sur-amende assise sur le produit des amendes pénales, me paraît une bonne piste. Elle pourrait aussi répondre à une logique de justice réparatrice. C'est une proposition portée par l'INAVEM, qui s'inspire de l'exemple du fonds spécial d'aide aux victimes de la criminalité, le FAVAC, mis en place au Québec depuis 1988.
Plusieurs propositions de loi ont été déposées au cours de la précédente législature, notamment, la dernière, le 24 janvier 2012, par Mme Carrillon-Couvreur et l'ensemble du groupe socialiste.
J'ai moi-même déposé un amendement en ce sens, la semaine dernière, lors de votre audition par la commission des lois. Vous avez estimé plus prudent que cette idée fasse l'objet d'une réflexion plus approfondie. C'est la raison pour laquelle je l'ai retiré. Je l'ai fait en confiance car je vous sais ouverte sur le sujet. Tant mieux, car je suis déterminée à explorer cette piste.
Je salue votre volonté de généraliser les bureaux d'aide aux victimes à l'ensemble des tribunaux de grande instance. Je compte sur vous pour veiller aux modalités retenues pour le financement de ces dispositifs. Je veux parler de la subvention de 20 000 euros par bureau, qui ne permet que l'emploi d'un juriste à mi-temps, ce qui en réduit l'amplitude horaire. Je compte aussi sur votre vigilance pour la localisation de ces bureaux au sein des tribunaux. Ils doivent être le plus éloigné possible des lieux où les mis en cause peuvent être conduits.
Enfin, j'appelle votre attention sur le fait que, pour être pleinement efficace, l'aide aux victimes doit être plurielle. Il est crucial que les crédits alloués continuent à soutenir un réseau dédié à l'aide aux victimes sur tout le territoire. Quand je parle de complémentarité, je pense aux maisons de la justice et du droit, ainsi qu'aux permanences dans les commissariats, les gendarmeries et les hôpitaux.
La diversité des lieux comme la pluralité des financeurs doivent conduire au renforcement du pilotage des politiques d'aide aux victimes. C'est une situation dont vous héritez, mais voici encore un chantier pour vous, en lien avec le magistrat délégué à cette tâche et les conseils départementaux de l'accès aux droits.
En conclusion, j'appelle les députés à approuver ces crédits dédiés à l'accès aux droits, à la justice et à l'aide aux victimes. Comptez sur nous pour rester vigilants sur toutes ces questions. Vous savez comme moi que la victime ne doit pas être prise en compte seulement pour l'indemnisation de son préjudice. Nous lui devons un véritable accompagnement et une sincère considération pour que la justice soit pleinement rendue. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, pour la justice administrative et judiciaire.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la justice de notre pays est en sérieuse difficulté. L'institution judiciaire a été fortement malmenée, déstabilisée ces dernières années : instrumentalisation par l'exécutif, critique par le ministre de l'intérieur, mépris, si ce n'est ignorance, à l'égard des magistrats sommés d'adapter toute leur activité à l'inflation législative.
La justice a été abandonnée, ramenée même au rang de variable d'ajustement des différents budgets par des gels et des annulations de crédits. Grande était la tentation de s'habituer à la faiblesse des crédits alloués à la justice. Mauvaise habitude.
C'est à la mesure de ce bilan dévastateur de vos prédécesseurs que je tiens, madame la garde des sceaux, à saluer la volonté politique de votre Gouvernement de doter la France d'une justice efficace et de qualité.
Avec ce premier budget de la justice, un tournant a été amorcé, nécessaire pour donner à la justice les moyens d'assurer sa mission de service public. Il est grand temps de rompre avec le navrant classement de la Commission européenne, qui fait de la France, terre des droits de l'homme, un mauvais élève, à la trente-septième place. Même les instruments de mesure peuvent être aléatoires, ils révèlent une situation inacceptable.
L'enjeu est de taille, les attentes des justiciables et du personnel judiciaire sont fortes.
Le budget que nous examinons aujourd'hui confirme que la justice est bien l'une des priorités que le Gouvernement a définies. Dans un contexte de redressement de nos finances publiques, les crédits qui lui sont alloués sont en progression de 4,3 %. Je veux saluer particulièrement l'effort en matière d'effectifs, avec la création de 500 postes, priorité annoncée dès la prise de fonction du Gouvernement, alors même que nous sommes en période de stabilisation des effectifs de la fonction publique.
Outre la protection judiciaire de la jeunesse, le Gouvernement a donné la priorité à l'amélioration de la justice civile, la justice du quotidien, qui est le coeur de l'avis que je souhaite donner aujourd'hui. Elle concerne une majorité de nos concitoyens, et on n'en a absolument pas parlé pendant ces dix dernières années. Elle doit permettre d'améliorer la vie au quotidien de nos concitoyens.
Cette justice du quotidien est au coeur de la vie des gens. Problèmes de loyers, d'expulsion, droit du travail, contentieux de surendettement : voilà la réalité judiciaire que vivent nos concitoyens. C'est bien souvent l'ultime recours contre les difficultés de la vie quotidienne et la précarité. Il est donc impératif d'en assurer l'accessibilité à chacun de nos concitoyens dans tout le territoire.
À ce sujet, je pose à mon tour la question de la contribution de 35 euros dont vous avez hérité. C'est un héritage complexe et nous devons travailler aux conditions dans lesquelles elle sera remplacée.
L'indigence de certaines juridictions est incompréhensible pour les justiciables, pour les personnels confrontés à des conditions de travail de plus en plus rudes. Ce sont les personnels judiciaires des greffes, piliers du fonctionnement des tribunaux, les personnels de catégorie C qui sont actuellement les plus en difficulté. Je souhaite, madame la garde des sceaux, que, dans les mois et les années qui viennent, nous nous attachions à revaloriser le régime de l'ensemble de ces grands serviteurs de la justice.
Je vous invite également à réfléchir aux modalités d'affectation des personnels à l'instance.
S'agissant de la tutelle, nous ne pourrons assumer les obligations de la loi l'ayant réformée puisque nous sommes dans l'incapacité de réviser l'intégralité des procédures. Il faut être conscient des difficultés et le rapport que j'ai remis présente un certain nombre d'observations.
Je voudrais enfin évoquer les difficultés matérielles des tribunaux. On nous a signalé des situations presque ridicules, des problèmes de papier, de chauffage, d'insalubrité de locaux, d'inaccessibilité des toilettes. C'est ce dont nous héritons. Nous devons étudier ces problèmes pour apporter très vite des solutions aux personnels administratifs.
Le service public de la justice, c'est la première des justices qu'il faut rendre à nos concitoyens. Si elle n'est pas accessible, si elle ne peut pas exercer ses responsabilités, la justice doit être rayée de la carte de nos instruments de démocratie.
C'est tout l'enjeu de ce que vous aurez à faire dans ces prochains mois et ces prochaines années. Vous pouvez compter sur la majorité, qui m'a évidemment autorisé à donner chaleureusement un avis favorable à votre premier budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La parole est à M. Jean-Michel Clément, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République pour la protection judiciaire de la jeunesse.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes amenés ce soir à examiner le budget de la justice, et plus particulièrement, pour ce qui me concerne, la mission « Protection judiciaire de la jeunesse ».
Avant même d'entrer dans le détail, je voudrais vous dire, madame la garde des sceaux, ma satisfaction de voir ce budget placé au centre des priorités de ce gouvernement.
En effet, pendant ces cinq dernières années, nous avons assisté à une lente et progressive dégradation du service public de la justice, en raison notamment de l'amputation des moyens qui lui étaient attribués, mais plus graves ont été la remise en cause de l'action même des magistrats et le retard du contentieux préjudiciable aux justiciables, sans parler des conséquences sur l'accès à la justice et les conséquences financières de la réforme de la carte judiciaire orchestrée sans concertation.
C'est une politique d'affichage et de grands travaux, irresponsable et irréaliste, inadaptée aux besoins de notre société et mal budgétisée qui a été conduite au détriment de l'indispensable humanité et de l'efficacité du service public de la justice. Quand les conséquences de cette politique viennent toucher la justice des mineurs, c'est une vraie question de société à laquelle nous somment confrontés : quelle considération avons-nous pour notre jeunesse ?
Les priorités du Gouvernement et du Président de la République ont été clairement affichées, et je me réjouis qu'au premier rang de celles-ci figure justement la jeunesse.
La refondation de l'école, avec la formation des jeunes enseignants, et l'accent mis sur les apprentissages essentiels chez les jeunes enfants ont constitué le premier signe pour le futur de cette jeunesse. La création des emplois d'avenir pour les trop nombreux jeunes sans qualification ou faiblement formés constitue le deuxième pilier de cette politique en leur faveur, mais il ne fallait pas oublier ceux qui, victimes de la première violence sociale que sont le chômage et l'absence de formation ou de travail en perspective, ont pu s'égarer dans les méandres de la délinquance précoce.
Avant de les condamner, il convient de s'intéresser à eux aussi au travers des mesures de protection judiciaire. C'est la mission de la protection judiciaire de la jeunesse, qui se bat depuis des années mais qui devait faire face à l'impossible devant des réductions budgétaires régulières, les dernières d'entre elles n'étant pas des moindres puisqu'elles ont touché le coeur de son métier, l'éducation.
Après plusieurs années pendant lesquelles la protection judiciaire de la jeunesse a payé un lourd tribut à la RGPP, le projet de loi de finances pour 2013 inverse enfin la tendance en lui redonnant un peu d'air budgétaire et d'espoir.
Entre 2008 et 2011, les crédits qui lui étaient consacrés n'avaient cessé de diminuer. En 2012, ils avaient légèrement augmenté, mais seulement pour permettre la transformation de vingt foyers traditionnels en centres éducatifs fermés, l'ensemble des autres services, en particulier ceux de milieu ouvert, étant à nouveau sommés par l'ancienne majorité de faire toujours plus avec toujours moins de moyens.
Sur cette même période, la PJJ a perdu 600 emplois : une partie d'entre eux ont pu être absorbés par la réorganisation administrative qu'elle a menée, mais d'autres ont dû être ponctionnés sur son coeur de métier, la prise en charge des mineurs délinquants.
Fort heureusement, cette tendance s'inverse enfin, le Président de la République et le Gouvernement ayant décidé de faire de la jeunesse et de la justice deux axes prioritaires de leur action.
La PJJ se trouvant au carrefour de ces deux priorités, c'est très logiquement que ses crédits augmenteront en 2013 de 1 % en autorisations d'engagement et de 2,4 % en crédits de paiement. Le plafond d'autorisation d'emplois augmentera de soixante-quinze équivalents temps plein, correspondant à 205 emplois en année pleine, ce qui est un gros effort pour une administration relativement « petite » au sein du ministère de la justice, qui compte 8 400 emplois.
Pour ces raisons, la commission des lois a donné, conformément à mon avis, un avis favorable aux crédits de la mission « Justice » prévus dans le projet de loi de finances pour 2013.
Dans cette période budgétaire difficile, où les moyens doivent nécessairement être concentrés sur un certain nombre de secteurs prioritaires, l'effort fait en faveur de la PJJ et de la prise en charge des mineurs auteurs d'infractions mérite d'être salué.
Après cette brève présentation budgétaire, mon intervention portera sur le thème que j'ai traité cette année dans mon avis : la diversité des modes de placement des mineurs délinquants.
Au cours des dernières années, les mineurs faisant l'objet d'un placement – qui représentent seulement, rappelons-le, 5 % des mineurs pris en charge par la PJJ –, ont focalisé l'attention de l'ancienne majorité, qui avait tenté de faire croire à nos concitoyens qu'il existerait une recette miracle pour traiter le cas de ces mineurs, le centre éducatif fermé.
Certes, le CEF constitue l'une des solutions éducatives possibles, désormais acceptée par la plus grande partie de la communauté éducative et judiciaire ainsi que par la majorité des élus de droite comme de gauche, à condition que chaque centre ait un projet éducatif cohérent, une direction et une équipe éducative soudées et expérimentées, et qu'il soit contrôlé comme il se doit.
Pour autant, le CEF ne sera jamais la solution miracle qui pourrait être utilisée indistinctement pour tous les mineurs. Il n'est que l'une des solutions possibles au sein de la palette des différents modes de placement dont doivent disposer magistrats et éducateurs pour répondre aux situations des mineurs.
La précédente majorité avait étendu les possibilités de placement en CEF à des mineurs de treize à seize ans non récidivistes. Pour permettre la mise en oeuvre de cette évolution, elle avait prévu de transformer vingt foyers d'hébergement traditionnel en CEF. Ce faisant, elle avait ouvert une question intéressante, celle de l'équilibre des places nécessaires dans chaque type de structure, mais en lui apportant une mauvaise réponse, celle du tout-CEF au détriment des autres modes de placement.
Monsieur le président, je m'aperçois que je serai trop long.
J'indiquerai à titre personnel, au terme des échanges que j'ai eus dans le cadre de la préparation du présent budget, que l'offre de places de CEF me semble globalement satisfaisante, étant précisé que sept nouveaux centres doivent ouvrir en 2012 et 2013. Si difficulté il y a, elle a moins trait au nombre de places disponibles qu'à leur implantation géographique.
Je termine. Afin de promouvoir la diversité des modes de placement, j'ai formulé dans mon avis deux propositions. La première vise à relancer les formules d'hébergement diversifié. Je considère qu'un effort budgétaire doit être entrepris pour redynamiser le secteur de l'hébergement individualisé. La seconde proposition vise à développer le vivier des familles d'accueil de la PJJ, en rendant le statut de ces familles plus attractif. Madame la garde des sceaux, au cours de votre audition par la commission des lois,…
…vous avez annoncé que le montant de l'indemnité journalière serait porté à 36 euros en 2013. Cependant, au-delà de cet aspect indemnitaire, une réflexion plus large sur l'attractivité du statut de famille d'accueil doit être menée si l'on veut développer de façon conséquente ce réseau.
En conclusion, je salue à nouveau un budget qui va dans le bon sens, celui de l'amélioration de la prise en charge des mineurs ayant commis des infractions, et je vous demande, au nom de la commission des lois, de voter les crédits de la mission « Justice ». (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mes chers collègues, je vous demande de vous en tenir à vos temps de parole, sinon nous ne respecterons jamais la durée qui nous est impartie.
La parole est à M. Éric Ciotti, premier orateur inscrit dans la discussion. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Madame la garde des sceaux, le budget que vous nous présentez ce soir est historique, non pas par sa qualité, mais par sa dangerosité. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Mes chers collègues, je savais que je vous décevrais quelque peu. (Mêmes mouvements.)
Le budget que vous nous présentez est dangereux pour les Français et pour leur sécurité.
…toutes les mesures prises par Nicolas Sarkozy pour améliorer la sécurité des Français. Dangereux, surtout, car il introduit une rupture profonde avec les principes fondamentaux qui ont régi la politique pénale de notre pays depuis la Libération.
Il est vrai, madame la garde des sceaux, que vous avez consacré cette rupture en catimini, sans débat devant le Parlement, par votre circulaire pénale du 19 septembre dernier. Cette circulaire comme ce budget marquent une véritable défiance à l'égard de toute forme de sanction pénale.
Nous avons compris que pour vous, le recours à la sanction, notamment à la prison ferme, est beaucoup trop fréquent dans notre pays. Ce postulat de base est pourtant totalement erroné. Avec 96 détenus pour 100 000 habitants, nous avons en France l'un des taux d'incarcération parmi les plus faibles d'Europe, la moyenne dans l'Union européenne se situant à 123 détenus pour 100 000 habitants. À titre de comparaison, ce taux s'élève à 138 pour 100 000 en Espagne, et à 152 pour 100 000 au Royaume-Uni, pays qui ne sont pas connus pour leur caractère liberticide.
Madame la garde des sceaux, vous savez pourtant que 82 000 peines de prison ferme demeurent inexécutées dans notre pays. M. le rapporteur spécial Étienne Blanc a rappelé ces chiffres tout à l'heure, avec beaucoup de pertinence. Cela nous amène à considérer que la France ne souffre pas, contrairement à votre affirmation et à votre postulat idéologique, d'un excès d'emprisonnement, mais bien au contraire d'un manque de places de prison.
Cela peut paraître évident pour certains, mais la gauche française semble encore ignorer…
…que la sanction pénale n'est efficace, crédible, et donc dissuasive que si elle est rapide, effective et exécutée. Sans quoi, l'autorité même de l'institution judiciaire se trouve minée. C'est ce raisonnement qui installe l'impunité pénale.
…pour que les peines soient effectivement exécutées. Au cours du dernier quinquennat, nous avons augmenté de manière très significative les moyens consacrés à l'exécution des peines. À la demande du précédent Président de la République, j'avais rédigé un rapport complet et exhaustif sur ce sujet (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC), qui a servi de fondement à la grande loi de programmation sur l'exécution des peines du 27 mars 2012.
Or que constatons-nous dans votre budget, madame la garde des sceaux ? D'abord la chute brutale du budget de l'administration pénitentiaire pour 2013 : cette baisse de 38,5 % des autorisations d'engagement, égalée au cours des trente dernières années ! Ces chiffres démontrent, comme l'a rappelé de façon très claire le rapporteur pour avis Sébastien Huyghe, que l'ambition du nouveau Gouvernement se limite à conclure l'exécution du programme immobilier « 13 200 » lancé par la précédente majorité, en abandonnant le programme prévu par la loi de programmation que j'évoquais précédemment, laquelle prévoyait de porter le nombre de places de prison à 80 000 d'ici 2017.
Vous affirmez que votre objectif est aujourd'hui de porter la capacité d'accueil du parc pénitentiaire à 63 500 places en 2018, mais vous oubliez de rappeler qu'aujourd'hui même, plus de 67 000 personnes sont incarcérées dans notre pays. Refuser de construire ces 16 500 places supplémentaires est donc un acte particulièrement grave et dangereux…
…pour la sécurité des Français.
Vous avez choisi de faire de l'inexécution des peines de prison ferme une méthode de régulation de la surpopulation carcérale. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Je pense ainsi à l'aménagement systématique des peines, qui va à l'encontre d'un des principes fondamentaux de notre droit pénal, l'individualisation des peines, que vous défendez par ailleurs avec beaucoup de force. Je pense aussi à la suppression des courtes peines que vous évoquez dans votre circulaire pénale. Ces choix seront hélas très lourds de conséquences, en matière de récidive notamment.
Mes chers collègues, il est temps de sortir de cette forme d'hypocrisie…
…qui consiste à légitimer des aménagements de peine systématiques, ou à laisser en liberté les condamnés à des courtes peines pour compenser la faiblesse de nos capacités carcérales. La loi de programmation s'était attaquée avec courage à ce dévoiement de nos institutions.
La deuxième raison qui me fait dire que ce budget est dangereux est qu'il ne correspond et ne répond en rien au fléau de l'augmentation de la délinquance des mineurs. Alors que vous affirmiez que la première priorité de la mission « Justice » était la jeunesse, force est de constater qu'il s'agit, une fois de plus, d'un simple effet d'annonce. Face à la délinquance des mineurs, il est indispensable d'agir vite…
…en apportant des réponses graduées mais fermes.
Longtemps opposé à la création de centres éducatifs fermés, comme toute la gauche française, François Hollande s'était pourtant engagé – un éclair de lucidité que l'on peut saluer : il y en a si peu ! – (Vives exclamations sur les bancs du groupe SRC)…
…pendant la campagne présidentielle à doubler leur nombre en le portant à quatre-vingts CEF pendant le quinquennat. Malheureusement, cet engagement de campagne, comme tant d'autres, n'a pas duré très longtemps !
En effet, madame la garde des sceaux, vous avez même contesté le choix du Président de la République ! Bien qu'il fût prévu de créer dix-huit CEF en transformant des foyers, vous n'avez pas donné suite à l'ensemble de ce projet.
Aujourd'hui, le nombre de créations qui ressort de ce budget est limpide : quatre CEF à peine verront le jour en 2013. Voilà un nouveau message d'impunité envoyé aux délinquants, qui vient s'ajouter à l'annonce de la suppression des tribunaux correctionnels pour les mineurs délinquants.
Certes, vous nous rétorquerez que les crédits alloués à la PJJ sont en augmentation. Cela ne saurait suffire, car seuls des modes de prise en charge diversifiés, notamment des CEF pour les mineurs les plus ancrés dans la délinquance, ou le service citoyen que j'avais instauré par une proposition de loi adoptée par le Parlement, offrent une réponse pertinente pour chaque degré de délinquance.
Au total, malgré les grands effets d'annonce et de communication, l'affirmation du caractère prioritaire de la justice ne trouve pas de traduction dans ce budget. Bien au contraire, votre budget manque cruellement de souffle et d'ambition.
D'un côté, vous affirmez vouloir donner plus de moyens aux services d'insertion et de probation. Mais d'un autre côté, ce budget ne prévoit que soixante-trois nouveaux ETPT pour les SPIP. Je vous rappelle, madame la garde des sceaux, que les effectifs des SPIP sont passés de 2 260 ETPT en 2002 à 4 080 en 2011.
S'agissant des effectifs du ministère, vous prévoyez de créer 480 emplois en 2013. Permettez-moi de vous rappeler qu'il ne s'agit là que d'un effort de rattrapage…
En cinq ans, le gouvernement de François Fillon a augmenté de 20 % le budget de la justice, qui est passé de 6,25 milliards à 7,42 milliards d'euros.
Enfin, à quoi sert d'augmenter d'une part certains crédits, si l'on envoie d'autre part des messages de laxisme et d'impunité aux délinquants ? (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Plusieurs députés du groupe SRC. Mais bien sûr !
La cacophonie idéologique au sein du Gouvernement en matière de justice et de sécurité ne permettra en aucune façon de faire reculer la criminalité et la délinquance dans notre pays.
…il est inutile de tenir des discours martiaux sur la sécurité, comme le fait le ministre de l'intérieur.
Madame la garde des sceaux, vous ne pourrez plus nous faire le coup de la naïveté de M. Jospin sur la sécurité. Nous prenons date aujourd'hui. Nous vous mettons solennellement en garde.
Plusieurs députés du groupe SRC. Nous n'avons pas de leçon à recevoir !
Mais force est de constater que la sécurité des Français n'est pas la première de vos priorités.
Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera contre ce projet de budget avec une très grande détermination. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Mes chers collègues, je vous demande véritablement de respecter vos temps de parole. Si chacun prend deux minutes supplémentaires, nous terminerons à l'évidence fort tard cette nuit.
Chers collègues de l'opposition, je vous demande solennellement de rester jusqu'au bout de la nuit !
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, madame et messieurs les rapporteurs, chers collègues, à première vue, les crédits de la mission « Justice » soumis à notre examen semblent s'inscrire dans une certaine continuité.
Continuité d'abord avec la hausse des crédits. Le budget prévoit en effet une augmentation de 4,3 % qu'il faut ramener à 2,9 % hors compte d'affectation spéciale pensions. Cette volonté affichée de faire de l'organisation et du fonctionnement des services judiciaires et de l'administration pénitentiaire une priorité n'est pas nouvelle. Au cours des dix dernières années, les précédentes majorités ont toujours veillé, dans un contexte budgétaire contraint, à préserver les crédits de l'une des missions les plus primordiales de notre budget.
Notons cependant que cet effort est toujours insuffisant tant la France est un mauvais élève de l'Europe, comme cela a été rappelé, même s'il faut prendre en compte tous les critères, et que les défis auxquels est confronté notre système judiciaire sont nombreux.
Continuité également dans la poursuite des objectifs. La réduction des délais de traitement, dont l'augmentation croissante est préjudiciable au bon fonctionnement de la justice, la lutte contre la surpopulation carcérale, la baisse de la délinquance des mineurs, l'aide aux victimes, la réinsertion demeurent des priorités, sans négliger l'effort indispensable de redressement des finances publiques.
Pour autant, la conception de la justice que sous-tend ce budget, et que votre circulaire de politique pénale du 19 septembre, madame la garde des sceaux, illustre trop parfaitement, ne correspond pas à l'idée que le groupe UDI se fait de la justice.
Elle ne permettra pas, à notre sens, de remédier aux dysfonctionnements de notre système judiciaire, dans un souci à la fois de protection des victimes en particulier, de nos concitoyens en général et de respect de la dignité des personnes détenues.
Je voudrais insister sur les principaux enjeux de la justice. Concernant l'exécution des peines, on observe qu'à ce jour, sur 100 000 peines de prison prononcées chaque année, moins de la moitié des peines sont réellement exécutées. Or l'application réelle des peines, c'est-à-dire la nécessaire sanction de ceux qui ont commis des crimes ou des délits, constitue une véritable exigence.
Pour le groupe UDI, une justice efficace est une justice rapide, lisible, et avant tout une justice dont les décisions sont suivies d'effet.
De ces impératifs dépendent non seulement la crédibilité de nos institutions judiciaires, mais également la confiance que chacun de nos concitoyens place en la justice de son pays. On ne peut, en effet, sous prétexte de la nécessité de désengorger les établissements pénitentiaires, faire de l'aménagement des peines la priorité et de la peine d'emprisonnement le « dernier recours », selon les termes que vous employez, madame la garde des sceaux, dans votre circulaire.
Sous la précédente législature, nous avions pris l'initiative, avec la loi relative à l'exécution des peines, de porter notre parc carcéral à 80 000 places, soit 24 000 places de prison supplémentaires d'ici à 2017. Il s'agissait, non pas de mettre en place une politique du « tout carcéral » comme vous l'avez si souvent reproché à la majorité d'alors, mais bien de répondre à un réel besoin d'accroissement du parc carcéral, pour assurer à nos concitoyens la sécurité qu'ils sont en droit d'attendre et aux détenus, une amélioration tout aussi légitime de leurs conditions de détention.
Au lieu de cela, vous prévoyez, et c'est regrettable, de limiter à 6 500 la construction de places de prisons supplémentaires.
L'aménagement des peines, pour lequel la précédente législature, a déjà beaucoup fait, doit s'accompagner d'une indispensable amélioration de la prévention de la récidive, notamment des outils d'évaluation de la dangerosité.
J'insiste sur un autre point : la prise en charge des mineurs. Nos concitoyens constatent chaque jour que la délinquance des mineurs connaît une augmentation incontestable. Les délais excessifs d'exécution des peines ne font que développer chez les mineurs un sentiment d'impunité, préjudiciable à terme à l'ensemble de la société.
Depuis leur création, les centres éducatifs fermés ont fait leurs preuves. Aussi, nous regrettons que le projet de budget, se limite à la création de quatre nouveaux centres, chiffre qui va à l'encontre de ce que furent les promesses de campagnes du candidat Hollande.
Le groupe UDI croit fermement à l'équilibre républicain du balancier de la justice qui doit permette à la fois la protection des citoyens et la sanction des coupables. Notre groupe considère que les priorités que vous donnez à ce budget ne sont pas les meilleures pour assurer le respect de cet équilibre. C'est pourquoi le groupe UDI votera contre les crédits de la mission « Justice » pour 2013. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et sur les bancs du groupe UMP.)
Vous avez respecté votre temps de parole à la seconde près, monsieur le député !
Et tenu un discours modéré, qui plus est !
La parole est à M. Sergio Coronado.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, en dépit des critiques outrancières formulées à cette tribune par l'opposition, vous devez être ce soir une ministre heureuse…(Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
…puisque vous avez la responsabilité d'un domaine décrété prioritaire par le Président de la République. Après des années de coupes, de sacrifices, de réorganisation à tout va de notre système judiciaire, de politique spectacle, …
…l'état de notre justice est particulièrement préoccupant.
Les tribunaux sont débordés, les magistrats surchargés de dossiers et les prisons surpeuplées. Bien plus, c'est l'esprit même de la justice qui a été bafoué ces dernières années. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Le groupe écologiste vous soutient, madame la garde des sceaux, dans votre effort pour redonner de la sérénité à l'institution et offrir une nouvelle orientation à nos politiques judiciaires. Le groupe écologiste salue donc la priorité donnée par le Gouvernement à la justice et la sécurité dans le cadre de ce projet de loi de finances avec la création de 500 postes nets.
Peut-être pas sauvés, mais sur la bonne voie.
L'évolution des crédits montre la volonté de privilégier une autre politique de justice, plus pragmatique, qui tourne le dos au tout carcéral et qui tente de concilier répression, prévention et réinsertion. Les progrès sont réels pour l'aide aux victimes, l'application des peines, la rapidité de la justice ou l'amélioration des conditions de détention. Ce changement dans la politique en matière de justice correspond à une attente forte des milieux judiciaires et des usagers : moins de nouvelles lois, plus de moyens et surtout, parce que c'est essentiel, des relations de respect entre l'institution et ses usagers. Cette relation est fondamentale dans une démocratie.
Nous saluons aussi vos efforts pour mettre fin à la paupérisation de la justice afin d'accélérer le paiement des factures en souffrance. Les conditions de travail de certains personnels de justice sont indignes et rendent parfois difficile l'exercice de leurs droits pour les victimes et les mis en cause. L'effort ciblé sur l'application des peines ou les greffiers est bienvenu.
Nous saluons encore l'importance donnée à la justice des mineurs. Nous ne pouvons en effet considérer les plus jeunes comme des criminels, ni comme coupables de leurs actes dès le plus jeune âge. Nous ne pouvons pas non plus supporter qu'il leur soit imposé des conditions d'incarcération souvent inhumaines que subissent les majeurs : les chiffres le montrent, cela produit de la récidive, cela produit des criminels.
Voilà pourquoi nous saluons l'augmentation de 2,4 % des crédits pour la protection judiciaire de la jeunesse, ainsi que la création de postes d'éducateurs destinés à mieux accompagner les mineurs.
Je m'interroge toutefois sur la création de nouveaux centres éducatifs fermés, du moins, je reprends l'une de vos interrogations, que vous avez exprimée cet été par voie de presse. La construction de ces nouveaux établissements exige des investissements qui restent considérables.
Vous parlez de quatre nouveaux centres éducatifs alors même que trois sont déjà prévus pour 2012. Ne vaudrait-il pas mieux renforcer encore les dispositifs d'accompagnement, qui ont tellement fait leurs preuves ? Je regrette en effet que les crédits soient entièrement dévolus aux centres éducatifs fermés au détriment d'autres structures.
Le groupe auquel j'appartiens soutient la volonté du Gouvernement de développer l'aide aux victimes et l'accès aux droits. L'effort est remarquable, notamment s'agissant de la création de cent bureaux d'aide aux victimes. Pour mémoire, je rappelle qu'entre 2007 et 2011, seuls cinquante bureaux d'aide aux victimes avaient été créés.
Vous vous êtes également engagée, madame la garde des sceaux, à supprimer le timbre de 35 euros que doit payer le citoyen pour toute procédure, mais uniquement en 2014.
Justifiée par le gouvernement de l'époque par les coûts engendrés par l'intervention plus importante des avocats en garde à vue, elle est aujourd'hui d'une utilité budgétaire incertaine puisque le nombre d'interventions d'avocats ne sera pas de 390 000 comme estimé, mais de 180 000 en 2012. Cette taxe est un frein pour l'accès à la justice. Nous avons donc déposé un amendement sur les articles rattachés et espérons que vous lui donnerez un avis favorable. Pourquoi attendre ?
J'aimerais enfin saluer votre engagement à mettre fin aux partenariats public-privé dans le cadre de la construction de nouveaux établissements pénitentiaires. Ces partenariats, apanage des gouvernements précédents, étaient une aberration politique et financière. Il était particulièrement urgent d'y mettre fin. Vous l'avez fait, ce dont je me félicite.
Pour rappel, 5,5 milliards d'euros d'autorisation d'engagement restent à couvrir par des crédits de paiement. Concernant les constructions elles-mêmes, vous avez annoncé mettre un terme à « l'objectif démagogique » de construction de 8 000 places de prison supplémentaires, qui figure dans la loi de programmation sur cinq ans adoptée par le gouvernement précédent quelques semaines à peine avant la fin de son mandat, mais sans financements. Vous annoncez cependant un programme immobilier d'envergure. Plusieurs établissements importants verront le jour – Orléans, Draguignan, Majicavo, Ducos et Papeari. Si la construction de nouveaux établissements dans les ROM-TOM est nécessaire, nous ne pensons pas que l'augmentation du nombre de places de prison mettra un terme au problème auquel est confrontée la justice.
Vous qui souhaitez rompre avec la politique du tout carcéral, vous savez bien que l'arrêt de la construction de nouvelles prisons sera une incitation supplémentaire au développement des peines alternatives et d'une alternative au tout carcéral.
Nous aurions également souhaité que la politique de votre ministère reflète davantage votre engagement d'aller vers une politique de la prévention plutôt que du tout répressif. Cela dit, ce budget va dans la bonne direction. C'est un budget en rupture, un budget de changement. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, un bonheur n'arrive jamais seul. Vous occupez avec talent un ministère où s'illustrèrent les plus grands noms de la République : François Mitterrand, sans doute plus radical que socialiste (Exclamations et sourires sur les bancs du groupe SRC), Robert Badinter, mais aussi deux femmes de gauche Élisabeth Guigou et Marylise Lebranchu, que j'ai bien connue dans une législature précédente. Je ne voudrais pas oublier deux figures du parti radical de gauche, mes amis Maurice Faure et Michel Crépeau.
Mais, madame la garde des sceaux, il ne suffit pas de vouloir une justice plus proche des Français – vous êtes dans votre rôle –, il faut avoir les moyens de sa politique. Vous avez une opportunité historique dans la crise que nous vivons de pouvoir disposer d'un budget conséquent, 7,70 milliards d'euros, en augmentation de 4,3 % alors même que les dépenses de l'État restent en 2013 au niveau de la loi de finances de 2012.
De plus, alors même que les effectifs de la fonction publique d'État sont stables, vous pouvez bénéficier pour l'année 2013 de cinq cents nouveaux emplois.
Permettez-moi de faire quelques suggestions, madame la garde des sceaux. D'abord, renforcer la justice de proximité : j'ai le souvenir d'une réforme qui a supprimé les tribunaux d'instance à la hache, au son du canon. Et cela a été une mauvaise chose pour la République.
Il faut ensuite s'intéresser à la justice prud'homale, aujourd'hui bloquée. Pendant quarante ans, j'ai plaidé devant la justice prud'homale. Actuellement, il faut deux ans, trois ans pour faire enrôler une affaire.
Or cela se fait aux dépens des salariés qui attendent les décisions de justice. C'est insupportable.
Et il y a les grands procès, ceux de l'amiante, les procès de santé publique. En 1997, j'accompagnais des amiantés chez le procureur de la République : c'étaient des victimes de Condé-sur-Noireau, la vallée de la mort de l'amiante. Nous sommes en 2012, le dossier est toujours à l'instruction. Allez expliquer, quinze ans après, que nous en sommes toujours là ! Que doit-on attendre ? Que tous les mis en examen soient morts ? Que tous les amiantés soient morts ? Est-ce cela, la solution ?
Dans les mêmes conditions, l'Italie a réussi à trouver des solutions et les procès ont eu lieu. Ce scandale de l'amiante est un des grands procès de notre société : plus de 100 000 morts. Je vous le demande solennellement : donnons-nous tous les moyens pour faire en sorte que cela ne continue plus ainsi,.
J'aimerais maintenant avoir avec vous une réflexion sur les pouvoirs des juges de l'application des peines. Il y a quinze ans, les peines inférieures à six mois étaient susceptibles de trouver des modifications avec le juge de l'application des peines. Cela a été porté un an, par nous. Puis à deux ans, par vous, mesdames, messieurs de l'opposition, qui avez changé la loi en élargissant cette possibilité aux peines allant jusqu'à deux ans.
Est-ce suffisant ? Je ne le pense pas et je voudrais faire un parallèle avec ce que nous avions décidé en matière de détention provisoire. Nous avions établi que jusqu'à cinq années en ce qui concerne les atteintes aux biens, jusqu'à trois années en ce qui concerne les atteintes aux personnes, il ne pourrait y avoir de placement en détention provisoire. Je vous propose d'appliquer la même logique à l'incarcération.
Je vous propose d'accroître les pouvoirs des juges de l'application des peines. Le placement sous surveillance électronique est une alternative à l'incarcération : toutes les peines ne doivent pas être purgées derrière les murs d'une prison, il y a d'autres alternatives – et je sais que c'est votre avis, madame la garde des sceaux. Lorsque la Bastille a été prise en 1789, combien y a-t-on trouvé de prisonniers ? Sept, dont quatre fils prodigues…
Peut-on vraiment croire que la prison est la solution à tout ? J'ai entendu M. Ciotti et étonnement ne fait que croître. Je n'ai pas le sentiment que c'est ainsi que l'on trouvera des solutions.
Madame la garde des sceaux, il y a enfin une demande que j'aimerais vous faire, et qui touche au rôle du parquet. Les parquetiers ont déserté les tribunaux de justice civile. Les avocats généraux ne participent plus aux grands procès collectifs. Ils nous manquent : lors des réquisitions civiles, le parquet, c'est un peu la voix de la France. Ils sont débordés, paraît-il.
Notre justice attend beaucoup. Les justiciables revendiquent leur appartenance à l'État de droit. C'est aussi à cela que l'on reconnaît les fondements démocratiques de l'État républicain. Madame la garde des sceaux, nous vous soutiendrons totalement. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et SRC.)
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de budget de la justice pour 2013 s'inscrit dans le cadre d'une nouvelle politique pénale. Notre groupe approuve les principes généraux qui la guident, tels qu'ils ont été définis par la circulaire du 19 septembre 2012 : fin des instructions individuelles, diversification des modes de poursuite, limitation du recours à la comparution immédiate et à l'emprisonnement, réaffirmation de la spécificité de la justice des mineurs, priorité donnée à l'aménagement des peines.
Nous saluons la rupture ainsi engagée avec la politique inefficace du tout répressif et du tout carcéral menée par la précédente majorité.
Nous soutenons également la volonté de réhabiliter le service public de la justice et le nouvel état d'esprit dont est imprégné ce budget, un budget en hausse. Et compte tenu des restrictions budgétaires qui affectent les autres ministères, on ne peut que se réjouir a priori d'une telle augmentation.
Nous n'oublions cependant pas la situation catastrophique dans laquelle se trouve le service public de la justice. La commission européenne pour l'efficacité de la justice relève, dans son rapport de 2012, que la France est quarantième sur quarante-sept pays, en termes de budget public annuel total alloué au système judiciaire rapporté au produit intérieur brut par habitant.
L'accroissement des effectifs prévu pour la période 2013-2015 est certes à souligner, même si cette augmentation ne se traduira pas pour autant par une amélioration suffisamment significative de la situation, tant les besoins sont considérables. C'est vrai pour la protection judiciaire de la jeunesse comme pour les services judiciaires et l'administration pénitentiaire.
À cet égard, nous approuvons la décision de suspendre tous les projets annoncés par la précédente majorité, qui n'avaient pas encore été financés, et de ne plus retenir la modalité du partenariat public-privé, jugée à raison trop dispendieuse, pour les futurs projets immobiliers.
Nous notons avec satisfaction la volonté affichée d'en finir avec le tout carcéral et d'améliorer des conditions de détention souvent indignes.
Concernant les services judiciaires, si un effort exceptionnel pour les frais de justice est annoncé, nous regrettons qu'en contrepartie, les budgets de fonctionnement diminuent au regard de la situation déplorable de nombre de juridictions. Nous déplorons également qu'en matière statutaire et indemnitaire rien ne soit prévu pour les personnels administratifs de catégorie C avant 2014 et rien non plus pour les greffiers avant 2015.
S'agissant de la protection judiciaire de la jeunesse, au-delà de la création de 205 postes, indispensable mais non suffisante, nous contestons la création de quatre nouveaux centres éducatifs fermés. Comme nous n'avons de cesse de le répéter, la banalisation de ces centres est problématique car cette structure tend à devenir depuis plusieurs années l'unique réponse à la prise en charge des mineurs délinquants.
Enfin, concernant l'accès à la justice, nous déplorons la situation de l'aide juridictionnelle qui connaît une perte significative de 17,3 millions d'euros sur une année. Comme tous les syndicats de magistrats et d'avocats, nous considérons que l'accès à la justice est gravement entravé par la fameuse taxe de procédure de 35 euros exigée sous peine d'irrecevabilité de la demande. Nous demandons sa suppression immédiate ; notre groupe a d'ailleurs déposé une proposition de loi en ce sens.
Madame la garde des sceaux, même si les députés du Front de gauche mesurent l'insuffisance des crédits, ils émettront un vote d'encouragement, encouragement à poursuivre dans la dynamique que vous insufflez pour réhabiliter la justice. Mais cette réhabilitation devra se fonder sur de nouvelles bases : suppression des peines plancher, suppression du tribunal correctionnel pour mineurs, suppression de la rétention de sûreté, suppression de la taxe de procédure.
C'est dans cette perspective, et pour toutes les raisons que j'ai indiquées, que nous voterons le budget de la justice pour 2013. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SRC et RRDP.)
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, le groupe SRC votera ce budget. Il votera ce budget parce qu'il s'agit d'un bon budget.
Ce budget est un bon budget parce qu'il est en augmentation dans une période où nous connaissons une crise sans précédent des finances publiques et une crise économique, la pire sans doute depuis le début de la Ve République.
Ce budget est un bon budget parce qu'il est tourné vers l'enfance, vers la jeunesse avec la création de 178 emplois au bénéfice de la protection judiciaire de la jeunesse alors que cette administration avait jusqu'alors subi de sérieuses baisses de personnels.
Ce budget est un bon budget parce qu'il marque la fin du tout carcéral. La précédente majorité avait imaginé, en fin de législature, de créer 24 000 places de prison pour porter la capacité de notre parc pénitentiaire à 80 000 places. Si ce n'était pas si attristant, on pourrait rire de la désopilante fantaisie de cette loi : il s'agissait de créer des places de prison avec un argent que l'on n'avait pas, en tablant sur des loyers qu'on ne connaissait pas pour emprisonner des prisonniers que l'on ne dénombrait pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Il était difficile de faire plus surréaliste. Il était temps de mettre fin à cette fuite en avant carcérale.
Ce budget est un bon budget parce qu'il prévoit la création de places de prison dans des proportions raisonnables afin de porter la capacité de notre parc carcéral à 63 500 places, ce qui établit le taux d'incarcération en France à environ 100 pour 100 000 habitants : voilà qui nous place au-dessus de l'Allemagne qui a mis en place une politique dite de déflation carcérale aboutissant à une diminution du nombre de ses détenus.
Ce budget est un bon budget parce qu'il privilégie la justice du quotidien, cette justice des affaires familiales, cette justice prud'homale, cette justice des tribunaux d'instance, en créant 142 emplois.
C'est important parce que c'est principalement là que se rendent nos concitoyens.
Ce budget est aussi un bon budget parce qu'il privilégie les méthodes nouvelles : 3, 2 millions sont prévus en faveur de la médiation familiale. On sait combien il est important d'apaiser le conflit plutôt que de le faire flamber.
Enfin, ce budget est un bon budget parce qu'il se préoccupe du sort des victimes. Il s'en préoccupe autrement que dans le discours en créant 100 bureaux d'aide aux victimes, ce qui portera leur nombre total à 150. C'est là un effort très important qui permettra de couvrir l'intégralité du territoire.
Toutefois, ce budget est grevé par un lourd héritage.
Pour commencer, l'héritage de la surpopulation carcérale. Le 1er janvier 2001, il y avait 47 000 détenus, soit un taux d'incarcération de 75,6 pour 100 000 habitants. Le 1er janvier 2011, dix ans après, il y avait 60 544 détenus, soit un taux d'incarcération de 93,1 pour 100 000. Aujourd'hui, celui-ci s'établit à 100 pour 100 000. Autrement dit, il se sera accru de vingt-cinq points depuis le 1er janvier 2001 !
Il faut absolument répondre à cette surpopulation carcérale et pour cela, il faut faire émerger de nouvelles solutions. Vous avez, madame la garde des sceaux, lancé une conférence de consensus et l'on en attend beaucoup, car le nombre de détenus dépend aussi de la politique pénale. À cet égard, il faut rappeler que le nombre de peines inexécutées n'est pas de 80 000 : ce nombre correspond à des peines en attente d'exécution dont beaucoup sont susceptibles d'être aménagées.
Il faut marteler cette vérité : il n'y a pas 80 000 peines qui ne sont pas exécutées, il y a 80 000 peines qui sont en attente d'exécution. Ce problème est déjà suffisamment inquiétant pour que l'on en rajoute. Certes, il se pourra que certaines peines ne soient jamais exécutées, mais en aucun cas leur nombre n'atteint 80 000.
Cela dit, nous avons un gros effort à faire dans ce domaine.
À ce sujet, sans être électrisé par un anti-sarkozysme primaire, je maintiens très tranquillement qu'il est absolument nécessaire de supprimer le tribunal correctionnel pour les mineurs récidivistes et les peines plancher. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.). Cette suppression n'est en rien motivée par des raisons idéologiques : elle tient simplement au fait que les dispositions en cause sont, premièrement, inutiles, deuxièmement, néfastes.
Inutiles, dans la mesure où le nombre de mineurs récidivistes concernés par les tribunaux correctionnels pour mineurs s'établit, selon l'étude d'impact du ministère, à 630, à rapporter aux 30 000 condamnations prononcées chaque année par le tribunal pour enfants… Cela montre qu'il s'agit seulement d'un effet d'annonce et d'une disposition en trompe l'oeil.
Il en va de même pour les peines plancher : le nombre de personnes concernées est de 10 000 par an, à rapporter aux 600 000 condamnations devant les tribunaux correctionnels… Là encore, il ne s'agit que d'un effet d'annonce.
Inutiles, mais également néfastes : la création d'un tribunal correctionnel pour mineurs aboutit à mettre en place une filière de jugement complémentaire, ce qui complique le travail des tribunaux. La création de peines plancher oblige les magistrats à motiver leur décision quand ils écartent ces peines plancher, ce qui accroît la difficulté de leur tâche, alors qu'ils devraient pouvoir travailler dans les meilleures conditions.
Vous aurez aussi à gérer, madame la garde des sceaux, les conséquences de la réforme de la carte judiciaire, menée en prenant en considération les seuls paramètres géographiques et comptables. Elle ne s'est pas fondée sur l'architecture des contentieux dans chaque tribunal. En conséquence, elle a abouti à éloigner une partie des justiciables de la justice de proximité. C'est cette justice de proximité qu'il nous faut reconstruire. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Enfin, le dernier héritage que vous devrez gérer n'est pas issu de la majorité précédente, il s'agit d'un héritage historique que nous portons depuis longtemps.
J'ai le sentiment, sans vouloir faire un travail d'historien – je reste extrêmement prudent car je n'en suis pas un –, que la République s'est constituée en partie contre le pouvoir judiciaire. L'absolutisme royal contre lequel elle a lutté a emporté avec lui les parlements, si bien que, dans l'imaginaire de notre République, le pouvoir judiciaire est un peu vécu comme s'opposant à la volonté du peuple. Depuis des décennies, la justice se trouve donc sous-administrée et sous-dotée. D'où un travail de rattrapage énorme…
Ce travail – rendons à César ce qui est à César – a été entamé par les différents gouvernements qui nous ont précédés, mais il reste gigantesque.
Nous avons à faire face à des défis immenses. Il faut trouver une répression efficace aux crimes et aux délits – car il n'y a pas une criminalité et une délinquance mais des criminalités et des délinquances – en se rappelant le principe de Beccaria : la certitude de la sanction est toujours plus dissuasive que la sévérité de la peine. Ce travail, vous l'avez repris avec la conférence de consensus. Nous sommes sur la bonne voie.
Autre enjeu majeur : retrouver la justice du quotidien.
Autre défi encore : redonner leur place à tous les personnels de justice. À cet égard, nous avons entendu lors des différentes auditions les doléances des greffiers et du personnel administratif qui voient la modification de leur statut indemnitaire repoussée de deux années en raison des difficultés budgétaires.
Il y a sans doute aussi à repenser l'architecture des tâches.
Nous pensons que vous êtes à même, madame la garde des sceaux, de relever ce défi immense, et ce budget apparaît à cet égard comme un point de départ. Vous pouvez compter sur notre majorité, qui saura se montrer imaginative, pétiller d'imagination si nécessaire…
Spontanément, en effet ! Vous bénéficierez même du soutien de l'opposition qui, par ses critiques, contribuera à améliorer les choses… Nous sommes sur la bonne voie ; le groupe SRC votera donc ce budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, chers collègues, le Gouvernement voudrait faire croire aux Français, ainsi que M. Raimbourg l'a expliqué, qu'avec ce budget la justice va enfin passer de l'ombre à la lumière.
Plusieurs députés du groupe SRC. Eh oui !
Paroles que tout cela !
Je rappellerai d'abord les faits : la précédente majorité a réalisé un effort budgétaire sans précédent, de plus de 58 %, en créant 6 000 emplois ces dernières années – ne l'oubliez pas, chers collègues ! – dont 450 magistrats, 800 conseillers d'insertion et de probation et 600 éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse.
Que le projet de loi de finances pour 2013 s'inscrive dans la continuité de cette hausse, nul ne le conteste, même si vous prévoyez déjà une limitation à 1,6 % en 2014, et une quasi-stabilité en 2015.
Alors certes, vous proposez une augmentation ; mais encore faut-il savoir pour quoi faire ! Et c'est là que le bât blesse, car vous ne cessez de proclamer votre volonté de défaire tout ce que vos prédécesseurs ont fait. J'en veux pour preuve la circulaire de politique pénale du 19 septembre dernier, véritable message d'impunité adressé à tous les délinquants actuels et futurs…
…et qui constitue un démenti cinglant du message d'apparente fermeté du ministre de l'intérieur. Vous tournez le dos aux sanctions coercitives au profit de pseudo-réponses éducatives qui, nous le redoutons, n'auront guère d'effet sur les délinquants les plus aguerris.
Votre conférence de consensus sur le sens de la peine – consensus avec qui ? Entre vous, sans doute ? Il est vrai qu'au vu des récents « couacs » gouvernementaux, cela peut se révéler utile ! – dissimule sous des mots savants votre rejet pur et simple de la peine de prison.
Autant le dire clairement, car les faits le démontrent : en diminuant de 38,5 % les autorisations d'engagement, vous abandonnez le projet de création de 20 000 places de prison supplémentaires à l'horizon 2017, renonçant par là même à l'objectif de l'encellulement individuel, au détriment des détenus.
Vous récusez la détention par pure idéologie, en vous prononçant notamment contre les courtes peines. Mais on ne perçoit pas vraiment de politique concrète pour développer les aménagements de peine, lesquels d'ailleurs n'ont jamais été autant mis en pratique que par le précédent gouvernement !
Notre pays ne souffre pas d'un excès d'emprisonnement, mais d'un manque de prisons. Les victimes attendent de voir le condamné exécute sa peine, non de participer à un débat en tête-à-tête avec lui. Et je ne parle pas des libérations par erreur, comme celle du fameux tueur aux mocassins, que l'on a apprise aujourd'hui !
Votre empressement à vouloir supprimer les peines planchers, sous prétexte de réfuter leur automaticité, est infondé, puisque les juges peuvent toujours en écarter le prononcé, ce qu'ils font d'ailleurs dans plus de la moitié des cas !
Encore une fois, c'est par pure idéologie que vous ferez disparaître un dispositif qui a fait ses preuves contre la récidive, avec 30 000 peines planchers prononcées depuis 2007. C'est pourtant la démarche inverse qu'il vous faudrait accomplir, en étendant ces peines aux réitérants, qui échappent encore largement aux sanctions. Tel était le sens d'une proposition de loi que j'avais déposée avec Éric Ciotti et Jean-Paul Garraud, et qui avait été adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale. J'espère du reste que notre groupe aura bientôt l'occasion de la déposer à nouveau.
Rien qu'à Paris, on dénombre un bon millier de réitérants, ayant commis chacun entre cinquante et cent faits délictueux.
Vous vous acharnez par ailleurs à abroger la rétention de sûreté, qui maintient pourtant en milieu fermé, principalement médical, des criminels atteints de troubles psychiatriques graves, dont la dangerosité ne cesse pas forcément une fois leur peine achevée. Or, la suppression de ce dispositif, qui concerne exclusivement des criminels et des violeurs en série, risque aussi d'aboutir – je ne le souhaite évidemment pas – à des récidives criminelles traumatisantes pour la société tout entière.
Quant au tribunal correctionnel pour mineurs récidivistes de plus de seize ans, passibles de trois ans de prison, vous n'avez même pas attendu la fin de l'expérimentation pour en éliminer le principe même. Il ne faisait pourtant que reproduire pour ces délits ce que l'ordonnance de 1945 avait institué pour les crimes avec la cour d'assises pour mineurs.
C'est bien parce que la réponse pénale doit être diversifiée et graduée que nous appelons de nos voeux un code pénal spécifique pour les mineurs. Nous avons prouvé notre attachement à la primauté de l'éducatif sur le répressif en créant le service citoyen pour les mineurs délinquants, placés en établissement public d'insertion de la défense – M. Éric Ciotti était le rapporteur sur ce texte – ainsi que les centres éducatifs fermés que vous contestez aujourd'hui, contrecarrant ainsi l'engagement du Président de la République d'en augmenter le nombre.
Le pragmatisme seul peut permettre de lutter efficacement contre la délinquance des mineurs. Nous le devons avant tout à notre jeunesse.
Alors que les attentes des Français en matière de sécurité n'ont jamais été aussi fortes, votre politique pénale, madame la garde des sceaux, va très exactement à l'encontre de ce qu'il conviendrait de faire. Les Français en paieront le prix dans leurs biens et dans leur chair. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Je veux d'abord vous remercier, madame la garde des sceaux, pour la sincérité et la franchise avec lesquelles vous avez présenté ce beau budget, concernant notamment l'accès au droit.
Le droit au droit signifie avant tout l'accès à tous les droits. L'accès au droit est consubstantiel au droit lui-même, et non l'accessoire d'une liberté proclamée. Sans effectivité, le droit est nu.
L'accès au droit joue un rôle fondamental dans la lutte contre l'exclusion. C'est une prérogative citoyenne et une nécessité sociale. Or l'inégalité dans l'accès au droit demeure.
Je citerai ainsi l'exemple éloquent des locataires cités devant le tribunal d'instance à la requête de leurs propriétaires en vue d'un référé expulsion : 60 % d'entre eux ne comparaissent pas, alors qu'ils pourraient mettre en oeuvre des moyens de défense extrêmement efficaces pour justement sauvegarder leur droit au logement.
Pendant dix années consécutives, le service public de la justice a été méthodiquement sacrifié : désengagement de l'État…
…marchandisation du droit, déjudiciarisation, dossiers en souffrance, délais déraisonnables, magistrats humiliés et traités de petits pois, personnels de justice abandonnés et dévalorisés, et auxiliaires de justice méprisés. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Seuls des discours sécuritaires et une politique de rationalisation fondée sur les seuls critères financiers, au détriment de la qualité, ont guidé l'action publique.
Le résultat de cette politique est catastrophique, car elle a eu pour conséquence directe de provoquer la perte de confiance de nos concitoyens en notre justice. Cela est très grave !
L'accès au droit pour tous est un droit fondamental, dont le respect doit être assuré par l'État au même titre que l'accès à la santé et à l'éducation. Véritable ambition politique, il constitue en outre une garantie fondamentale dans une société démocratique.
Vous augmentez par ailleurs le budget de l'aide juridictionnelle : c'est fondamental, car les plus fragiles ont le droit d'être non seulement défendus dans des délais raisonnables, mais également assistés et conseillés par des professionnels qualifiés, formés et correctement rémunérés pour la mission de service public qu'ils exercent au profit des plus défavorisés.
Seulement 26 % de la population est éligible à l'aide juridictionnelle. Il est donc nécessaire d'engager une réforme de fond de ce système, en s'inspirant notamment du rapport Bouchet et du projet de loi présenté par Mme Marylise Lebranchu, alors garde des sceaux, en 2002.
Il convient d'élargir le champ d'éligibilité, d'assouplir les conditions d'admission et de repenser les barèmes, notamment pour certains contentieux qui peuvent s'avérer particulièrement onéreux pour les justiciables, en matière de responsabilité médicale ou de construction par exemple.
Nous devons également simplifier, renforcer la demande de qualité de la prestation des professionnels, affirmer le principe de la rémunération en remplacement de l'indemnisation, et enfin diversifier les sources de financement, par exemple avec une taxation sur les actes juridiques et sur certaines transactions, ou encore une participation des collectivités territoriales, des caisses d'allocations familiales, des comités d'entreprise ou des assurances.
Le recours à la médiation et aux modes de règlement pacifié des litiges doit être privilégié, car il permet de conduire à une solution plus rapide, plus responsable et bien moins onéreuse.
Vous nous indiquerez par ailleurs si vous envisagez de supprimer le timbre fiscal de 35 euros, et même 150 euros par partie devant les cours d'appel. Ce véritable « droit de péage » est un frein à l'accès à la justice.
J'apprécie également votre souci de faire en sorte que la couverture judiciaire du territoire soit assurée grâce aux nouvelles technologies, grâce aux maisons du droit – il faut les renforcer, car elles rapprochent les personnes les plus éloignées de la justice –, grâce enfin à une coordination des professionnels plus efficace.
Évoquons aussi la question des délais, qui peut constituer un obstacle à l'accès au droit. Le recours de plus en plus fréquent à la comparution immédiate en matière pénale, privilégié par vos prédécesseurs, ne protège pas les victimes, contrairement à ce que l'on peut penser : soit on oublie de les convoquer, soit elles n'ont pas le temps matériel d'organiser leur représentation en justice. Elles ne retirent finalement aucun bénéfice du raccourcissement des délais.
A contrario, les délais d'appel, notamment devant les chambres sociales, se comptent malheureusement souvent en années, dissuadant ainsi certains salariés d'exercer leurs droits et d'agir en justice.
Partant du principe que la résolution d'un problème juridique est un facteur de réinsertion, ou à tout le moins de traitement de la difficulté sociale, nous devrons montrer que l'accès au droit figure au premier plan des priorités en matière de politique judiciaire.
Cela suppose notamment la recherche de cohérence et de synergies entre toutes les structures existantes, l'objectif étant de parvenir à la construction d'un réseau simple, professionnel, efficace et cohérent sur l'ensemble du territoire.
Enfin, je ne peux terminer sans évoquer « l'action de groupe » qui fait encore défaut dans notre droit, alors qu'elle est plébiscitée par les associations de consommateurs et de défense de l'environnement.
Le chantier est immense, certes. Mais notre volonté, notre détermination à faire avancer le droit, le droit pour tous est notre moteur ; nous veillerons à le faire tourner à pleine puissance. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, chers collègues, j'oserai dire que ce n'est pas la justice qui a été abandonnée, mais les justiciables.
Je n'ai pas envie de polémiquer sur ce budget, pour une raison simple et que vous pouvez comprendre : tout comme le médecin n'aime pas que l'on se joue des malades, je n'aime pas, ayant trop fréquenté la misère des tribunaux, que l'on se joue de la justice.
Je sais qu'une justice de pauvres fait des pauvres de justice. Malheureusement, depuis de longues années, notre justice a été abandonnée. L'affaire d'Outreau en a été un exemple retentissant ; mais combien d'autres affaires discrètes, qui recèlent autant de souffrance, et que l'on ne voit pas !
Ce budget pose de nombreux problèmes. Tout d'abord, au-delà de la question budgétaire, se pose la question idéologique – hélas ! – du rééquilibrage entre la victime et le prévenu. Je n'ai pas de choix à faire entre la victime et le prévenu : si le prévenu est peut-être innocent, la victime, elle, l'est à coup sûr. Mais lorsque je lis votre circulaire, madame la garde des sceaux, je ne peux m'empêcher de penser que vous faites preuve d'un préjugé, sinon un présupposé politique, qui vous renvoie, et c'est charmant et poétique, à l'époque où Victor Hugo créait Jean Valjean… C'est loin ! Depuis, la délinquance a horriblement évolué, et tous les criminologues – Edwin Sutherland et bien d'autres – nous crient, et nous ne les entendons pas, qu'une nouvelle génération de délinquants et de criminels a surgi du fond de nos échecs et de nos abandons. (Sourires sur les bancs du groupe SRC.) Et si ces mots vous font glousser, c'est tant mieux !
Quand j'entends parler du tout carcéral, j'ai envie d'inscrire cette formule dans le dictionnaire de la langue de bois qui fait le cercueil des démocraties.
Le tout carcéral, qu'est-ce que cela veut dire ? Qu'il y aurait des juges capables de jeter des justiciables en prison tout simplement parce qu'il y a des places ? Il serait temps de considérer que, « tout carcéral » ou « tout pas-carcéral », c'est le juge qui décide, et il décide en fonction d'un dossier, d'une humanité. « Inflation carcérale », « déflation carcérale »… Comme si l'humanité était une économie pénale avec laquelle on jouerait, au gré des flux et des reflux ! Le juge est en face d'un justiciable ; et qu'il y ait ou non des places de prison, il devrait pouvoir dire le droit, un point c'est tout. Malheureusement, la situation budgétaire fait que, hélas… Et derrière cet « hélas ! », il y a des hommes, des femmes, prévenus ou victimes, qui pleurent.
Et c'est là qu'on se heurte à la question de l'exécution des peines, que votre budget ne règle pas.
Quand un juge dit à un justiciable : « Au nom du peuple français, vous êtes condamné à faire un an de prison », la victime le croit. Mais on l'a escroquée, au point que parfois, son propre avocat lui-même n'ose pas le lui dire : ce ne sera pas un an, ce ne sera peut-être même pas un jour. Il y a bien là une escroquerie judiciaire inimaginable. Si vous saviez le ressentiment que cela crée dans la population ! Quand on voit que moins de la moitié des peines sont exécutées, que l'aménagement des peines est désormais une solution au problème du logement carcéral, on se dit que les 6 500 places de prison dont vous faites l'aumône à la justice, c'est vraiment peu, c'est vraiment très peu. Mais ce n'est pas forcément votre faute !
Et que dire de la délinquance des mineurs ? Quatre nouveaux centres éducatifs fermés seulement ouvriront en 2013, alors qu'on assiste au surgissement une délinquance juvénile… qui est adulte. Car là est le paradoxe : on a l'âge adulte dans l'âge juvénile.
Enfin, pour respecter le temps de parole qui m'est imparti, parce que je suis respectueux de l'ordre, je conclurai en vous disant, madame la garde des sceaux, que si les avocats et les juges portent la robe noire, c'est parce qu'ils sont en deuil des illusions humaines, est-il écrit dans Le colonel Chabert. Je crains qu'avec vous, ils ne soient dans le deuil des illusions budgétaires !
Madame la garde des sceaux, le budget pour 2003 de la mission « Justice » que vous nous présentez s'élève à 7,7 milliards d'euros, soit une hausse de 4,3 % en crédits de paiement. Cette augmentation traduit l'une des priorités du Président de la République avec celles de l'éducation et de la santé. On ne peut que s'en féliciter, en tout cas dans les grandes lignes.
Plusieurs points positifs sont à relever : la confirmation de la généralisation des bureaux d'aide aux victimes à l'ensemble des TGI en 2013 ; une dotation de 10 millions d'euros destinée à aider les associations habilitées dans le domaine de l'aide et de l'accompagnement aux victimes ; une forte augmentation du parc informatique qui permettra de faciliter le travail quotidien de l'ensemble des personnels de la mission « Justice » et de recentrer le juge sur ses missions premières.
Or, malgré ces quelques efforts, la France se positionne encore au dix-huitième rang européen, ce qui a fait dire à notre président de la commission des lois que nous sommes la Cendrillon du continent. Jean-Jacques Urvoas n'a pas tort puisque force est de constater que la hausse des effectifs sur cinq ans n'est que de 2 500, chiffre qu'il faut mettre en perspective avec les 60 000 postes créés dans l'éducation nationale.
L'heure n'est donc pas à l'autosatisfaction, d'autant que si la mission « Justice » gagne 314 millions en crédits de paiement, soit une augmentation de 4,26 %, elle perd en réalité 2,41 milliards en autorisations d'engagement, soit une baisse de 24,78 % correspondant essentiellement au programme de construction de prisons que vous avez abandonné.
Dans ce contexte, de quelle hausse peut-on encore parler ? Deux chiffres doivent retenir notre attention pour ce qui concerne l'administration pénitentiaire. D'une part, les autorisations de paiement sont en baisse de 38 % au total ; d'autre part, les autorisations d'engagement de dépenses d'investissements de l'administration pénitentiaire sont en chute libre de 86 %. Ce pourcentage est la conséquence de votre décision de l'arrêt du projet de construction de 24 000 places de prison supplémentaires. Seul le programme « 13 200 », prévu par l'ancienne majorité, sera mené à terme avec un objectif de 63 500 places en 2018 alors que nous avons déjà plus de 67 000 détenus en 2012.
La question qu'on est en droit de se poser, madame la garde des sceaux, est la suivante : pourquoi renoncer à créer de nouvelles places de prison alors que, nous le savons, notre parc pénitentiaire est indigne d'un grand pays comme la France et que, d'autre part, la prison, que vous le vouliez ou non, est un mal nécessaire puisqu'elle permet de lutter contre la récidive en préparant la réinsertion ? Elle participe donc à la baisse de la délinquance. Elle met, en tout cas, hors d'état de nuire les délinquants les plus endurcis.
J'observe à cet égard que l'Institut pour la justice, qui regroupe des dizaines de milliers de citoyens, est inquiet de la politique pénale que vous préparez. Il est favorable à la construction de 30 000 places de prison supplémentaires, ne serait-ce que pour rejoindre la moyenne européenne en termes de capacité carcérale ramenée à 100 000 habitants, et pour permettre du même coup l'application intégrale des peines prononcées, ce qui est loin d'être le cas à l'heure actuelle.
Mais il est vrai, madame la garde des sceaux, que votre priorité est de développer les peines alternatives à l'emprisonnement. D'ailleurs, on pourrait vous y encourager. À cet égard, je vous ai dit en commission des lois qu'il me semblait important de faire monter en puissance le bracelet électronique mobile, dont seulement une cinquantaine d'exemplaires sont utilisés à ce jour, quand la Grande-Bretagne ou les États-Unis en sont à plusieurs milliers !
En fait, vous ne pourrez pas répondre à toute la délinquance uniquement par les peines alternatives, notamment à la délinquance la plus violente. Que l'on songe à la criminalité sanglante qui a frappé récemment Marseille ou la Corse. Quand votre collègue Manuel Valls tient des discours de fermeté, que lui répondez-vous ? Peines alternatives ? Peines alternatives pour les assassins de Me Sollacaro ? (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Ce serait faire preuve à nouveau d'angélisme comme au temps du gouvernement Jospin, selon son propre aveu. Nous tombons dans les anciennes lubies.
Notre inquiétude à cet égard est d'autant plus forte que vous nous promettez, dans un même paquet, l'abrogation des tribunaux pour mineurs, des peines planchers, de la rétention de sûreté. Mais pour quelle raison, sinon par pure idéologie, ? Car ces dispositifs validés par le Conseil constitutionnel ont déjà fait leurs preuves. Et je ne parlerai pas d'un programme au rabais de construction de centres éducatifs fermés.
Je conclus, monsieur le président !
Enfin, madame la garde des sceaux, vous n'avez pas budgété le recrutement de juges d'instruction pour mettre en oeuvre la collégialité de l'instruction qui avait été une conclusion de la commission d'enquête d'Outreau et votée par la précédente majorité. Il restait à mettre en oeuvre ces moyens.
Votre budget, qui affiche une hausse de façade, ne répond ni à un besoin de sécurité dont vous avez dit vous-même qu'il n'était pas dans vos missions, ni à un besoin de respect des droits de la défense et de la présomption d'innocence. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Mes chers collègues, je dois à nouveau vous demander de respecter votre temps de parole.
La parole est à Mme Françoise Descamps-Crosnier.
Le Président de la République et le Gouvernement, conformément aux engagements pris pendant la campagne électorale, ont fait de la jeunesse et de la justice deux priorités essentielles, des marqueurs d'une politique nationale basée sur la cohésion et la justice sociales et qui redonne de l'ambition à l'action publique.
Ces choix, jeunesse et justice, sont confortés par le budget de la protection judiciaire et de la jeunesse dans un budget Justice globalement à la hausse, un budget de rupture qui permet une transition vers les budgets prochains et laisse entrevoir la restructuration nécessaire de la politique judiciaire.
Après les choix politiques effectués toutes ces dernières années qui ont déshumanisé la justice et qui ont été à l'encontre de l'efficacité du service public de la justice, l'initiation d'une nouvelle politique est indispensable.
La protection judiciaire de la jeunesse est un service sinistré qui n'a malheureusement pas échappé aux coups de boutoir répétés prévus par la RGPP et son implacable application.
Elle aura coûté quelque 600 emplois à ce service essentiel à la justice qui, malgré tout, continue à offrir une prise en charge diversifiée des mineurs délinquants, loin de la volonté politique de l'ancienne législature et de l'ancien gouvernement de privilégier les centres éducatifs fermés au détriment des autres structures.
Dans la droite ligne des engagements pris, la protection judiciaire de la jeunesse voit ses crédits augmenter de 2,4 %, et traduit ainsi en acte budgétaire cette primauté politique. Les moyens humains également augmenteront de 0,9 %, soit 205 emplois en année pleine, ce qui permettra d'inverser la tendance.
Je me réjouis de ce budget qui donne un signe fort à une institution essentielle à la lutte contre la délinquance et à la prévention de la récidive et pour la prise en charge d'une partie de la jeunesse la plus en difficulté. C'est, à l'évidence, par ce biais redonner le moral et l'énergie au personnel confronté à des missions difficiles, reconnaître son dévouement et son implication.
Ce changement de cap de la protection judiciaire de la jeunesse doit nous permettre de pérenniser la diversité de l'offre en matière de placement de mineurs délinquants, essentiel pour permettre d'adapter au mieux la réponse pénale à chaque situation. Cela permettra, comme le souhaite le Gouvernement, de favoriser aussi la construction de parcours d'insertion.
De la famille d'accueil, en passant par l'offre d'hébergement individualisé, au centre d'éducation renforcé, sans oublier les hébergements collectifs non spécialisés, tels les établissements de placement éducatifs, jusqu'aux centres éducatifs fermés, la richesse de ces outils n'a de sens que si elle correspond au besoin du mineur.
Il apparaît nécessaire de garantir un juste équilibre des différents modes de placement pour que le parcours du mineur puisse résulter d'une décision qui permette de le conduire à l'autonomie.
Je souhaite insister sur une des possibilités offertes de placement : le placement en famille d'accueil. Il s'avère que ce placement a largement fait ses preuves auprès des publics les plus fragiles, peu enclins à la vie en collectivité, mais souffre du faible nombre de familles disponibles.
S'il est prévu d'augmenter le nombre de journées d'accueil possible de ces familles à hauteur de 14,6 %, soit 11 000 de plus, de manière à adapter aux mieux les besoins ressentis, il n'en demeure pas moins que le statut de ces familles doit faire l'objet d'une attention particulière.
Nous savons qu'une mission d'inspection des familles d'accueil est en cours et doit rendre ses conclusions à la fin de l'année. Néanmoins, j'aimerais savoir quelles sont les dispositions envisagées aujourd'hui pour permettre à ces familles d'exercer pleinement leur mission et partager leurs expériences. Est-il envisageable de transformer leur statut de bénévoles collaborateurs occasionnels du service public pour leur donner un statut plus reconnu, susceptible de rendre l'accueil familial plus attractif ? En ce sens, je rejoins le souhait de mon collègue Jean-Michel Clément.
Je me réjouis dans un premier temps, madame la garde des sceaux, de voir que vous avez fait passer leur indemnité pour 2013 de 31 à 36 euros. C'est un geste fort envers elles.
Pour conclure, nous avons bien conscience que votre mission est difficile et délicate et votre responsabilité grande. Mais vous êtes à notre écoute et à celle du personnel qui dépend de votre ministère. Nous avons confiance en vous, nous avons la satisfaction de voir toute la considération que vous portez à notre jeunesse, que vous placez la PJJ au centre des priorités, loin de toute politique d'affichage, en visant l'amélioration de la prise en charge des mineurs, ce qui est essentiel pour notre société. Quel changement dans la façon d'aborder cette question ! Bien sûr, Il y a encore beaucoup de chemin à parcourir parce que nous venons de loin, mais nous allons dans le bon sens, madame la ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Madame la garde des sceaux, vous avez annoncé, dans la conduite de votre ministère, de nombreuses réformes législatives à venir, visant à mettre en oeuvre vos priorités. Celles-ci impliquent des choix budgétaires.
Vous paraissez vouloir suivre la tendance initiée en 2002 et confirmée par la précédente majorité, avec des crédits alloués au budget de la justice en hausse, cette année de 4,3 %, ce qu'on pourrait avoir envie de saluer.
Cette hausse est indispensable, tant la tâche est importante pour moderniser notre justice et pour permettre qu'elle soit rendue dans les meilleures conditions possibles au service des Français. Dans ce sens, la précédente majorité avait engagé des réformes courageuses, tant pour la justice civile que pour la justice pénale. Ces réformes, madame la ministre, vous avez choisi de les détricoter, voire de les annuler, ce que déplorent tant de victimes que le Gouvernement semble oublier. Vos bureaux des victimes sont comme une boîte à outils sans outils.
Par votre circulaire du 19 septembre dernier, vous annoncez la conduite d'une nouvelle politique pénale où les aménagements de peine deviennent la règle et la prison, l'exception. Nous avons déjà eu l'occasion de dire que cela allait mener à privilégier le sentiment d'impunité et que ce n'était pas une politique responsable.
On dénombre 82 000 peines non exécutées aujourd'hui : cela témoigne de la nécessité de développer le parc carcéral, avec certes des établissements adaptés aux différentes peines. Nous avions voté la construction de places de prison supplémentaires dans le cadre de la loi relative à l'exécution des peines ; vous préférez mettre fin à ce projet et maintenir le parc comme il est, souvent vétuste, et définitivement insuffisant.
En matière de lutte contre la récidive, vous avez installé le 18 septembre dernier une conférence de consensus pour apporter des réponses à la prévention de la récidive.
Les crédits programmés ont notamment pour objectif le développement des aménagements de peines et de l'insertion pour prévenir la récidive. J'ai sur ce point, madame la ministre, plusieurs interrogations.
Par votre circulaire du 19 septembre dernier, vous mettez pour ainsi dire fin aux peines planchers pour les récidivistes. Vous avez annoncé votre volonté d'abroger la loi sur la rétention de sûreté, qui est destinée aux criminels récidivistes les plus dangereux. Je m'interroge donc sur votre politique à l'égard des criminels dangereux, qui constituent une vraie menace pour notre société et pour lesquels un suivi très rigoureux doit être assuré.
Dans ce cadre et avec l'adoption de cette loi par la précédente majorité, s'est développée l'évaluation pluridisciplinaire de la dangerosité des détenus à la demande du juge d'application des peines ; cette évaluation est indispensable, notamment en cas de demande d'aménagement de peine. Plusieurs faits dramatiques, causés par des récidivistes en libération conditionnelle, comme dans l'affaire Natacha Mougel qui s'est passée dans ma ville, ont confirmé combien cette évaluation effectuée avec des méthodes appropriées est indispensable. Il s'agit d'une avancée majeure et il faut que cela se poursuive.
Dans le département du Nord, s'est ouvert le 15 octobre dernier un centre national d'évaluation de la dangerosité à Sequedin, suite à un engagement pris sur ces bancs par Michel Mercier, garde des sceaux du précédent Gouvernement, à la suite d'une demande de mon collègue Sébastien Huyghe et de moi-même. Je suis donc surpris, à ce sujet, à la lecture du projet annuel de performance, de l'absence de référence à cette évaluation : je vous remercie donc des précisions qui pourront être apportées sur ce point.
Je souhaite aussi souligner plusieurs contradictions mises en lumière par vos choix budgétaires. Vous dites vouloir développer le milieu ouvert : cela demande un suivi par les services pénitentiaires d'insertion et de probation très important. Or, à la lecture de la mission budgétaire, j'observe que seulement 63 postes de conseillers d'insertion et de probation seront créés. Cela est dérisoire, madame la ministre, et ne permettra pas d'oeuvrer à la réinsertion et à la lutte contre la récidive. En effet, pour cela, il faut être en mesure d'exercer un suivi scrupuleux des obligations qui incombent aux condamnés. Dans ce domaine, je rappelle que, de 2002 à 2011, nous étions passés de 2 260 équivalents temps plein à 4 080. Aussi, comment expliquez-vous, alors que vous vous fixez comme objectif prioritaire les aménagements de peines, que seuls 63 postes soient créés ? Je sais que la rigueur budgétaire impose des restrictions, mais il n'est guère judicieux d'opérer de tels choix quand il s'agit de la sécurité des Français qui risque d'être mise à mal par votre politique.
Madame la ministre, de nombreuses inquiétudes sont suscitées par les choix qui sont faits en matière pénale et qui sont confirmés à la lecture de vos choix budgétaires. Mais je m'inquiète également pour un point particulier : j'ai lu que la création d'une cité judiciaire à Lille était remise à plus tard. Je voudrais que vous puissiez, sur ce point, nous apporter des précisions, car il s'agit d'un dossier essentiel pour que la justice soit rendue dans des conditions optimales et sereines dans le département du Nord. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Madame la ministre, vous nous présentez un budget de confiance et de combat. De confiance d'abord, car la justice en manque cruellement. Durant ces dix dernières années, la justice de notre pays a été affaiblie, bousculée, discréditée et surtout appauvrie.
L'institution judiciaire a été épuisée par des volte-face incessantes au service d'une politique difficilement compréhensible. La justice elle-même a été déstructurée par une succession de lois toujours annoncées dans des circonstances liées à des drames individuels, à des tragédies humaines, à des faits-divers, lois trop souvent votées sans la réflexion, la concentration et la mesure indispensables à toute oeuvre judiciaire. Ajoutez à cela un parquet considéré comme une mécanique administrative et des magistrats du siège ouvertement mis en cause pour leur laxisme supposé.
Tous ces faits ont laissé des traces. La confiance de nos concitoyens dans leur justice a reculé, et ce constat doit tous nous préoccuper, car si la justice n'est plus perçue comme étant juste, alors elle n'est plus la justice. Et pour être juste, elle doit disposer des moyens nécessaires pour accomplir sereinement ses missions et ce dans des délais raisonnables, compréhensibles par le justiciable.
Suppressions de postes à tous les échelons, disparition de juridictions dans tout le pays, choix politiques tournés principalement vers l'immobilier carcéral, empilement de textes et de normes nouvelles sans les moyens nécessaires : voilà votre bilan, mesdames et messieurs de l'opposition, bilan idéologiquement fondé sur la notion terrible d'automaticité des peines.
Et que dire du programme de construction effréné de prisons, sous forme de partenariats public-privé, les fameux PPP, dont le financement reviendrait de fait aux générations futures, solutions inconséquentes mais conformes à la volonté de financiarisation des politiques publiques que vous avez toujours eue ?
Oui, il faut travailler mieux et surtout travailler bien. Les peines de substitution, dont on sait qu'elles sont efficaces, évitent bien des récidives.
Que dire également de la construction de palais de justice, toujours sous forme de partenariats public-privé, alors qu'on supprimait dans le même temps des emplois partout et qu'on renforçait le déséquilibre criant entre nos territoires ?
Permettez-moi donc d'évoquer ici quelques exemples de la CLE, la si méconnue « circulaire de localisation des emplois », qui illustre par l'absurde l'incohérence totale de la politique menée par vos prédécesseurs, madame la ministre. Ainsi, je citerai, pour une même catégorie de parquets, Meaux, où il y a en moyenne 1 373 affaires annuelles par magistrat, Nancy, 1 244, Toulon, 1 264, Strasbourg, 968, et ma ville, Montpellier, qui avec 17 200 affaires à traiter et quatorze magistrats, atteint le remarquable score de 1 700 affaires par magistrat. Les écarts entre les ressorts judiciaires vont jusqu'à 500 affaires par magistrat et par an sur le territoire national, et ce que la ville soit de droite ou de gauche. Il n'y a donc là aucune logique technique, aucune logique politique, aucune logique tout court. Les affectations de moyens ont été faites au petit bonheur pendant dix ans. Qu'en est-il alors de l'égalité d'accès à la justice sur notre territoire, quand on observe de telles disparités ?
Malgré tout, les magistrats et leurs équipes, les greffiers notamment, ces femmes et ces hommes qui ont cru et qui croient toujours aux valeurs de la République, qui sont convaincus et qui veulent qu'une offense se répare, qu'un crime se paie, que la loi se respecte et qu'elle est la même pour tous, faibles ou puissants, ces femmes et ces hommes font face avec un dévouement qui mérite le respect et la reconnaissance de la nation tout entière. C'est de cette situation dont vous héritez, madame la ministre, et qu'il vous sera difficile, je le mesure ô combien, de rééquilibrer.
Car qu'en est-il en réalité des supposées augmentations de budget de la justice des années précédentes ? Plus 55 % d'augmentation des délits jugés, alors que le nombre de magistrats comme de fonctionnaires du greffe n'a augmenté que de 17,88 %. Ce sont là les faits. La réalité, ce sont ces disparités de traitement que j'évoquais plus haut et qui, au niveau national consolidé, montrent à l'envi l'absurdité des politiques qui ont été conduites.
Votre budget, madame la ministre, augmente de 4,3 % et il crée des postes, ce qui était vraiment nécessaire. C'est une différence majeure avec vos prédécesseurs.
J'évoquerai également cette justice payante qui a été instaurée, avec ces fameux 35 euros en première instance et 155 en appel : dramatique, quand on sait que 50 % des Français touchent moins de 1 650 euros par mois et, pire encore, que ceux qui sont en conflit avec leur employeur aux prud'hommes sont souvent dans la gêne financière, car souvent sans emploi.
Vous avez eu, madame la ministre, la force d'accepter de reporter à 2014 cette nécessaire réforme, parce que notre État a été appauvri et parce que nous n'en avons pas les moyens, mais vous avez eu l'honnêteté de le dire et de l'assumer.
L'augmentation du budget de la justice est une très bonne nouvelle. C'est un budget de combat, pour revenir à des pratiques sereines, sans automaticité, respectant la présomption d'innocence et le principe d'individualisation des peines, c'est-à-dire à une justice humaine, fondée certes sur des textes et des principes, mais qui justement s'attache plus aux principes et à l'esprit des lois qu'à une application mécanique des textes. (Interruptions sur les bancs du groupe UMP.)
C'est dans cet esprit que le droit latin, notre droit français, a été fondé sur des valeurs républicaines de liberté, d'égalité et de fraternité,…
…oui, de fraternité, et donc d'attention, de compassion et de sévérité, bref de justice : une justice qui n'élève pas la coutume en règle d'or, une coutume aujourd'hui appelée « pragmatisme ». (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, mesdames et messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, je veux d'abord saluer la qualité des interventions et, en premier lieu, celle des rapports qui nous ont été présentés. Leur qualité est telle qu'il ne me sera pas nécessaire de présenter dans le détail ce budget, puisque cela a donc été fait et que l'Assemblée a ainsi été éclairée, votre choix ; monsieur le président de la commission, ayant été de désigner un rapporteur par thématique.
Je le souligne cependant, il s'agit bien d'un budget aux priorités politiques clairement définies et assumées, et qui se traduisent par des choix budgétaires.
Si vous n'avez pas, pendant deux quinquennats, su définir des priorités, ni les traduire par des choix budgétaires, c'est votre affaire ! Nous, nous choisissons d'avoir des priorités, de les afficher et de leur donner une traduction budgétaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Il s'agit en effet, avec ce budget, de la concrétisation d'un engagement du Président de la République qui a annoncé trois priorités : l'éducation nationale, la sécurité et la justice. L'augmentation de 4,3 % du présent budget traduit cet engagement, cela dans un contexte général où les finances publiques, les rapporteurs l'ont rappelé, restent stables en valeur. Ce budget prévoit en outre le recrutement de 1 500 personnes sur trois ans dont 500 pour la seule année 2013 – 480 pour la justice judiciaire et pénitentiaire et une vingtaine pour la justice administrative. Ce budget cohérent est donc la traduction de priorités politiques définies.
La première priorité se déclinera en 2013, il s'agit de la jeunesse. Le Président de la République a été clair…
…sur son choix de faire de la jeunesse une priorité de son quinquennat. Aussi la protection judiciaire de la jeunesse, que vous avez privée de quelque 600 postes pendant le dernier quinquennat,…
…se verra-t-elle non seulement stabilisée, mais renforcée par la création de 205 postes d'éducateurs et de psychologues. Ces postes permettront une prise en charge dans un délai de cinq jours de jeunes ayant fait l'objet d'une décision judiciaire.
Cette disposition légale est prévue pour janvier 2014, mais nous la mettrons en oeuvre, par anticipation, dès 2013. Nous considérons en effet que la prise en charge rapide des jeunes susceptibles de faire l'objet d'une décision judiciaire est indispensable. Nous n'attendrons donc pas, j'y insiste, pour fixer le délai à cinq jours.
Vous n'avez pas cessé d'affirmer qu'il fallait lutter contre l'impunité, de soutenir que les jeunes et les adultes devaient comprendre qu'une décision de justice s'applique.
Or vous n'avez rien fait pour rendre tangibles ces grandes pétitions de principes.
En choisissant de créer 205 postes d'éducateurs, nous mettons un terme au saignement des effectifs de la protection judiciaire de la jeunesse (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP)…
…et nous créons les conditions de la prise en charge des jeunes dans des délais corrects.
Nous avons par ailleurs des engagements de partenariat avec le ministère de l'éducation nationale et nous allons créer des postes d'éducateurs pour les classes relais. Ces dernières constituent un axe important de la prévention auprès de la jeunesse. Il faut savoir que sur 9 000 jeunes pris en charge, plus de 80 % sont revenus dans le circuit éducatif.
Nous allons également recruter des juges des enfants et assurer la diversité des solutions mises à la disposition des tribunaux pour enfants. Oui, une diversité des réponses, parce que les juges ont besoin de solutions qui correspondent aux décisions qu'ils sont amenés à prendre, selon les faits qu'ils ont à reprocher aux mineurs, selon les circonstances dans lesquelles les faits ont été commis et selon la personnalité des mineurs. C'est le principe de l'individualisation des peines et c'est une exigence d'efficacité que nous entendons observer.
Vous faites une fixation assez surprenante sur les centres éducatifs fermés.
Cessez de me faire des procès d'intention…
…et contentez-vous de mes déclarations, elles sont claires et assumées – inutile de les extrapoler. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Je rappelle que les centres éducatifs fermés concernent moins de 5 % des jeunes pris en charge par la protection judiciaire de la jeunesse. Cette fixation de votre part, je m'interdis de la caractériser.
Oui, le Président de la République s'est engagé sur le doublement de ces centres. (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.) Mais il n'a jamais dit qu'il fallait uniquement répondre en termes de centres éducatifs fermés contrairement à vous qui, faisant une fixation sur ces 5 % de jeunes, voulez inonder le territoire de centres éducatifs fermés.
Le Président de la République ne s'est engagé, je le répète, que sur un doublement, lequel sera mis en oeuvre.
Merci, chers collègues de l'opposition, de vous faire les gardiens de la parole du Président de la République !
Je suis ravie de voir que les députés de l'opposition se font les gardiens déterminés des engagements du Président de la République.
Il est évident en tout cas que ce n'est pas le Premier ministre qui est le gardien des engagements du Président de la République ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Il faut être ferme sur tous ses engagements et accepter l'application de l'intégralité de son programme !
Les centres éducatifs fermés ainsi que le milieu ouvert, qui donnent des résultats tels que, je le répète, on y note un taux de 80 % de non-récidive, continueront donc de faire partie de la palette d'offres mises à la disposition des juges des enfants.
De même, l'indemnisation des 399 familles d'accueil – bénévoles –, sera portée de 31 à 36 euros par jour. Les rapporteurs m'ont interrogée sur leur statut. Une inspection est en cours pour étudier les conditions dans lesquelles nous pourrions envisager le passage de ces familles du statut de bénévoles indemnisés à celui proche voire identique des familles qui relèvent de l'aide sociale à l'enfance sous la tutelle des conseils généraux.
Au-delà des dépenses que cela va générer puisqu'il y aura des charges en plus des indemnités,…
…c'est sur la base du rapport qui sera remis que nous verrons dans quelle mesure il sera envisageable de donner à ces familles un nouveau statut.
Pour en revenir aux centres éducatifs fermés, on ne saurait faire grief à M. Ciotti de nous avoir laissé imaginer qu'il pourrait faire oeuvre de tempérance. (Sourires sur les bancs du groupe UMP.)
Nous n'étions donc pas surpris par la tonalité de ses propos.
Monsieur Ciotti, vous nous reprochez notre angélisme et notre laxisme.
L'angélisme ? J'en connais un exemple assez époustouflant. Lorsque vous avez choisi de prendre le risque du paquet fiscal, du bouclier fiscal, d'augmenter la dette publique,…
Il ne s'agit pas d'un amalgame !
…de creuser le déficit public, c'est-à-dire d'endetter les Français d'aujourd'hui, de demain et d'après-demain, vous l'avez fait pour faire revenir Johnny Halliday. (Rires sur les bancs du groupe UMP. – Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Alors, en matière d'angélisme, après que vous avez pris de tels risques sur les finances publiques pour combattre l'évasion fiscale et hypothéqué ainsi l'avenir de plusieurs générations (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP), nous pourrions suivre des stages auprès de vous !
Il en va de même pour le laxisme (Exclamations continues sur les bancs du groupe UMP), notamment en matière de délinquance économique et financière. Qu'on songe aux mesures que vous avez prises en matière de pénalisation, de délais de prescription, au démantèlement de l'administration de lutte contre la fraude au prétexte de la révision générale des politiques publiques.
En matière de laxisme on vous a vu à l'oeuvre. Les informations judiciaires ont baissé de 90 % en trois ans. (Mêmes mouvements.)
Je vous explique ce qu'est le laxisme et ce qu'est l'angélisme. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)
Je conçois que cela fasse extrêmement mal.
Deuxième priorité : la justice civile. Vous avez certes des obsessions sur les centres éducatifs fermés ainsi que sur la justice pénale – nous y reviendrons. Reste que nous consacrons beaucoup de temps et de nombreux efforts à la justice civile qui concerne tout de même 70 % de l'activité du service public de la justice.
Nous faisons des efforts considérables parce qu'avec votre réforme de la carte judiciaire, vous avez compromis la proximité de la justice. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Vous avez supprimé plus de 33 % des tribunaux d'instance. Vous avez éloigné ces tribunaux parfois de plus de cent kilomètres.
Nous travaillons ressort par ressort, monsieur Goujon, à améliorer la justice de proximité.
Vous avez adopté une loi supprimant les juridictions de proximité sans y préparer les tribunaux d'instance ni en renforçant leurs effectifs ni en augmentant leurs moyens pour qu'ils puissent absorber l'activité de ces juridictions de proximité. Eh bien, nous allons en différer la suppression.
Pour la justice civile, nous réfléchissons à redéfinir le périmètre des contentieux, à installer des guichets uniques de greffe, à organiser les réponses judiciaires pour tout justiciable en matière de contentieux familial, d'endettement et de surendettement, d'expulsion de logement. À toutes ces difficultés quotidiennes à cause desquelles les Français les plus vulnérables ont du mal à avoir accès à la justice, nous allons apporter des réponses malgré les destructions dont, j'y insiste, votre réforme de la carte judiciaire est responsable.
Pour la justice civile, nous allons créer 142 postes et, surtout, mettre à disposition des moyens informatiques devant améliorer les délais et l'efficacité des procédures.
Aussi bien pour la justice civile que pour la justice pénale, nous faisons un effort particulier, les rapporteurs l'ont souligné, concernant les frais de justice qui permettent aux juges d'accomplir leur mission, d'exercer leur office, de procéder à la manifestation de la vérité. Ces frais vont augmenter, en 2013, de 15 %, à savoir de 62 millions d'euros. Ils permettront aux juridictions de fonctionner et d'améliorer les délais des procédures.
Je dois admettre que nous avons trouvé une situation des plus difficiles.
En cette année 2012, les juridictions sont nombreuses à se trouver au bord de la cassation de paiement. La Poste nous réclame, par exemple, plus de 50 millions d'euros de créances.
Nous avons trouvé de nombreux cadavres dans les placards.
Nous avons trouvé de nombreuses créances et de nombreux reports de charges ; or, pour finir cette année, nous nous battons pour trouver des financements, pour obtenir des « rallonges » de la part du Premier ministre. Voilà avec quelle excellence…
…vous avez géré la justice, y compris dans vos derniers mois.
Monsieur le rapporteur spécial, vous me demandez si nous allons contenir ces frais de justice. Le terme « contenir », en l'occurrence, relevant sans doute plutôt de mon vocabulaire que du vôtre, vous demandez en fait si nous allons prendre des dispositions pour « limiter » – c'est votre mot – ces frais. Il est certain que si l'on prend en considération le seul principe de bonne gestion, les juridictions devraient se tenir à un budget de frais de justice établi en début d'année. Il se trouve que les frais de justice sont des dépenses particulières.
C'est grâce aux frais de justice que les magistrats commandent des enquêtes, des examens ADN, des expertises psychiatriques, médicales, juridiques ou techniques ; c'est grâce à ces moyens que les magistrats peuvent exercer leur office. Il est dans ces conditions difficile de limiter le recours aux frais de justice.
Nous le voyons bien, il y a une tendance haussière de ces frais de justice – cela concerne également les interceptions téléphoniques, comme vous l'avez vous-même rappelé, monsieur le rapporteur spécial. Cette tendance haussière, qui est indiscutable, est liée à une demande de justice de plus en plus massive au sein de la société. Et il nous revient de répondre à cette demande de justice.
Néanmoins, il existe des pistes, qu'il nous faut travailler, qui nous permettront de limiter certaines dépenses des frais de justice. Nous pouvons regrouper certaines commandes, faire des économies d'échelle en recourant à des plateformes de commandes, et surtout réfléchir à la déjudiciarisation de certains contentieux : j'ai chargé l'Institut des hautes études de la justice de mener une étude sur ce sujet. Il s'agirait de favoriser la logique de la médiation, qui est expérimentée dans deux ressorts, où elle est rendue obligatoire pour les contentieux familiaux.
Cette expérimentation donnera lieu à une évaluation : nous verrons si elle est efficace et si elle induit effectivement une baisse de la demande de justice en matière familiale. Si tel est le cas, nous serons amenés à l'étendre. Bien entendu, le Parlement sera associé à l'examen des résultats de cette expérimentation et consulté sur la nécessité de son éventuelle extension. Sur les frais de justice, nous avons sans doute des efforts à faire. Nous en ferons aussi sur la plateforme d'interception téléphonique : en la regroupant, nous ferons des économies d'échelle.
S'agissant maintenant des frais de fonctionnement, ceux-ci vont baisser de 7 %, mais il faut relativiser la pénalisation que cette baisse va représenter pour les juridictions. En effet, au cours des dernières années, les frais de fonctionnement ont souvent été ponctionnés pour combler les besoins en matière de frais de justice. En 2011, par exemple, ce sont plus de 15 millions qui ont été transférés des frais de fonctionnement vers les frais de justice ; par ailleurs, une dernière opération relative à la carte judiciaire, d'un montant de 6 millions d'euros, a également été ponctionnée sur ces frais de fonctionnement.
Ces dépenses n'apparaîtront pas en 2012, puisque, avec l'augmentation de 65 millions d'euros sur les frais de justice, il ne sera plus nécessaire de venir prendre dans les frais de fonctionnement les 15 millions d'euros de l'année dernière ; par ailleurs, la dépense de 6 millions d'euros liée à la carte judiciaire ne sera pas reconduite cette année. Par conséquent, cette baisse de 7 % ne devrait pas mettre les juridictions en difficulté. Cette baisse, je le rappelle, a été imposée à tous les ministères, sur la base de la lettre de cadrage du Premier ministre, visant à rééquilibrer les dépenses publiques que vous nous avez laissées en héritage.
Venons-en, troisième priorité, à la justice pénale, qui vous occupe tant, même si elle consomme moins de 30 % du temps et des moyens de nos juridictions. Sur l'incarcération, là aussi, nos choix sont clairs : nous avons choisi le courage politique d'une circulaire générale de politique pénale.
Ce n'est pas nouveau ? Monsieur le député Fenech, que s'est-il passé depuis une dizaine d'années ? Nous avons vu se succéder deux quinquennats, au cours desquels la majorité de l'époque n'a pas eu le courage d'afficher clairement des orientations de politique pénale, n'a pas assumé clairement ses relations avec les parquets généraux et avec les parquets, a louvoyé sur les instructions individuelles, n'énonçant aucun principe en matière politique pénale, changeant constamment de posture, particulièrement au cours du dernier quinquennat.
Le plus spectaculaire, c'est l'accumulation de dispositions générant des prononcés de peines d'incarcération, avec un engorgement des juridictions, en particulier de celles à comparution immédiate, qui nécessitent que le tribunal siège en formation collégiale. Cela a provoqué un allongement des délais dans l'audiencement et des pauses dans les procédures, qui ont été évoquées.
Vous avez, il est vrai, sorti une loi pénitentiaire. Du reste, c'est peut-être là ce que votre majorité a fait de mieux…
Plusieurs députés du groupe UMP. Merci !
…parce que vous vous êtes retrouvés vous-mêmes face à l'absurdité de l'accumulation de vos lois pénales : trente au cours des cinq dernières années, cinquante au cours des dix dernières années ! Vous avez produit une loi pénale à chaque fois qu'un événement touchait la société, en même temps que vous réduisiez les effectifs des magistrats et des greffiers et que vous provoquiez de la surpopulation carcérale.
Vous vous êtes retrouvés face à cette absurdité, et vous avez adopté une loi pénitentiaire. À ce sujet, monsieur Ciotti, vous avez défendu, tantôt l'aménagement de peines, tantôt l'incarcération, tantôt, le quantum jusqu'à deux ans : vous avez totalement manqué de cohérence. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Nous sommes dans un Parlement où chacun prend des positions publiques : la moindre des choses serait de les assumer ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Peut-être dois-je vous rappeler que tous les propos tenus ici sont inscrits dans un compte rendu qui fait foi (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.), et qui est donc opposable à chacun d'entre nous, y compris dans cinquante ans.
Je ne le mets pas en cause : je dis qu'il a tantôt défendu l'aménagement de peine, tantôt le quantum. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
En votant cette loi pénitentiaire, vous avez eu une réaction un peu compulsive : vous l'avez votée en 2009, après avoir réduit le nombre de postes de psychiatres et de psychologues, mais aussi de magistrats, puisque vous vous êtes attaqués à tous les domaines.
Notre politique pénale est claire ; elle est affichée ; elle est assumée. Elle repose sur le refus des instructions individuelles ; elle indique très clairement que le garde des sceaux est responsable de la politique pénale sur l'ensemble du territoire,…
…mais qu'il ne conduit pas lui-même l'action publique, puisque c'est aux procureurs généraux qu'il revient de la conduire, en coordonnant et en animant le travail des parquets. C'est aux procureurs qu'il revient d'exercer directement l'action publique : c'est notre conception de la démocratie et d'un État de droit moderne. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
C'est une circulaire générale de politique pénale, qui assume parfaitement les principes énoncés, à commencer par l'individualisation de la peine, parce que nous avons le souci de l'efficacité. Vous, vous parlez sans arrêt de sécurité. La sécurité, c'est éviter la récidive, la prévenir ; c'est éviter qu'il y ait de nouvelles victimes. Avec les lois pénales que vous avez multipliées, avec les procédures que vous avez compliquées, avec l'engorgement des juridictions que vous avez provoqué, vous avez aggravé les facteurs de récidive.
Les chiffres sont là et les statistiques le démontrent : vous avez aggravé les risques de récidive,…
…c'est-à-dire que vous avez fait courir des risques à la sécurité des Français, et vous faites comme si vous étiez qualifiés pour nous donner des leçons sur la sécurité des Français ! Les actions que nous menons, les priorités que nous définissons, les principes que nous énonçons, la façon, enfin, dont nous conduisons l'action judiciaire : tout cela améliore la sécurité des Français.
Vous n'avez pas cessé de parler des victimes, mais vous avez réduit de 10 % le budget qui leur est consacré et même provoqué une baisse de 30 % du fait du désengagement des collectivités qui a suivi celui de l'État. Vous n'avez pas cessé de parler des victimes, mais, lors du dernier quinquennat, vous n'avez ouvert que cinquante bureaux d'aide aux victimes, qui ne sont même pas complètement financés.
En 2013, nous allons ouvrir cent bureaux d'aide aux victimes (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) et en financer intégralement cent cinquante, et cela sans réduire les moyens que nous mettons au service des associations d'aide aux victimes, puisque nous augmentons de 8 % leur dotation.
La circulaire générale de politique pénale, monsieur le député Fenech, appelle particulièrement l'attention des procureurs généraux et des procureurs sur le sort des victimes. Il leur est demandé de veiller à ce que celles-ci soient effectivement informées, notamment en matière de comparution immédiate. Les informer, les orienter, les accompagner : telle est la consigne. Les informer, y compris de l'existence du service et de la commission d'indemnisation des victimes. Nous avons une politique d'aide aux victimes.
Madame la rapporteure Nieson, vous m'avez interrogée très précisément sur la contribution d'aide aux victimes – nous avons eu des échanges sur ce sujet. Vous avez accompli un travail de très grande qualité, comme cela m'a été rapporté, notamment, par l'INAVEM, l'Institut national d'aide aux victimes et de médiation, avec qui j'ai eu une nouvelle séance de travail. Tous les interlocuteurs que vous avez auditionnés disent à quel point votre qualité d'écoute et votre implication sur ce dossier les rassurent quant à la consolidation de la politique d'accompagnement des victimes et d'aide aux victimes menée par la chancellerie.
Je vous propose que nous continuions à travailler : nous devrions, d'ici à quelques mois, trouver des solutions solides et durables. Il nous faut encore vérifier que cette contribution à l'aide aux victimes, qui a été portée par des députés aussi bien de l'actuelle majorité que de l'actuelle opposition, viendra réellement abonder l'aide aux victimes. Il faudra prendre en compte les règles de la comptabilité publique et de l'affectation de ce type de recettes. Il faudra ensuite voir les autres partenaires ou opérateurs qui pourraient s'inscrire dans ce circuit et, surtout, éviter un éventuel désengagement public, compte tenu de l'effort que nous avons consenti et de la nécessité du maintien de cet effort. Il faut que cette contribution aux victimes vienne en plus : je vous propose donc d'intensifier le travail que nous allons conduire ensemble sur ce sujet. Nous allons nous organiser, afin d'aboutir très vite à des résultats.
S'agissant de l'immobilier judiciaire ou pénitentiaire, l'opposition n'arrête pas de dire qu'il n'y a plus de constructions.
Plusieurs députés du groupe UMP. Mais oui !
Ne vous en déplaise, ce quinquennat sera bâtisseur. Ce sera un quinquennat bâtisseur pour l'immobilier judiciaire, que vous avez laissé, hélas, dans un piteux état. J'aime beaucoup vous entendre nous expliquer que nombre de nos juridictions sont sinistrées, mais c'est l'héritage !
J'aime beaucoup vous entendre évoquer le rapport de la commission européenne pour l'efficacité de la justice, la CEPEJ, qui classe la France au quarantième rang sur quarante-sept pays, mais c'est l'héritage ! J'aime beaucoup vous entendre nous dire que notre niveau d'incarcération est le plus bas d'Europe. Ce pourrait être l'héritage, mais ce n'est même pas le cas, car vous n'avez pas consulté le tableau : en effet, la France n'est pas le pays d'Europe qui possède le taux d'incarcération le plus bas. Mais je ne prétends pas vous convaincre de mettre un terme à cette fixation :…
Ce n'est pas ce que nous avons dit ! Nous avons dit que la France a un taux parmi les plus bas d'Europe !
…ce serait plus que titanesque, et je préfère conserver mon énergie pour être utile au service public de la justice. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Concernant l'immobilier judiciaire, donc, une vingtaine de villes seront concernées dès cette année 2013.
Oh que oui ! Dans l'état où vous l'avez laissé ! Abîmé comme vous l'avez laissé !
Donc, une vingtaine de villes sont concernées par les projets d'immobilier judiciaire, avec onze constructions et neuf opérations lancées dès l'année 2013.
La construction de trois tribunaux en partenariat public-privé était prévue, l'un à Caen, l'autre à Perpignan et le troisième à Lille. J'ai décidé de retenir le projet de Caen,…
…parce que la situation était extrêmement urgente au vu de l'état de ce tribunal. Les travaux sont imminents parce que le projet était relativement avancé.
Arrêtons-nous un instant sur le partenariat public-privé. Selon la Cour des comptes qui en a fait l'objet d'observations, cette technique consiste à confier à des opérateurs privés, qui empruntent à un taux élevé, des constructions « d'usines à gaz » (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) – Relisez le rapport ! – qui vont coûter extrêmement cher à l'État.
Pour répondre au rapporteur spécial, le rapport sur le projet de construction en partenariat public-privé de la cité judiciaire des Batignolles m'a été remis.
Sur la base de ce rapport, trois options sont possibles. La première serait le maintien du contrat en l'état. Mais il est important que la représentation nationale sache que le contrat prévoit un investissement de 671 millions d'euros, et que le partenariat public-privé conduira à un loyer annuel moyen de 90 millions d'euros. Il sera de 84 millions d'euros la première année et atteindra 114 millions d'euros. Au terme de ce contrat de vingt-sept ans, en 2043, l'État, deux générations après nous, aura payé 2,7 milliards d'euros pour un investissement de 679 millions d'euros.
Comme démonstration de bonne gestion, je crois qu'on a déjà fait mieux !
Il serait facile, pour moi, de conserver les choses en l'état. Les travaux seraient livrés en 2016, j'aurais le plaisir d'inaugurer en 2017… (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
… et je laisserais à mes successeurs la lourde ardoise de 90 millions d'euros de loyer annuel.
Ce serait facile, mais irresponsable.
Une deuxième option consisterait à renégocier ce contrat. Signalons néanmoins que la clause de renégociation n'a pas été prévue dans ce contrat – signé deux mois avant les élections…
La troisième option serait le renoncement à projet, en sachant que les magistrats et les greffiers travaillent dans des conditions extrêmement difficiles et que ce projet de cité judiciaire qui a dix ans d'âge répond à un réel besoin.
Je vous réponds donc, monsieur le rapporteur spécial, ainsi qu'à l'ensemble de la représentation nationale : compte tenu des lourdes conséquences des trois options que je viens d'exposer, le dossier a été présenté au Premier ministre,…
…et dès que son arbitrage sera rendu, vous en aurez connaissance.
Ces partenariats public-privé, dont votre majorité a fait un usage assez débridé, entraînent une fragilisation des finances publiques sur le long terme, une trentaine d'années en moyenne, ce qui est extrêmement déloyal vis-à-vis des deux générations à venir. C'est donc avec la plus grande précaution que nous les étudions.
Pour ce qui concerne l'immobilier judiciaire, il y a un problème de terrain que nous allons régler à Lille…
… tandis qu'à Perpignan, il faut reconsidérer le projet. Nous travaillons ainsi à renoncer aux partenariats public-privé sur ces deux projets de tribunaux pour les réaliser en maîtrise d'ouvrage publique, ce qui est infiniment plus sain pour les finances publiques.
Quoi que vous en disiez, nous augmentons les crédits de l'immobilier pénitentiaire aussi bien pour la rénovation globale que pour la préservation du patrimoine ou la construction.
Concernant cette dernière, d'ailleurs, elle augmente de 7,8 %. Lorsque je parle de budget, je parle de budget réel, pas de budget virtuel ! Je ne parle pas d'une loi de programmation qui prévoit 80 000 places, mais qui n'y consacre pas un euro. Lorsque vous parlez de la baisse de 38 % des autorisations d'engagement et de l'augmentation des crédits de paiement, il faut savoir que les crédits de paiement sont réels, tandis que les autorisations d'engagement sont totalement artificielles. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Mon prédécesseur avait inscrit 1,8 milliard d'euros en autorisations d'engagement sans un euro de crédit de paiement en face !
Vous dites que nous abandonnons le nouveau programme immobilier (NPI), mais ce programme est virtuel !
Revenez, monsieur Goujon, dans la réalité ! Revenez au rationnel, au réel, à l'effectif !
Nous allons préserver le patrimoine en augmentant de 20 % le budget de la rénovation du patrimoine pénitentiaire que vous avez laissé se détériorer. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)Oui, vous avez laissé se détériorer ce patrimoine durant les plus de dix ans que vous avez passés au pouvoir. Vous criez contre les bâtiments vétustes, mais nous savons bien à quel point de nombreux établissements pénitentiaires n'ont pas fait l'objet des rénovations et des réhabilitations nécessaires.
Je comprends votre impatience aujourd'hui, mais vous auriez pu être un peu plus sereins si vous aviez étalé sur les dix dernières années les rénovations qui étaient indispensables.
Nous allons faire les grandes réhabilitations nécessaires : la prison de la Santé, celle des Baumettes et celle de Fleury-Mérogis.
Concernant les personnels, avec la RGPP et la logique comptable de l'ancien gouvernement, les départs à la retraite n'ont pas été remplacés. Suite à la réforme de la carte judiciaire, des postes ont été supprimés.
Pour en revenir au rapport de la CEPEJ, nous comptons trois procureurs pour 100 000 habitants alors que la moyenne en Europe est de onze procureurs pour 100 000 habitants.
En France, un procureur traite plus de 2 500 affaires pénales dans l'année. Le deuxième pays comparable se situe loin derrière, il s'agit de l'Espagne avec 1 500 affaires pénales traitées dans l'année.
En France, nous comptons dix juges du siège pour 100 000 habitants. La moyenne en Europe est de vingt-deux juges du siège.
En France, nous avons neuf fonctionnaires pour 100 000 habitants, la moyenne européenne est de soixante et onze.
Ce sont des mesures objectives qui ne sont pas établies par nous. Elles sont tellement incontestables que vous vous référez d'ailleurs en permanence à ce rapport. Simplement, nous rattrapons ce retard aussi vite que nous le pouvons, dans un contexte budgétaire contraint que nous vous devons assez largement avec 600 milliards d'euros de dettes supplémentaires sur un quinquennat.
Mais non ! C'était pareil sous Mitterrand et Badinter ! Ne dites pas n'importe quoi ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Ça fait trente ans que cela dure, ça ne date pas d'aujourd'hui ! C'est insupportable !
Merci monsieur le président. Il m'est arrivé de connaître cette assemblée plus sereine.
Monsieur le rapporteur spécial, vous m'avez interrogé sur ce que nous faisions pour l'aménagement des peines. Je dois saluer la grande qualité du rapport que vous avez présenté au nom de la commission des finances. C'est un rapport lucide, sans complaisance, et sérieux.
Excellent, j'en conviens, et ça ne date pas de ce soir.
Je veux répondre sur un certain nombre de sujets qui ont également été évoqués par d'autres députés.
Il y a en effet eu d'importants aménagements de peines ces dernières années. C'est essentiellement pour des causes arithmétiques, car le nombre de peines d'incarcération a explosé. Il n'y a pas eu de politique d'aménagement des peines fondée sur la prévention de la récidive telle que nous la concevons, basée sur le suivi et la préparation à la réinsertion et à la vie sociale.
Si un certain nombre de choses ont été faites, il n'y a pas eu une politique cohérente en tant que telle. Notre politique l'est, et c'est bien pour cela que nous allons recruter des juges d'application des peines, des greffiers et des conseillers d'insertion et de probation. C'est aussi pour cela que nous augmentons de 12 % les moyens consacrés aux peines alternatives : les travaux d'intérêt général, le placement sous surveillance électronique (PSE), les quartiers de semi-liberté, les places dans les quartiers nouveau concept (QNC). Ces moyens permettront aux juges, s'ils l'estiment nécessaire, de prononcer des aménagements de peines.
Monsieur le rapporteur spécial, vous m'avez interrogé ainsi que d'autres députés sur les peines non exécutées. Plusieurs députés ont rappelé à la tribune qu'il n'y a pas de peines non exécutées, mais des flux de peines en attente d'exécution. Cela tient à des raisons évidentes : en dehors des cas où un mandat de dépôt est prononcé, il y a forcément un délai pour l'exécution de la peine. Il est certain que l'insuffisance des effectifs de magistrats et de greffiers, l'engorgement des juridictions et le nombre de procédures accumulées ces cinq dernières années ont provoqué des délais dans l'exécution de certaines procédures et de certaines peines. Ce sont des éléments objectifs qui viennent parfois retarder l'exécution des peines et sur lesquels nous devons travailler.
Il demeure que nous ne devons pas croire ceux qui parlent de stocks de peines non exécutées : il y a un flux de peines qui est évidemment alimenté par l'activité judiciaire. Je peux vous soumettre des chiffres : en mars 2012, 72 000 peines étaient en cours d'exécution. Parmi elles, 99 % sont des peines de prison ayant vocation, dans les termes de la loi pénitentiaire, à être aménagées. La grande majorité des peines en attente d'exécution sont des courtes peines : 57 % sont des peines de moins de trois mois, 40 % sont des peines entre trois mois et un an, 3 % sont des peines d'un à deux ans.
Les délais d'exécution sont les suivants : 36 % des peines en un mois, 50 % en quatre mois, 74 % en douze mois et 83 % en dix-huit mois. L'exécution des peines se fait donc bien au fur et à mesure, dans des délais qui ne sont pas extravagants, même si nous nous attachons à les réduire. En effet, nous pensons, comme vous, monsieur le rapporteur, que la rapidité de l'exécution de la peine peut contribuer à son efficacité, alors qu'en la différant, on augmente les risques de récidive.
Monsieur Huyghe, vos propositions, que vous aviez déjà exposées lors de mon audition devant la commission des lois, ne se retrouvent pas dans le budget. Manifestement, celle-ci ne vous a pas suivi.
Monsieur Blanc, vous m'avez interrogée sur les amendes, dont un peu moins de 50 % sont recouvrées. Toutefois, nous avons ramené les délais de prise en charge de huit mois à cinq mois. En outre, nous allons développer les bureaux d'exécution des peines, les BEX, qui ont été fragilisés ces dernières années – plus d'une dizaine de ces bureaux ont dû fermer –, en créant quarante postes de catégorie C, afin que la perception des amendes et leur transmission à Bercy soient enregistrées plus rapidement. Mais, vous avez raison, il nous faut améliorer les relations entre le ministère de la justice et le ministère des finances pour améliorer le taux de recouvrement.
Vous m'avez interrogée sur de nombreux autres sujets ; je vous propose d'y revenir dans le cadre des questions.
En conclusion, je veux dire un mot du personnel, qui a été mis à rude épreuve. En effet, la protection judiciaire de la jeunesse a perdu 600 postes en cinq ans, des départs à la retraite n'ont pas été remplacés et la réforme de la carte judiciaire a provoqué la suppression de postes de magistrats et de greffiers. Dans tous les services, les personnels ont fait des efforts particuliers et travaillé de façon à faire vivre le service public de la justice. Nous faisons donc un effort pour ces personnels. J'aurais souhaité que celui-ci puisse être conséquent pour les personnels de catégorie C, dont les traitements et les indemnités n'ont pas été revalorisés depuis une dizaine d'années. Hélas ! la dotation à la disposition du ministère ne permet d'assurer que la dernière tranche indemnitaire accordée aux magistrats; je dois donc tenir cet engagement de l'État, intervenu sur la base d'un décret, tout en reconnaissant que les magistrats méritent cette indemnité, compte tenu des conditions dans lesquelles ils travaillent.
Pour 2013, l'effort indemnitaire sera donc fait en faveur des magistrats, à hauteur de 7 millions d'euros pour les personnels pénitentiaires et de 1,4 million pour les personnels de la protection judiciaire de la jeunesse. À partir de 2014, je serai en mesure de faire un effort pour les fonctionnaires de catégorie C et, à partir de 2015, pour les fonctionnaires de catégorie B, principalement les greffiers. Il est important que nous fassions un geste en matière de recrutement, de modernisation des moyens, notamment grâce au doublement des crédits informatiques, et que nous leur témoignions notre reconnaissance par ces petits efforts indemnitaires.
Il nous faut dire notre gratitude à ces fonctionnaires qui ont porté à bout de bras le service public de la justice, qui a été grandement fragilisé ces dernières années, de façon que, arrivés aujourd'hui aux responsabilités, nous puissions prendre le relais et redonner tout son lustre à ce beau service public, si structurant pour notre démocratie. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)
Nous en arrivons aux questions.
Mes chers collègues, je vous rappelle que la durée des questions et des réponses ne peut excéder deux minutes – je serai extrêmement vigilant quant au respect du temps de parole –, que le Gouvernement répond immédiatement à chaque question posée et que je donnerai la parole par périodes successives de quinze minutes à chaque groupe dans l'ordre établi pour l'examen de chacune des missions.
Nous commençons par le groupe UMP.
La parole est à M. Gérald Darmanin.
Non, selon l'académie française, on dit bien : madame le ministre. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Madame le ministre, permettez-moi de me féliciter du rejet, au Sénat, de la proposition de loi sur la tarification de l'énergie. J'espère que nos camarades communistes conserveront la même vision des textes présentés par nos collègues socialistes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Madame le ministre, je souhaiterais vous parler d'un sujet qui me tient particulièrement à coeur : les travaux d'intérêt généraux.
Souffrez, monsieur, que le député que je suis soit respectueux de l'académie française.
L'article 131-8 du code pénal dispose que, lorsqu'un délit est puni d'une peine d'emprisonnement de courte durée, la juridiction peut prévoir que le condamné accomplira, à la place de cet emprisonnement, un travail d'intérêt général au sein d'une association, d'une collectivité ou d'un établissement public. La peine a ainsi une fonction non seulement punitive, mais aussi réparatrice.
De 1997 à 2002, peu de TIG ont été prononcés ; ils ont été un peu plus nombreux entre 2002 et 2010, mais, depuis quelques mois, leur nombre diminue, car les juridictions ont du mal à trouver des élus locaux, des associations ou des collectivités qui portent ces travaux d'intérêt généraux. Dans ma circonscription, par exemple, j'aide particulièrement les élus locaux ainsi qu'une association d'insertion à accueillir les condamnés qui acceptent, grâce à l'action du procureur de la République et du juge d'application des peines, d'exécuter leur peine sous forme de travaux d'intérêt généraux.
Je souhaiterais connaître votre position, madame le ministre, sur l'aide qui peut être apportée aux élus locaux et aux associations dans ce domaine. Quelles instructions donnerez-vous aux procureurs de la République en faveur du développement des TIG ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le député, vous me permettrez cette perfidie, à laquelle je ne résiste pas : je crois que, selon l'académie française, il convient de parler de « travaux d'intérêt général ». (Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Absolument, monsieur Meunier. C'est pourquoi cela a été dit sur un ton aussi cordial.
Vous avez raison, monsieur Darmanin, l'offre de TIG a stagné, mais elle est inégalement répartie sur le territoire. Certaines collectivités sont encore très allantes sur l'offre et l'accueil de personnes condamnées dont la peine a été commuée en travail d'intérêt général.
Des personnes morales de droit privé qui assument une mission d'intérêt public, notamment des associations, en accueillent également beaucoup.
Nous célébrons, cette année, le trentième anniversaire de la création des TIG. À cette occasion, la chancellerie a édité, il y a environ deux semaines, un guide afin de réactiver l'intérêt de tous les partenaires qui, en acceptant d'accueillir des TIG, accompagnent les personnes condamnées et leur permettent de prendre en charge l'exécution de leur peine. Les TIG sont donc une belle opération, dans la mesure où la personne condamnée participe activement à l'exécution de sa peine – le TIG en est une et elle est exécutée –, tout en étant accompagnée par la société civile. Ils contribuent de façon tout à fait intéressante, quantitativement et qualitativement, à l'aménagement des peines.
En tout état de cause, je me félicite de l'ardeur avec laquelle vous défendez l'aménagement des peines.
Madame le ministre, ma question porte sur les associations qui aident à la réinsertion des anciens détenus. Ces structures, qui sont nombreuses – et il faut s'en féliciter, même si ce n'est pas forcément bon signe –, accomplissent un travail souvent remarquable en accueillant en leur sein – que ce soit comme accompagné, comme accompagnant ou même comme salarié – des personnes sortant de prison dont la réinsertion est ainsi facilitée.
Il me semble que ce que vous avez vous-même défini tout à l'heure comme votre politique pénale trouverait un complément naturel dans le soutien à ces associations qui facilitent les systèmes d'aménagement de peine, les libérations anticipées, bref, tout ce qui peut aider les détenus à se réinsérer normalement dans la société.
Comment envisagez-vous la politique de votre ministère dans ce domaine ? Comptez-vous engager des moyens supplémentaires en faveur de ces associations ? Y aura-t-il ou non une « critérisation » de l'attribution de ces subventions publiques à des associations qui sont très utiles et ont besoin du soutien du ministère de la justice ?
Monsieur le député, permettez-moi de rappeler que 80 % des sorties de prison sont des sorties sèches. Il est donc en effet extrêmement important que les détenus qui quittent la prison puissent être pris en charge.
En ce domaine, nous travaillons à deux niveaux. À l'intérieur de la prison, tout d'abord, il faut éviter les sorties sèches, c'est-à-dire, puisque nous discutons de l'aménagement des peines, appliquer la surveillance électronique de fin de peine – SEFIP –, prévue dans la loi pénitentiaire, et créer les conditions d'un accompagnement par les services d'insertion et de probation.
À l'extérieur de la prison, ensuite, des associations font en effet un travail extrêmement important. J'ai reçu quelques-unes d'entre elles à la chancellerie, notamment Citoyens et justice. Le budget qui leur est consacré est de 2,4 millions et nous étudions les moyens d'améliorer leur accompagnement. Je veux, comme vous, leur rendre hommage, car elles font un travail de société civile qui est d'une très grande utilité publique.
Madame la garde des sceaux, le ministre de l'intérieur a déclaré qu'il existait, en France, plusieurs centaines d'islamistes radicaux capables d'organiser un attentat comme on en a connu récemment. À cet égard, le milieu carcéral mérite une attention particulière, tant il semble favoriser, même marginalement, la radicalisation et le recrutement de djihadistes parmi les détenus psychologiquement fragiles, instables, isolés et démunis et évoluant dans un milieu violent.
Près d'un tiers des détenus pratiquent la religion musulmane et le nombre des imams intervenant en prison est insuffisant, ce qui laisse la place à l'émergence de prédicateurs autoproclamés. Votre budget prévoit de recruter une quinzaine d'imams pour couvrir une trentaine d'établissements en 2013 et le même nombre en 2014. Comment ces imams seront-ils recrutés et formés ?
Par ailleurs, environ 200 personnes seraient détenues pour des faits en relation avec l'islamisme radical, dont 75 pour terrorisme. Ils font bien entendu l'objet d'une surveillance spéciale. Un bureau de renseignement pénitentiaire et le MS3, fort de 75 agents, oeuvrent en lien avec la DCRI, auprès de laquelle il a été répondu, en 2011, à 3 000 requêtes. Toutefois, le taux d'encadrement est faible, avec un officier de renseignement pour 2000 détenus en moyenne. Comment comptez-vous renforcer la lutte contre l'islamisme radical dans les établissements pénitentiaires et après la sortie de prison ?
Monsieur le député, l'islamisme radical et la radicalisation islamiste en prison sont une réalité, mais il s'agit de ne pas la surestimer. Ainsi, dans la dernière affaire, dite de Strasbourg, deux personnes seulement sur huit avaient des antécédents judiciaires et une seule avait séjourné en prison.
Ne surestimons donc pas l'islamisme radical en prison, qui pourrait conduire à un autre risque, celui consistant à sous-estimer l'islamisme radical en d'autres lieux.
Au sein des établissements pénitentiaires, une surveillance vigilante est exercée par les directeurs et les surveillants. Comme vous le savez, nos surveillants suivent à l'ENAP une formation ayant pour objet de leur apprendre à repérer et réagir. Par ailleurs, un bureau de renseignement pénitentiaire a pour fonction d'observer, repérer et identifier les pratiques relevant de l'islamisme radical. En cas de prosélytisme, il est procédé au transfèrement de la personne concernée.
Cela étant, vous avez entamé votre question en évoquant la présence insuffisante d'aumôniers pour l'exercice du culte tel qu'il est prévu par la loi et par les valeurs républicaines.
Il ne faut pas exagérer, il y a aussi de moins en moins d'aumôniers catholiques !
C'est cela que nous essayons de rééquilibrer, puisqu'il y a actuellement 151 aumôniers musulmans sur 1 248 postes consacrés à l'exercice du culte dans les établissements pénitentiaires.
Une vigilance accrue s'exerce sur les risques de radicalisation en prison, ce qui ne doit évidemment pas conduire à faire un amalgame avec l'ensemble des musulmans pratiquant leur religion en prison dans le respect des valeurs républicaines. Les créations de postes vont permettre de couvrir trente premiers établissements en 2013, et trente autres en 2014. Une surveillance méthodique est organisée, pas uniquement dans le cadre pénitentiaire, mais de façon générale, en relation avec la DCRI.
Croyez-le bien, nous ne sous-estimons pas le phénomène de la radicalisation, ni dans les prisons, ni à l'extérieur, et mettons tout en oeuvre pour exercer une surveillance efficace.
Madame la ministre, je voudrais appeler votre attention sur la situation de la maison d'arrêt départementale de La Talaudière, dans la Loire.
En effet, cette maison d'arrêt construite en 1968 n'est plus adaptée aux besoins et se trouve, sur plusieurs points, en non-conformité avec les normes en vigueur. À cet égard, elle illustre la situation parfaitement décrite par notre collègue rapporteur Sébastien Huyghe, puisqu'elle connaît une surpopulation carcérale d'au moins 135 %, des locaux vétustes, et des problèmes de sécurité liés notamment à l'existence de véritables « parloirs sauvages » aux abords immédiats de l'établissement, rendant la vie impossible aux habitants du quartier. Globalement, on y constate des conditions de détention non satisfaisantes – tout comme les conditions de travail des personnels pénitentiaires.
C'est pourquoi, madame la ministre, j'avais invité votre prédécesseur à se rendre sur place à la fin du mois de juillet 2011, afin d'effectuer une visite complète de l'établissement. M. Michel Mercier a ainsi pu se rendre compte très concrètement de la réalité des difficultés vécues au quotidien, ce qui l'avait amené à conclure à la nécessité de reconstruire une nouvelle maison d'arrêt, sans toutefois en préciser le site. Des travaux d'entretien et d'amélioration indispensables ont été, depuis, engagés pour un montant de trois millions d'euros et sont en cours d'achèvement. Il s'agit notamment de travaux d'électricité, de rénovation des douches, de peinture, et de la mise en place d'une nouvelle vidéosurveillance.
Madame la ministre, voici, brossé à grands traits, le tableau d'une situation que l'on espère transitoire et provisoire car, même avec de très gros moyens, cette maison d'arrêt est difficilement réhabilitable pour la remettre aux normes, et la vraie solution passe par la reconstruction. Or, j'ai pu lire récemment dans la presse locale que cette reconstruction serait remise en question. Pourriez-vous me rassurer et m'apporter des précisions sur l'état d'avancement de ce dossier ?
Monsieur le député, vous avez décrit la situation de la maison d'arrêt de Saint-Étienne-La Talaudière, qui date de 1968 et présente un taux d'occupation de 128 %...
Effectivement, il arrive que nous découvrions que les situations sont encore plus graves que nous ne le pensions.
Cet établissement présente par ailleurs un taux de vétusté physique de 39,7 %. Des travaux d'urgence ont été effectués par la direction interrégionale en 2010 et 2011 pour un coût total de deux millions d'euros. Comme je l'ai dit tout à l'heure, l'objectif de préservation de notre patrimoine pénitentiaire a conduit à une augmentation des crédits de rénovation, ce qui nous permet d'envisager des travaux dans un certain nombre d'établissements.
En ce qui concerne La Talaudière, des travaux ont été prévus…
Je pense que les informations que je vais vous donner sont de nature à vous intéresser, monsieur le député. Les travaux prévus concernent la rénovation de la cour de promenade et de sport pour 200 000 euros et la rénovation du système d'eau chaude sanitaire pour 100 000 euros. Par ailleurs, une étude est lancée pour la rénovation du quartier disciplinaire.
En revanche, en ce qui concerne la construction d'un nouvel établissement, évoquée par mon prédécesseur, je suis au regret de vous dire qu'il n'y a strictement rien de prévu. Nous avons hérité d'une liste de projets annoncés à des parlementaires à l'Assemblée nationale et au Sénat,…
…mais pour lesquels il n'y a pas le moindre début d'étude, aucun élément d'évaluation qui aurait éventuellement pu permettre d'inscrire ce projet dans le budget triennal si nous en avions eu les moyens.
Je vous propose que nous travaillions ensemble afin de trouver des solutions au problème que vous évoquez. Comme vous le savez, la prison de Riom, toute proche…
Elle n'est tout de même pas bien loin, et peut contribuer à améliorer la situation.
En tout état de cause, je vous confirme que nous n'avons pas le moindre commencement de dossier au sujet de la construction d'un nouvel établissement.
Ma question porte sur l'accès au droit, plus particulièrement des lieux permettant à nos compatriotes d'accéder au droit. Comme vous le savez, madame la ministre, la réforme de la carte judiciaire a eu pour conséquence de supprimer de nombreux tribunaux d'instance – plus de 280, pour être précis –, ce qui a pu faire dire à certains de nos compatriotes que là où il n'y avait plus de tribunaux, il n'y avait plus de justice. Au-delà de cette expression, il est permis de se demander comment les plus modestes de nos compatriotes peuvent accéder au droit.
Notre paysage institutionnel comprend aujourd'hui des maisons de la justice et du droit constituant autant de points d'accès au droit. Pour autant, nous constatons que les mesures prises récemment pour pallier la suppression des tribunaux d'instance laissent subsister des écarts très importants. Certes, le Gouvernement a annoncé que des applications fondées sur les nouvelles technologies, notamment les visio-guichets équipant les maisons de nouvelle génération, permettraient de pallier certaines insuffisances.
Les dispositifs basés sur les nouvelles technologies présentent effectivement un certain intérêt, notamment pour les territoires les plus éloignés. Ainsi, dans ma petite commune de 600 habitants, des systèmes de visio-guichets permettent de communiquer à distance avec la caisse d'allocations familiales ou les caisses de retraite. Cependant, il faudra toujours une interface et des moyens humains pour que le justiciable puisse réellement profiter de ces outils. Quels sont, madame la ministre, les moyens que le Gouvernement entend engager en ce sens ?
Monsieur le député, la question que vous évoquez est très intéressante, car la suppression de tribunaux d'instance de la carte judiciaire a été motivée, dans certains ressorts, par l'installation de maisons de la justice et du droit de nouvelle génération, avec des critères dont nous savons aujourd'hui qu'ils ne sont pas satisfaisants. J'ai donc demandé à mes services de se pencher sur l'implantation des MJD sur l'ensemble du territoire afin de voir si le maillage est optimal, et de préparer une redéfinition des critères, qui devra se faire avec les parlementaires. Dès 2013, nous créerons cinq nouvelles maisons de la justice et du droit, car les besoins sont urgents et indiscutables.
Cela étant, nous entendons faire des MJD de vrais points d'accès au droit, et non des succédanés de tribunaux d'instance. Leur implantation est donc étudiée dans la logique du périmètre des contentieux des tribunaux d'instance, dans une approche globale tenant compte des juridictions de proximité que nous allons maintenir, le temps de réorganiser les contentieux, de déterminer où il pourra être nécessaire de réimplanter des tribunaux d'instance – car si cela se révèle nécessaire, nous le ferons – et où les MJD pourront être utiles. Bref, il ne s'agit plus de faire des tours de passe-passe, comme cela a pu être le cas lors de la création de certaines de ces maisons de nouvelle génération, mais bien de créer de vrais lieux d'accès au droit.
Madame la ministre, depuis dix ans, notre système judiciaire fonctionne la tête à l'envers : ce sont, malheureusement, les pires aspects de la justice des majeurs qui ont inspiré la justice des mineurs. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Un recul sans précédent vers les théories les plus obscurantistes, moyenâgeuses, cible le trublion potentiel dès la sortie de la crèche, cet ignoble petit être de trois ans qui, déjà, arrache les yeux du nounours de son voisin – ce qui annonce peut-être, de manière précoce, une future prédisposition à arracher les pains au chocolat. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
L'ordonnance de 1945, oeuvre du général de Gaulle et monument phare du droit des mineurs, a été battue en brèche, en contradiction avec tous les principes éducatifs posés depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
Les socialistes se mettent à citer de Gaulle ! Il va se retourner dans sa tombe !
La protection judiciaire de la jeunesse est un champ de ruines, il faudra beaucoup de moyens et d'inventivité pour réparer les dégâts. À cet égard, le changement de majorité et vos engagements très clairs nous ont apporté un vrai soulagement et, enfin, un peu d'espoir.
Le droit des mineurs est justement celui de l'espoir, du mouvement, du changement.
La lettre et l'esprit de l'ordonnance de 1945 consistent à adapter les réponses judiciaires, à faire du cousu main, et souvent à faire de la haute couture avec quelques bouts de ficelle.
Les bons résultats observés et enregistrés font du droit des mineurs un droit en pointe : personnalisation des peines, suivi de l'exécution, mesures éducatives, courtes peines, indemnisation des victimes, évaluation de la récidive. Dès lors, pourquoi ne pas s'inspirer du droit des mineurs, en particulier du retour à l'ordonnance de 1945, pour renverser la vapeur et l'appliquer aux jeunes majeurs de 18 à 25 ans, et même s'en servir de modèle pour le droit pénal général ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Mes chers collègues, pour la bonne tenue de nos débats, je vous demande de vous calmer un peu.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Je ne comprends pas l'énervement de l'opposition alors qu'il est fait référence à l'ordonnance prise par le général de Gaulle en 1945, qui a énoncé un certain nombre de principes sur lesquels personne n'est revenu – car si la majorité d'avant a retouché l'ordonnance à plusieurs reprises, elle n'a tout de même pas osé toucher à ses principes.
Vous avez donc tout à fait raison, madame la députée, de rappeler ces principes, notamment la primauté de l'éducation, qui doit toujours accompagner la sanction. C'est un choix, inspiré par le fait qu'il s'agit des mineurs, des enfants de notre pays, donc de son avenir. Cet avenir, il n'est pas écrit, et nous pouvons influer sur ce qu'il sera si nous acceptons, nous les adultes, d'assumer nos responsabilités. Des mineurs peuvent se trouvent à la fois en danger et en primo-délinquance et nous devons nous efforcer, à chaque fois que c'est possible, de les arracher à leur parcours de délinquance.
Certes, cette voie demande du courage. Il est plus facile d'enfermer, de mêler justice des mineurs et justice des majeurs, de traiter les mineurs comme des majeurs, de refuser de voir que ce sont des êtres en devenir sur lesquels pèsent des accumulations d'inégalités territoriales, sociales, parfois culturelles. Telle est la réalité.
C'est pour cela que nous avons construit des établissements pour mineurs !
Vous faites semblant de vous apitoyer sur l'indigence des prisons, mais vous ne voulez pas voir d'où elle vient.
De notre côté, nous choisissons le courage et la responsabilité. Nous disons que, lorsque l'on introduit dans la justice des mineurs des tribunaux correctionnels qui ne servent qu'à engorger les juridictions et n'apportent aucune réponse, mais qui, au contraire, font croire que l'on peut juger les mineurs comme on juge les majeurs, on tourne complètement le dos à l'ordonnance de 1945. Cela aussi, c'est historique.
S'il vous plaît, mes chers collègues !
La parole est à M. Matthias Fekl.
Ma question porte sur l'accessibilité de la justice, laquelle a été doublement mise à mal dans la période récente, d'une part par la réforme de la carte judiciaire – j'aurai l'occasion d'en reparler – et, d'autre part, par la taxe sur les procès, pudiquement appelée « contribution à l'aide juridictionnelle ».
Cette taxe est scandaleuse ; elle introduit une rupture avec trente-cinq années de gratuité des actes de justice devant les juridictions civile et administrative, instaurée sur l'initiative du garde des sceaux de l'époque, Alain Peyrefitte, avec la loi du 30 décembre 1977. De surcroît, elle pose de nombreux problèmes.
Il y a d'abord un problème de principe, puisque, comme les peines planchers, elle interdit toute modulation par le juge, y compris lorsque l'on est dans les situations les plus absurdes et les plus kafkaïennes.
Elle pose ensuite des problèmes de conventionnalité, au regard de la CEDH, qui a déjà eu l'occasion de déclarer inconventionnels des dispositifs comparables en Turquie ou en Roumanie, pour des droits de timbre de vingt et un euros ou des frais de procédure de dix-huit euros.
Elle pose en outre d'évidents problèmes d'équité. Enfin, elle crée des situations aberrantes, notamment dans le contentieux prud'homal, où des salariés qui ont été licenciés et se retrouvent donc, par définition, privés de revenus, peuvent être amenés, pour introduire leur instance, à acquitter cette taxe.
Pour toutes ces raisons, qui conduisent au final à une sélection et à une régulation des flux par l'argent – on a déjà connu cette situation devant la justice administrative –, nous sommes hostiles à cette taxe.
C'est l'un de nos regrets dans ce budget et je sais, madame la garde des sceaux, que vous le partagez. Ma question est donc la suivante : pouvez-vous nous tracer les perspectives sur l'avenir de cette contribution et sur la manière de la supprimer le plus vite possible ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le député, vous avez raison : nous sommes tous persuadés au sein de la majorité – comme je n'ai pas entendu l'opposition se prononcer sur cette taxe, je ne veux pas lui faire de procès d'intention, mais il lui serait difficile d'être contre, puisqu'elle l'a créée l'année dernière – que cette taxe introduit une injustice, une inégalité dans la capacité d'accéder à la justice. Certes, il existe des conditions d'exonération, qui concernent soit des personnes, notamment celles qui peuvent bénéficier de l'aide juridictionnelle, soit certaines procédures, notamment en matière de droit du travail.
Cela dit, cette taxe nous pose effectivement des problèmes. Il ne m'a pas été possible de remplacer la recette qu'elle représente dans l'aide juridictionnelle, à hauteur de 60 millions. Nous travaillons et nous avançons sur les pistes possibles pour trouver des ressources différentes, de manière à remplacer cette taxe et à continuer à abonder l'aide juridictionnelle, qui est indispensable pour les personnes ayant un niveau de revenu inférieur – pour une personne seule – à 929 euros mensuels. Comme vous le savez, j'ai pris l'engagement de supprimer cette taxe en 2014. Je veillerai à ce que nos travaux aboutissent. Nous avons d'ores et déjà quelques pistes, dont je pourrai vous faire part plus précisément.
Non, pas en privé : je peux adresser un courrier à tous les parlementaires. J'essayais simplement de faire en sorte de respecter mon temps de parole !
Je peux, en effet, vous faire connaître les pistes sur lesquelles nous travaillons. Nous étudions, par exemple, les contrats de protection juridique. Nous envisageons également la possibilité d'une taxe additionnelle à la taxe sur les contrats d'assurance et à une modification des mutations soumises à une taxation réduite ou exonérée.
Nous regardons, nous évaluons, nous faisons des simulations pour voir dans quelle mesure cette éventuelle ressource pourrait remplacer la recette des 35 euros, en nous assurant, avant tout, qu'elle soit pérenne. Je vous en ferai part dès que les choses se seront éclaircies. En tout état de cause, j'ai pris l'engagement, que je tiendrai, de supprimer cette taxe en 2014. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Madame la ministre, vous avez dans votre intervention accusé la précédente majorité de beaucoup de maux et lui avez attribué de nombreuses responsabilités. Vous avez même évoqué notre intention de faire revenir Johnny Halliday en France. J'avoue d'ailleurs que je n'ai pas compris ce que cela venait faire dans ce débat sur le budget de la justice, mais peut-être expliciterez-vous votre pensée.
Quoi qu'il en soit, vous avez accusé d'une manière que je trouve injuste la précédente majorité d'avoir supprimé des postes de psychiatres. Or, comme vous le savez très bien, le problème des soins en milieu pénitentiaire remonte à bien plus longtemps. Cela m'amène à vous poser une question sérieuse sur votre volonté, dans le cadre budgétaire, de renforcer les moyens de soigner une population carcérale qui souffre de troubles psychologiques ou mentaux.
Quelles sont vos intentions pour renforcer les SMPR, les UHSA et les UMD – dont on sait qu'elles sont en nombre insuffisant – et entendez-vous supprimer les centres socio-judicaires qui ont été prévus pour accueillir les futurs condamnés – si j'ose dire – à une rétention de sûreté ?
En ce qui concerne Johnny Halliday, c'est vous qui en parliez !
C'est l'ancienne majorité qui disait, pour justifier le bouclier fiscal, qu'il fallait faire revenir les évadés fiscaux, en nommant précisément Johnny Halliday. Je trouve que c'est un bel exemple d'angélisme, parce que cela n'a pas abouti à l'effet souhaité. En revanche, cela a creusé le déficit et la dette publique !
Votre question me permet de répondre simultanément à M. Blanc, qui m'a interrogé sur les UHSA. Il m'a demandé si j'allais poursuivre ce qui avait été prévu. Oui, les 770 places qui avaient été envisagées seront bien réalisées. La première tranche de 440 places est bien entamée ; engagée par le ministère de la santé, elle sera financée par le ministère de la justice. Nous débloquons pour cela des moyens et nous allons respecter le calendrier.
Votre majorité, monsieur Fenech, a pris des dispositions qui ont fait augmenter la population carcérale, car telle est bien la réalité : au cours des dix dernières années, la part de l'administration pénitentiaire est passée de 30 % à 40 % dans le budget de la justice. Assumez-le, de la même façon que nous, nous assumons notre circulaire générale de politique pénale, nos priorités politiques et nos choix budgétaires. Assumez les choix que vous avez faits ces dernières années. Or, à partir du moment où vous avez pris des dispositions, y compris dans le domaine de la procédure, qui ont eu pour conséquence d'augmenter la population carcérale, le reste aurait dû suivre. Tel n'a pas été le cas : que ce soit dans les SPIP ou dans les SMPR – il n'y en a que vingt-six – ou qu'il s'agisse des psychiatres ou des psychologues, les effectifs n'ont pas suivi. On ne fait pas monter le taux d'occupation de la population carcérale jusqu'à 206 % dans l'hexagone et 328 % dans les outre-mer sans que les personnels suivent. Voilà ce que j'ai voulu indiquer. Je ne vous ai rien prêté de plus que ce que vous avez fait !
Madame la ministre, chacun s'accorde à penser qu'il est urgent de faire oeuvre d'imagination pour trouver, pour les courtes peines, des alternatives à l'incarcération, ou, à tout le moins, des solutions pour la réinsertion des condamnés en fin de peine.
La semi-liberté fait partie de cet arsenal, mais cette solution a ses exigences : il faut que ces lieux de privation de liberté soient à taille humaine et qu'ils soient à proximité des modalités de réinsertion envisagées, c'est-à-dire des emplois.
Plutôt que d'avoir recours à ces immenses usines à récidive que sont devenues nos prisons prétendument modernes, nous disposons d'un parc de maisons d'arrêt, souvent anciennes mais situées au milieu de la ville, donc au milieu de la vie. Avec des moyens modestes, ces lieux peuvent être aménagés et transformés pour être adaptés à la semi-liberté et plus accessibles aux familles, qui sont un élément majeur de la réinsertion. C'est le cas du chef-lieu de circonscription dont je suis l'élu, Montluçon, qui dispose d'une petite maison d'arrêt en plein centre ville, menacée – comme beaucoup d'autres – de fermeture.
Ma question est la suivante : avez-vous l'intention de faire inventorier ces lieux de taille modeste, où chacun des acteurs de la réinsertion s'accorde à dire que le travail de retour à la liberté se fait dans de bien meilleures conditions ? Votre prédécesseur se disait ouvert à cette solution pour Montluçon, mais il semble que cela s'arrêtait au discours. Je ne saurais trop vous encourager à retenir l'idée, mais surtout à passer aux actes. Et, puisque vous avez eu l'amabilité de m'inviter en Guyane, je vous invite volontiers, quant à moi, à venir vous rendre compte sur place !
Je suis sûr, monsieur le député, que cela me prendra beaucoup moins de temps de venir à Montluçon et d'en repartir qu'il ne vous en a fallu pour aller en Guyane ! Je vous remercie d'ailleurs pour le travail très intense que vous avez accompli là-bas, de façon interrompue, pendant trois jours.
Vous soulevez deux problèmes : d'une part, celui de la localisation des établissements pénitentiaires, de l'architecture de ces établissements et de leur fonctionnalité, qui est liée à leurs dimensions, et, d'autre part, celui de leur résultat.
Il faut le rappeler, la majorité des personnes détenues ont vocation à sortir de l'établissement pénitentiaire, donc à revenir dans la société. C'est pour cela que, autant certains font des fixations sur les CEF et sur le carcéral, autant, pour notre part, nous en faisons une sur la réinsertion et sur la prévention de la récidive, pour que le retour dans la société se passe le mieux possible et qu'il n'y ait pas de nouvelles victimes.
Or pour ce faire, il faut mener une réflexion sur l'architecture carcérale, mais aussi sur l'organisation intérieure de l'établissement par rapport à l'organisation de la journée du détenu. Ces dernières années, les choix se sont portés plutôt vers de grands établissements, localisés en dehors des villes, ce qui pose des problèmes d'accès des familles pour les visites, avec comme conséquence l'isolement des détenus, qui finissent par ne plus avoir de visites, et des risques de comportements suicidaires. Cela engendre donc toute une série de difficultés, y compris pour les surveillants et leurs conditions de travail.
Oui, nous avons une réflexion sur l'architecture carcérale et sur l'organisation de la vie à l'intérieur des établissements. Nous allons plutôt choisir de petits établissements, à taille humaine comme vous dites, et travailler à la localisation, c'est-à-dire éviter des établissements complètement extérieurs à la ville et inaccessibles, sauf pour les personnes disposant de véhicules à grosses cylindrées. Nous allons donc améliorer les choses au cas par cas dans ces établissements – à la fois ceux qui existent et ceux qui entreront dans le cadre de notre prochain programme pénitentiaire.
La surpopulation carcérale est avérée essentiellement dans les maisons d'arrêt, où sont purgées des peines de moins de deux ans ou effectués des temps de détention préventive.
Cette surpopulation génère plusieurs types de coûts. Un coût financier, d'abord, en constante augmentation, car le choix des PPP a engendré des surcoûts, prélevés au détriment d'autres postes budgétaires de ces établissements.
Un coût humain, ensuite, tant pour les personnels que pour les détenus et leur famille. L'accessibilité à des services relevant de la simple dignité humaine – douche, promenade, parloir – n'est pas toujours possible. Le travail des personnels est compliqué et insatisfaisant pour eux au regard de leur mission d'accompagnement et de réinsertion.
Enfin, un coût social, car l'une des missions importantes de la prison n'est pas remplie, à savoir la réponse à la question suivante : comment éviter et prévenir la récidive ? Le consensus sécuritaire a prévalu ces dernières années, mais l'inflation des lois n'a engendré que l'inflation des détenus, alors que le taux de récidive a augmenté sans cesse. La prison est, à ce jour, l'unique peine de référence des sanctions ; elle est presque l'unique réponse. La sanction a perdu son sens, la peine se résume à des mesures de sécurité. La fonction rédemptrice de la privation de la liberté dans le parcours du détenu est passée à l'arrière-plan de notre politique pénale.
La prison s'avère être un fourre-tout dangereux, facteur de récidive. La France a d'ailleurs pris énormément de retard sur ses voisins dans la réflexion sur sa politique pénale. Il s'agit, non pas de rechercher des moyens techniques pour désengorger les prisons, mais de repenser notre politique pénale. Pour éclairer vos choix politiques en matière de prévention de la récidive, attendus par tous nos concitoyens, vous avez initié une conférence de consensus. Pouvez-vous nous exposer la démarche de cette conférence, qui n'a pas encore été utilisée dans le domaine de la justice ?
Madame la députée, vous avez raison, cette conférence de consensus est inédite. Elle existe dans le milieu médical et dans le milieu social, mais n'a jamais été conduite dans le milieu judiciaire. J'ai procédé à l'installation du comité d'organisation le 18 septembre. Les parlementaires de la majorité et de l'opposition étaient conviés, mais les députés de droite n'ont pas répondu à notre invitation.
Ce comité d'organisation est indépendant. Il est chargé de construire, durant les cinq mois qui précèdent la tenue de la conférence, en février, un consensus sur l'état des lieux, sur une évaluation rigoureuse et scientifique des connaissances et sur la confrontation avec des études et des expériences étrangères.
Nous croyons ce consensus possible. Le travail du rapporteur Etienne Blanc en est la preuve : sur des sujets majeurs, les avis peuvent converger lorsque nous nous préoccupons de la sécurité des Français, lorsque nous nous soucions de l'efficacité dans la prévention de la récidive, lorsque nous avons conscience que le temps d'incarcération doit être un temps utile, avant le retour à la société.
Nous savons que nous pouvons construire un consensus, au-delà de l'hémicycle, dans la société. La justice est structurante de la démocratie. Parce qu'il s'agit d'une mission constitutionnelle, qui participe de la sécurité des Français, elle ne peut être l'objet de polémique, mais de confrontation des appréciations. Nous travaillerons de manière efficace et je suis persuadée que nous aurons de bons résultats en février.
Madame la ministre, ma question porte sur l'accessibilité de la justice et sur la possibilité de remédier aux conséquences néfastes de la réforme de la carte judiciaire.
L'évaluation précise de cette réforme reste à faire. A-t-elle permis de réaliser des économies, de raccourcir les délais de jugement, d'améliorer la qualité des décisions rendues, de renforcer l'accessibilité ? La réponse est sans doute différente selon les critères examinés. Tout ne peut pas être mauvais, mais je suis convaincu qu'aujourd'hui, du fait de cette réforme et de l'éloignement géographiques des juridictions, un certain nombre de nos concitoyens, notamment les plus fragiles économiquement, ne peuvent plus saisir la justice et se rendre dans les tribunaux.
Plusieurs réponses sont possibles. En premier lieu, le retour pur et simple des juridictions, notamment lorsque les bâtiments existent et peuvent être mis à disposition gratuitement. C'est souvent le cas, notamment à Marmande, un dossier que je connais bien. Des visioconférences peuvent également être organisées, comme cela a été évoqué tout à l'heure. Par ailleurs, l'article R.212-8 du code de l'organisation judiciaire permet de créer des chambres détachées. Cela permettrait de ne pas revenir sur la réforme de la carte judiciaire, mais d'apporter une réponse pragmatique, ressort par ressort, de façon à ce que la justice soit rendue au plus près du terrain et au plus près des justiciables. La chancellerie a-t-elle réfléchi à cette piste ? Comment évaluer le coût d'une telle réforme ?
Monsieur le député, je propose, en raison du bref temps de parole dont je dispose, que nous nous revoyions pour évoquer le cas de Marmande.
La réforme de la carte judiciaire a supprimé 22 TGI, 178 tribunaux d'instance, 62 conseils de prud'hommes et 55 tribunaux de commerce. Elle a été vécue comme une réforme brutale, qui a bousculé et déstabilisé les personnels.
Nous avons décidé de travailler ressort par ressort, d'examiner chaque situation et d'utiliser toute la palette des possibilités, dont la chambre détachée. Toutes les réponses pertinentes seront mises en oeuvre. Lorsqu'il faudra recréer un TGI, nous le ferons – nous avons repéré deux ou trois cas où cela serait possible. Lorsqu'il faudra recréer un tribunal d'instance, nous le ferons aussi, mais nous réfléchissons à un tribunal de première instance. Nous conserverons les juges de proximité, mais nous différons la suppression des juridictions de proximité, le temps que les tribunaux d'instance, éventuellement de première instance, puissent prendre en charge ces contentieux particuliers, sachant qu'il faudra procéder à la formation des juges de proximité. Toutes les solutions seront étudiées et celle qui convient le mieux à chaque ressort sera mise en oeuvre.
Madame la ministre, ma question concerne les tribunaux de commerce, une exception française. La réforme de la carte judiciaire ne les a pas épargnés, loin s'en faut, et ils voient aujourd'hui, du fait de la crise, le nombre des affaires augmenter de manière importante. Ils font d'ailleurs l'objet de vives critiques : la question de l'évaluation de leur efficacité se pose, l'accès à la justice commerciale est très onéreux, le droit des procédures collectives n'est plus vraiment adapté, le parquet n'a pas les moyens d'exercer son rôle et surtout, son contrôle sur les procédures. Le statut des greffiers, détenteurs d'une charge vénale, est remis en question, le rôle des mandataires de justice est très décrié. Certains dénoncent aussi des conflits d'intérêts, des règlements de compte, voire, parfois, du copinage.
En 1998, un rapport de la commission d'enquête sur l'activité et le fonctionnement des tribunaux de commerce, présidée par François Colcombet et dont le rapporteur était Arnaud Montebourg, faisait état de constats de défaillance et proposait plusieurs pistes pour rénover en profondeur les tribunaux de commerce.
Parmi ces propositions figuraient la rénovation de la fonction du juge consulaire, la présence de juges professionnels – l'échevinage –, la réforme des professions de justice commerciale, l'alignement des greffes sur le droit commun, le « redressement » des mandataires de justice (Sourires), la réforme des procédures collectives.
Si réforme il y a, elle ne peut être que globale et porter à la fois sur l'organisation des tribunaux, sur la profession de mandataire, et sur la loi relative aux procédures collectives. Madame la ministre, entendez-vous remettre l'ouvrage sur le métier, entamer la réflexion de manière à améliorer le fonctionnement de ce service public qu'est la justice des commerçants ?
Madame la députée, j'y travaille déjà !
Je partage totalement votre diagnostic : 135 tribunaux de commerce et 7 tribunaux de grande instance à compétence commerciale se partagent 69 300 procédures collectives ! Nous traversons une période difficile, où nous voyons affluer les plans sociaux. Nos tribunaux de commerce ne sont habitués ni à ce rythme, ni à cette densité, ni à la complexité des dossiers et des offres de reprise qui leur sont présentées.
Je travaille d'ailleurs plus sur l'évolution des tribunaux de commerce et de leur fonctionnement, que sur une éventuelle carte – question qui avait été également évoquée. Nous le voyons bien en effet, parmi les tribunaux de commerce, 35 assurent seulement 8 % des contentieux, et on pourrait donc très bien s'interroger sur leur nécessité.
Il faudra évaluer la loi de 2005 et voir comment renforcer éventuellement la détection et la prévention des difficultés, afin d'éviter les procédures de redressement ou de liquidation judiciaire. Il faudra travailler sur chaque métier, chaque intervenant – mandataire, juge consulaire, etc. La question de l'échevinage n'appelle peut-être pas une réponse d'ordre général. Peut-être faudra-t-il l'envisager dans certaines juridictions commerciales.
Il faudra probablement prévoir aussi des pôles spécialisés car du fait de procédures relativement complexes, il ne sera pas possible d'avoir sur l'ensemble du territoire des intervenants tous aussi performants. C'est pourquoi je mets en place, dans le cadre d'une réforme par décret du code de l'organisation judiciaire, un pôle de magistrats spécialisés. Ceux-ci suivront une formation, afin de pouvoir intervenir dans ces procédures spécifiques. Je veillerai à la présence du ministère public dans les procédures collectives.
Afin de soulager les tribunaux de commerce, nous étudions la possibilité de mettre en oeuvre une procédure de conciliation plus souple et plus fluide pour les procédures impécunieuses. Je travaille à cette réforme, et cela fait plus de deux semaines maintenant que je reçois à la chancellerie les représentants des différents métiers.
Madame la ministre, je voudrais revenir de nouveau sur la situation des juridictions d'instance, en me félicitant, avec mes collègues de la majorité, de l'intérêt que vous portez à ces juridictions qui font partie de la vie quotidienne de nos concitoyens.
Je voudrais évoquer le dispositif de protection juridique des majeurs. La loi de 2007 a rénové ce système, applicable depuis le 1er janvier 2009. Le magistrat qui prononce la protection juridique a l'obligation d'en fixer la durée, qui ne peut être supérieure à cinq ans. Ce dispositif rend donc obligatoire la révision des procédures de protection en cours, cela avant le 7 mars 2012. Devant l'impossibilité dans laquelle se trouvaient les juridictions de le faire, une première prorogation, jusqu'au 1er janvier 2014, est intervenue.
Lors de la publication de la loi, 731 671 procédures de protection étaient en cours. Si le nombre de mesures de protection juridique a baissé en 2008 et 2009, il a de nouveau augmenté, de façon parallèle d'ailleurs à l'allongement de la durée de vie.
Comment comptez-vous régler cette difficulté ? La mesure de protection risque de tomber de plein droit, si elle n'a pas été révisée dans le délai de cinq ans. Le juge doit s'entretenir avec les personnes concernées, parfois là où elles résident, rencontrer les personnes qui assurent la protection juridique et faire contrôler les comptes par ses services. Il est nécessaire de se questionner sur les conditions dans lesquelles le dispositif doit être maintenu.
J'appelle votre attention sur le fait que de nombreux juges d'instance ont signalé le blocage dans lequel ils se trouvaient, alors que, dans le même temps, la mesure relative à la saisine des mesures de protection des mineurs au niveau des affaires familiales leur était attribuée par circulaire. La protection juridique des majeurs et des mineurs est une double tâche qu'ils ne pourront assumer.
Monsieur le député, au 31 décembre 2011, 40 % des mesures avaient été prolongées. Au 1er octobre 2012, 75 % l'étaient. Nos juridictions ont fait un grand effort. Nous suivons encore l'évolution des traitements et, si nécessaire, nous reporterons le délai.
Un certain nombre de réformes sont prévues, parmi lesquelles le financement du service d'aide aux curateurs et tuteurs familiaux, afin de faciliter la tâche de contrôle des greffes et des magistrats. C'est le ministère de la cohésion sociale qui en serait chargé. Une autre piste, dont je ne suis pas encore sûre qu'elle serait conforme à ce que le législateur avait prévu, serait la mise en place par les notaires d'un fichier national de mandats de protection future.
Nous en sommes là. Les greffes ont fait un effort considérable pour résorber le stock sur lequel j'ai été alertée dès ma prise de fonctions et que, pour ne rien vous cacher, je croyais plus effrayant. C'est tout le mérite des greffes d'avoir par leur travail fait en sorte que nous en soyons, ce mois-ci, à 75 % de prolongation des mesures.
Peut-être ne sera-t-il donc pas nécessaire de prendre de nouvelles mesures. Mais s'il nous faut envisager un différé de l'application du texte, la décision sera entre les mains du législateur.
Madame la ministre, ma question portera sur les établissements pénitentiaires pour mineurs, qui ont été créés par la loi Perben il y a dix ans, en 2002, et qui ont été installés il y a seulement cinq ans, en 2007 et 2008.
L'originalité des EPM résidait dans quatre caractéristiques : séparation complète entre mineurs et majeurs, réduction du nombre de mineurs détenus au sein d'une même structure, développement de temps d'activités scolaires, intervention conjointe de l'administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse sous la forme de binômes éducateurs surveillants, afin d'assurer un suivi individuel de chaque détenu. Il s'agissait de concilier l'objectif étroitement lié d'éducation et de réinsertion avec les contraintes liées à l'enfermement destiné à sanctionner le mineur et à protéger la société. Cette exigence découlait directement de l'ordonnance de 1945 signée par le général de Gaulle, qui reste la référence absolue en matière de justice des mineurs, dont je ne peux que louer la solidité juridique, sociale, institutionnelle et éducative.
Dès leur création, les EPM ont suscité espoir et inquiétude, notamment la crainte d'une augmentation corrélée du nombre de condamnations pour occuper les locaux. De fait, que constate-t-on ? 68,7 % des places en établissement pour mineurs sont occupées aujourd'hui, alors que les quartiers pour mineurs dans les prisons souffrent d'une surpopulation carcérale de 128 %, dans des conditions à la limite de l'indécence, a fortiori quand il s'agit d'enfants, fussent-ils des adolescents délinquants, dont beaucoup se retrouvent, de fait, à dormir sur des matelas par terre.
Nous ne comprenons pas. Ces mineurs, qui auraient véritablement besoin d'une éducation et d'une formation, se retrouvent en milieu carcéral, sans éducation et sans avenir.
En juillet 2011, deux sénateurs, l'un de la majorité, l'autre de l'opposition, émettaient vingt-cinq recommandations pour faire évoluer ce dispositif. Le Gouvernement précédent, obsédé qu'il était par une vision caricaturale, car exclusivement carcérale, de la justice,..
…n'en a pas tenu compte et ce rapport est resté lettre morte.
La justice est un facteur d'ordre, de cohésion et d'unité. « Rentrez dans un tribunal et vous en saurez plus sur un pays que des milliers de mots pourraient en dire », disait Victor Hugo.
Madame la ministre, ma question est simple : quel avenir envisagez-vous pour ces établissements ? Allez-vous établir un bilan d'étape associant les personnels des EPM afin d'améliorer le fonctionnement et l'accès à ces structures et d'éviter le glissement dangereux de la justice des mineurs vers celle des adultes, à savoir toujours plus d'incarcération et toujours moins d'éducation et d'insertion ?
Madame la députée, vous le savez probablement, j'ai ouvert hier les travaux des troisièmes Journées d'études internationales sur les mineurs et sur l'éducation à l'épreuve de la détention. Telle a été la thématique de cette réunion de deux jours qui s'est donc achevée aujourd'hui par une allocution de clôture de votre rapporteur pour avis ici présent, Jean-Michel Clément.
Il s'agit d'un sujet extrêmement important. Lors de la création des EPM, il y a bien eu un débat et les éducateurs ont été les plus actifs à contester l'éducation au sein de tels établissements parce qu'ils y voyaient une incitation à prononcer des peines d'incarcération. Assurément, les peines d'incarcération pour les mineurs ne sont pas un sujet que nous pouvons traiter avec désinvolture, sachant ce qu'elles peuvent signifier.
Il y a dix ans maintenant que l'éducation a lieu dans les établissements pour mineurs. Des études ont été conduites, et deux ont fait l'objet des travaux de ces deux jours, s'agissant en particulier du constat d'une disparité des pratiques selon les établissements, lesquels ne sont d'ailleurs pas répartis selon un maillage territorial satisfaisant. Des questions ont été soulevées concernant notamment ce que certains ont appelé la gradation depuis le centre éducatif fermé (CEF) jusqu'aux quartiers pour mineurs en passant par l'établissement pénitentiaire pour mineurs.
L'incarcération des mineurs ou leur placement CEF est un vrai sujet sur lequel nous travaillons, sachant que nous tiendrons compte en particulier de ces Journées. L'éducation est effective et l'ordonnance de 1945, disons-le, est une belle ordonnance dont nous avons toutes les raisons d'être fiers. D'ailleurs, d'autres pays trouvent tout à fait enviable d'avoir une justice des mineurs fondée sur cette ordonnance de 1945.
Le Conseil de l'Europe, où je me suis rendue trois fois depuis ma prise de fonctions, porte un intérêt particulier sur ce sujet, car les pays qui n'ont pas une justice spécialisée pour les mineurs n'en ont pas moins conscience que ceux-ci méritent d'être traités d'une façon particulière. Il s'agit en effet de les accompagner et de les faire accéder à la désistance, c'est-à-dire à la sortie du parcours de délinquance.
Nous restons très attachés à la primauté de l'éducation, mais nous sommes soucieux de ses résultats, et nous allons voir dans quelle mesure les EPM y contribuent. Cela étant, il est bon de noter que les mineurs incarcérés représentent 1 % de la totalité de la population carcérale, pourcentage stable depuis une dizaine d'années, avec environ 680 à 700 mineurs écroués et détenus.
Madame la garde des sceaux, votre projet de budget met à juste titre l'accent sur la justice du quotidien. Les débats de notre assemblée ont démontré l'attente importante qu'il y avait dans ce que l'on appelle les mécanismes alternatifs de règlement des conflits, notamment en matière de médiation familiale. Une enveloppe budgétaire de 3,2 millions d'euros est prévue pour des expérimentations en la matière.
Madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer quelles sont ces expérimentations et ce que vous en espérez ?
Monsieur le vice-président de la commission des lois, l'expérimentation décidée par la loi de décembre 2011 porte sur l'exercice de l'autorité parentale et la contribution à l'entretien des enfants. Comme je l'ai dit à la tribune, l'expérience conduite en la matière est intéressante. Cela étant, nous verrons quels résultats elle donne.
La médiation est une modalité de règlement de conflit que nous devons recommencer à développer parce que nous en avons un peu perdu la pratique. En effet, la judiciarisation croissante de la société conduit davantage au recours à des juridictions, donc à des situations de litiges et de conflits, plutôt qu'à la conciliation et à la médiation. Nous mettons donc l'accent sur la conciliation, et c'est pourquoi nous conduisons l'expérimentation sur deux ressorts, que nous évaluerons.
Le chiffre que vous avez donné doit correspondre à quelque chose de plus large car dans le budget pour 2013, ce sont 800 000 euros qui sont prévus pour financer cette expérimentation, somme qui, je crois, répond aux besoins.
Une fois l'évaluation réalisée, nous verrons s'il est nécessaire d'étendre l'expérimentation – ce que j'espère – voire même son périmètre, parce que, du coup, nous soulagerions, au moins partiellement, des juridictions surchargées par des procédures qui pourraient être réglées par la médiation.
Sachez en tout cas que je porte une attention particulière à cette expérimentation et, bien entendu, vous serez parmi les premiers à être informé de ses résultats.
Madame la garde des sceaux, en 2011, plus de 230 000 dossiers de surendettement ont été enregistrés.
Derrière ces dossiers, se cachent des familles, des auto-entrepreneurs, des chefs d'entreprise ruinés, victimes de la crise. Ne nous y trompons pas : ils n'ont pas choisi de saisir les commissions départementales de surendettement, ils y ont été contraints. Depuis la loi Neiertz de 1989, une succession de lois et de circulaires a rompu l'égalité d'accès des citoyens à la justice de proximité.
Le problème qui nous préoccupe est qu'en accroissant les recours au juge et au contentieux, et en multipliant les échelons, le gouvernement précédent aurait dû prévoir d'assurer une assistance juridique professionnelle accessible à tous les citoyens, des garanties pour que la justice civile puisse assurer ses missions tant dans le jugement que dans le traitement des procédures.
Le récent rapport sénatorial de Mmes Escoffier et Dini soulignait d'ailleurs, parmi d'autres travaux, de graves difficultés dans l'application des textes en vigueur.
Madame la ministre, compte tenu du fait que le résultat de la politique judiciaire du précédent gouvernement a été de noyer les tribunaux sous un flot de procédures ; que le gel en matière de dotation d'emplois a augmenté les délais de jugement et d'exécution de décisions ; que la multiplicité des possibilités de recours se conjugue au manque de ressources des tribunaux, nous sommes amenés à constater que la justice au quotidien fonctionne mal, payant ainsi le prix de l'incurie du précédent gouvernement.
En effet, si, malgré nos efforts et la volonté de la communauté judiciaire, nous ne parvenons pas à améliorer les situations des foyers concernés, nous risquons d'accroître le sentiment d'impuissance de nos concitoyens et la sensation que la loi ne prend pas ou peu en compte la réalité de leur existence.
Pour conclure, nos efforts doivent s'accompagner d'une clarification nécessaire. C'est une question d'efficacité, d'urgence, de justice sociale, et donc, de moyens. Que comptez-vous faire ?
C'est en effet un sujet qui ne prête pas à rire, madame la députée, car il concerne souvent des citoyens vulnérables, et nous vivons dans une période où ils sont de plus en plus nombreux et de plus en plus fragiles économiquement. Or l'éloignement des juridictions de proximité et des tribunaux d'instance, avec la carte judiciaire, a compliqué la vie de nombre de ces personnes.
Vous avez rappelé la loi Neiertz de 1989 qui a été modifiée à plusieurs reprises, et la dernière fois par la loi Lagarde de 2010. Elle a normalement facilité l'accès à la procédure pour des personnes sans patrimoine. Malheureusement, les procédures sont longues. C'est pour cette raison que, comme je l'ai dit tout à l'heure, je crée des postes de magistrats et de greffiers pour la justice civile. Je vais également créer une dizaine de postes de juges d'instance spécialisés.
Il apparaît, notamment dans les procédures de surendettement, que 83 % des dettes concernent les banques. J'ai donc demandé, depuis plusieurs semaines, qu'un travail soit effectué avec les banques afin que nous trouvions des dispositifs de prévention. Il faudra sans doute des mesures législatives plus sévères sur les accumulations de crédits, sur le crédit revolving etc. Il y a probablement des dispositifs particuliers à prendre pour protéger les personnes qui se trouvent exposées, du fait de revenus modestes, à une situation de dépendance financière.
C'est un sujet sur lequel nous travaillons avec beaucoup d'attention et sur lequel j'espère avancer sur ces différentes bases : accélérer les procédures ; travailler préventivement avec les banques ; protéger les personnes fragiles ; rapprocher les juridictions ; modifier les périmètres de contentieux, de façon que les personnes les plus vulnérables aient accès à une juridiction et puissent avoir des réponses dans des délais acceptables.
Je rappelle que les personnes en situation de surendettement sont dispensées de la taxe de 35 euros. Il aurait été insupportable qu'elles aient à l'acquitter.
Madame la garde des sceaux, l'idée fondamentale de la justice des mineurs, issue de l'ordonnance du 2 février 1945, est, initialement, que les enfants et les jeunes majeurs ne peuvent être jugés que par des juges spécialisés, formés à un droit spécifique qui comporte des procédures particulières qu'on n'applique pas aux majeurs. C'est un principe constitutionnel.
Cette situation implique que l'on explore le passé de l'enfant, son environnement familial, son histoire, ses antécédents. Mais l'essentiel est qu'avant toute sanction, on recherche en priorité à apporter comme réponse des mesures éducatives, la privation de liberté étant la dernière issue.
Notre système, dont nombre d'États voisins s'inspirent – c'est le cas des Allemands – est bon et ce modèle « protectionniste », comme le qualifie Pierre Joxe, est efficace. En effet, 80 % des mineurs qui passent devant la justice ainsi inspirée ne récidivent pas.
C'est ce modèle, en renversant la logique qui le sous-tend, que la droite a voulu démanteler. Vous rétablissez le juste dispositif.
Je voudrais, madame la garde des sceaux, aborder un sujet connexe. Il s'agit de la prise en charge des mineurs qui ont fait l'objet d'une privation de liberté, sous forme d'un classement en quartier mineur, en établissement public pour mineur, mais également en centre éducatif fermé. Du point de vue du mineur, la privation de liberté nécessite une surveillance. Les risques de suicide sont une réalité. Un suivi personnalisé, à même de conduire progressivement le mineur à assumer sa nouvelle liberté en respectant la loi, s'impose.
Madame la garde des sceaux, le nombre d'éducateurs spécialisés auxquels revient cette tâche a subi des coupes claires depuis cinq ans. De nombreux crédits de la protection judiciaire de la jeunesse ont été supprimés. Les centres en milieu ouvert étaient à la fin du quinquennat de Nicolas Sarkozy en voie de disparition. Quelles sont, dans ces circonstances, les actions prioritaires que vous comptez mener pour la réhabilitation de ces jeunes, dont j'ajoute qu'ils font partie des plus déshérités ?
Vous m'interrogez, madame la députée, sur les jeunes qui ont fait l'objet d'une incarcération et qui ont besoin d'accompagnement. Cela rejoint une question à laquelle je n'ai pas eu le temps de répondre : que faisons-nous des mineurs qui franchissent l'âge de la majorité ?
Dans la circulaire générale de politique pénale, je rappelle aux parquets généraux et aux parquets le principe de spécialisation de la justice des mineurs, fondé sur l'ordonnance de 1945 dont les principes restent valables. Dans l'exposé des motifs, le général de Gaulle faisait très précisément écrire que la jeunesse a changé, que la délinquance s'est accrue et a changé de nature, tout en énonçant la spécialisation de ceux qui doivent juger ces mineurs, la primauté de l'éducation sur la sanction et la nécessité de l'accompagnement. Au rappel de la spécialisation de la justice des mineurs, j'ajoute dans la circulaire générale de politique pénale la suppression prochaine des tribunaux correctionnels pour mineurs, quoi qu'en dise l'opposition.
Ceux-ci n'ont eu pour seul effet qu'engorger les juridictions sans régler les problèmes, tout en ralentissant les audiences.
Nous allons donc revenir à la spécialisation de la justice des mineurs.
J'énonce dans la circulaire la nécessité de la continuité de la prise en charge par des éducateurs, et nous devons avoir une réflexion, dans laquelle je vous invite à prendre toute votre part, sur les jeunes qui franchissent l'âge de la majorité. Lorsqu'un jeune est pris en charge à dix-sept ans, le temps manque pour qu'un éducateur construise avec lui un projet qui lui permette après, en toute autonomie, de poursuivre son chemin de vie. En Allemagne, les dispositifs spécifiques aux mineurs ont été étendus aux 18-21 ans.
On ne peut pas en même temps constater que les jeunes restent plus longtemps qu'avant chez leurs parents parce que leurs études sont plus longues, qu'ils mettent plus de temps à devenir autonomes, qu'il leur est plus difficile d'obtenir logement et emploi et donc plus difficile d'entrer tôt dans la vie active, et considérer qu'une personne de dix-huit ans qui a été étant mineure en danger ou primodélinquante peut être lâchée comme cela.
Nous avons donc une réflexion à construire ensemble et à décliner en actions pour ces jeunes qui franchissent l'âge de la majorité et qu'il est nécessaire d'accompagner. C'est pour cela qu'en plus de la spécialisation de la justice des mineurs, je suis très attachée à la continuité de la prise en charge, dont je fais un principe.
Madame la ministre, notre débat qui touche à son terme aura été particulièrement éclairant. Vous avez devant vous une tâche considérable, car la justice française est sinistrée. À vous de la reconstruire ! La droite donne encore ce soir des leçons de sécurité, mais elle a amputé la justice des moyens concrets d'assurer dans les faits la prévention et la répression. Disons-le, le laxisme en termes de sécurité, il est à droite ! Les laxistes sont à l'UMP !
Des années de politique de restriction budgétaire ont en effet dévasté les services judiciaires : baisse constante des moyens, défiance et même mépris à l'égard des personnels, politique erratique de gestion des crédits d'investissement, réforme au canon de la carte judiciaire.
Au-delà de ce triste constat général, je souhaite concentrer mon propos sur la prévention et la réponse pénale à l'insécurité. À ce titre, les zones de sécurité prioritaires voulues par le Président de la République et impulsées par le Gouvernement doivent permettre de lutter plus efficacement contre des formes d'insécurité qui ont envahi certains territoires de notre pays. Votre budget apporte une première réponse par des moyens complémentaires, une meilleure prise en charge des victimes et le renforcement de la capacité de la justice à apporter une réponse à la délinquance et en particulier à la récidive. Pour rétablir l'ordre républicain, nous devons mobiliser la chaîne complète de la prévention et de la répression : éducation, logement, police et, bien sûr, réponse pénale.
Madame la ministre, la réponse judiciaire repose sur deux piliers que votre budget conforte. D'une part, la rapidité de la réponse pénale, qui est déterminante tant pour sanctionner les coupables que pour rendre justice aux victimes. D'autre part, l'effectivité de la peine prononcée, car les condamnés doivent savoir qu'ils effectueront réellement et rapidement leur peine et que les mesures de suivi seront appliquées. Bien sûr le volet prévention et prise en charge de la délinquance des mineurs est essentiel, dans les zones de sécurité prioritaires comme sur l'ensemble du territoire.
Madame la ministre, pourriez-vous nous indiquer de quelle façon votre ministère s'appuiera sur cet ambitieux budget de combat que vous avez présenté pour accompagner la réussite de la politique interministérielle des zones de sécurité prioritaires ?
Le ministère de la justice a été très fortement impliqué dans la mise en place de ces zones de sécurité prioritaires. J'ai eu une première réunion avec mon collègue de l'Intérieur à la Chancellerie dès le mois de juillet. Puis les quinze premières ZSP ont été mises en place. Dans le courant de la troisième semaine d'août, j'ai adressé aux parquets la circulaire de mon collègue de l'Intérieur accompagnée d'une dépêche de la Chancellerie indiquant les conditions dans lesquelles les parquets doivent s'impliquer dans la réussite de ces zones de sécurité prioritaires.
Dès le 13 septembre, j'ai réuni les procureurs généraux et les procureurs concernés. J'ai demandé à quatre tandems rassemblant chacun un procureur général et un procureur de présenter la définition de la zone de sécurité prioritaire de leur ressort ainsi que la typologie de délinquance concernée et la façon dont ils allaient s'y impliquer, y compris lorsqu'existait un GLTD, c'est-à-dire un groupement local de traitement de la délinquance. Nous avons eu des échanges et j'ai demandé par circulaire à l'ensemble des parquets généraux et des parquets de faire remonter des propositions de territoires de ZSP avec des typologies de délinquance.
Aujourd'hui, trente-six ZSP sont déterminées, les prochaines seront fixées le 31 octobre par arbitrage. L'ensemble des parquets a fait remonter leurs propositions sur ces territoires. Il y a donc bien un travail interministériel, aussi bien au niveau de nous-mêmes les ministres qu'au niveau de nos équipes et surtout du terrain. J'ai également demandé que, dans l'immédiat, les parquets généraux affectent dans les zones de sécurité prioritaires les magistrats qu'ils peuvent y déployer, en attendant que dans le cadre du mouvement de magistrats je puisse le cas échéant en affecter là où c'est nécessaire.
Il y a également à l'administration de la Chancellerie des référents, de façon que les parquets puissent s'adosser à l'administration pour conduire leur participation. Je les ai par ailleurs invités à construire des indicateurs. En effet, les ZSP n'ayant pas vocation à être pérennes, il sera extrêmement important d'évaluer l'action policière et judiciaire menée dans ces zones de sécurité prioritaires. Je leur ai donc demandé de bâtir des indicateurs quantitatifs et qualitatifs en associant d'emblée des universitaires à l'installation des ZSP, de façon à ce que nous puissions utilement évaluer l'action de ces zones de sécurité prioritaires.
Nous avons beaucoup évoqué ce soir la question de la justice de proximité, notamment des tribunaux d'instance dont les personnels diminuent fortement alors que leurs missions grandissent, suscitant un fort malaise des personnels. Je connais bien l'exemple de Fontenay-le-comte dont je suis élu. Il y a au tribunal d'instance un manque criant de personnel depuis un certain nombre d'années. Comme l'ont fait mes collègues, je vous invite d'ailleurs avec plaisir, madame la ministre, à venir me voir à Fontenay-le-comte.
Plus sérieusement, votre budget prévoit une hausse significative des effectifs. C'est une très bonne chose, qui montre l'effort de la nation en la matière. J'aimerais connaître les critères de répartition de ces nouveaux personnels ainsi que les délais dans lesquels les juridictions des tribunaux d'instance en disposeront, compte tenu du temps de formation et de la mise en oeuvre de cette réforme.
Les délais dépendent des catégories de personnels. Les greffiers seront recrutés soit par la formation classique de dix-huit mois à l'école des greffes, soit par reconversion. Ainsi, dans ces catégories de métiers, il sera possible de pourvoir les postes assez rapidement.
Quant aux magistrats, les affectations dépendent des mouvements, dont vous connaissez la procédure. Il s'agit des transparences, c'est-à-dire des publications des postes disponibles auxquels peuvent postuler les intéressés. Parmi ces candidats, j'en « choisis » un, selon des critères et en toute transparence, précisément. J'en ai déjà fait trois, il est donc facile de voir comment je procède. Ces transparences sont soumises au conseil supérieur de la magistrature. Il émet un avis, qu'à la suite du Président de la République je me suis moi aussi engagée à respecter.
Il y aura aussi des recrutements à l'issue de l'école de la magistrature dont la formation dure 31 mois, mais les étudiants arrivent en juridiction au bout de 18 mois ou 2 ans. Il y a bien sûr un peu d'inertie liée au statut des magistrats, auquel nous sommes attachés car il est important que ceux qui rendent la justice aient des garanties d'indépendance et d'objectivité, tant dans leur formation que leur affectation. Mais les mouvements actuels présentent déjà la possibilité d'affecter des magistrats dans les ressorts où nous avons identifié les besoins les plus urgents.
Sur ces crédits, je suis saisi d'un amendement n° 97 .
La parole est à M. Sergio Coronado, pour le soutenir.
Comme je le soulignais dans la discussion, si la construction de nouvelles places de prison pouvait régler la question de la surpopulation carcérale, cela se saurait ! Aussi cet amendement s'inscrit-il en faux contre cette tentation toujours réaffirmée depuis trente ans.
Les programmes successifs de construction d'établissements n'ont jamais endigué la surpopulation carcérale – la construction de nouvelles places de prison semble être en France une tentation sans fin. Il y avait au 1er janvier 1982 31 551 détenus : trente ans après on compte 76 000 personnes sous écrou dont 66 000 détenues.
Il s'agit donc par cet amendement de redéployer les crédits de paiement prévus en métropole pour les opérations de construction de nouveaux établissements pénitentiaires vers le fonctionnement de la justice. Un tel redéploiement des crédits permettra de lutter contre la paupérisation des tribunaux, ce qui est une attente très forte de nos concitoyens.
La commission des finances n'a pas été saisie de cet amendement. À titre personnel j'émets toutefois un avis défavorable.
L'avis du Gouvernement est également défavorable, même si nous comprenons parfaitement l'esprit dans lequel M. Sergio Coronado a rédigé son amendement.
Le problème, monsieur le député, c'est que vous proposez d'interrompre des opérations de construction de prisons qui, pour certaines, sont déjà engagées, plusieurs établissements ayant même été livrés.
Je profite de cette occasion pour vous expliquer la logique qui m'a poussée à retenir ou non telle ou telle opération d'immobilier pénitentiaire.
Certaines opérations ont été annoncées à des parlementaires et à des élus locaux alors que la première ligne d'un avant-projet d'étude n'avait même pas été rédigée. Pas d'étude, pas d'estimations des coûts et pas un seul euro de financement : voilà comment se présentaient ces dossiers. Il était absolument impossible de présenter sérieusement au Premier ministre un besoin de financement concernant des projets aussi évanescents.
Certaines opérations n'étaient satisfaisantes ni par leur mode de financement – des partenariats public-privé pouvaient être prévus –, ni en termes d'architecture carcérale, ni par leur taille, ni par la pertinence de leur localisation. S'il s'agissait de projets déjà engagés, les interrompre aurait cependant constitué un gaspillage des fonds publics. J'ai donc laissé les opérations en question se poursuivre sauf celles qui pouvaient être interrompues.
Certes, l'argumentation défendue est pertinente. Il semble en effet que dès que l'on construit une place de prison, elle soit occupée. La chose se vérifie historiquement.
Le budget limite cependant le nombre de places. De plus, les opérations concernées ont déjà été lancées, et elles concernent, pour un grand nombre d'entre elles, des établissements extrêmement vétustes qui ont besoin d'être rénovés.
Je veux croire que M. Coronado entend nos arguments. Peut-être accepterait-il de retirer son amendement ?
Je constate que l'esprit qui a présidé à la rédaction de l'amendement est assez partagé dans l'hémicycle. Contrairement à des élus d'autres forces politiques, je n'attendrai pas que mon amendement soit voté par la droite pour le retirer – comme cela s'est produit au Sénat. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Je mets aux voix les crédits de la mission « Justice ».
(Les crédits de la mission « Justice » sont adoptés.)
Je suis saisi d'un amendement du Gouvernement portant article additionnel après l'article 66.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Il s'agit de modifier l'article 800-2 du code de procédure pénale, qui résulte de la loi du 15 juin 2000 renforçant la présomption d'innocence et qui permet l'indemnisation par l'État, ou par la partie civile poursuivante, des frais irrépétibles exposés par une personne ayant bénéficié d'un non-lieu, d'une relaxe ou d'un acquittement.
Dans sa décision du 21 octobre 2011, consécutive à une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil Constitutionnel a déclaré cet article contraire à la Constitution. Il a considéré que les dispositions en vigueur privent de la faculté d'obtenir le remboursement des frais irrépétibles l'ensemble des parties appelées au procès pénal qui, pour un autre motif qu'un non-lieu, une relaxe ou un acquittement, n'ont fait l'objet d'aucune condamnation, et qu'elles portaient ainsi atteinte à l'équilibre du droit des parties dans le procès pénal. Il en a fixé l'abrogation au 1er janvier 2013.
Il est par conséquent nécessaire d'adopter une nouvelle disposition législative conforme à la décision du Conseil constitutionnel afin que l'ensemble des personnes n'ayant pas été condamnées puissent bénéficier du remboursement par l'État des frais irrépétibles. Le présent amendement reprend l'article 800-2 et prévoit qu'il s'appliquera à toutes les décisions autres qu'une condamnation ou qu'une déclaration d'irresponsabilité pénale. Les personnes concernées pourront donc être indemnisées soit par l'État soit par la partie accusatrice lorsqu'il aura été établi que la procédure a été abusive.
La commission des finances n'a pas été saisie, mais si cela avait été le cas, elle aurait évidemment donné un avis favorable à cet amendement qui est la conséquence d'une décision du Conseil constitutionnel faisant suite à une QPC, et qui rétablit une situation inégalitaire. Avis favorable.
(L'amendement n° 117 est adopté.)
Prochaine séance, mercredi 31 octobre à dix heures :
Suite de seconde partie du projet de loi de finances pour 2013 : Examen des crédits relatifs aux médias, livres et industries culturelles.
La séance est levée.
(La séance est levée, le mercredi 31 octobre 2012, à deux heures cinq.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Nicolas Véron