L'institution judiciaire a été épuisée par des volte-face incessantes au service d'une politique difficilement compréhensible. La justice elle-même a été déstructurée par une succession de lois toujours annoncées dans des circonstances liées à des drames individuels, à des tragédies humaines, à des faits-divers, lois trop souvent votées sans la réflexion, la concentration et la mesure indispensables à toute oeuvre judiciaire. Ajoutez à cela un parquet considéré comme une mécanique administrative et des magistrats du siège ouvertement mis en cause pour leur laxisme supposé.
Tous ces faits ont laissé des traces. La confiance de nos concitoyens dans leur justice a reculé, et ce constat doit tous nous préoccuper, car si la justice n'est plus perçue comme étant juste, alors elle n'est plus la justice. Et pour être juste, elle doit disposer des moyens nécessaires pour accomplir sereinement ses missions et ce dans des délais raisonnables, compréhensibles par le justiciable.
Suppressions de postes à tous les échelons, disparition de juridictions dans tout le pays, choix politiques tournés principalement vers l'immobilier carcéral, empilement de textes et de normes nouvelles sans les moyens nécessaires : voilà votre bilan, mesdames et messieurs de l'opposition, bilan idéologiquement fondé sur la notion terrible d'automaticité des peines.
Et que dire du programme de construction effréné de prisons, sous forme de partenariats public-privé, les fameux PPP, dont le financement reviendrait de fait aux générations futures, solutions inconséquentes mais conformes à la volonté de financiarisation des politiques publiques que vous avez toujours eue ?
Oui, il faut travailler mieux et surtout travailler bien. Les peines de substitution, dont on sait qu'elles sont efficaces, évitent bien des récidives.
Que dire également de la construction de palais de justice, toujours sous forme de partenariats public-privé, alors qu'on supprimait dans le même temps des emplois partout et qu'on renforçait le déséquilibre criant entre nos territoires ?
Permettez-moi donc d'évoquer ici quelques exemples de la CLE, la si méconnue « circulaire de localisation des emplois », qui illustre par l'absurde l'incohérence totale de la politique menée par vos prédécesseurs, madame la ministre. Ainsi, je citerai, pour une même catégorie de parquets, Meaux, où il y a en moyenne 1 373 affaires annuelles par magistrat, Nancy, 1 244, Toulon, 1 264, Strasbourg, 968, et ma ville, Montpellier, qui avec 17 200 affaires à traiter et quatorze magistrats, atteint le remarquable score de 1 700 affaires par magistrat. Les écarts entre les ressorts judiciaires vont jusqu'à 500 affaires par magistrat et par an sur le territoire national, et ce que la ville soit de droite ou de gauche. Il n'y a donc là aucune logique technique, aucune logique politique, aucune logique tout court. Les affectations de moyens ont été faites au petit bonheur pendant dix ans. Qu'en est-il alors de l'égalité d'accès à la justice sur notre territoire, quand on observe de telles disparités ?
Malgré tout, les magistrats et leurs équipes, les greffiers notamment, ces femmes et ces hommes qui ont cru et qui croient toujours aux valeurs de la République, qui sont convaincus et qui veulent qu'une offense se répare, qu'un crime se paie, que la loi se respecte et qu'elle est la même pour tous, faibles ou puissants, ces femmes et ces hommes font face avec un dévouement qui mérite le respect et la reconnaissance de la nation tout entière. C'est de cette situation dont vous héritez, madame la ministre, et qu'il vous sera difficile, je le mesure ô combien, de rééquilibrer.
Car qu'en est-il en réalité des supposées augmentations de budget de la justice des années précédentes ? Plus 55 % d'augmentation des délits jugés, alors que le nombre de magistrats comme de fonctionnaires du greffe n'a augmenté que de 17,88 %. Ce sont là les faits. La réalité, ce sont ces disparités de traitement que j'évoquais plus haut et qui, au niveau national consolidé, montrent à l'envi l'absurdité des politiques qui ont été conduites.
Votre budget, madame la ministre, augmente de 4,3 % et il crée des postes, ce qui était vraiment nécessaire. C'est une différence majeure avec vos prédécesseurs.
J'évoquerai également cette justice payante qui a été instaurée, avec ces fameux 35 euros en première instance et 155 en appel : dramatique, quand on sait que 50 % des Français touchent moins de 1 650 euros par mois et, pire encore, que ceux qui sont en conflit avec leur employeur aux prud'hommes sont souvent dans la gêne financière, car souvent sans emploi.