Vous avez mis le doigt, monsieur le Premier ministre Fillon, sur une vraie difficulté : aucun cap n'a été fixé pour la relation entre l'Union européenne et la Russie. Ou plutôt, un cap avait été défini en 2003, mais les contentieux se sont accumulés depuis. Il est donc indispensable de repenser le partenariat stratégique entre l'UE et la Russie. Les pays de l'est de l'Europe sont très mobilisés sur le Partenariat oriental et défavorables à un rapprochement avec la Russie. Les pays du sud ne sont guère impliqués. C'est un véritable problème.
Quant au nouveau ministre des affaires étrangères allemand, M. Steinmeier, il est connu pour son ouverture à l'égard de la Russie, qu'il considère comme un partenaire majeur de l'Allemagne. Il nous faut, d'une part, éviter de nous faire doubler par l'Allemagne dans la relation avec la Russie et, d'autre part, nous concerter étroitement avec nos partenaires allemands sur le Partenariat oriental et sur la politique à l'égard de la Russie.
La Russie n'est plus aujourd'hui tiraillée entre occidentalisme et slavophilie. Elle s'est vécue très fortement comme un pays européen dans les années qui ont suivi l'effondrement de l'URSS. Mais elle a été déçue par l'élargissement de l'OTAN et par la manière dont a été réglée la crise yougoslave. Ses dirigeants, en particulier M. Primakov, ont alors affirmé le caractère eurasiatique de la Russie et insisté sur le développement des relations avec les pays d'Asie, notamment la Chine et l'Inde. À terme, la Russie devrait se tourner à nouveau vers l'Europe, si nous savons éviter une nouvelle Guerre froide et créer des liens avec elle.
Les Russes eux-mêmes se vivent comme un peuple européen. Ils sont très attachés à leurs racines chrétiennes. Ils développent même des réactions de rejet à l'égard des populations musulmanes d'Asie centrale avec lesquelles ils avaient pourtant l'habitude de vivre au sein de l'Union soviétique. Nous pourrions les aider à aborder leur relation avec elles de manière moins schématique, en s'appuyant davantage sur les motivations de ces dernières, comme le conseillait Jacques Berque. Les spécialistes français et russes devraient travailler ensemble sur ces questions. D'ailleurs, les Russes ont probablement beaucoup à nous apprendre : ils ont développé depuis très longtemps des relations avec la Turquie, la Perse et le monde arabe. Ils ont aussi très bien réussi l'intégration de leurs propres populations musulmanes. Les mosquées de Nijni-Novgorod se fondent parfaitement dans le paysage russe.
La Russie ne souhaite pas adhérer à l'Union européenne, mais fait incontestablement partie de l'Europe. Certaines politiques ne peuvent pas être menées sans elle, notamment dans le domaine énergétique. En matière de sécurité, la Russie est en première ligne et nous ne pouvons pas nous désintéresser de ses problèmes.
Vous m'avez interrogé, monsieur Mariani, sur ce que je comptais faire pour favoriser les investissements russes en France. J'ai rencontré le ministre de l'économie et des finances et j'ai demandé à l'un de ses conseillers, M. Braud, d'organiser rapidement une réunion avec les responsables compétents de TRACFIN et de la direction générale du Trésor. J'avais rencontré auparavant le directeur général du Trésor, M. Ramon Fernandez, à propos du contentieux sur le Superjet 100. Grâce au Premier ministre, j'ai fini par obtenir un arbitrage favorable sur ce point. Il est exact qu'il faut souvent surmonter une certaine méfiance à l'égard de la Russie.
Le dossier syrien sort en effet du cadre de ma mission, monsieur Janquin. Je me suis néanmoins exprimé sur le sujet en ma qualité de parlementaire : je n'étais guère partisan d'une intervention militaire, qui nous aurait entraînés dans un conflit difficilement maîtrisable. Sur le terrain, les éléments djihadistes montent en puissance. Je ne crois pas que des frappes dirigées contre les forces syriennes loyales au régime auraient résolu la crise. Pour vous répondre, monsieur Rochebloine, j'attends du gouvernement syrien qu'il proclame une trêve et mette fin aux massacres. Il convient de rechercher un compromis.
Monsieur Assouly, les chefs d'entreprise français installés en Russie sont tout à fait favorables au développement des relations franco-russes. Ils se plaignent d'ailleurs des difficultés que crée parfois la partie française sur certains dossiers. Mais ils sont aussi confrontés aux lenteurs de la bureaucratie russe. Je suis ainsi intervenu pour faciliter l'achat d'un terrain par Michelin, qui souhaitait construire un centre logistique à proximité de son usine de Davydovo. Il s'agissait d'un terrain boisé protégé par la législation russe, et ce problème a dû remonter jusqu'au Président Poutine. Je suis en relation étroite avec le président de la Chambre de commerce et d'industrie franco-russe, M. Quidet. L'association Dialogue franco-russe a organisé récemment à Paris une réunion entre hommes d'affaires français et russes.
L'Union douanière eurasiatique posera en effet des difficultés. C'est un projet cohérent avec la libéralisation générale des échanges, mais avec lequel les Russes cherchent en même temps à préserver l'espace de la CEI. Les pays concernés ne sont pas toujours d'accord entre eux. Le Kazakhstan a opposé de nombreuses résistances, en refusant notamment la création d'un parlement de la zone économique eurasiatique proposée par les Russes.
Monsieur Marsac, la société russe est très diverse et traversée par des tendances contradictoires. Il existe une catégorie aisée – l'expression « nouveaux riches » est d'ailleurs passée du français au russe – plus large que les seuls oligarques, peu nombreux et très divisés. Une classe moyenne se développe, qui correspondrait sans doute à la classe moyenne dite « inférieure » en France. Et il reste encore une population pauvre. Certains investisseurs français me disent à quel point il est difficile de mobiliser la masse des travailleurs dans les grandes usines héritées de l'époque soviétique, même s'ils sont capables de donner le coup de rein nécessaire quand on le leur demande. Une partie de la société reste ancrée dans le passé, mais les jeunes générations évoluent.
M. Schröder est, à ma connaissance, président du conseil de surveillance de Gazprom, monsieur Myard. Il est également titulaire de mandats dans certaines filiales du groupe, qui lui permettent de toucher des jetons de présence. Il met beaucoup d'huile dans les rouages entre les Allemands et les Russes. Mais ce n'est pas forcément un modèle à suivre.
Je découvre la décision qui a été prise à propos de la cérémonie d'ouverture des jeux olympiques de Sotchi. Je ne vais donc pas la commenter. Je déjeune tout à l'heure avec le ministre des affaires étrangères et m'informerai plus amplement.
Vous insistez avec raison, monsieur Destot, sur le rôle des PME. Davantage d'opportunités s'offrent à elles dans les secteurs moins concentrés tels que l'agroalimentaire – ce qui n'empêche pas les grandes entreprises de s'y intéresser également : Danone va réaliser un investissement de plus d'un milliard d'euros en Russie. Les grandes entreprises devraient associer davantage les PME. C'est d'ailleurs ce qui s'est fait dans le cadre de la mission d'entreprises du secteur nucléaire organisée par Ubifrance : aux côtés d'Alstom et d'EDF, étaient présentes de petites entreprises de chaudronnerie, de ganterie ou encore de fabrication de bras télescopiques. Elles ont pu nouer des contacts avec les responsables de Rosatom. Je compte diriger d'autres missions thématiques. J'ai notamment prévu une visite à Kazan. Le projet de ligne à grande vitesse Moscou-Kazan constitue un enjeu de taille pour la SNCF, Bouygues, Alstom et Vinci. D'autres projets doivent nous mobiliser : le transport ferroviaire dans la région de Moscou ; le Grand Moscou ; la cité des sciences de Skolkovo, les stations de sports d'hiver dans le nord du Caucase, pour lesquelles nous sommes en concurrence avec les Autrichiens.
Vous avez relevé à juste titre, monsieur Poniatowski, que le Partenariat oriental mobilise fortement certains États membres, mais laisse les autres indifférents. Il en va de même de l'UPM. Où se trouve le centre de gravité de l'Europe ? En tous les cas, il s'est déplacé vers l'Est depuis une vingtaine d'années.
Je suis très favorable à ce que la ville de Grenoble soit représentée aux jeux olympiques de Sotchi. La stratégie de boycott utilisée à un moment contre la Chine n'avait guère donné de résultats.
Monsieur Mamère, si nous devions développer nos relations économiques uniquement avec les pays qui satisfont à tous les critères de la démocratie tels que nous les avons fixés, notre balance commerciale serait encore plus déficitaire qu'elle ne l'est ! Nous devons être guidés non seulement par la volonté de promouvoir des valeurs ou des normes – qui ne sont pas toujours bien définies –, mais aussi par les intérêts du pays. Il convient de tenir compte des réalités. En Afrique, nous devons aussi assumer nos responsabilités, comme le fait le Président de la République à l'égard du Mali et de la République centrafricaine.
Si nous nous plaçons dans une perspective de long terme, la Russie apparaît comme notre alliée naturelle : ses adversaires potentiels sont à peu près les mêmes que les nôtres – je ne parle pas là de la Chine. D'autre part, il faut être prudent lorsque l'on juge tel ou tel pays au regard des normes démocratiques. Ainsi, la Russie a décrété un moratoire sur l'application de la peine de mort. Or, tel n'est pas le cas de la Chine ni même des États-Unis.
Quant aux écologistes qui avaient pris d'assaut une plate-forme pétrolière en mer de Barents, le Premier ministre a évoqué leur cas avec son homologue russe, M. Medvedev. Celui-ci a rappelé les normes de sécurité très strictes qui s'appliquent sur les plates-formes, la moindre étincelle pouvant déclencher un désastre écologique de l'ampleur de celui qui s'est produit dans le golfe du Mexique.