Audition de M. Jean-Pierre Chevènement, représentant spécial pour la diplomatie économique avec la Russie
La séance est ouverte à neuf heures trente.
Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin M. Jean-Pierre Chevènement en sa qualité de représentant spécial pour la diplomatie économique avec la Russie. Le ministre des affaires étrangères a désigné sept représentants spéciaux pour la diplomatie économique, qui est une de ses grandes priorités. Nous avons déjà auditionné Mme Martine Aubry, représentante spéciale pour la Chine, dans le cadre de notre mission d'information sur ce pays. Nous entendrons prochainement M. Jean-Pierre Raffarin, représentant spécial pour l'Algérie, qui a déjà été auditionné par M. Poniatowski et M. Dufau, dans le cadre de notre mission d'information sur l'Algérie. Le rapport de M. Dufau a été relativement bien accueilli à Alger. Nous auditionnerons prochainement le nouvel Ambassadeur d'Algérie à Paris.
S'agissant de la Russie, Mme Guittet et M. Mariani rendront bientôt leur rapport d'information sur la politique française et européenne vis-à-vis de ce pays. Nous avons déjà entendu M. Alexandre Orlov, ambassadeur de Russie à Paris, et M. Jean de Gliniasty, ancien ambassadeur de France à Moscou, qui nous a exposé les grandes lignes de son rapport de fin de mission. J'ai reçu hier la visite de mon homologue russe, M. Alexeï Pouchkov, qui a invité notre Commission à effectuer une mission à Moscou au mois de février. Je ferai une proposition en ce sens.
La Russie est un partenaire économique important de la France : nous réalisons environ 2 % de notre commerce extérieur avec ce pays, qui est notre dixième fournisseur et client. Grâce aux coopérations que nous avons développées dans des domaines tels que l'industrie spatiale, l'aéronautique ou l'armement, nous exportons des produits à forte valeur ajoutée. Le commerce bilatéral a été multiplié par cinq en dix ans, mais a connu un certain essoufflement en 2013, après une très bonne année 2012.
Les entreprises françaises ont investi 12 milliards d'euros en Russie, alors que les investissements russes en France ne représentent actuellement qu'un milliard d'euros. Nos partenaires russes se plaignent souvent de cette situation et jugent en particulier que le service de traitement du renseignement et d'action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN) est exagérément soupçonneux à leur égard. Est-il souhaitable d'attirer davantage d'investisseurs russes en France ? Selon quelles règles ?
Je souhaite que nous abordions les relations bilatérales, qui sont bonnes, mais aussi l'actualité en Ukraine. Selon moi, l'Union européenne s'y prend très mal dans ce dossier depuis de nombreuses années. Nous ne devons évidemment pas en revenir à la Guerre froide avec la Russie. Néanmoins, nous devons tenir un langage de fermeté, certaines pressions exercées par Moscou sur l'Ukraine étant inacceptables. Quel est votre sentiment à ce sujet ? Comment sortir de l'impasse actuelle, à laquelle personne ne trouve son compte, ni l'Ukraine, ni l'Union européenne ? Les Russes emploient des arguments chocs : il n'est guère étonnant qu'ils emportent le morceau en mettant 15 milliards de dollars sur la table ! En outre, nous manquons cruellement d'une véritable politique européenne à l'égard de la Russie, comme le montrera le rapport de Mme Guittet et de M. Mariani. Quels devraient être les éléments d'une telle politique ?
Ma mission s'inscrit dans le cadre de la diplomatie économique développée par le ministre des affaires étrangères à la demande du Président de la République, qui m'a d'ailleurs demandé de préparer sa visite à Moscou le 28 février dernier. Dans la lettre de mission qu'il m'a adressée en novembre 2012, le ministre des affaires étrangères me demande de mobiliser l'ensemble des acteurs français publics et privés en faveur du développement des relations politiques, économiques, commerciales, scientifiques et culturelles entre la France et la Russie. Ma mission est donc définie de manière assez large, mais l'accent est mis incontestablement sur les aspects économiques, culturels et scientifiques, notamment sur les investissements français en Russie et russes en France – comme vous l'avez souligné, madame la présidente, il existe un déséquilibre en la matière – et la libre circulation des entrepreneurs, qui conditionne le succès de nos entreprises.
Je me suis rendu six fois en Russie, la dernière à l'occasion du séminaire intergouvernemental franco-russe qui s'est tenu à Moscou sous la présidence des deux Premiers ministres, et la fois précédente à Moscou et à Nijni-Novgorod avec une mission d'une trentaine d'entreprises sous-traitantes du secteur nucléaire, organisée par Ubifrance avec le concours de Rosatom. Je me suis intéressé à de nombreux sujets depuis la fin de l'année 2012.
Ce qui frappe au premier abord, c'est la différence de perception du temps et de l'espace en Russie et en Europe occidentale.
La Russie s'est formée au IXe siècle : le premier prince russe, Riourik, s'est établi à Kiev un peu avant 900. La Russie kiévienne a donc été le premier État russe. Elle s'est convertie au christianisme, en partie pour des raisons esthétiques : de toutes les religions existant à l'époque, les Russes ont considéré que c'était la plus belle. La dynastie des Riourikides a exercé le pouvoir jusqu'à la fin du XVIe siècle. Puis, après le Temps des troubles, les Romanov ont régné de 1613 jusqu'à 1917. La très longue parenthèse bolchevique, qui a duré plus de soixante-dix ans, a profondément transformé le pays. Mais la Russie n'est plus l'Union soviétique, ce dont beaucoup ne se sont pas encore avisés en France ! Son territoire a été fortement amputé, du côté de l'ouest comme en Asie centrale. Sa frontière occidentale coïncide avec celle de la grande-principauté de Moscou au XVIe siècle ! Plusieurs pays sont nés de l'effondrement de l'URSS en 1991, les deux plus grands étant le Kazakhstan et l'Ukraine. L'engagement de ces États au sein de la Communauté des États indépendants (CEI) est à géométrie variable.
La Russie couvre encore 17 millions de kilomètres carrés, soit trente-quatre fois la France. L'immensité de cet espace crée de grandes difficultés de communication. De plus, le climat est rude et contrasté.
La chute démographique paraît aujourd'hui enrayée : la population russe s'est stabilisée à un niveau relativement bas de 140 millions d'habitants. La mortalité masculine a baissé, notamment grâce à la politique de lutte contre l'alcoolisme. Environ 25 millions de Russes vivent dans les différents États nés de l'effondrement de l'URSS, ce qui crée des liens étroits avec ces pays.
On ne souligne jamais assez la diversité ethnique de la population russe : 20 % des Russes sont de tradition musulmane. En 1552, la Russie a conquis le khanat de Kazan, à 600 kilomètres de Moscou. Aujourd'hui, les républiques musulmanes s'étendent le long de la Volga – Tatarstan, Bachkortorstan – et du Caucase. Les anciennes républiques soviétiques d'Asie centrale sont devenues indépendantes en 1991, mais sont la source d'importants flux migratoires vers la Russie, la CEI demeurant un espace sans visa. Cette immigration suscite parfois des réactions hostiles au sein de la société russe.
En matière économique, l'élément le plus saillant est la complémentarité entre la Russie et l'Europe occidentale dans le secteur énergétique. La Russie tire 70 % de ses recettes d'exportation et 50 % de ses recettes fiscales de l'exploitation et de la commercialisation des hydrocarbures. Elle est le premier producteur mondial de pétrole avec l'Arabie saoudite, même si ses réserves sont moins importantes que celles de cette dernière. Elle est également, et de loin, le premier producteur mondial de gaz. Même si d'autres gisements importants existent – au Qatar, en Iran, en Algérie, en mer du Nord –, les réserves de gaz russes représentent près des deux tiers des réserves mondiales. Selon moi, il n'y a pas lieu de s'alarmer de cette complémentarité : le fournisseur est tout autant dépendant du client que le client l'est du fournisseur. D'ailleurs, la Russie, très dépendante du marché européen, cherche à diversifier ses exportations de gaz vers l'Asie, en particulier vers la Chine, le Japon et la Corée du Sud. Un réseau d'oléoducs et de gazoducs se construit à partir de la Russie et du Kazakhstan vers la Chine, dont les besoins énergétiques sont croissants.
Les entreprises françaises du secteur énergétique sont très présentes en Russie. Total y extrait du pétrole et, plus encore, du gaz. Elle est titulaire d'une très grande concession dans la péninsule de Yamal, en Sibérie occidentale. Elle détient 20 % d'une joint venture qui exploitera le gaz de ce gisement et construira une usine de liquéfaction du gaz. L'investissement est colossal : 30 milliards de dollars. Technip assure l'ingénierie du projet. Total détient également des parts dans Novatek, qui pourra désormais exporter du gaz sur le marché mondial aux côtés de Gazprom, à la suite d'une mesure de libéralisation. Enfin, le domaine de l'efficacité énergétique en Russie intéresse des groupes tels que Vinci, Schneider Electric, Alstom ou Technip.
À ce stade, le gaz liquéfié représente une faible proportion des exportations de gaz russes. La majeure partie de ces exportations transite en effet par des gazoducs qui traversent l'Ukraine ou la Biélorussie. Cependant, elles se font également depuis peu par le gazoduc Nord Stream qui contourne les pays baltes et la Pologne et rejoint directement l'Allemagne. Un autre gazoduc, South Stream, est en construction sous la mer Noire. Il alimentera les pays balkaniques et danubiens, ainsi que l'Italie. Les entreprises françaises participent à ces deux projets aux côtés d'entreprises allemandes ou italiennes : GDF Suez à hauteur de 9 % dans Nord Stream et EDF à hauteur de 15 % dans South Stream.
Dans le cadre du troisième « paquet énergie », un contentieux oppose l'Union européenne à la Russie : Bruxelles exige que la production et la distribution de gaz soient réalisées par des opérateurs distincts. Cela obligerait Gazprom à faire distribuer le gaz qu'elle apporte aux frontières de l'Union européenne par des filiales ou par d'autres sociétés. J'espère qu'un compromis sera trouvé sur cette question, car il y a de bons arguments des deux côtés.
La Russie est aussi une grande puissance nucléaire. Son opérateur, Rosatom, intervient dans toutes les branches du secteur. Un potentiel de coopération important existe entre les acteurs français du secteur nucléaire et Rosatom dans des domaines tels que la sûreté, la modernisation des réacteurs de troisième génération ou l'équipement de l'îlot conventionnel des centrales. Alstom fournira ainsi des turbines pour la centrale de Baltiïskaïa à Kaliningrad. J'ai obtenu que ce contrat soit préservé, bien que la Lituanie construise une nouvelle centrale. Les turbines pourraient finalement être installées ailleurs, par exemple dans la région de Saint-Pétersbourg, en fonction du choix de la partie russe.
La complémentarité ne se limite pas au secteur énergétique. Après une chute brutale de son PNB – il a été divisé par deux dans les années 1990 –, la Russie a retrouvé une certaine prospérité, notamment grâce à la remontée du cours des hydrocarbures à partir des années 2000. Elle a reconstitué des réserves de change considérables : 560 milliards de dollars. Sa balance commerciale est aujourd'hui très excédentaire, mais les fuites de capitaux restent importantes. Depuis l'arrivée au pouvoir de M. Primakov en 1998 et tout au long des années Poutine depuis 2000, le gouvernement russe a mené une politique de diversification économique, qui commence à porter ses fruits. La Russie poursuit ainsi, d'une certaine manière, l'effort de décollage économique qu'elle avait entrepris avant la Première Guerre mondiale. Au total, la Russie a doublé son PNB entre 2000 et 2010, avec une croissance moyenne de 7 % par an. Depuis quelques années, la croissance s'est ralentie, et elle s'établit désormais à 2 % par an.
La France a profité, mais moins que d'autres pays, de la diversification de l'économie russe. L'Allemagne détient des parts de marché près de trois fois supérieures aux nôtres : 12 % contre 4,2 %. Elle a cependant été dépassée par la Chine, qui détient désormais 17 % du marché russe. Nos autres concurrents sont l'Ukraine – 7 % –, l'Italie – au même niveau que la France –, le Japon – 5 % – et d'autres pays européens tels que la Suède. Quoi qu'il en soit, la diversification de l'économie russe constitue un relais de croissance pour l'économie française : nos exportations vers la Russie se sont élevées à 9 milliards d'euros en 2012, dont 2 milliards pour le seul secteur aéronautique, grâce à la livraison de plusieurs Airbus. Le chiffre de nos exportations est un peu moins favorable sur les neuf premiers mois de 2013, mais il reste supérieur de 11 % à celui de 2011. Nous sommes donc déjà très présents sur le marché russe.
Les entreprises françaises ont également des perspectives de développement en dehors du secteur énergétique. Elles ont notamment pris des positions très importantes dans le secteur automobile. Cette réalité – généralement peu connue – importe d'autant plus que le marché automobile russe est, avec le marché allemand, le premier d'Europe. Avec près de 200 000 véhicules produits chaque année, Renault-Nissan est le premier constructeur automobile en Russie. Elle a formé une joint venture avec Rostech et détient aujourd'hui la majorité du capital d'AvtoVAZ. De son côté, Peugeot a construit une usine à Kalouga, qu'elle continue à développer. Au total, plus de 50 % des voitures fabriquées en Russie le sont par des entreprises françaises. Toutes ne sont pas cependant de marque française : Renault fabrique ainsi des Lada dans l'usine AvtoVAZ de Togliatti.
Dans le domaine de la construction ferroviaire, Alstom détient 25 % de Transmachholding, principale entreprise du secteur en Russie. Compte tenu de l'immensité du pays, les chemins de fer russes ont une envergure exceptionnelle : ils transportent chaque année plus d'un milliard de passagers, disposent de 30 000 locomotives, plus ou moins obsolètes. Le marché est donc considérable. Les premières locomotives seront fabriquées en France et les suivantes en Russie. Mais certains composants demeureront produits en France.
Dans le secteur aéronautique civil, les Russes s'efforcent de rattraper le retard qu'ils ont accumulé depuis une vingtaine d'années. Le projet de Soukhoï Superjet 100 a abouti. Ce petit appareil, qui peut transporter jusqu'à cent passagers, est bien adapté à la Russie, où la plupart des destinations sont des villes moyennes, voire des installations industrielles isolées. Mais il se vend aussi dans des pays comme le Mexique ou le Maroc. Nous avons obtenu qu'il ne soit pas exigé de garantie de la part du constructeur afin de ne pas nuire à sa compétitivité. Les entreprises françaises coopèrent efficacement avec Soukhoï et fabriquent environ un tiers de l'appareil, notamment le moteur – réalisé par Snecma – et le train d'atterrissage. Le groupe italien Finmeccanica est quant à lui intéressé par les aménagements intérieurs. Par ailleurs, les Russes ont développé un autre projet : l'Irkout MS-21.
La coopération entre la France et la Russie se développe également dans l'industrie de défense, y compris via la création de joint ventures. Je m'efforce de la promouvoir. Les entreprises françaises se heurtent à un effet de seuil : l'équipement des forces françaises prévu par la loi de programmation militaire ne suffit pas à remplir leurs carnets de commandes. Il leur faut donc exporter, et ils le font notamment vers la Russie et les pays du Golfe. Le montant des exportations de matériel militaire vers la Russie s'élève à environ un milliard d'euros par an. La France a vendu deux porte-hélicoptères Mistral à la Russie, mais la suite de ce contrat n'apparaît pas claire à ce stade. J'ai rencontré à trois reprises M. Dmitri Rogozine, vice-premier ministre et président de la Commission militaro-industrielle. D'autres débouchés intéressants existent, notamment pour nos pétroliers ravitailleurs ou nos catamarans. Enfin, la France et la Russie discutent actuellement d'une coopération dans le domaine des blindés de transport de type VBCI – véhicule blindé de combat d'infanterie. Cependant, il s'agirait plutôt de « franciser » un blindé russe que de « russifier » notre VBCI.
La part des produits de haute technologie est importante dans nos exportations vers la Russie. Nous sommes très présents dans le secteur financier – avec la Société générale, première banque étrangère du pays –, dans la pharmacie – avec Sanofi –, dans l'agroalimentaire – avec Danone et d'autres sociétés – et dans la grande distribution – avec Auchan. D'autre part, la Russie, qui dispose de terres riches en quantité abondante – les tchernozioms –, est potentiellement un grand pays agricole. Le ministre de l'agriculture a exploré les perspectives dans ce domaine, s'agissant notamment du renouvellement du cheptel ou de la vente de matériels agricoles.
Au total, les entreprises françaises disposent de 440 implantations industrielles en Russie, qu'il faut cependant comparer aux 3 000 implantations allemandes. L'écart est encore plus important en Ukraine : on y compte 50 implantations françaises pour 1 800 implantations allemandes. Nous avons plus d'un train de retard ! Il nous faut donc continuer à développer nos investissements, dont le stock varie actuellement entre 12 et 15 milliards d'euros selon les estimations.
Par contraste, les investissements russes en France demeurent très faibles : ils s'établissent à un milliard d'euros depuis que PSA a vendu GEFCO à la société des chemins de fer russes. Certains dossiers sont bloqués, notamment la construction de deux tours à la Défense, en bord de Seine. Il s'agit d'un investissement de près de trois milliards d'euros, financé par la Sberbank, établissement russe à demi public, et par la Deutsche Bank. Les banques françaises ne souhaitent pas participer à ce projet. Pour ma part, je suis favorable à cette opération. Elle bénéficierait à notre balance commerciale et créerait environ 5 000 emplois. En outre, elle apporterait des agréments – restaurants, salles de spectacle, galeries d'art – à un quartier qui en manque singulièrement. Je m'efforce de lever les obstacles, mais l'establishment bancaire français est excessivement précautionneux : « argent russe » semble être pour lui synonyme d'« argent sale ». J'ai ainsi dû intervenir pour faire rouvrir le compte de l'entreprise Café Pouchkine, qui avait été bloqué par une banque française, en dépit de la notoriété de l'enseigne. J'ai rencontré à cette fin M. Lemierre, conseiller de M. Bonnafé, président de la Fédération bancaire française. Trois semaines plus tard, le compte a été rouvert.
Le montant des échanges commerciaux entre la France et la Russie avoisine les 21 milliards d'euros. Le solde demeure favorable à la Russie, pour environ 2 milliards. Ces dernières années, les échanges, en particulier les achats de gaz, ont pâti du tassement de la croissance française. Sur le long terme, leur évolution dépendra en grande partie des prix mondiaux du gaz. Quoi qu'il en soit, notre part de marché en Russie devrait progresser. D'autant que les Français disposent d'un certain capital de sympathie lié à l'histoire et sont généralement bien accueillis en Russie. Cependant, les affaires sont les affaires, et nos entreprises doivent avant tout remporter des appels d'offres. Quant à la corruption, elle est officiellement combattue par les pouvoirs publics, mais demeure une réalité.
Les obstacles politiques au développement des relations économiques franco-russes ne sont pas tous le fait de la partie russe. Certes, la société russe revient de très loin. Elle reconstruit sa mémoire. Nous essayons d'ailleurs d'associer la Russie aux commémorations de la Première Guerre mondiale, qui a été occultée pendant soixante-dix ans car elle était considérée comme une guerre impérialiste. Le pays redécouvre qu'il a perdu deux millions d'hommes. C'est le front russe qui a permis à la France de tenir jusqu'à l'intervention américaine en 1917. Lorsque l'on parcourt les villes de l'intérieur de la Russie, on est aujourd'hui frappé, d'une part, par le développement d'une classe moyenne, utilisatrice de voitures bas ou milieu de gamme, et, d'autre part, par le retour de la religiosité, phénomène qui concerne toutes les générations. Les Russes reconstituent leur histoire sur la base de schémas différents de ceux qui leur ont été inculqués pendant soixante-dix ans, et retrouvent progressivement un équilibre.
La société russe n'est pas parfaite. Elle ne vit pas à la même heure que nous et ses sensibilités ne sont pas les nôtres. Mais il ne faut pas exagérer les différences : le peuple russe est incontestablement un grand peuple européen. Notre patrimoine culturel et artistique – littérature, musique, danse – est en grande partie commun. Que serait la culture européenne et même française sans Dostoïevski, Tolstoï ou Tchékhov ? Pouchkine a écrit en français et introduit de nombreux mots de notre langue en russe. Les Russes demeurent très tournés vers la France : plus de 800 000 étudiants apprennent le français dans les universités russes, alors que le nombre de russisants demeure très faible en France.
Surtout, la presse française véhicule une vision réductrice de la Russie : elle insiste avant tout sur la « verticale du pouvoir » et fait preuve d'un anti-poutinisme excessif. Certes, la situation n'est pas idéale et la démocratie s'installe difficilement. Mais la Russie peut devenir progressivement un État de droit. Depuis vingt ans, elle respecte la constitution qu'elle s'est donnée en 1993. Combien de constitutions la France avait-elle connu vingt ans après 1789 ? Les élections se tiennent à échéances régulières et ne tournent pas toujours à l'avantage du parti au pouvoir, Russie unie. Ainsi, un candidat de la Plateforme civique, parti de M. Prokhorov, l'a emporté à Ekaterinbourg, troisième ville du pays. Pour sa part, le président Poutine a été élu en 2012 avec 63 % des voix. Beaucoup ont crié à la fraude, mais il ne fait guère de doute qu'il bénéficie d'une certaine assise politique, comme le montrent tous les sondages. Il sera Président jusqu'en 2018, voire au-delà.
Quant à l'opposition, elle est vivace et s'exprime tant dans la rue que sur la blogosphère. Mais elle demeure divisée entre des courants très divers : le parti libéral Iabloko ; le parti ultranationaliste de M. Jirinovski, que personne ne prend plus au sérieux ; le Parti communiste, encore puissant, de M. Ziouganov ; le parti Russie juste de M. Mironov, qui est affilié à l'Internationale socialiste. Au total, l'opposition obtient environ un tiers des suffrages, à l'image de M. Navalny qui a réalisé un score de 27 % à Moscou. Ce dernier n'est cependant pas un parangon de vertu : ses thèses sur l'immigration ne sont pas sans rappeler celles d'un parti politique français bien connu. Quoi qu'il en soit, les Russes s'expriment très librement sur le pouvoir en place.
Nous gardons des a priori sur la Russie. Il a toujours existé, en France, une certaine russophobie – le marquis de Custine affirmait, en 1839, que « la Sibérie commence à la Vistule » –, mais aussi une certaine russophilie, comme en atteste la correspondance entre Voltaire et Catherine la Grande, ou le séjour de Diderot.
J'en viens à la politique étrangère russe. On oublie trop souvent que la première préoccupation des Russes est l'islam radical, auquel ils sont confrontés dans le Caucase et en Asie centrale. D'où leur inquiétude à propos du retrait de l'OTAN d'Afghanistan. Quant aux dirigeants des pays d'Asie centrale, pour la plupart d'anciens cadres du parti communiste d'Union soviétique devenus peu ou prou des satrapes, la Russie n'éprouve aucune sympathie à leur égard, mais elle est consciente que leurs principaux opposants sont des islamistes. Elle joue plutôt un rôle stabilisateur dans la région. Ses intérêts économiques se heurtent toutefois à ceux de la Chine, qui cherche à recréer la route de la soie. À ces ambitions, Moscou oppose un projet de zone de libre-échange eurasiatique, que pourraient rejoindre le Kazakhstan, la Biélorussie et le Kirghizstan, voire l'Ouzbékistan et l'Arménie. Il est en revanche beaucoup moins évident que l'Ukraine y adhère.
L'Ukraine est un pays contrasté : les Ukrainiens de l'Ouest, pour partie de confession uniate, sont tournés vers la Pologne ; les Ukrainiens de l'Est, en revanche, sont majoritairement russophones. Les liens entre l'Ukraine et la Russie sont très étroits : près de 80 000 entreprises des deux pays commercent entre elles. En outre, les Ukrainiens se font beaucoup d'illusions quant au montant des fonds européens qui pourraient leur être accordés – le chiffre de 160 milliards d'euros a circulé. Le Président de la République l'a rappelé : nous ne sommes pas à la veille d'un nouvel élargissement de l'Union européenne. Quoi qu'il en soit, il ne faudrait pas que le Partenariat oriental devienne un sujet de discorde permanent avec la Russie. L'Union européenne devrait concerter sa politique avec Moscou. D'autant que les Russes font preuve d'un nationalisme obsidional. Ils considèrent que l'Occident les a trompés en élargissant l'OTAN à l'Est bien au-delà de ce qui avait été convenu en 1990 : alors qu'elle aurait dû rester confinée à l'Allemagne de l'Ouest, l'Alliance s'est étendue aux pays baltes, et il a même été question d'admettre en son sein l'Ukraine et la Géorgie, lors de la préparation du sommet de Bucarest en 2008. Les Russes ne font d'ailleurs pas toujours la différence entre l'OTAN et l'Union européenne.
Mes collègues sénateurs Simon Sutour et Jean Bizet viennent de publier un très intéressant rapport sur les relations entre l'Union européenne et la Russie. Le « partenariat stratégique UE-Russie » connaît aujourd'hui des difficultés. Quels que puissent être les différends – l'Union européenne a déposé une plainte contre la Russie devant l'OMC à propos de sa taxe sur le recyclage des véhicules –, il convient de repenser ce partenariat, avec un regard neuf.
En 2003, nous avions notamment fixé l'objectif d'une suppression totale des visas entre l'Union européenne et la Russie. Pour sa part, la France délivre actuellement 400 000 visas par an en Russie, notamment aux nombreux touristes qui se rendent dans notre pays. Ils seraient plus nombreux encore si notre politique de délivrance de visas était plus libérale. Le taux de refus est aujourd'hui très faible : 1,62 %. Le risque migratoire en provenance de Russie est pratiquement nul et le risque sécuritaire – lié à l'existence de certaines filières, par exemple tchétchène ou ouzbèke – est circonscrit. Si l'Allemagne délivre à peu près autant de visas que nous, d'autres pays européens – l'Italie, l'Espagne – sont plus généreux : ils en accordent environ 800 000 par an.
L'Union européenne doit pouvoir s'ouvrir en même temps à l'Ukraine et à la Russie. La question des relations entre l'Union et ses voisins orientaux serait traitée de manière beaucoup plus rationnelle si elle l'était sur une base tripartite. Nous n'avons aucun intérêt à allumer une nouvelle Guerre froide au coeur de l'Europe. Il convient d'envisager notre partenariat avec la Russie en se tournant vers l'avenir : la grande puissance du XXIe siècle, c'est la Chine. Son PNB aura dépassé celui des États-Unis dans quelques années. L'hégémonie américaine déclinera très progressivement, sur toute la durée du siècle. Compte tenu de sa position entre l'Europe et la Chine, le concours de la Russie nous est indispensable. Il l'est d'autant plus qu'elle est aussi notre partenaire au sein du Conseil de sécurité des Nations unies : aucune crise internationale – au Moyen-Orient, en Afrique ou en Afghanistan – ne peut se régler sans elle.
Je vous remercie pour cette présentation passionnante. D'autant que notre Commission tient aujourd'hui sa centième réunion de l'année : elle aura siégé plus de 145 heures en 2013.
C'est toujours un grand plaisir de vous écouter. Vous vous en souvenez peut-être : vous aviez eu la gentillesse de m'emmener avec vous dans une de vos visites en URSS, lorsque vous étiez ministre de la défense. J'avais déjà pu mesurer alors votre immense culture historique – devenue rare dans notre pays –, qui vous avait permis de clore certains débats difficiles avec vos interlocuteurs soviétiques, notamment à propos de la relation privilégiée entre la France et l'Allemagne.
Vous avez rappelé à juste titre que la Russie est née à Kiev. Ce rappel est très utile à un moment où beaucoup sont tentés de voler au secours de l'Ukraine, sans comprendre qu'ils ouvrent ainsi toutes grandes les portes de l'Union européenne. Il convient certes de défendre ceux qui luttent pour plus de liberté en Ukraine, mais en ayant bien conscience que ce pays est presque consubstantiel à la Russie. Il n'est pas possible d'arracher l'Ukraine à la Russie pour la rattacher à l'Union. Cette dernière se trouve d'ailleurs bien mal en point après avoir procédé à un élargissement certes inévitable mais trop rapide.
Vous avez souligné un deuxième point très important : les relations économiques franco-russes se sont beaucoup améliorées ces dix dernières années non seulement parce que la Russie se développe et que nos entreprises sont performantes, mais aussi parce que les dirigeants français ont cherché à nouer les meilleures relations possibles avec le pouvoir russe.
La Russie n'est pas une démocratie libérale et les affaires ne s'y traitent pas comme en Europe occidentale : le pouvoir joue un rôle clé en la matière et il est indispensable d'établir une relation de confiance avec lui. Bien que Mme Merkel n'aime pas M. Poutine – elle a gardé de sa jeunesse est-allemande un mauvais souvenir des Russes –, elle se rend en Russie trois fois plus souvent que les dirigeants français. Elle n'oublie pas que la Russie constitue un marché considérable pour l'Allemagne. De même, les relations particulières entre M. Berlusconi M. Poutine ont permis à l'Italie de remporter de nombreux marchés en Russie. Que nous aimions ou non la Russie et M. Poutine, si nous voulons que nos entreprises travaillent dans ce pays, nous devons nous y rendre et y passer du temps. De plus, M. Poutine ne se contente pas des relations formelles habituelles entre chefs d'État et de gouvernement : un entretien avec lui commence généralement avec trois heures de retard et dure au minimum trois heures. Mais si l'on parvient à un accord, celui-ci sera respecté.
Je relève deux problèmes. D'abord, une certaine vision de la Russie – partagée non seulement par des responsables politiques mais aussi, vous l'avez dit, par certains banquiers – freine nos échanges. Surtout, l'Union européenne est totalement dépourvue de stratégie à l'égard de la Russie. Pour des raisons historiques, certains États membres ne veulent pas d'un rapprochement avec la Russie. Ils sont d'ailleurs encouragés dans cette attitude par les États-Unis. La participation de certains politiques américains aux manifestations en Ukraine ne facilite d'ailleurs pas la recherche d'une solution. Si nous ne parvenons pas à faire progresser le partenariat entre l'Union européenne et la Russie, nous ne réglerons pas la question ukrainienne. La Russie s'enfermera dans l'idée qu'elle est maltraitée, assiégée, repoussée. Nous recréerons une forme de Guerre froide, dont la Russie ne veut pas et dont personne n'a besoin.
La Turquie, froissée par l'attitude de l'Union européenne, se tourne désormais vers d'autres horizons, ce qui peut être fâcheux pour l'équilibre en Europe et en Méditerranée. De son côté, la Russie s'est vue repoussée vers l'Est et vers le Nord. On peut comprendre que des régimes tels que ceux de M. Erdogan ou de M. Poutine conviennent à des peuples blessés. L'attitude des États-Unis et de l'Union européenne à l'égard de la Russie – le ministre des affaires étrangères allemand, M. Westerwelle, s'est permis de participer aux manifestations à Kiev – n'est-elle pas contraire à nos intérêts, alors même que le Chine monte en puissance ? On pourrait d'ailleurs s'interroger aussi sur l'attitude de la France. Nous partageons pourtant une communauté de destin avec la Russie. M. Gorbatchev avait parlé, en son temps, de la « maison commune européenne », et le Président Mitterrand avait lancé l'idée une confédération comprenant la Russie.
Vous avez souligné le déséquilibre entre les investissements français en Russie et les investissements russes en France. Ces derniers demeurent très faibles, surtout si l'on retranche le rachat de GEFCO du bilan. En dehors du problème des mentalités – que vous relevez à juste titre –, quelles mesures concrètes conviendrait-il de prendre pour favoriser les investissements russes en France ?
Ma question sort probablement du cadre de votre mission, mais le débat sur l'Ukraine m'incite à élargir notre discussion. Que pensez-vous de la manière dont la France a géré sa relation avec les Russes à propos de la Syrie ? Comment devrait-elle le faire à l'avenir ?
Je partage tout à fait votre analyse de la situation politique en Russie. Le peuple russe livre un combat pour la démocratie. Cela prend du temps mais il est sur la bonne voie. Sur la scène internationale, la Russie joue un rôle stabilisateur. Fort heureusement, elle nous a empêchés de partir en guerre en Syrie. Quelle appréciation portez-vous sur le « boycott soft » de la cérémonie d'ouverture des jeux olympiques de Sotchi, décidé par la France ce week-end ? Est-ce bien le moment de se mettre à dos M. Poutine, alors que nous avons tant besoin de la Russie ?
Comme l'a rappelé Mme la présidente, vous êtes l'un des sept représentants spéciaux nommés par le ministre des affaires étrangères pour développer notre diplomatie économique. Avez-vous engagé des projets ou des actions communes avec les six autres représentants spéciaux ?
Lors de la visite du Premier ministre en Russie le mois dernier, le président de la Chambre de commerce et d'industrie franco-russe, M. Emmanuel Quidet, a déclaré que, contrairement aux idées reçues, il était souvent plus facile de développer une entreprise en Russie que dans d'autres pays émergents. Quelles sont les difficultés qui peuvent encore freiner le développement des entreprises françaises en Russie ?
Quel regard portez-vous sur le rôle de la Russie dans le dossier syrien ?
Quelle analyse faites-vous du projet d'union douanière entre la Russie et plusieurs anciennes républiques soviétiques ? Cette union a-t-elle vocation à s'étendre ? Est-elle de nature à faire obstacle aux accords d'association entre l'Union européenne et certains pays, comme il semble que ce soit le cas avec l'Arménie ?
Vous avez évoqué l'évolution de la société russe, notamment dans le domaine religieux. Quels sont, selon vous, les scénarios possibles pour le développement de cette société ? Comment la population russe vit-elle au quotidien ? Quelles sont ses aspirations ? L'écart entre les milieux affairistes et le reste de la population, que l'on perçoit de l'extérieur, est-il une réalité ? A-t-il tendance à s'accroître ?
La Russie fait partie, de toute évidence, du concert européen. Il serait absurde de le nier et de vouloir créer un nouveau rideau de fer !
Quelle est la position de M. Gerhard Schröder au sein de Gazprom ? Les Allemands ont réalisé là un coup formidable !
S'agissant de la cérémonie d'ouverture des jeux de Sotchi, je suis très étonné que la France se soit déterminée en fonction d'un débat interne et qu'elle en ait rajouté. Certes, M. Poutine n'est pas un champion de la démocratie, mais les jeux olympiques sont traditionnellement une trêve au cours de laquelle tous les pays se retrouvent, même avec leurs ennemis.
En ce qui concerne les exportations françaises en Russie, vous avez surtout évoqué le rôle des grandes entreprises. Quelles sont, selon vous, les possibilités qui s'offrent aux PME françaises sur le marché russe ? Quels conseils leur donneriez-vous ? Doivent-elles, comme je le suggère dans mon rapport sur la Chine, atteindre une taille critique et se positionner sur certains créneaux porteurs ?
D'autre part, n'assiste-t-on pas à une concurrence économique croissante entre la Russie et la Chine ?
Enfin, me conseillez-vous de me rendre à la cérémonie d'ouverture des jeux de Sotchi en ma qualité de maire d'une ville olympique ?
En matière de politique étrangère, les deux grands projets de l'Union européenne de ces dernières années, l'Union pour la Méditerranée (UPM) et le Partenariat oriental, ont connu des difficultés, voire se sont soldés par des échecs. Chaque projet a rencontré des problèmes spécifiques : s'agissant de l'UPM, la participation d'Israël a été un point de blocage ; quant au Partenariat oriental, on ne pourra pas le faire sans traiter avec la Russie, comme vous l'avez souligné. Mais ces échecs tiennent surtout à ce que les pays du sud de l'Europe – en particulier la France, l'Italie et l'Espagne – ne se sont jamais préoccupés du Partenariat oriental, de même que les pays de l'est de l'Europe – la Pologne, la République tchèque et la Hongrie, entre autres – ne se sont guère souciés de l'UPM. Or, la diplomatie européenne ne progressera que si nous nous intéressons tous aux questions qui sont prioritaires pour certains États membres.
À l'instar de MM. Marsaud et Myard, je regrette que ni le Président de la République ni le Premier ministre ne se rende à Sotchi. C'est un très mauvais signal adressé non seulement à la Russie, mais aussi à nos partenaires de l'est de l'Europe. L'exécutif ne semble pas le voir. Quel est votre point de vue sur la question ?
Seuls 4 000 étudiants russes sont formés chaque année en France. Ils ne représentent que 1,7 % du nombre total d'étudiants étrangers. Pourtant, nous savons tous qu'ils conserveront des liens étroits avec notre pays tout au long de leur parcours professionnel. Quelles sont vos préconisations sur ce point ? En outre, dans certains consulats français, la délivrance des visas a été tellement chaotique cette année qu'elle a diminué par rapport aux années précédentes.
J'ai également eu beaucoup de plaisir à vous écouter. Nous profitons de votre culture et de votre expérience. Cependant, le caractère illisible de notre diplomatie à l'égard de la Russie depuis l'alternance ne doit pas faciliter votre tâche. Les relations avec M. Poutine sont mauvaises, à l'évidence. L'image de la Russie est dégradée dans les sphères du pouvoir comme dans la presse. Nous boycottons la cérémonie d'ouverture des jeux de Sotchi. Dans le même temps, nous sommes absents de Kiev, alors que l'Allemagne y a envoyé son ministre des affaires étrangères.
Dans quelle direction allons-nous ? Quelle lecture faites-vous de notre politique actuelle à l'égard de la Russie ? Que conviendrait-il de faire ? Nous avons commis des erreurs. En particulier, nous n'avons pas su comprendre la position russe sur la Syrie. Comme vous l'avez indiqué, le Partenariat oriental doit être cogéré avec la Russie, dans l'intérêt de tous. L'Ukraine n'a pas vocation à adhérer à l'Union européenne : elle doit devenir un pont entre l'Union et la Russie, mais qui n'appartienne pas à cette dernière – à nous de savoir fixer les lignes. Enfin, comme l'a dit M. Fillon, il est très compliqué de faire des affaires en Russie sans avoir établi au préalable une relation de confiance avec le pouvoir russe.
La Sibérie et l'Extrême-Orient russe seront sans doute une des grandes questions du XXIe siècle, même si l'on fait abstraction du réchauffement climatique. Les ressources de ces territoires sont très importantes. Or, le long de la frontière entre la Russie et la Chine, on dénombre 3 millions d'habitants du côté russe contre 300 millions du côté chinois. Les Chinois appellent d'ailleurs ces régions les « immenses territoires du Nord ». Comment l'Union européenne et la France peuvent-elles contribuer à leur exploitation et à leur développement ?
D'autre part, faut-il compter sur une amélioration des relations entre la Russie et le Japon en dépit du différend sur les îles Kouriles ? L'ambassadeur de Russie à Paris et l'ancien ambassadeur de France à Moscou nous ont confirmé une évolution dans ce sens.
En ce qui me concerne, j'approuve totalement la décision du Président de la République de ne pas se rendre à la cérémonie d'ouverture des jeux de Sotchi. Certes, il est nécessaire d'entretenir de bonnes relations avec la Russie – nous en convenons tous. D'autre part, la majorité des Français ne rejette nullement la Russie. Une chaîne de télévision publique diffuse d'ailleurs en ce moment une série sur un grand auteur russe, Dostoïevski. Mais, si nous sommes attachés à un certain nombre de valeurs, nous ne pouvons pas cautionner la politique du président Poutine, ni ignorer le rôle qu'il joue dans la régression des libertés en Russie. M. Navalny, vous l'avez dit, a obtenu 27 % des voix à Moscou malgré la censure du pouvoir. Cependant, vous avez oublié de rappeler le sort réservé à plusieurs opposants, défenseurs des droits de l'homme ou militants écologistes. Certains d'entre eux sont envoyés dans des hôpitaux psychiatriques, comme au temps de l'Union soviétique. Vous n'avez pas mentionné non plus l'assassinat de Mme Politkovsaïa, qui avait révélé la guerre terrible menée par M. Poutine en Tchétchénie.
En outre, dans le dossier syrien, M. Poutine est-il un « juge de paix » ou un « juge de guerre » ? Nous ne pourrons pas régler la crise syrienne sans la Russie. Mais si la guerre continue aujourd'hui, c'est parce que la Russie joue en Syrie un rôle beaucoup plus important que les États-Unis, qui craignent de s'y enliser.
Même si nous avons besoin de M. Poutine, nous ne devons pas rester muets. Si nous le faisons, nous deviendrons ses obligés, comme nous le sommes à l'égard de certains dictateurs africains. Nous devons aider ceux qui se battent pour faire progresser la Russie plus rapidement vers la démocratie, au prix de leur liberté, voire de leur vie.
Je trouve plutôt honorable que le Président de la République ne se rende pas à Sotchi, alors que le président russe, élu dans les conditions que l'on connaît, met à l'index une partie de la population en raison de son orientation sexuelle. J'espère que des sportifs qui monteront sur le podium à Sotchi auront le courage d'afficher leur orientation sexuelle.
Afin de contrer la russophobie d'une partie de la classe journalistique française, que vous avez relevée, la Russie envisagerait de créer des relais médiatiques, en particulier une chaîne de télévision qui suivrait peu ou prou le modèle d'Al Jazeera en français. Le confirmez-vous ? Auriez-vous davantage d'indications sur ce projet ?
L'industrie nucléaire française ne peut pas rester isolée sur le plan international. Les États-Unis font du surplace en la matière, malgré leur puissance. L'Allemagne a fait le choix du charbon et du lignite. Le Japon est dans l'impossibilité d'aller de l'avant. De mon point de vue, la Russie est donc le partenaire le plus stable et le plus sérieux pour l'avenir. Le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) a engagé une coopération en matière de recherche avec la Russie. Le dialogue entre les différents acteurs français du secteur nucléaire et leurs homologues russes a-t-il connu des avancées ? Allons-nous coopérer étroitement avec la Russie dans ce domaine ?
Vous avez indiqué qu'un parti communiste continuait à exister en Russie. Certains députés communistes français, en particulier M. Chassaigne, ne semblent pas avoir compris les raisons de l'effondrement de l'URSS. Qui sont les communistes russes ? Comment sont-ils ?
Des difficultés se posent en matière d'adoption des enfants russes par des parents français. À la suite d'une visite que j'avais effectuée en Russie, j'ai accéléré l'examen du projet de loi autorisant la ratification du traité franco-russe relatif à la coopération dans le domaine de l'adoption, signé en 2011. J'ai ensuite alerté mon homologue du Sénat, qui a fait de même. La loi est maintenant promulguée. Le traité entrera en vigueur lorsque la partie française aura adressé une copie de son instrument de ratification à la partie russe. Je compte demander à notre nouvel ambassadeur à Moscou de remettre ce document en mains propres avant Noël. Selon vous, l'application de ce traité permettra-t-il de régler les problèmes ?
Vous avez mis le doigt, monsieur le Premier ministre Fillon, sur une vraie difficulté : aucun cap n'a été fixé pour la relation entre l'Union européenne et la Russie. Ou plutôt, un cap avait été défini en 2003, mais les contentieux se sont accumulés depuis. Il est donc indispensable de repenser le partenariat stratégique entre l'UE et la Russie. Les pays de l'est de l'Europe sont très mobilisés sur le Partenariat oriental et défavorables à un rapprochement avec la Russie. Les pays du sud ne sont guère impliqués. C'est un véritable problème.
Quant au nouveau ministre des affaires étrangères allemand, M. Steinmeier, il est connu pour son ouverture à l'égard de la Russie, qu'il considère comme un partenaire majeur de l'Allemagne. Il nous faut, d'une part, éviter de nous faire doubler par l'Allemagne dans la relation avec la Russie et, d'autre part, nous concerter étroitement avec nos partenaires allemands sur le Partenariat oriental et sur la politique à l'égard de la Russie.
La Russie n'est plus aujourd'hui tiraillée entre occidentalisme et slavophilie. Elle s'est vécue très fortement comme un pays européen dans les années qui ont suivi l'effondrement de l'URSS. Mais elle a été déçue par l'élargissement de l'OTAN et par la manière dont a été réglée la crise yougoslave. Ses dirigeants, en particulier M. Primakov, ont alors affirmé le caractère eurasiatique de la Russie et insisté sur le développement des relations avec les pays d'Asie, notamment la Chine et l'Inde. À terme, la Russie devrait se tourner à nouveau vers l'Europe, si nous savons éviter une nouvelle Guerre froide et créer des liens avec elle.
Les Russes eux-mêmes se vivent comme un peuple européen. Ils sont très attachés à leurs racines chrétiennes. Ils développent même des réactions de rejet à l'égard des populations musulmanes d'Asie centrale avec lesquelles ils avaient pourtant l'habitude de vivre au sein de l'Union soviétique. Nous pourrions les aider à aborder leur relation avec elles de manière moins schématique, en s'appuyant davantage sur les motivations de ces dernières, comme le conseillait Jacques Berque. Les spécialistes français et russes devraient travailler ensemble sur ces questions. D'ailleurs, les Russes ont probablement beaucoup à nous apprendre : ils ont développé depuis très longtemps des relations avec la Turquie, la Perse et le monde arabe. Ils ont aussi très bien réussi l'intégration de leurs propres populations musulmanes. Les mosquées de Nijni-Novgorod se fondent parfaitement dans le paysage russe.
La Russie ne souhaite pas adhérer à l'Union européenne, mais fait incontestablement partie de l'Europe. Certaines politiques ne peuvent pas être menées sans elle, notamment dans le domaine énergétique. En matière de sécurité, la Russie est en première ligne et nous ne pouvons pas nous désintéresser de ses problèmes.
Vous m'avez interrogé, monsieur Mariani, sur ce que je comptais faire pour favoriser les investissements russes en France. J'ai rencontré le ministre de l'économie et des finances et j'ai demandé à l'un de ses conseillers, M. Braud, d'organiser rapidement une réunion avec les responsables compétents de TRACFIN et de la direction générale du Trésor. J'avais rencontré auparavant le directeur général du Trésor, M. Ramon Fernandez, à propos du contentieux sur le Superjet 100. Grâce au Premier ministre, j'ai fini par obtenir un arbitrage favorable sur ce point. Il est exact qu'il faut souvent surmonter une certaine méfiance à l'égard de la Russie.
Le dossier syrien sort en effet du cadre de ma mission, monsieur Janquin. Je me suis néanmoins exprimé sur le sujet en ma qualité de parlementaire : je n'étais guère partisan d'une intervention militaire, qui nous aurait entraînés dans un conflit difficilement maîtrisable. Sur le terrain, les éléments djihadistes montent en puissance. Je ne crois pas que des frappes dirigées contre les forces syriennes loyales au régime auraient résolu la crise. Pour vous répondre, monsieur Rochebloine, j'attends du gouvernement syrien qu'il proclame une trêve et mette fin aux massacres. Il convient de rechercher un compromis.
Monsieur Assouly, les chefs d'entreprise français installés en Russie sont tout à fait favorables au développement des relations franco-russes. Ils se plaignent d'ailleurs des difficultés que crée parfois la partie française sur certains dossiers. Mais ils sont aussi confrontés aux lenteurs de la bureaucratie russe. Je suis ainsi intervenu pour faciliter l'achat d'un terrain par Michelin, qui souhaitait construire un centre logistique à proximité de son usine de Davydovo. Il s'agissait d'un terrain boisé protégé par la législation russe, et ce problème a dû remonter jusqu'au Président Poutine. Je suis en relation étroite avec le président de la Chambre de commerce et d'industrie franco-russe, M. Quidet. L'association Dialogue franco-russe a organisé récemment à Paris une réunion entre hommes d'affaires français et russes.
L'Union douanière eurasiatique posera en effet des difficultés. C'est un projet cohérent avec la libéralisation générale des échanges, mais avec lequel les Russes cherchent en même temps à préserver l'espace de la CEI. Les pays concernés ne sont pas toujours d'accord entre eux. Le Kazakhstan a opposé de nombreuses résistances, en refusant notamment la création d'un parlement de la zone économique eurasiatique proposée par les Russes.
Monsieur Marsac, la société russe est très diverse et traversée par des tendances contradictoires. Il existe une catégorie aisée – l'expression « nouveaux riches » est d'ailleurs passée du français au russe – plus large que les seuls oligarques, peu nombreux et très divisés. Une classe moyenne se développe, qui correspondrait sans doute à la classe moyenne dite « inférieure » en France. Et il reste encore une population pauvre. Certains investisseurs français me disent à quel point il est difficile de mobiliser la masse des travailleurs dans les grandes usines héritées de l'époque soviétique, même s'ils sont capables de donner le coup de rein nécessaire quand on le leur demande. Une partie de la société reste ancrée dans le passé, mais les jeunes générations évoluent.
M. Schröder est, à ma connaissance, président du conseil de surveillance de Gazprom, monsieur Myard. Il est également titulaire de mandats dans certaines filiales du groupe, qui lui permettent de toucher des jetons de présence. Il met beaucoup d'huile dans les rouages entre les Allemands et les Russes. Mais ce n'est pas forcément un modèle à suivre.
Je découvre la décision qui a été prise à propos de la cérémonie d'ouverture des jeux olympiques de Sotchi. Je ne vais donc pas la commenter. Je déjeune tout à l'heure avec le ministre des affaires étrangères et m'informerai plus amplement.
Vous insistez avec raison, monsieur Destot, sur le rôle des PME. Davantage d'opportunités s'offrent à elles dans les secteurs moins concentrés tels que l'agroalimentaire – ce qui n'empêche pas les grandes entreprises de s'y intéresser également : Danone va réaliser un investissement de plus d'un milliard d'euros en Russie. Les grandes entreprises devraient associer davantage les PME. C'est d'ailleurs ce qui s'est fait dans le cadre de la mission d'entreprises du secteur nucléaire organisée par Ubifrance : aux côtés d'Alstom et d'EDF, étaient présentes de petites entreprises de chaudronnerie, de ganterie ou encore de fabrication de bras télescopiques. Elles ont pu nouer des contacts avec les responsables de Rosatom. Je compte diriger d'autres missions thématiques. J'ai notamment prévu une visite à Kazan. Le projet de ligne à grande vitesse Moscou-Kazan constitue un enjeu de taille pour la SNCF, Bouygues, Alstom et Vinci. D'autres projets doivent nous mobiliser : le transport ferroviaire dans la région de Moscou ; le Grand Moscou ; la cité des sciences de Skolkovo, les stations de sports d'hiver dans le nord du Caucase, pour lesquelles nous sommes en concurrence avec les Autrichiens.
Vous avez relevé à juste titre, monsieur Poniatowski, que le Partenariat oriental mobilise fortement certains États membres, mais laisse les autres indifférents. Il en va de même de l'UPM. Où se trouve le centre de gravité de l'Europe ? En tous les cas, il s'est déplacé vers l'Est depuis une vingtaine d'années.
Je suis très favorable à ce que la ville de Grenoble soit représentée aux jeux olympiques de Sotchi. La stratégie de boycott utilisée à un moment contre la Chine n'avait guère donné de résultats.
Monsieur Mamère, si nous devions développer nos relations économiques uniquement avec les pays qui satisfont à tous les critères de la démocratie tels que nous les avons fixés, notre balance commerciale serait encore plus déficitaire qu'elle ne l'est ! Nous devons être guidés non seulement par la volonté de promouvoir des valeurs ou des normes – qui ne sont pas toujours bien définies –, mais aussi par les intérêts du pays. Il convient de tenir compte des réalités. En Afrique, nous devons aussi assumer nos responsabilités, comme le fait le Président de la République à l'égard du Mali et de la République centrafricaine.
Si nous nous plaçons dans une perspective de long terme, la Russie apparaît comme notre alliée naturelle : ses adversaires potentiels sont à peu près les mêmes que les nôtres – je ne parle pas là de la Chine. D'autre part, il faut être prudent lorsque l'on juge tel ou tel pays au regard des normes démocratiques. Ainsi, la Russie a décrété un moratoire sur l'application de la peine de mort. Or, tel n'est pas le cas de la Chine ni même des États-Unis.
Quant aux écologistes qui avaient pris d'assaut une plate-forme pétrolière en mer de Barents, le Premier ministre a évoqué leur cas avec son homologue russe, M. Medvedev. Celui-ci a rappelé les normes de sécurité très strictes qui s'appliquent sur les plates-formes, la moindre étincelle pouvant déclencher un désastre écologique de l'ampleur de celui qui s'est produit dans le golfe du Mexique.
C'est une vieille plate-forme, qui date de 1989 ! De plus, ma question concernait non pas les écologistes étrangers, mais les militants russes, par exemple ceux qui ont été assassinés pour s'être opposés à la destruction de la forêt de Khimki.
Personne n'a prouvé à ce stade que Mme Politkovskaïa ait été assassinée par la police russe.
D'après mes interlocuteurs, la législation russe est très contraignante en matière de protection de l'environnement. L'affaire du terrain acquis par Michelin, que j'ai évoquée précédemment, est ainsi remontée jusqu'au Président Poutine. Celui-ci a d'ailleurs indiqué que, en signant le décret qui autorisait la vente, il se ferait beaucoup d'ennemis parmi les écologistes que le Président français allait rencontrer au cours de sa visite.
Il existe en Russie des prisons et des camps de travail, où les conditions de détention sont sans doute très dures. Le cas de M. Khodorkovski est cependant particulier : il s'était approprié l'ensemble des ressources gazières et pétrolières du pays. Son avocat a demandé à me voir, mais je lui ai répondu que je ne pouvais pas intervenir dans une affaire qui relève de la justice russe. Je suis bien sûr favorable à la libération de M. Khodorkovski.
Je n'ai pas évoqué le cas de M. Khodrokovski. En revanche, un avocat dénommé Sergueï Magnitski a été injustement accusé de détournement de fonds, puis assassiné.
Que la justice russe fasse son travail. Que puis-je vous dire de plus ?
Monsieur Baumel, environ 50 000 étudiants russes se forment à l'étranger chaque année. Un peu plus de 4 000 le font en France, contre 16 000 en Allemagne. Je me suis efforcé de libéraliser la politique de délivrance des visas, sans succès : les prérogatives des consuls sont sévèrement défendues. Les dossiers de visa pour études doivent désormais être déposés auprès d'une entreprise sous-traitante. La ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche et moi-même demandons un assouplissement des critères, le taux de refus pour les étudiants russes ayant doublé en un an pour atteindre 34 %. Beaucoup d'étudiants russes suivent en France des cursus de lettres ou de sciences sociales. Il conviendrait d'en attirer davantage dans les écoles d'ingénieurs et les écoles de commerce, afin de nourrir les relations économiques franco-russes.
Je ne peux pas répondre, monsieur Lellouche, à la question très générale que vous m'avez posée sur notre diplomatie à l'égard de la Russie. En tous les cas, il ne me paraît guère opportun de compartimenter notre relation avec la Russie, en traitant dans des « corbeilles » distinctes les affaires économiques, les droits de l'homme et les crises internationales telles que la Syrie. Le facteur politique joue un rôle important sur l'ensemble de ces questions.
Monsieur Quentin, plus de 6 millions de Russes vivent dans l'Extrême-Orient russe. L'immigration chinoise dans cette région demeure limitée. La frontière russo-chinoise est très longue et donc difficile à contrôler. À terme, la question se posera en effet de savoir si la Russie parviendra à consolider son emprise relativement récente sur cette région – les villes de Khabarovsk et de Vladivostok ont été fondées dans la deuxième moitié du XIXe siècle. En tous les cas, le gouvernement russe y réalise des investissements – par exemple l'immense pont suspendu qui relie Vladivostok à l'île Rousski, dont les plans ont été réalisés par le cabinet d'études français Freyssinet – et souhaite participer au développement de cette partie de l'Asie : Chine, Japon, Corée du Sud.
Nous assistons à un certain réchauffement des relations entre la Russie et le Japon, mais ces deux pays n'abordent jamais entre eux les questions relatives à la Chine. Moscou ne veut pas se brouiller avec Pékin. La Russie et la Chine se font concurrence sur le plan économique en Asie centrale, bien plus qu'en Sibérie ou dans l'Extrême-Orient russe.
Je n'ai pas entendu parler du projet de chaîne de télévision que vous avez évoqué, madame Maréchal-Le Pen. En revanche, la radio Voix de la Russie souhaiterait émettre sur la bande FM à Paris, comme elle le fait à Londres et à Berlin. J'ai saisi la ministre de la culture de cette question. Mais la décision appartient en dernier ressort au Conseil supérieur de l'audiovisuel.
Vous avez souligné avec raison, monsieur Bataille, qu'il y a aujourd'hui deux grandes puissances nucléaires dans le monde : la France et la Russie. Elles ont intérêt à coopérer, ne serait-ce que pour éviter l'émergence de concurrents sérieux, qui finira inévitablement par se produire. Actuellement, la Chine prévoit de construire une quarantaine de réacteurs. Pour leur part, les Russes sont présents dans une trentaine de projets non seulement dans leur propre pays, mais aussi en Inde, en Iran, en Slovaquie et en Chine. Le carnet de commandes est donc volumineux, et les Russes ont laissé entendre qu'il serait possible de conclure des accords de partage afin de répondre à la demande. Il est nécessaire d'intensifier les échanges entre Rosatom et les acteurs français du secteur nucléaire, notamment le CEA et AREVA, pour préparer l'avenir.
Monsieur Bacquet, j'ai rencontré une fois M. Ziouganov, il y a très longtemps. L'influence des communistes russes a décliné : ils obtiennent aujourd'hui environ 15 % des voix contre 25 % auparavant. Ils sont généralement soutenus par les couches pauvres de la population. Cependant, M. Poutine a relevé les pensions et les minima sociaux de manière assez substantielle. Russie unie a ainsi capté une partie de l'électorat communiste. Le parti communiste n'est pas une force politique d'avenir en Russie.
Madame la présidente, la Russie était auparavant le principal pays d'origine des enfants adoptés en France : 200 à 300 enfants russes étaient adoptés par des parents français chaque année. L'accord franco-russe relatif à la coopération dans le domaine de l'adoption est sur le point d'entrer en vigueur. Cependant, la Russie a une attitude très réservée sur la loi relative au « mariage pour tous » adoptée par la France. Celle-ci ne correspond guère à la sensibilité de la société russe. Je prévois donc que le traité connaîtra quelques difficultés d'application. La France devra sans doute donner des garanties pour permettre les adoptions. Je précise que la procréation médicalement assistée est autorisée en Russie.
Merci beaucoup, monsieur Chevènement. Contrairement à ce qu'écrit la presse, il existe de nombreux points d'accord entre nous, en particulier sur la politique à l'égard de la Russie.
La séance est levée à onze heures quinze.