nous allons interrompre nos travaux à la fin de cette semaine pour la campagne des élections municipales.
Le groupe écologiste que je co-préside a souhaité saisir l’occasion de cette semaine de contrôle pour organiser un débat sur l’action de l’État en matière de transports urbains. Il nous a semblé que c’était particulièrement bienvenu dans cette période.
Depuis trente ans, les modalités d’intervention de l’État dans ce secteur ont profondément évolué. D’abord, on constate que les investissements de l’État diminuent légèrement au fil des années, alors que ceux des collectivités territoriales augmentent.
Aujourd’hui, les investissements de l’État en matière de transports en commun urbains ne représentent que 4 % des dépenses totales du ministère, alors qu’en parallèle les collectivités territoriales prennent en charge 75 % des investissements publics dans ce secteur.
Ensuite, on notera que les outils d’intervention de l’État ont été modifiés au fil du temps. Jusqu’en 2006, la contribution aux projets de transports collectifs urbains se faisait sous la forme d’attributions d’aides. Je me souviens, en tant qu’élu nantais, que la première ligne de tramway, décidée en 1979, avait reçu en 1981 du nouveau gouvernement une subvention qui couvrait plus de 50 % du montant de l’investissement. Nous en sommes évidemment bien loin aujourd’hui.
Depuis 2006, l’État a développé les appels à projets de transports collectifs en site propre, et les contrats de projets État-région par ailleurs.
Pour notre groupe, une politique nationale en la matière peut avoir au moins deux intérêts : accélérer la réalisation de projets et susciter un effet d’entraînement sur le territoire, dans l’ensemble des villes, avec un effet de levier pour celles-ci.
Les besoins en investissements restent importants, et ce dans au moins deux cas de figure. Il y a d’abord les agglomérations qui doivent rattraper un retard. J’y reviendrai ; je pourrais prendre notamment l’exemple de l’agglomération d’Amiens, chère à mon groupe et à sa co-présidente Barbara Pompili. Mais il y a aussi les agglomérations qui ont déjà beaucoup fait pour les transports urbains et qui se retrouvent néanmoins avec d’importants besoins de financement d’investissements, pour la rénovation et les extension du réseau, sans parler des problèmes de saturation.
On peut observer que sur les trois appels à projets de transports en commun en site propre qui ont été lancés depuis 2006, le premier, qui concernait essentiellement des projets de tramway, à Angers, Dijon, Brest, Le Havre ou encore Reims, a débouché sur 800 millions d’investissements d’État qui ont entraîné 6 milliards d’investissements des collectivités, soit un coefficient multiplicateur de 7,5.
Le deuxième, qui visait principalement les bus à haut niveau de service, les extensions de lignes de tramway et la création d’une ligne de métro à Rennes, a été soutenu par une dotation de 598 millions d’euros, ce qui a produit 7,5 milliards d’euros d’investissements des collectivités, soit un effet de levier de 12.
Enfin, le troisième appel à projets, pour lequel l’État avait prévu d’injecter 450 millions d’euros, a été gelé. Mais le ministère des transports tablait – si mes informations sont bonnes, monsieur le ministre – sur un apport des collectivités de près de 6 milliards d’euros, ce qui aurait représenté un effet de levier de 13.
L’action de l’État dans le secteur des transports urbains semble ainsi plus que jamais nécessaire, et ce quel que soit le niveau d’équipement des communes. Dans certaines villes, tout reste à faire : il y en a encore quelques-unes, même si cela peut paraître étrange à un élu d’une ville où beaucoup a été fait, comme moi. Je parlais d’Amiens, où je crois, monsieur le ministre, que vous êtes récemment allé pour rencontrer les élus et leur réaffirmer l’intention du Gouvernement de soutenir le projet de tramway. C’est typiquement le cas d’une ville où il y a un retard d’équipement à rattraper, ainsi qu’un certain volontarisme, qui doit se confirmer, de la part des élus locaux.
Dans d’autres villes, comme la mienne, Nantes, où beaucoup de projets ont été réalisés, et où la dynamique de fréquentation est très forte – parce qu’il ne suffit pas de réaliser des projets, qui ne serviraient à rien si personne n’empruntait les tramways ou les bus –, les réseaux sont parfois saturés et les besoins en entretien, en rénovation, voire en extension sont grands, alors que les capacités de financement sont déjà très fortement absorbées par les dépenses de fonctionnement.
Enfin, il y a le cas de la région parisienne, passée depuis 2006 sous la gestion unifiée et décentralisée du Syndicat des transports d’Île-de-France. Les projets en attente de financement sont nombreux, qu’il s’agisse de l’amélioration d’EOLE, de la ligne E du RER ou du plan d’urgence du réseau express régional.
Contrairement à certaines idées reçues – qui ont notamment cours dans nos villes de province –, si la région Île-de-France est déjà très équipée, elle manque encore de nombreuses infrastructures, notamment pour relier les banlieues directement entre elles, sans passer par Paris. Elle a besoin, outre l’extension des réseaux existants, de rénover ses infrastructures, ce qui est souvent lourd et coûteux.
Je prendrais un exemple, celui des infrastructures qui sont utilisées à la fois pour le transport régional et le transport national, ce qui est bien plus fréquent en Île-de-France. Je citerai un cas qui me concerne en tant qu’élu de l’ouest de la France : le barreau sud Île-de-France. C’est un sujet qui est souvent renvoyé à plus tard dans les projets d’investissement, mais sur ce barreau qui permet la connexion des TGV Atlantique, Sud-est, Est et Nord, on doit attendre que les RER passent et il y a une saturation de cet axe qui rend son utilisation très délicate, avec des lenteurs.
J’organisais ce matin une conférence de presse avec Pierre Serne, vice-président du STIF, qui expliquait que malgré les engagements extrêmement volontaristes pris par le Gouvernement il y a un an presque jour pour jour, à propos du Grand Paris Express, les financements tardent à arriver.
Dans le même temps, l’État demande à la région de cofinancer certains grands projets, comme le canal Seine-Nord, pour 200 millions d’euros, ou la nouvelle ligne Paris-Normandie, pour 60 millions d’euros rien qu’en crédits d’études.
Ce retard est non seulement préjudiciable aux collectivités, mais il l’est aussi, et surtout, aux usagers et à l’économie du pays. Car les transports urbains sont fortement créateurs d’emplois, dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, pour les infrastructures, mais aussi dans celui du matériel roulant. Je crois, monsieur le ministre, qu’aujourd’hui même, vous avez participé à une table ronde sur l’industrie ferroviaire. La commande du STIF à l’entreprise Bombardier représente pour l’usine de Valenciennes une charge de travail de trois ans et demi pour 2 000 salariés. C’est important et on ne le dit pas assez, peut-être parce que nous sommes dans un pays où on a souvent les yeux rivés sur nos entreprises nationales d’automobile. Nous avons tendance à oublier que la France est un des champions du monde de l’industrie ferroviaire, avec bien sûr Alstom, mais aussi Bombardier qui est installé sur le territoire national. Nous fabriquons tous les types de matériel : trains, TGV, TER, tramways, tram-trains… Nous produisons aussi des bus, il faut le rappeler. On parle souvent des difficultés d’Heuliez, mais sa filiale, Heuliez Bus, continue à très bien fonctionner, tout comme Iris bus, Volvo, Mercedes, qui produisent des bus en France.
Soit nous considérons que l’État doit se retirer du financement des transports urbains, ce qui reviendrait, in fine, à aller au bout d’une logique de décentralisation totale, et dans ce cas, il faudrait accompagner ce mouvement par la mise en place de nouveaux dispositifs de financement pour les collectivités locales. Soit au contraire, nous considérons que l’État a un rôle à jouer, qu’il doit assumer cette fonction d’entraînement, de levier, et nous devons alors faire des choix pour relancer un processus de financement clair et dynamique.
Pour les écologistes, la priorité doit être accordée aux transports du quotidien, c’est-à-dire à l’amélioration des réseaux existants, via des chantiers de rénovation, de modernisation ou de prolongation des lignes de transport en commun. Cela doit bien sûr s’intégrer dans la politique des plans de déplacement urbain avec les autres modes, comme le covoiturage, la voiture partagée, le développement de l’utilisation des deux-roues et de la marche à pied.
Inévitablement, cette orientation implique pour nous des choix budgétaires par rapport à de grands projets qui sont de grands consommateurs de crédits : je pense au canal Seine-Nord, nous pourrions aussi parler du Lyon-Turin qui, si j’ai bien compris, coûterait à lui seul 25 milliards d’euros et dont les recettes ne couvriraient qu’à peine 10 % des coûts. Vous connaissez également notre opposition au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, qui s’inscrit dans la même logique, ou au grand contournement routier de Strasbourg.
Voilà des exemples concrets de choix budgétaires à faire. Mais notre réflexion prend un tour particulier à la lumière de l’actualité, marquée ces derniers mois par la suspension de la taxe poids-lourds, qui était la recette toute trouvée pour développer le financement des infrastructures de transport.