Seul compte le doute qui doit nous saisir au fond de nous-mêmes, qui doit étreindre tout magistrat, tout juré, lorsqu’il est amené à prendre une décision privative de liberté, le plus souvent, ou d’acquittement, bien évidemment.
Nous sommes d’autant plus interpellés que le nombre de révisions est infime : huit depuis 1989, neuf depuis hier avec la décision rendue par la cour de révision dans l’affaire Iacono, en dépit de l’avis défavorable du parquet général qui a estimé qu’une rétractation ne constituait pas, en soi, un élément suffisant pour jeter un doute. Qui peut admettre cela alors que le parquet général a exigé qu’il y ait, en plus de la rétractation, des éléments objectifs ? Je félicite la cour de révision d’avoir pris la décision qu’elle a prise et qui permettra que se tienne un nouveau procès.
Je tiens à dire ici que toute ma vie professionnelle m’a conduit à me poser cette question fondamentale : comment peut-on admettre dans notre droit que l’erreur judiciaire soit confortée par un système judiciaire et par un système juridique, qui nous enferme dans une seringue dont on ne peut sortir ?
J’ai lu avec beaucoup d’intérêt les interpellations très fortes de la Cour de cassation et les rapports qu’année après année, elle a pu rendre. Elle nous instamment demandé de changer la loi. Nous avons reçu, dans le cadre d’un rapport d’information instruit par Georges Fenech et moi-même, plus de cinquante personnes, toutes les plus grandes institutions, toutes les plus grandes autorités, et toutes nous ont affirmé qu’il fallait changer la loi.
Je me permets, madame la garde des sceaux, de vous remercier pour la confiance que vous m’avez accordée, tout au long de cette procédure car, vous l’avez dit, le chemin est étroit. Entre l’impossibilité d’évoluer vers un troisième degré de juridiction et la nécessité absolue d’agir pour que des innocents ne soient plus en prison, il y a un chemin compliqué sur lequel nous devons nous engager. Nous devons changer la loi, mais il ne saurait être question, pour autant, d’ouvrir un troisième degré de juridiction.
Sur quoi, madame la garde des sceaux, devons-nous nous pencher ? La loi avait prévu qu’un procès pourrait être révisé, en cas de fait nouveau, de révélation d’un élément inconnu au moment du jugement ou encore, à la suite de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme, quand un procès équitable n’a pas été réservé à la personne condamnée.
Le cheminement était compliqué car il existait deux sortes de procédures. Nous avons, en accord avec M. le Premier président de la Cour de cassation, M. Lamanda, que je remercie de nous avoir éclairés par sa sagesse, créé une nouvelle juridiction qui sera la cour de révision et de réexamen, et aura à juger des procès en révision et en réexamen. Nous avons voulu que dix-huit magistrats la composent, trois par chambres de la Cour de cassation, et que la présidence en soit réservée au président de la chambre criminelle.
Nous nous sommes également penchés sur les éléments de preuve car ils disparaissaient. Les scellés disparaissent en France ! Dans l’affaire Leprince, je le dis ici, un seul scellé a été retrouvé ! Les autres n’ont pas été détruits, ils ont été perdus ! Nous avons donc proposé que les scellés soient protégés pendant cinq ans. Ils ne pourront être détruits qu’avec l’accord de la personne accusée ou, en cas de désaccord, par la chambre de l’instruction.
Nous avons également souhaité que les audiences de cours d’assises puissent être enregistrées – non pas celles des tribunaux correctionnels – parce qu’il était impossible d’établir si un fait nouveau ou un élément inconnu avait émergé faute de disposer d’un procès-verbal, traduit par le greffier, établissant ce qui avait été dit et fait. Nous nous retrouvions dans l’impossibilité de rapporter une preuve.
Nous avons encore voulu accorder des pouvoirs importants à la commission de l’instruction qui sera composée de cinq magistrats qui disposeront des mêmes pouvoirs qu’un juge d’instruction.
Nous avons fait en sorte, madame la garde des sceaux, que le doute saisisse au coeur celui qui s’apprête à rendre une décision. Quel doute pour quel fait nouveau ? Quelle notion retenir, celle de doute raisonnable, de doute sérieux ? Rappelons qu’à la suite de la proposition du sénateur Michel Dreyfus-Schmidt, il avait été suggéré de supprimer toute qualification du doute mais nous n’avons pu que constater que la jurisprudence, ne tenant pas compte de la volonté du législateur, s’appliquait toujours à imposer un doute sérieux, quand elle ne demandait pas à la personne jugée de dire qui était le véritable coupable. Comment s’étonner, dès lors, qu’il n’y ait pas de révision ? Nous avons choisi la notion du moindre doute.
Vous avez un texte de consensus, adopté par l’ensemble des membres de la commission des lois. Une question nous opposera avec Georges Fenech, celle des acquittements. J’y reviendrai. Sa position est honorable, mais je ne crois pas qu’elle soit conforme à notre système de droit.