Intervention de Mathilde Bouyé

Réunion du 19 février 2014 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Mathilde Bouyé, coordinatrice du pôle Europe à Terra Nova :

La fracture entre les citoyens et « l'Europe de Bruxelles » doit être appréhendée à la lumière de la crise globale que traverse l'Union européenne, ce qui conduisait en 2004 déjà le groupe de réflexion, mandaté par Romano Prodi et dont Olivier Ferrand était le rapporteur, à appeler à la construction d'une Europe politique.

L'Union politique est toujours, pour Terra Nova, la réponse à apporter à cette crise que nous qualifions de crise de transition. L'Union s'est construite grâce à une méthode technocratique, aujourd'hui rejetée par les citoyens, à l'apogée d'un modèle capitaliste issu de la deuxième révolution industrielle, dont les limites économiques, sociales et environnementales sont désormais patentes à l'échelle mondiale, et en reportant sine die une véritable politique étrangère et de sécurité commune, indispensable en ce début de xxiè siècle. Cette crise, qui nourrit une angoisse du déclin, une perte de repères, une défiance croissante à l'égard du politique, fragilise in fine les valeurs européennes. Nous n'en sortirons pas sans redéfinir un projet européen pour le xxiè siècle.

Il doit comporter trois promesses nouvelles : garantir une démocratie de plein exercice ; rechercher un modèle de développement durable, plus équitable et plus soutenable ; et fonder sur nos valeurs une politique étrangère européenne qui soit à la hauteur des défis globaux.

Notre contribution, en réponse à la commande de votre Commission, se focalise sur l'enjeu de la démocratisation. Le système politique européen présente des insuffisances structurelles et il faut les pallier. S'agissant de la priorité à donner aux réformes institutionnelles ou à une Europe des projets, nous sommes partisans d'une avancée concomitante d'une démocratisation par étapes, à traités constants puis avec une réforme, et d'une intégration différenciée autour du noyau de la zone euro, pour laquelle une Union politique est désormais vitale.

Cette démocratisation doit aller de pair avec l'approfondissement de l'Union politique. L'élargissement des compétences européennes en matière économique et monétaire, accéléré par la crise, ne s'est pas accompagné d'un transfert de souveraineté et d'un contrôle démocratique suffisants. Cet entre-deux est intenable : l'UEM reste bancale tandis que ses décisions pont perçues comme un diktat renforcé des grands États membres et des institutions technocratiques, Commission ou BCE. Nous risquons malheureusement d'en voir les conséquences aux prochaines élections. Il y a urgence à agir.

Dans cette perspective, Terra Nova vous propos cinq axes de réforme à engager rapidement.

Premièrement, une parlementarisation et une modernisation du système institutionnel européen sont essentielles pour faire de l'Union une démocratie représentative efficace. Les élections européennes doivent devenir l'échéance capitale pour l'orientation de l'Union. La crise européenne a renforcé les clivages entre une approche progressiste et une approche conservatrice. Il s'agit maintenant de veiller à ce que le Conseil de l'Union européenne n'ait pas une interprétation restrictive du traité de Lisbonne et qu'un lien clair soit établi entre la majorité parlementaire et la présidence de la Commission européenne, de façon à renforcer la légitimité démocratique de cette institution.

Au vu des exigences d'une démocratie représentative, il est essentiel à terme que le Parlement européen bénéficie du droit d'initiative.

La représentativité et la légitimité européennes mériteraient d'être renforcées par une répartition des sièges du Parlement selon le principe de dégressivité proportionnelle aux élections suivantes, par l'abandon prévu par Lisbonne de la règle d'un commissaire par État membre, par la mise en place à terme d'un système électoral unique avec des circonscriptions paneuropéennes et de véritables financements pour les partis européens.

Enfin, les processus décisionnels européens gagneraient en efficacité et en transparence grâce à une collégialité mieux garantie au Conseil de l'Union monétaire, à la mise en place accélérée des nouvelles règles de décision à majorité qualifiée, à la fin des accords internes au Parlement européen pour que prime la politisation des enjeux, et à une retransmission publique des séances du Conseil de l'Union.

Deuxièmement, une clarification et un renforcement de l'exécutif européen seraient permis par la démocratisation de la Commission. Je ne citerai que trois mesures possibles à traités constants.

La première consisterait à fusionner les présidences de la Commission européenne et du Conseil européen, le président de la Commission étant nommé à la seconde fonction pour privilégier concrètement le poste jouissant de la plus forte légitimité démocratique. Le traité de Lisbonne permet d'ores et déjà au Président de la Commission européenne de se porter candidat. Il s'agit certes d'un serpent de mer mais cette avancée clarifierait considérablement la gouvernance européenne et rendrait le système européen plus lisible pour les citoyens qui, aujourd'hui, ne s'y retrouvent plus.

La deuxième porterait sur la nomination par le Président de la Commission des commissaires, si possible parmi les parlementaires européens, et des vice-présidents, qui auraient, comme Mme Ashton, une double casquette pour présider des conseils sectoriels prioritaires comme l'économie et les finances, les affaires sociales, l'environnement.

La troisième mesure serait d'instituer un discours de politique générale par le Président de la Commission après son élection.

Troisièmement, il y a urgence à démocratiser la gouvernance économique européenne. Le Parlement européen et les Parlements nationaux doivent pouvoir jouer un rôle plus important dans le semestre européen.

Le président du Parlement européen devrait systématiquement prendre part aux sommets de la zone euro. Le Parlement européen devrait également, grâce à une modification des traités, devenir colégislateur dans le cadre du semestre européen. La mise en place prévue en octobre 2014 des accords contractuels, qui conditionnent un soutien financier aux États membres en difficulté, ne peut se concevoir que si elle est intégrée au semestre européen et associe pleinement le Parlement européen en tant que colégislateur.

Le renforcement du rôle des Parlements nationaux est tout aussi essentiel, compte tenu de leurs prérogatives budgétaires. À ce jour, la conférence interparlementaire n'est satisfaisante ni dans son calendrier ni dans son objet. Il faudrait organiser une deuxième réunion pendant le semestre européen, entre le Conseil européen de mars et la remise par les États membres en avril de leurs programmes de stabilité et de convergence, afin que les Parlements nationaux jouent véritablement le rôle d'interface et aient davantage de prise sur les orientations. La conférence doit couvrir tous les enjeux économiques et financiers, comme prévu par l'article 13 du TSCG. Son champ a été quelque peu restreint dans les derniers ordres du jour fixés unilatéralement par le Parlement européen.

Par ailleurs, l'implication des Parlements nationaux dans les réactions aux recommandations des institutions européennes reste fort hétérogène. Il faut assurer aux législateurs nationaux un accès plus transparent et simplifié à l'ensemble des documents des institutions européennes.

Le Parlement européen devrait également renforcer son contrôle démocratique sur la troïka et la Banque centrale européenne. La Commission européenne, qui est davantage responsable devant le Parlement européen, devrait être le pivot de la troïka. Par ailleurs, le dialogue monétaire devrait être renforcé, et la BCE faire preuve d'une plus grande transparence, notamment s'agissant des aides urgences accordées à un État membre en difficulté, comme l'appelle de ses voeux la commission économique du Parlement européen. Celui-ci pourrait encadrer les prérogatives de la BCE, ne serait-ce qu'en précisant son mandat, à savoir l'objectif de la stabilité des prix, ce qui est tout à fait possible dans le cadre des traités actuels. Les ministres des finances de la zone euro ont également un rôle à jouer en matière de politique de change, pour donner un cap plus précis à la BCE, en fonction notamment des orientations économiques et sociales qu'ils définissent dans le cadre du semestre européen. À terme, le mandat de la BCE devrait se rapprocher de celui de la Fed afin qu'elle ait une approche plus globale de l'impact de sa politique monétaire sur l'économie.

Quatrièmement, une étape supplémentaire s'impose pour la zone euro. Les déséquilibres macroéconomiques et les inégalités y sont en effet bien plus élevés que dans le reste de l'UEM, car ils sont exacerbés par le caractère bancal de l'union monétaire. La crise souligne l'urgence de pas concrets vers l'approfondissement d'une union budgétaire, fiscale, bancaire, économique et sociale, corollaire indispensable d'une monnaie unique, pour mettre fin aux stratégies non coopératives et à la concurrence entre les territoires qui grèvent la compétitivité européenne. Une telle union politique pourrait également se doter de meilleurs mécanismes d'absorption des chocs et de péréquation. La zone euro, en tant que troisième phase de l'UEM, constituerait le noyau de l'Union politique.

Quelques mesures phare pourraient être proposées aux élections :

La zone euro a besoin d'une chambre parlementaire de la zone euro pour dialoguer avec l'Eurogroupe, qu'elle soit issue du Parlement européen, comme l'y invite la Commission européenne et le groupe allemand Glienicke, ou des Parlements nationaux, comme le proposent Joschka Fischer et les signataires de la tribune parue dans Le Monde lundi, parmi lesquels Thierry Pech, directeur de Terra Nova.

La création d'un budget de la zone euro pourrait être étudiée. Il aurait pour corollaire une union fiscale embryonnaire et des ressources propres pourraient être trouvées en lui allouant une part des impôts sur les sociétés assis sur une assiette commune, de la TVA, ou, à terme, une taxe sur les transactions financières internationales.

Le commissaireprésident de l'Eurogroupe pourrait à terme représenter la zone euro dans les institutions économiques et monétaires internationales. Un siège unique européen ferait de l'Union européenne le premier contributeur au FMI, ce qui lui permettrait légitimement de demander un déménagement du Fonds en Europe…

Cinquièmement, la création d'un espace public européen est également essentielle. L'espace politico-médiatique doit être étendu en demandant aux médias nationaux d'assurer leurs obligations de service public et en travaillant à un meilleur enseignement de la citoyenneté européenne.

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