Table ronde, ouverte à la presse, sur l'Union politique européenne et le contrôle démocratique, en présence de M. Yves Bertoncini, directeur de Notre Europe, Mme Mathilde Bouyé, coordinatrice du pôle Europe à Terra Nova, et M. Guntram Wolff, directeur de l'Institut Bruegel
La séance est ouverte à neuf heures trente.
Après avoir entendu la fondation Robert Schuman, l'Institut Montaigne et la fondation Jean Jaurès, nous accueillons, pour une deuxième table ronde consacrée à l'Union politique européenne et au contrôle démocratique de ses institutions, les laboratoires d'idées Notre Europe, Terra Nova et l'Institut Bruegel. Je les remercie pour leur analyse des carences du système actuel en termes de légitimité et d'efficacité et leurs propositions pour y remédier. À mes yeux, le déficit démocratique ne se résume pas aux problèmes institutionnels et il faut une vision plus large de la démocratie.
Nos invités mettent en exergue ce qu'il est possible de faire sans modifier les traités, une démarche précieuse en ces temps de fatigue institutionnelle, après toutes les négociations qui ont mené au traité de Lisbonne.
La contribution de Notre Europe interroge la réalité du renforcement de l'échelon européen dans le sillage de celui de l'Union économique et monétaire (UEM), qui a considérablement complexifié le système et accru l'exigence de contrôle démocratique dans la mesure où le coeur des prérogatives des Parlements est touché. Notre Europe recommande de procéder d'abord à une clarification des compétences des institutions européennes dans un sens démocratique, et présente de nombreuses propositions sur la gouvernance de la zone euro. Sont aussi envisagés les moyens d'assurer l'efficacité et la lisibilité des différentes institutions de l'Union.
Terra Nova, face à ce qu'elle appelle une crise de transition, plaide pour une politisation de l'Union européenne, en rupture avec l'approche fonctionnaliste qui a guidé jusqu'ici sa construction et à qui l'on reproche maintenant d'être trop technocratique et pas assez démocratique. Par ailleurs, une véritable politique étrangère et de sécurité commune est devenue indispensable pour mettre fin au sentiment généralisé de déclassement. Il s'agit en priorité de garantir une démocratie représentative efficace en faisant des élections européennes un moment clé du débat. La légitimité électorale doit être renforcée avec un rôle accru du Parlement européen, notamment dans la politique économique, et en corollaire un ancrage plus légitime de la Commission. La création d'un espace public européen est jugée essentielle pour prévenir le divorce qui est en train de s'installer entre les citoyens et les institutions.
Enfin, l'Institut Bruegel s'est intéressé à l'efficacité et la légitimité des politiques économiques européennes, en particulier du semestre européen, et à leurs effets sur les politiques nationales, et in fine à la légitimité formelle et réelle des nouveaux droits d'intervention. Votre critique principale concerne les recommandations de la Commission qui n'ont pas fait de l'intérêt général européen l'horizon des politiques nationales et un pouvoir parlementaire que vous estimez trop faible de jure et de facto. Vous esquissez trois pistes de parlementarisation de l'Union.
Eu égard au sujet de l'exercice, nous avons axé notre argumentation sur les enjeux politico-institutionnels comme le contrôle démocratique, mais cela ne veut pas dire que, pour redynamiser l'Union politique, il ne faille pas mettre l'accent aussi et peut-être même d'abord sur les politiques, y compris sur le projet politique européen. On voit bien que certains de ses éléments sont à consolider ou à parachever, comme l'Union économique et monétaire (UEM), l'espace de libre circulation. Plus globalement, le projet européen doit trouver un nouveau souffle, une nouvelle légitimité. Porté à l'origine par une volonté de réconciliation, le projet européen doit désormais s'inscrire dans la mondialisation et se décliner dans les domaines commercial, énergétique, migratoire, climatique et diplomatique.
Nous formulons, concernant l'Union politique, trois séries de recommandations.
La première porte sur les compétences de l'Union. Notre ancien président, Tommaso Padoa-Schioppa, disait souvent que le mot démocratie renvoyait non seulement au δημος, aux citoyens, mais aussi au κρατος, aux pouvoirs de l'Union européenne à l'égard des États membres. Aussi la première priorité doit-elle être de clarifier leurs compétences respectives. Il ne s'agit pas d'en donner encore davantage à l'Union ; le traité de Lisbonne lui en donne déjà beaucoup et des clauses de flexibilité permettent de les étendre si nécessaire. Mais il faut leur préciser car plus personne ne comprend qui fait quoi au sein de l'Union européenne et au sein de l'UEM.
Un quart seulement des directives de l'Union européenne a une portée législative ; les trois quarts d'entre elles sont transposés par l'administration parce que ce sont des directives d'exécution adoptées souvent par la Commission européenne dans le cadre de ce que le jargon bruxellois appelle des procédures « comitologiques ». Il faudrait donc dissiper le mythe selon lequel 80 % de nos lois viendraient de Bruxelles.
Au sein de l'UEM, la crise a conduit à une forme d'intégration solidaire en contrepartie d'un contrôle accru. Ces évolutions ont bouleversé les frontières entre ce qui relève de l'UEM et ce qui relève des États membres. Là encore, il faut clarifier les rôles avant d'aller plus loin le cas échéant.
L'Europe a joué quatre rôles différents.
Elle s'est d'abord comportée comme le FMI, mais à titre temporaire et à l'intérieur d'une zone géographiquement limitée. Ainsi, le programme d'aide de l'UE-FMI s'est appliqué à quatre États membres qui ont de facto aliéné leur souveraineté vis-à-vis des marchés financiers. En échange des financements obtenus, ils ont dû subir un contrôle très approfondi de l'Union et du FMI. Se comportant comme le FMI, elle est devenue aussi populaire que lui.
Dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance, l'Union agit un peu comme l'ONU puisqu'elle fait respecter des limites, des ratios économiques au lieu des frontières. À ce titre, l'Union fixe des obligations de résultat, mais pas de moyens. La mutualisation des dettes bouleverserait la donne dans la mesure où, en donnant sa garantie aux eurobonds ou aux eurobills, elle gagnerait le droit d'avoir son mot à dire dans les budgets nationaux.
L'Union fait aussi figure d'hyper-OCDE puisqu'elle fait des recommandations sur presque tous les sujets, l'âge de départ à la retraite par exemple, sans avoir les pouvoirs de les mettre en oeuvre. Ces prises de position tous azimuts créent un flou dramatique dans le partage des responsabilités et des compétences entre l'Union et ses membres.
Enfin, l'Union est apparue comme une sorte de Banque mondiale qui, parce qu'elle paie, donne des conseils. Je vous renvoie au projet d'arrangement contractuel entre l'Union et les pays de la zone euro, et même au-delà. Jacques Delors a parlé à ce sujet d'un super-fonds de cohésion et son intervention donnerait plus de légitimité aux recommandations de l'Union.
Cette typologie montre qu'il n'est pas besoin de modifier les traités pour clarifier d'ores et déjà les compétences. Il suffit de préciser que les directives sont des directives d'exécution. L'Union peut aussi réfréner ses tendances à faire des recommandations du type OCDE car il n'en a jamais été question dans le projet européen.
La deuxième série de remarques concerne le δημος, les citoyens. Dans ce domaine, le plus urgent consiste à mettre des visages sur des clivages car c'est ce qui manque à l'Union. Les prises de position existent au niveau européen, mais les visages qui les incarnent ne sont pas suffisamment visibles aux yeux des citoyens. Cela est particulièrement vrai au sein de la zone euro. Ces dernières années, elle a eu surtout l'apparence de la troïka : trois technocrates représentant une même pensée monolithique. La troïka était sûrement une nécessité économique, mais c'est un désastre politique.
On peut reprocher à l'Union européenne dans la dernière période d'avoir été en déficit d'efficacité, de popularité, mais plus difficilement de démocratie, la troïka mise à part, car le clivage dominant ces dernières années ne séparait pas Bruxelles et les peuples, mais les peuples entre eux – les Allemands et les Grecs par exemple. C'est pour cela qu'il a été si difficile de se mettre d'accord lors des Conseils européens à qui l'on peut en effet reprocher d'avoir agi trop peu, trop tard. Il s'agit donc d'un manque d'efficacité plutôt que de démocratie. La BCE n'a pas eu les mêmes problèmes puisqu'elle n'a pas d'ancrage démocratique.
Cela dit, pour mettre des visages sur la gouvernance européenne, on peut organiser des sommets de la zone euro plus réguliers, avoir un président à plein-temps pour l'Eurogroupe. Et, si des crises venaient à se reproduire, il faudrait un trio, et non plus une troïka, composé d'Européens, des représentants de la Commission, de la BCE et de l'Eurogroupe, afin d'éviter une dilution des responsabilités.
Il faut aussi faire connaître le visage des parlementaires, en renforçant leur rôle. Il y a ainsi au Parlement européen un projet de sous-commission pour la zone euro. L'article 13 du TSCG donne une base juridique pour créer une conférence interparlementaire traitant des sujets relatifs à l'UEM. C'est une nécessité et il faut aussi lui donner des pouvoirs clairs et retransmettre ses débats.
Au niveau de l'Union européenne, l'incarnation des politiques et la politisation des débats est déjà en marche, mais elle est opaque au niveau du conseil des ministres où l'on ne sait pas qui dit quoi, bien que le traité de Lisbonne stipule qu'en formation législative, les délibérations doivent être totalement transparentes. Au Parlement aussi, cette évolution est en cours et il suffirait par exemple des relevés de vote. Dans votre Assemblée, les citoyens peuvent savoir qui a voté quoi. Au Parlement européen ou au conseil des ministres aussi, mais il faut appartenir à un think tank pour savoir où chercher. Il s'agit pourtant d'une information majeure sur un plan strictement démocratique.
Autre échéance essentielle, l'élection du prochain président de la Commission européenne qui sera issu de la majorité du Parlement. Chaque visage portera un projet et il y a déjà des candidats. C'est une excellente occasion de renforcer le contrôle démocratique.
La troisième et dernière série de remarques a trait au fonctionnement des institutions européennes, pour les rendre plus légitimes et efficaces.
S'agissant de la Commission, sa composition qui prévoit un commissaire par État membre garantit sa représentativité. Maintenir ce principe ne veut pas dire que son fonctionnement ne puisse pas être plus vertical : son président, puisqu'il est issu de la majorité du Parlement européen, pourrait avoir plus de pouvoir et davantage de latitude pour organiser son équipe. Il faudrait qu'il désigne les six vice-présidents en fonction de leur poids politique et qu'à eux sept, ils se répartissent le travail.
Il n'est pas raisonnable de conserver la présidence tournante semestrielle du conseil des ministres ; elle ne sert à rien. Il faudrait instaurer un mandat d'au moins dix-huit mois assumé par un trio, et mettre les bons présidents à la tête des bons conseils.
Le déficit démocratique européen trouve aussi sa source au niveau national. Il y a une très grande hétérogénéité dans la nature et l'étendue des contrôles exercés par les Parlements nationaux sur leurs gouvernements respectifs. Nous avions fait une étude sur ce sujet pour le Parlement européen, qui place la France au milieu du peloton. Le Bundestag contrôle bien mieux Angela Merkel que l'Assemblée nationale François Hollande. Il y a des améliorations à apporter qui sont de votre ressort.
La plupart des recommandations que nous formulons n'impliquent pas nécessairement un changement des traités. Une modification des pratiques politiques suffit souvent. L'articulation entre l'Union européenne et la zone euro gagnerait en efficacité s'il était fait appel au mécanisme des coopérations renforcées plutôt qu'à des traités parallèles. Il a précisément pour but de gérer l'unité dans la diversité, dans le cadre d'un contrôle démocratique exercé par la Commission, le Parlement européen et les Parlements nationaux. Jacques Delors a souligné que la coopération renforcée est un outil qui n'a pas été suffisamment utilisé.
La fracture entre les citoyens et « l'Europe de Bruxelles » doit être appréhendée à la lumière de la crise globale que traverse l'Union européenne, ce qui conduisait en 2004 déjà le groupe de réflexion, mandaté par Romano Prodi et dont Olivier Ferrand était le rapporteur, à appeler à la construction d'une Europe politique.
L'Union politique est toujours, pour Terra Nova, la réponse à apporter à cette crise que nous qualifions de crise de transition. L'Union s'est construite grâce à une méthode technocratique, aujourd'hui rejetée par les citoyens, à l'apogée d'un modèle capitaliste issu de la deuxième révolution industrielle, dont les limites économiques, sociales et environnementales sont désormais patentes à l'échelle mondiale, et en reportant sine die une véritable politique étrangère et de sécurité commune, indispensable en ce début de xxiè siècle. Cette crise, qui nourrit une angoisse du déclin, une perte de repères, une défiance croissante à l'égard du politique, fragilise in fine les valeurs européennes. Nous n'en sortirons pas sans redéfinir un projet européen pour le xxiè siècle.
Il doit comporter trois promesses nouvelles : garantir une démocratie de plein exercice ; rechercher un modèle de développement durable, plus équitable et plus soutenable ; et fonder sur nos valeurs une politique étrangère européenne qui soit à la hauteur des défis globaux.
Notre contribution, en réponse à la commande de votre Commission, se focalise sur l'enjeu de la démocratisation. Le système politique européen présente des insuffisances structurelles et il faut les pallier. S'agissant de la priorité à donner aux réformes institutionnelles ou à une Europe des projets, nous sommes partisans d'une avancée concomitante d'une démocratisation par étapes, à traités constants puis avec une réforme, et d'une intégration différenciée autour du noyau de la zone euro, pour laquelle une Union politique est désormais vitale.
Cette démocratisation doit aller de pair avec l'approfondissement de l'Union politique. L'élargissement des compétences européennes en matière économique et monétaire, accéléré par la crise, ne s'est pas accompagné d'un transfert de souveraineté et d'un contrôle démocratique suffisants. Cet entre-deux est intenable : l'UEM reste bancale tandis que ses décisions pont perçues comme un diktat renforcé des grands États membres et des institutions technocratiques, Commission ou BCE. Nous risquons malheureusement d'en voir les conséquences aux prochaines élections. Il y a urgence à agir.
Dans cette perspective, Terra Nova vous propos cinq axes de réforme à engager rapidement.
Premièrement, une parlementarisation et une modernisation du système institutionnel européen sont essentielles pour faire de l'Union une démocratie représentative efficace. Les élections européennes doivent devenir l'échéance capitale pour l'orientation de l'Union. La crise européenne a renforcé les clivages entre une approche progressiste et une approche conservatrice. Il s'agit maintenant de veiller à ce que le Conseil de l'Union européenne n'ait pas une interprétation restrictive du traité de Lisbonne et qu'un lien clair soit établi entre la majorité parlementaire et la présidence de la Commission européenne, de façon à renforcer la légitimité démocratique de cette institution.
Au vu des exigences d'une démocratie représentative, il est essentiel à terme que le Parlement européen bénéficie du droit d'initiative.
La représentativité et la légitimité européennes mériteraient d'être renforcées par une répartition des sièges du Parlement selon le principe de dégressivité proportionnelle aux élections suivantes, par l'abandon prévu par Lisbonne de la règle d'un commissaire par État membre, par la mise en place à terme d'un système électoral unique avec des circonscriptions paneuropéennes et de véritables financements pour les partis européens.
Enfin, les processus décisionnels européens gagneraient en efficacité et en transparence grâce à une collégialité mieux garantie au Conseil de l'Union monétaire, à la mise en place accélérée des nouvelles règles de décision à majorité qualifiée, à la fin des accords internes au Parlement européen pour que prime la politisation des enjeux, et à une retransmission publique des séances du Conseil de l'Union.
Deuxièmement, une clarification et un renforcement de l'exécutif européen seraient permis par la démocratisation de la Commission. Je ne citerai que trois mesures possibles à traités constants.
La première consisterait à fusionner les présidences de la Commission européenne et du Conseil européen, le président de la Commission étant nommé à la seconde fonction pour privilégier concrètement le poste jouissant de la plus forte légitimité démocratique. Le traité de Lisbonne permet d'ores et déjà au Président de la Commission européenne de se porter candidat. Il s'agit certes d'un serpent de mer mais cette avancée clarifierait considérablement la gouvernance européenne et rendrait le système européen plus lisible pour les citoyens qui, aujourd'hui, ne s'y retrouvent plus.
La deuxième porterait sur la nomination par le Président de la Commission des commissaires, si possible parmi les parlementaires européens, et des vice-présidents, qui auraient, comme Mme Ashton, une double casquette pour présider des conseils sectoriels prioritaires comme l'économie et les finances, les affaires sociales, l'environnement.
La troisième mesure serait d'instituer un discours de politique générale par le Président de la Commission après son élection.
Troisièmement, il y a urgence à démocratiser la gouvernance économique européenne. Le Parlement européen et les Parlements nationaux doivent pouvoir jouer un rôle plus important dans le semestre européen.
Le président du Parlement européen devrait systématiquement prendre part aux sommets de la zone euro. Le Parlement européen devrait également, grâce à une modification des traités, devenir colégislateur dans le cadre du semestre européen. La mise en place prévue en octobre 2014 des accords contractuels, qui conditionnent un soutien financier aux États membres en difficulté, ne peut se concevoir que si elle est intégrée au semestre européen et associe pleinement le Parlement européen en tant que colégislateur.
Le renforcement du rôle des Parlements nationaux est tout aussi essentiel, compte tenu de leurs prérogatives budgétaires. À ce jour, la conférence interparlementaire n'est satisfaisante ni dans son calendrier ni dans son objet. Il faudrait organiser une deuxième réunion pendant le semestre européen, entre le Conseil européen de mars et la remise par les États membres en avril de leurs programmes de stabilité et de convergence, afin que les Parlements nationaux jouent véritablement le rôle d'interface et aient davantage de prise sur les orientations. La conférence doit couvrir tous les enjeux économiques et financiers, comme prévu par l'article 13 du TSCG. Son champ a été quelque peu restreint dans les derniers ordres du jour fixés unilatéralement par le Parlement européen.
Par ailleurs, l'implication des Parlements nationaux dans les réactions aux recommandations des institutions européennes reste fort hétérogène. Il faut assurer aux législateurs nationaux un accès plus transparent et simplifié à l'ensemble des documents des institutions européennes.
Le Parlement européen devrait également renforcer son contrôle démocratique sur la troïka et la Banque centrale européenne. La Commission européenne, qui est davantage responsable devant le Parlement européen, devrait être le pivot de la troïka. Par ailleurs, le dialogue monétaire devrait être renforcé, et la BCE faire preuve d'une plus grande transparence, notamment s'agissant des aides urgences accordées à un État membre en difficulté, comme l'appelle de ses voeux la commission économique du Parlement européen. Celui-ci pourrait encadrer les prérogatives de la BCE, ne serait-ce qu'en précisant son mandat, à savoir l'objectif de la stabilité des prix, ce qui est tout à fait possible dans le cadre des traités actuels. Les ministres des finances de la zone euro ont également un rôle à jouer en matière de politique de change, pour donner un cap plus précis à la BCE, en fonction notamment des orientations économiques et sociales qu'ils définissent dans le cadre du semestre européen. À terme, le mandat de la BCE devrait se rapprocher de celui de la Fed afin qu'elle ait une approche plus globale de l'impact de sa politique monétaire sur l'économie.
Quatrièmement, une étape supplémentaire s'impose pour la zone euro. Les déséquilibres macroéconomiques et les inégalités y sont en effet bien plus élevés que dans le reste de l'UEM, car ils sont exacerbés par le caractère bancal de l'union monétaire. La crise souligne l'urgence de pas concrets vers l'approfondissement d'une union budgétaire, fiscale, bancaire, économique et sociale, corollaire indispensable d'une monnaie unique, pour mettre fin aux stratégies non coopératives et à la concurrence entre les territoires qui grèvent la compétitivité européenne. Une telle union politique pourrait également se doter de meilleurs mécanismes d'absorption des chocs et de péréquation. La zone euro, en tant que troisième phase de l'UEM, constituerait le noyau de l'Union politique.
Quelques mesures phare pourraient être proposées aux élections :
La zone euro a besoin d'une chambre parlementaire de la zone euro pour dialoguer avec l'Eurogroupe, qu'elle soit issue du Parlement européen, comme l'y invite la Commission européenne et le groupe allemand Glienicke, ou des Parlements nationaux, comme le proposent Joschka Fischer et les signataires de la tribune parue dans Le Monde lundi, parmi lesquels Thierry Pech, directeur de Terra Nova.
La création d'un budget de la zone euro pourrait être étudiée. Il aurait pour corollaire une union fiscale embryonnaire et des ressources propres pourraient être trouvées en lui allouant une part des impôts sur les sociétés assis sur une assiette commune, de la TVA, ou, à terme, une taxe sur les transactions financières internationales.
Le commissaireprésident de l'Eurogroupe pourrait à terme représenter la zone euro dans les institutions économiques et monétaires internationales. Un siège unique européen ferait de l'Union européenne le premier contributeur au FMI, ce qui lui permettrait légitimement de demander un déménagement du Fonds en Europe…
Cinquièmement, la création d'un espace public européen est également essentielle. L'espace politico-médiatique doit être étendu en demandant aux médias nationaux d'assurer leurs obligations de service public et en travaillant à un meilleur enseignement de la citoyenneté européenne.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, mon intervention porte sur la tension entre l'efficacité et la légitimité des recommandations sur les politiques macroéconomiques en Europe. Pour les marchés, la gouvernance économique européenne fait face à une crise d'efficacité ; pour les citoyens, l'Union européenne souffre d'une légitimité démocratique insuffisante. Le semestre européen, qui introduit un système de surveillance des politiques économiques, n'a pas réconcilié les points de vue.
Les recommandations formulées dans ce cadre ne se concentrent pas suffisamment sur les grandes politiques dont les effets se font sentir jusque dans les pays voisins – c'est ce qu'on appelle le spillover. Par ailleurs, les mesures de conformité prises au niveau national portent davantage sur la forme que sur le fond. Se pose donc la question de l'efficacité et de la légitimité démocratique de cette nouvelle modalité d'intervention du niveau européen. Le semestre européen ne peut fonctionner sans légitimité. In fine, les Parlements nationaux restent source de légitimité puisqu'ils conservent la prérogative de voter le budget national, la politique fiscale et toutes les réformes relatives aux marchés financiers et au marché du travail.
Face à l'échec de Maastricht, une réforme de la gouvernance économique européenne a été lancée en 2010. Elle a consisté notamment à permettre, avec le semestre européen, que l'Union européenne rende un avis sur les budgets nationaux avant qu'ils soient votés. L'objectif est d'assurer une synergie entre les priorités nationales et européennes. Depuis 2011, le semestre a fusionné avec plusieurs réglementations plus strictes concernant les politiques structurelles et fiscales. Le semestre européen peut donc être perçu comme une tentative de redistribuer le pouvoir entre les niveaux européen et national sans réviser les traités. Toutefois, comme les autorités nationales, dont la légitimité procède de l'élection, ne transposent pas systématiquement les recommandations qui leur sont faites, l'efficacité du semestre européen a été limitée jusqu'à présent. Une meilleure utilisation des règlements obligatoires pourrait être imposée, mais cela rendrait aussitôt brûlante la question de leur légitimité. Les aides financières en fournissent un exemple frappant : leur caractère conditionnel est très intrusif pour les quatre pays sous programme. La démarche est très efficace, mais pas forcément démocratique.
S'agissant du rôle des Parlements, le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ne confère qu'une autorité très limitée au Parlement européen dans la coordination des politiques économiques. Depuis l'introduction du semestre européen, il peut cependant intervenir de sa propre initiative à n'importe quel moment pour commenter les priorités annuelles et réagir aux recommandations faites à chacun des pays, mais sans pouvoir les amender. Il peut exercer une pression morale mais il n'a pas de pouvoir décisionnel.
Sur le plan national, le vote du budget constitue la prérogative fondamentale du Parlement. Pour apprécier leur rôle, nous avons demandé à chacun d'entre eux la place et le rôle du semestre européen. Premier constat : sur les vingt-sept interrogés, seuls les Parlements français, italien, luxembourgeois, portugais, slovaque, espagnol et britannique débattent des programmes du semestre européen. Deuxième constat : les commissions parlementaires sont davantage impliquées dans les discussions mais, très souvent, il s'agit de la commission des affaires européennes et non la commission du budget, pourtant plus directement concernée par les recommandations. Dernier constat : nombreux sont les pays à n'avoir pas débattu des recommandations du Conseil. Les Parlements nationaux n'apportent donc qu'une légitimité très limitée aux recommandations et elles sont nombreuses à n'être pas mises en place.
Trois changements peuvent être envisagés pour améliorer la situation, pour réduire les tensions entre le niveau européen et le niveau national en renforçant à la fois l'efficacité et la légitimité du semestre européen.
Que Bruxelles aille à la rencontre des capitales. Autrement dit, les commissaires européens et le président de la BCE doivent être plus présents dans les capitales et les Parlements nationaux, pour expliquer leurs politiques.
Que les capitales se rendent à Bruxelles. Il s'agit de la coopération interparlementaire qui est destinée à favoriser les échanges entre le Parlement européen et les Parlements nationaux. Mais la décision finale resterait de leur ressort.
Dépasser les traités pour instaurer un budget commun à la zone euro, dont je suis convaincu de la nécessité. Un changement de traité serait indispensable pour autoriser le Parlement européen à lever l'impôt pour créer un fonds de stabilisation suffisant pour venir en aide aux pays en difficulté. En dotant l'Union d'un budget ad hoc, une forme d'union fiscale verrait le jour. Ses dépenses seraient légitimées par une participation accrue du Parlement européen puisqu'il approuverait ce budget, comme il le fait pour celui des Vingt-sept. Il faudrait alors sans doute envisager une formation resserrée à la zone euro pour toutes les décisions relatives à cette zone.
Madame, vous avez évoqué la mise en place du vote à la majorité qualifiée pour surmonter les blocages causés par l'exigence de l'unanimité. Quelles sont les réticences rencontrées parmi les gouvernements et les parlementaires ? Une évolution des traités est-elle envisageable ? Et selon quel calendrier ?
Le débat d'aujourd'hui est vain dans la mesure où, depuis l'origine, l'Europe s'est construite sur un mensonge. Il ne s'agit pas de savoir s'il faut que la politisation pseudo-démocratique prenne le pas sur la technocratie puisque, dès le départ, ses artisans ont voulu construire une Europe fédérale, au mieux sans les peuples, au pire contre eux. Ils s'en rendent compte, mais l'Europe continue à avancer. Quand ils ont l'occasion de s'exprimer, ils le font, mais ils ne votent pas comme on avait envie qu'ils votent. Parfois, on les fait même revoter pour être sûr qu'ils répondent bien. Il ne faut pas croire que les peuples sont idiots et qu'on pourra leur imposer indéfiniment une construction irréelle, même si elle avait sa logique à une certaine époque. Or, si les peuples européens appartiennent bien à une même civilisation, ils ont des différences et, à vouloir obstinément les gommer, on s'expose à un violent retour de bâton. On peut continuer à débattre du sexe des anges, mais la réalité des peuples, des nations s'imposera. Nous avons donc besoin d'une Europe des nations, des peuples et des projets.
Le débat est intéressant mais il faudrait, madame la présidente, entendre un point de vue moins monolithique et inviter par exemple la Fondation Res Publica.
À intervalles réguliers, on nous tient le même discours – ça ne va pas, mais il faut aller plus loin et ça ira mieux – qui me rappelle celui des congrès du Parti communiste soviétique jusqu'au jour où tout s'est écroulé. Malheureusement, on perd beaucoup de temps.
Très paradoxalement, vous prônez sans cesse l'amélioration de la démocratie alors que les résultats des référendums ont été bafoués. Le pouvoir a été confié à des organismes non élus : la Cour de justice, la Banque centrale européenne et la Commission. Leur boulimie et l'absence de contrôle font qu'ils prennent des décisions contraires à l'intérêt des peuples, lesquels s'en aperçoivent.
En effet, nous sommes bien dans un entre-deux, c'est-à-dire au bout d'une logique qui faisait semblant de respecter les peuples avec pour idéal de les réunir. Désormais, il ne reste plus que deux options : le coup de force, qui est en cours, et qui conduira à de graves désordres avec le retour des nationalismes ; ou le retour à une vision plus saine et réaliste qui est l'Europe des nations et des projets.
Contrairement à ce que vous croyez, la démocratie ne peut pas être européenne parce qu'il n'existe pas de peuple européen : il n'y a ni langue commune, ni partis communs. Il suffit pour s'en convaincre de regarder le taux de participation aux élections européennes. Vous poursuivez donc un mirage, celui d'une Europe politique. Elle ne peut pas exister. La preuve en est que l'Angleterre s'en va et que Mme Merkel ne défend que les intérêts allemands. Il n'y a guère que la France qui ne sait plus ce qu'elle défend. La vision qui est la vôtre est tellement décalée par rapport à la réalité qu'elle ne peut que s'écrouler. Je le déplore parce que nous perdons du temps.
Depuis que des discours comme les vôtres sont tenus, aucun grand projet industriel a été lancé, à part Galileo qui a du mal à se développer. La seule action concrète des institutions a consisté à prêter 1 000 milliards d'euros à 1 % à des banques pour qu'elles les reprêtent aux États entre 3 % et 7 %. L'Europe est obsédée par les normes et les rapports entre les pouvoirs mais elle ne s'intéresse pas aux projets.
Ajoutez à ces difficultés un élargissement forcé, qui persiste, et sans consulter les peuples. Il est facile de venir ensuite expliquer qu'il faut des visages et des hochets pour les Parlements nationaux, et que tout s'arrangera. Vous êtes tous les trois prisonniers d'une vision idéologique qui vous empêche de voir la réalité et je crains malheureusement que tout cela ne se termine mal.
C'est pourquoi je préfère une autre solution : l'Europe des nations à la carte, plus souple, avec des coopérations concrètes mises en oeuvre par des agences. Le xxiè siècle n'est pas le siècle des conglomérats ; c'est celui des réseaux au sein desquels peuvent tirer leur épingle du jeu de petits pays agiles, comme la Corée du Sud, Singapour, la Malaisie ou même l'Angleterre. Nous devons continuer à travailler avec nos amis allemands, italiens,… à des projets. Parce que la guerre est désormais économique, scientifique, industrielle, il serait plus adapté de rapatrier au niveau national tout ce qui concerne la vie quotidienne, et de s'atteler à bâtir une quinzaine de projets concrets dont dépend la hiérarchie des continents au xxiè siècle.
Je suis au moins d'accord avec Nicolas Dupont-Aignan sur le fait que des projets sont nécessaires. Les citoyens attendent de l'Europe qu'elle s'occupe de leurs préoccupations, plutôt qu'elle réforme ses institutions.
En effet, le rôle des Parlements nationaux doit être accru. Mais c'est à eux de prendre le pouvoir. Contrairement au Bundestag, le Parlement français ne joue pas son rôle. Par exemple, l'aide à la Grèce a été validée ici sans même avoir regardé les montants ! Au Bundestag, les commissions se sont réunies les unes après les autres, chacune examinant combien on allait donner à la Grèce, selon quelles modalités… La France fait preuve d'une grande naïveté en la matière et il faudrait absolument que le Parlement français prenne le pouvoir. Il ne peut pas le faire de la même façon qu'en Allemagne puisque la France est un régime quasi présidentiel. Au moins pourrions-nous interroger les ministres et leur donner un cadre de négociation avant qu'ils assistent au Conseil à Bruxelles, et entendre le Premier ministre préalablement aux Conseils européens où il se rend avec M. Hollande. La première chose à faire consiste à améliorer le fonctionnement du Parlement français.
La conférence interparlementaire sur la gouvernance économique et financière, prévue par l'article 13 du TSCG, et dont je suis à l'origine, est un progrès en ce qu'elle offre une instance commune aux Parlements nationaux et au Parlement européen. Cela dit, il manque totalement de bonne volonté car il ne comprend pas la nécessité de travailler avec les Parlements nationaux. Nous n'avons même pas réussi à nous entendre sur un règlement intérieur.
La Commission européenne a complètement dévié de son rôle. M. Dupont-Aignan reproche aux commissaires de ne pas être élus. Je ne suis pas d'accord dans la mesure où ce sont en général des responsables politiques et où ils sont soumis à un examen et à un vote de chacune des commissions. À deux reprises, des candidats ont été refusés. En revanche, je m'inquiète qu'il y ait autant de commissaires que d'États membres. Cela conduit à diviser de plus en plus les portefeuilles au détriment également de la collégialité. Il est arrivé à Jacques Delors d'être désavoué par un vote du collège des commissaires. Aujourd'hui, chacun d'eux, soucieux de marquer son mandat, arrive avec son dossier et la décision est prise sans que personne ne l'ait étudiée. Voilà la raison de l'inflation technocratique et tatillonne. Là non plus, les Parlements nationaux n'ont pas exercé leur contrôle sur la subsidiarité. Nous devrions aussi faire un exercice d'autocritique.
La solution est sans doute dans une zone euro mieux identifiée, et dont la présidence soit stable. En plus, le titulaire actuel n'est pas bon. Il faut une Europe constituée de deux cercles : celui de la zone euro et celui de l'Union européenne, avec des coopérations renforcées dans certains domaines comme la défense.
La fusion de la présidence de la Commission et de celle du Conseil européen est tout à fait possible sans changement des traités. Elle aurait l'avantage de donner un visage à l'Europe, mais il sera malheureusement difficile de revenir sur les habitudes prises.
Le point important à retenir, c'est le clivage entre les peuples. L'Europe peut agir sur tel ou tel point, mais elle n'a pas de vision globale. La légitimité démocratique ne réside pas exclusivement dans le suffrage universel. Ce n'est pas parce que l'on élirait l'assemblée générale des Nations unies au suffrage universel qu'elle serait plus légitime.
Plutôt que de parler de δημος et de κρατος, je soulignerai la summa divisio entre la culture du centre et de l'est de l'Europe et celle des pays du « club Méditerranée », qui réunit Français du Sud, Italiens, Espagnols, Portugais et Grecs. Nous avons d'autres valeurs, une autre éthique… Nous n'avons pas forcément envie de parler tous anglais pour trouver du travail, de vivre dans une société en phase avec la mondialisation ultralibérale. Nous gardons pour référence le Conseil national de la résistance et sa sécurité sociale et son régime de retraite. Nous n'avons pas envie d'adopter la culture et la politique américaines. Au xixè siècle, le printemps des peuples qui a marqué l'éveil des nations a été vécu comme une libération à l'égard des empires ottoman, austro-hongrois et russe, et non comme un retour à une horreur moyenâgeuse. Aujourd'hui, n'imposons pas par le suffrage universel des visages falots puisqu'ils auraient été choisis pour l'être. Le suffrage universel ne suffira à pas à rendre acceptables une éthique et une culture différentes de celles des peuples.
Franchement, je me suis cru sur une autre planète tant le discours que vous avez tenu, les uns et les autres, est décalé par rapport à la réalité.
La démocratie, c'est la cité et la nation. Vouloir organiser vingt-huit États et vingt-huit peuples différents autour de la démocratie telle que vous la concevez est une erreur tragique. Il ne peut pas y avoir de démocratie au niveau européen comme il en existe au niveau national.
Vous défendez des positions « négationnistes ». Ainsi, vous voulez transformer la zone euro en union de transferts alors que personne n'en veut, les Allemands les premiers. Allez donc leur parler d'eurobonds ! Ils ont calculé que pour qu'une telle union soit viable, il faudrait transférer chaque année entre 8 et 12 points de leur PIB à perpétuité. Quel peuple accepterait ? C'est complètement u-to-pique !
La refonte de l'Europe est inévitable car celle-ci va à vau-l'eau. Il faut sabrer dans les compétences et garder dans la main des États des politiques communes comme le marché intérieur. Tout le reste doit redescendre au niveau national sous peine de voir l'Europe frappée d'apoplexie. L'Europe s'est élargie, l'obésité la guette et il faut revenir à une coopération entre États. Vous préconisez au contraire une fuite en avant. Comment, vous qui êtes des universitaires brillants, pouvez-vous tenir pareils discours – à moins de toucher beaucoup de subventions de la Commission ? (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)
Vous avez cité sept fois Bruxelles, jamais Strasbourg. Où placez-vous le siège du Parlement européen ?
Favorable à la parlementarisation renforcée du système politique européen, je reste perplexe devant la chronologie de la procédure budgétaire, échéance primordiale pour les projets européens. Le cadre financier pluriannuel (CFP) a été élaboré jusqu'en 2020 avant même les élections européennes, et les clauses de revoyure sont réduites au minimum. À cause de ce décalage, les parlementaires européens ne peuvent pas décider du cadre budgétaire, surtout qu'ils n'ont la main que sur les dépenses. Ne pourrait-on pas caler le CFP sur la durée du mandat parlementaire ?
Ancienne parlementaire européenne, j'ai assisté à des conférences interparlementaires. Elles ressemblaient beaucoup à des shows dans lesquels ceux qui sont en permanence à Bruxelles captaient l'attention. Ce n'est pas avec la présence épisodique de deux ou trois parlementaires nationaux qui passent de salle en salle que la permanence de la représentation nationale est assurée. Faute d'accès à la connaissance, elle ne peut guère espérer exercer une influence politique dans ce cadre. Partagez-vous les mêmes réserves ?
C'est vrai, notre prise en main des questions européennes n'est pas bonne. J'ai beaucoup regretté que le prélèvement sur recettes, qui correspond à la contribution de la France au budget européen, 22 milliards d'euros, fasse l'objet d'une minute et demie d'attention. Seul un amendement de suppression a été examiné. J'en appelle à notre présidente qui sait que je suis attachée à un débat particulier sur ce sujet. Il est impératif de rendre l'Union européenne plus visible, de tisser des relations entre le Parlement européen et les Parlements nationaux.
Je trouve aussi la situation surréaliste, moi qui suis revenu ce matin même de Bangui avec mon collègue Bacquet. On nous fait des propositions passionnantes, comme remplacer M. Van Rompuy par M. Barroso à la tête du Conseil européen, choisir les commissaires parmi les parlementaires européens, lever des impôts européens… Pendant ce temps-là, dans une situation aussi désespérée que celle dans laquelle est plongée la Centrafrique, les Européens se renvoient la balle. Dans ce pays, il n'y a pas d'État, pas de gendarmes, pas de gardiens de prison, pas de juges. Les quelques gendarmes que l'on rencontre dans la rue sont payés par l'ambassade de France trois euros par jour, pour qu'ils puissent manger. La première chose à faire, c'est de mettre un peu d'ordre. Quand on demande à l'ambassadeur de l'Union européenne de faire quelque chose, il ne peut pas. Quand on demande au représentant de la commissaire chargée de l'aide humanitaire, il attend une visite éventuelle de M. Piebalgs. En mars, peut-être… Madame, vous comprendrez que le modèle irénique que vous nous avez présenté ne correspond pas du tout à ce que nous vivons, nous pauvres parlementaires nationaux qui sommes confrontés parfois à des vrais gens et à des situations terribles.
Franchement, j'ai beaucoup de respect pour les think tanks ; j'y ai même passé les dix premières années de ma vie professionnelle. Mais, de grâce, essayez de garder les pieds sur terre. Cela ne sert rigoureusement à rien de nous présenter des schémas institutionnels fédéralistes au moment où le bateau prend l'eau de toutes parts. Nous allons vers des élections très difficiles, pour la droite comme pour la gauche, tant l'Europe est déconnectée des réalités, qu'il soit question de la Centrafrique, de l'immigration – les accords de Schengen ne marchent pas –, d'industrie ou d'énergie faute de politiques européennes. Regardez ce qui se passe en Ukraine. Pourquoi l'Union européenne n'a-t-elle pas pris de sanctions contre les autorités ukrainiennes avant qu'elles utilisent la force ? Pourquoi n'a-t-on pas saisi les comptes des bourreaux qui envoient la troupe sur des gens qui réclament l'Europe ?
La faillite est totale, madame, messieurs, – je n'éprouve aucun plaisir à le dire parce que je suis européen – et le débat institutionnel n'apporte rien.
Quant au rôle de l'Assemblée, je partage le diagnostic de mes collègues de droite et de gauche. Mais la Ve République n'est pas un régime parlementaire et le Gouvernement a la maîtrise de l'ordre du jour. Notre présidente, que je respecte, sait très bien ce qui s'est passé concernant le mandat de Karel De Gucht pour négocier le traité commercial États-Unis-Union européenne, le Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP). Il n'y a pas eu de séance publique sur ce sujet. Je l'avais pourtant demandée. À aucun moment, la représentation nationale n'a pu s'exprimer sur nos intérêts stratégiques. Et le traité ne reviendra pas devant l'Assemblée nationale parce qu'il ira directement au Parlement européen. Il est là, le scandale ! Que répondre aux chefs d'entreprise qui nous demandent ce qui est fait pour leur filière ? Désormais, M. De Gucht dispose d'un mandat exclusif et on ne peut plus rien faire d'autre que de placer notre ambassadeur sous la surveillance d'une équipe permanente de députés pour exposer nos desiderata. C'est compliqué à mettre sur pied mais sans doute faudrait-il intervenir.
Pardonnez-moi, madame, mais quand je vous entends proposer un impôt européen pour aller sauver les pays en déficit excessif, je me pince ! Les pays les plus riches accepteraient d'investir à fonds perdus ? La Grèce a coûté à la France 140 milliards d'euros, 7 points de PIB, soit la totalité de la dette accumulée après la crise sous le précédent gouvernement. Quand j'étais ministre des affaires européennes, j'avais appelé l'attention sur les volumes en cause, mais tout le monde a voté des deux mains, droite et gauche confondues.
Pendant ce temps-là, les débats au Bundestag étaient extrêmement mouvementés. Les parlementaires demandaient si on pouvait contrevenir aux traités pour aider un pays en déficit excessif. Ils posaient des questions sur les conditions, les garanties à demander. En France, rien. Nous devons nous interroger sur nos pratiques. Il ne serait pas absurde que la commission des affaires étrangères réfléchisse à la façon de renforcer les contrôles de l'Assemblée nationale sur ce qui se passe en Europe.
Je conjure ceux qui ont le temps de réfléchir d'essayer de répondre aux problèmes concrets des citoyens plutôt que de chercher quelles dispositions des traités il faudrait modifier. Le système ne fonctionne pas et les bidouillages institutionnels ne régleront pas les problèmes ni a fortiori ne convaincront les peuples.
Dans la perspective d'un élargissement de l'Union, l'entrée de la Turquie vous semble-t-elle possible ?
Ce genre de réunion a le mérite de nous faire débattre de sujets que nous n'abordons que rarement et de faire surgir des désaccords profonds.
Ce qui se passe en Ukraine est épouvantable. Nous craignions depuis longtemps une guerre civile. J'ai demandé en mon nom propre la convocation d'un Conseil européen pour que toutes les options soient examinées au plus niveau. À la sortie du conseil des ministres franco-allemand, Laurent Fabius a annoncé qu'il y aurait probablement des sanctions.
M. Steinmeier a réclamé hier soir des sanctions personnelles pour ne pas frapper le peuple ukrainien.
Avant de laisser répondre nos interlocuteurs, je tiens à souligner l'utilité de leur travail qui nous force à réfléchir et à étayer nos points de vue. Il nous a été demandé à la fois par le Président de la République et par la Chancelière d'étudier comment aller vers une union politique. Et la réponse n'est pas qu'institutionnelle, loin de là.
Les élus du peuple rencontrent les citoyens ; les think tanks moins, c'est vrai. Il m'arrive tout de même de retourner dans mon petit village de Savoie, Chamoux-sur-Gelon, peuplé de Français normaux. Quand Jacques Delors a créé ce think tank, il l'a appelé Notre Europe, précisément pour montrer que l'Europe devait être nôtre et qu'il fallait des dialogues citoyens. Nous en organisons avant les élections européennes, à Albi notamment et ailleurs.
L'Union européenne, c'est un produit du despotisme éclairé dans le but d'instaurer la paix, de sceller la réconciliation. Si on avait fait voter Français et Allemands en 1950, je ne suis pas sûr qu'ils auraient porté la CECA sur les fonts baptismaux. Aujourd'hui, les objectifs sont différents et il faut autour d'eux un grand débat démocratique car certains choix, je pense au TTIP, ne profitent pas à tout le monde.
L'Union européenne, c'est aussi la subsidiarité. Beaucoup des propos qui viennent d'être tenus me confirment que la France ne va pas très bien. Ailleurs, on n'entend pas tout à fait la même chose. D'autres pays se plaignent moins de l'Union européenne. Par ailleurs, plusieurs d'entre vous ont pointé l'insuffisant contrôle que vous exercez sur le Gouvernement français. Ce problème ne peut être réglé qu'à Paris.
L'Union européenne est une fédération d'États nations ; et l'Union monétaire une fédération monétaire. La BCE est une institution fédérale et les traités ont été ratifiés, parfois par référendum, parfois par voie parlementaire, laquelle est pleinement légitime et démocratique.
L'Union monétaire est une source de clivage mais elle est aussi, paradoxalement, une source de consensus. Tous les peuples veulent y rester même s'ils ne l'aiment pas. Regardez les sondages sur ce thème et le résultat des élections. Aucun peuple n'a jamais voulu retourner à sa monnaie nationale car tous savent qu'elle serait alors soumise à la spéculation internationale et aux dévaluations compétitives agressives que nous avons connues.
L'Europe, c'est aussi la différenciation. L'euro en est une illustration, Schengen également. En matière de politique étrangère et de sécurité, de défense, il y a des initiatives qui ne concernent pas tous les États membres. Dans une fédération d'États nations, il faut mettre l'accent sur les coopérations renforcées ou les formes d'intégration différenciée afin de concilier efficacité et légitimité. Mais il faut un creuset pour accueillir tout le monde, et qui puisse aussi servir de socle à des constructions différenciées.
Je terminerai en citant Jean Monnet : « Rien n'est possible sans les hommes, rien n'est durable sans les institutions. » Quant à notre financement, il est détaillé sur notre site Internet. Notre Europe s'appelle désormais Institut Jacques Delors. Alors, oui, nous sommes pro-européens et nous continuerons à l'être même quand la Commission ne nous versera plus un seul euro. D'ailleurs, les subventions que nous recevons de sa part ne cessent de diminuer. Jacques Delors et ceux qui le servent ne sont pas guidés par des considérations matérialistes.
L'appel à plus d'Europe n'est pas l'apanage de technocrates ou d'experts aux visions empreintes d'angélisme. Il émane des citoyens eux-mêmes. Les euro-baromètres montrent qu'une large majorité d'Européens demande plus d'Europe dans les domaines de l'énergie, du numérique, de l'environnement. Mais les Européens sont passablement schizophrènes dans la mesure où ils trouvent la situation actuelle intolérable et dénoncent un vrai manque de démocratie. Nous nous efforçons, à la demande de votre commission aussi, d'apporter des réponses selon deux axes. Il faut aussi une Europe des projets, notamment pour accélérer la transition vers un modèle de développement durable, une stratégie industrielle soutenable.
Il se trouve que je négocie aux Nations unies pour la France et je peux vous assurer qu'au sein de l'assemblée générale, l'Europe est bien tangible. Elle existe. Les peuples européens ont des préférences collectives distinctes de celles d'autres zones géographiques. Dans le monde actuel, l'Europe est une nécessité.
Monsieur Assouly, les traités prévoient une réforme de la prise de décision et un recours accru à la majorité qualifiée serait indispensable pour que le Conseil européen soit plus efficace, surtout si on envisage un approfondissement dans le domaine fiscal. Mais il s'agit d'un sujet particulièrement sensible.
Quant à une échéance pour modifier les traités, le renforcement de l'UEEM a déjà donné lieu à des réformes ad hoc, passées pour la plupart inaperçues. On peut donc mettre en oeuvre certaines propositions à court terme. Certains réclament de nouveau une conférence interparlementaire pour réviser plus largement les traités en dépit de la fatigue ressentie devant les changements. Terra Nova place la clarification des compétences et le renforcement de la démocratie en tête des priorités, car la situation actuelle n'est pas tenable. Pour être plus efficace et répondre aux attentes des citoyens, l'Europe doit être plus légitime.
Madame Grelier, je considère aussi comme une absurdité le décalage entre le calendrier de la négociation du budget pluriannuel et le calendrier politique. La convergence s'impose.
Il faut laisser plus de place aux Parlements nationaux, mais ils doivent également tenir leur rôle. Il faudrait certainement des représentants permanents en leur sein qui participent à la conférence interparlementaire et assurent un suivi des réunions qui seraient plus nombreuses.
Pas de projet sans budget. Or les budgets nationaux sont sous pression alors que les investissements d'avenir sont nécessaires, notamment les infrastructures énergétiques. La seule solution réside dans la mutualisation, ce qui implique de renforcer le budget européen, donc de lui affecter des ressources propres. D'où nos propositions pour avancer vers une union fiscale.
Nos interventions correspondent à ce qui nous a été demandé : réfléchir aux institutions. Mais la politique industrielle est un thème tout aussi intéressant.
De nombreux commentaires expriment un malaise vis-à-vis de la mondialisation, plus qu'ils ne visent l'Union économique et monétaire. Or la mondialisation est une réalité à laquelle on ne pourra pas échapper.
S'agissant de l'UEM, j'ai exposé les conditions minimums pour qu'elle soit viable. Y appartenir ou non est un choix politique que je n'ai pas à discuter. Je me contente de dire qu'il lui faut une clause de no bail out, de non-renflouement, crédible, même si elle a été suspendue par les institutions nationales, françaises notamment. Il s'agit pourtant d'un principe clé pour avoir une Europe des nations, qui laisse à ses membres la plus grande autonomie possible. Pour être crédible, une telle clause a besoin d'une union bancaire disposant d'un fonds de résolution centralisé qui soit démocratiquement légitimé. Actuellement, il n'y a pas de mécanisme pour le faire. D'où le débat actuel. À défaut, vous risquez d'avoir à payer encore plus pour d'autres pays. Il faut en outre un fonds de stabilisation qui puisse, dans des proportions limitées, servir d'assurance aux pays contre des chocs majeurs. Sans cette sécurité, l'Union monétaire risque de ne plus être acceptée politiquement.
Quant à notre financement, il figure sur notre site Internet. Si je me souviens bien, en 2013, moins de 10 % de notre budget provenaient de la Commission européenne.
Le processus d'adhésion de la Turquie est l'occasion d'un débat de fond. Les opposants ne pensent pas possible d'intégrer un pays aussi différent, certains d'entre eux évoquant explicitement l'islam, oubliant au passage la prochaine adhésion de l'Albanie ; les autres, dont je fais partie, considèrent qu'il est difficile, dès lors que le général de Gaulle a promis à la Turquie en 1963 qu'elle avait vocation à être membre, de remettre en cause un tel engagement qui a été répété plusieurs fois. Par ailleurs, arrimer à l'Europe ce grand pays au nationalisme souvent agressif a un intérêt géostratégique évident. Le plus sage est donc de continuer les négociations sachant que le Président de la République turque et d'autres dirigeants considèrent comme très important de consolider le lien avec l'Europe. Nous serons très exigeants sur les critères et les rapports de la Commission détaillent les insuffisances turques en matière de justice, de libertés… Si nous arrivons au bout, après avoir surmonté le problème des Kurdes et de Chypre, viendra le temps de la ratification par chacun des États membres qui permettra de se prononcer.
On voit bien se profiler une Europe différenciée dont la zone euro serait le premier cercle qui va forcément s'intégrer davantage, et l'Union à vingt-huit le deuxième. Un troisième cercle pourrait à terme englober la Turquie, voire l'Angleterre si elle décidait de sortir de l'Union européenne. L'architecture de l'édifice européen va être remaniée dans les prochaines années, le sujet prioritaire demeurant la démocratisation d'une zone euro nécessairement plus intégrée. La démocratie ne se résume pas aux institutions, elle est aussi synonyme d'adhésion des peuples. Elle sera obtenue par les projets et le projet européen. Je souscris totalement aux propos d'Yves Bertoncini qui a souligné qu'au xxiè siècle, le projet européen ne saurait être qu'interne. Il doit impérativement s'ouvrir sur le monde. J'espère que les élections européennes seront l'occasion de débattre sur le thème de notre influence et de notre action à l'extérieur.
Le siège du Parlement européen est bien à Strasbourg.
Madame, messieurs, je vous remercie très vivement d'avoir répondu à notre invitation de venir nous exposer le fruit de vos réflexions.
Bulgarie : accord de coopération relatif à la lutte contre l'emploi non déclaré et au respect du droit social en cas de circulation transfrontalière de travailleurs et de services (n° 782)
La commission examine, sur le rapport de Mme Chantal Guittet, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord de coopération administrative entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Bulgarie relatif à la lutte contre l'emploi non déclaré et au respect du droit social en cas de circulation transfrontalière de travailleurs et de services (n° 782).
Je n'ai qu'une observation à faire. Je me demande s'il est bien sérieux de demander au Parlement de ratifier une loi d'approbation d'un accord qui a déjà près de 6 ans, dont l'objet est la mise en oeuvre d'une directive européenne qui a 18 ans et de résolutions qui ont 15 et 11 ans. Depuis, les choses ont profondément bougé et vous avez, Madame la rapporteure, fait état de toutes les modifications qui sont intervenues et qui vont survenir.
Vous avez raison, Monsieur le député. Nous pouvons nous étonner que cet accord, signé en 2008, n'est discuté qu'actuellement. Mais il y a deux raisons. Premièrement, l'autorisation de circuler pour les travailleurs bulgares et roumains ne date que du 1er janvier 2014. Cela explique qu'il faut les aider, puisqu'ils peuvent venir travailler librement, à respecter les règles du détachement et le droit du travail. Deuxièmement, la directive de 1996 est une vieille directive. Elle ne correspond plus à la situation actuelle et elle est en cours de révision. L'objet de l'accord est d'avoir une meilleure coopération avec la Bulgarie en matière de justice, de sécurité et d'État de droit. Les dispositions de la convention permettront que les travailleurs détachés soient respectés et traités dignement car le non-respect de la directive détachement peut conduire à des situations d'esclavage moderne. Cette convention va être bénéfique pour les travailleurs et pour nos entreprises.
Je ne mets naturellement pas en cause l'intérêt de devoir approuver cet accord. Je voulais simplement faire remarquer que, dans ce domaine comme dans d'autres, notre manière de travailler n'est pas la plus efficace. C'est simplement une remarque d'humeur.
Suivant les conclusions de la rapporteure, la commission adopte sans modification le projet de loi (n° 782).
Information relative à la commission
Au cours de sa réunion du mercredi 19 février 2014, la commission a nommé :
– Mme Seybah Dagoma, rapporteure; sur la proposition de résolution européenne sur le juste échange au plan international (n° 1771)
La séance est levée à onze heures cinquante-cinq.