Intervention de Guntram Wolff

Réunion du 19 février 2014 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Guntram Wolff, directeur de l'Institut Bruegel :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, mon intervention porte sur la tension entre l'efficacité et la légitimité des recommandations sur les politiques macroéconomiques en Europe. Pour les marchés, la gouvernance économique européenne fait face à une crise d'efficacité ; pour les citoyens, l'Union européenne souffre d'une légitimité démocratique insuffisante. Le semestre européen, qui introduit un système de surveillance des politiques économiques, n'a pas réconcilié les points de vue.

Les recommandations formulées dans ce cadre ne se concentrent pas suffisamment sur les grandes politiques dont les effets se font sentir jusque dans les pays voisins – c'est ce qu'on appelle le spillover. Par ailleurs, les mesures de conformité prises au niveau national portent davantage sur la forme que sur le fond. Se pose donc la question de l'efficacité et de la légitimité démocratique de cette nouvelle modalité d'intervention du niveau européen. Le semestre européen ne peut fonctionner sans légitimité. In fine, les Parlements nationaux restent source de légitimité puisqu'ils conservent la prérogative de voter le budget national, la politique fiscale et toutes les réformes relatives aux marchés financiers et au marché du travail.

Face à l'échec de Maastricht, une réforme de la gouvernance économique européenne a été lancée en 2010. Elle a consisté notamment à permettre, avec le semestre européen, que l'Union européenne rende un avis sur les budgets nationaux avant qu'ils soient votés. L'objectif est d'assurer une synergie entre les priorités nationales et européennes. Depuis 2011, le semestre a fusionné avec plusieurs réglementations plus strictes concernant les politiques structurelles et fiscales. Le semestre européen peut donc être perçu comme une tentative de redistribuer le pouvoir entre les niveaux européen et national sans réviser les traités. Toutefois, comme les autorités nationales, dont la légitimité procède de l'élection, ne transposent pas systématiquement les recommandations qui leur sont faites, l'efficacité du semestre européen a été limitée jusqu'à présent. Une meilleure utilisation des règlements obligatoires pourrait être imposée, mais cela rendrait aussitôt brûlante la question de leur légitimité. Les aides financières en fournissent un exemple frappant : leur caractère conditionnel est très intrusif pour les quatre pays sous programme. La démarche est très efficace, mais pas forcément démocratique.

S'agissant du rôle des Parlements, le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ne confère qu'une autorité très limitée au Parlement européen dans la coordination des politiques économiques. Depuis l'introduction du semestre européen, il peut cependant intervenir de sa propre initiative à n'importe quel moment pour commenter les priorités annuelles et réagir aux recommandations faites à chacun des pays, mais sans pouvoir les amender. Il peut exercer une pression morale mais il n'a pas de pouvoir décisionnel.

Sur le plan national, le vote du budget constitue la prérogative fondamentale du Parlement. Pour apprécier leur rôle, nous avons demandé à chacun d'entre eux la place et le rôle du semestre européen. Premier constat : sur les vingt-sept interrogés, seuls les Parlements français, italien, luxembourgeois, portugais, slovaque, espagnol et britannique débattent des programmes du semestre européen. Deuxième constat : les commissions parlementaires sont davantage impliquées dans les discussions mais, très souvent, il s'agit de la commission des affaires européennes et non la commission du budget, pourtant plus directement concernée par les recommandations. Dernier constat : nombreux sont les pays à n'avoir pas débattu des recommandations du Conseil. Les Parlements nationaux n'apportent donc qu'une légitimité très limitée aux recommandations et elles sont nombreuses à n'être pas mises en place.

Trois changements peuvent être envisagés pour améliorer la situation, pour réduire les tensions entre le niveau européen et le niveau national en renforçant à la fois l'efficacité et la légitimité du semestre européen.

Que Bruxelles aille à la rencontre des capitales. Autrement dit, les commissaires européens et le président de la BCE doivent être plus présents dans les capitales et les Parlements nationaux, pour expliquer leurs politiques.

Que les capitales se rendent à Bruxelles. Il s'agit de la coopération interparlementaire qui est destinée à favoriser les échanges entre le Parlement européen et les Parlements nationaux. Mais la décision finale resterait de leur ressort.

Dépasser les traités pour instaurer un budget commun à la zone euro, dont je suis convaincu de la nécessité. Un changement de traité serait indispensable pour autoriser le Parlement européen à lever l'impôt pour créer un fonds de stabilisation suffisant pour venir en aide aux pays en difficulté. En dotant l'Union d'un budget ad hoc, une forme d'union fiscale verrait le jour. Ses dépenses seraient légitimées par une participation accrue du Parlement européen puisqu'il approuverait ce budget, comme il le fait pour celui des Vingt-sept. Il faudrait alors sans doute envisager une formation resserrée à la zone euro pour toutes les décisions relatives à cette zone.

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