Intervention de Pierre Lellouche

Réunion du 19 février 2014 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Lellouche :

Je trouve aussi la situation surréaliste, moi qui suis revenu ce matin même de Bangui avec mon collègue Bacquet. On nous fait des propositions passionnantes, comme remplacer M. Van Rompuy par M. Barroso à la tête du Conseil européen, choisir les commissaires parmi les parlementaires européens, lever des impôts européens… Pendant ce temps-là, dans une situation aussi désespérée que celle dans laquelle est plongée la Centrafrique, les Européens se renvoient la balle. Dans ce pays, il n'y a pas d'État, pas de gendarmes, pas de gardiens de prison, pas de juges. Les quelques gendarmes que l'on rencontre dans la rue sont payés par l'ambassade de France trois euros par jour, pour qu'ils puissent manger. La première chose à faire, c'est de mettre un peu d'ordre. Quand on demande à l'ambassadeur de l'Union européenne de faire quelque chose, il ne peut pas. Quand on demande au représentant de la commissaire chargée de l'aide humanitaire, il attend une visite éventuelle de M. Piebalgs. En mars, peut-être… Madame, vous comprendrez que le modèle irénique que vous nous avez présenté ne correspond pas du tout à ce que nous vivons, nous pauvres parlementaires nationaux qui sommes confrontés parfois à des vrais gens et à des situations terribles.

Franchement, j'ai beaucoup de respect pour les think tanks ; j'y ai même passé les dix premières années de ma vie professionnelle. Mais, de grâce, essayez de garder les pieds sur terre. Cela ne sert rigoureusement à rien de nous présenter des schémas institutionnels fédéralistes au moment où le bateau prend l'eau de toutes parts. Nous allons vers des élections très difficiles, pour la droite comme pour la gauche, tant l'Europe est déconnectée des réalités, qu'il soit question de la Centrafrique, de l'immigration – les accords de Schengen ne marchent pas –, d'industrie ou d'énergie faute de politiques européennes. Regardez ce qui se passe en Ukraine. Pourquoi l'Union européenne n'a-t-elle pas pris de sanctions contre les autorités ukrainiennes avant qu'elles utilisent la force ? Pourquoi n'a-t-on pas saisi les comptes des bourreaux qui envoient la troupe sur des gens qui réclament l'Europe ?

La faillite est totale, madame, messieurs, – je n'éprouve aucun plaisir à le dire parce que je suis européen – et le débat institutionnel n'apporte rien.

Quant au rôle de l'Assemblée, je partage le diagnostic de mes collègues de droite et de gauche. Mais la Ve République n'est pas un régime parlementaire et le Gouvernement a la maîtrise de l'ordre du jour. Notre présidente, que je respecte, sait très bien ce qui s'est passé concernant le mandat de Karel De Gucht pour négocier le traité commercial États-Unis-Union européenne, le Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP). Il n'y a pas eu de séance publique sur ce sujet. Je l'avais pourtant demandée. À aucun moment, la représentation nationale n'a pu s'exprimer sur nos intérêts stratégiques. Et le traité ne reviendra pas devant l'Assemblée nationale parce qu'il ira directement au Parlement européen. Il est là, le scandale ! Que répondre aux chefs d'entreprise qui nous demandent ce qui est fait pour leur filière ? Désormais, M. De Gucht dispose d'un mandat exclusif et on ne peut plus rien faire d'autre que de placer notre ambassadeur sous la surveillance d'une équipe permanente de députés pour exposer nos desiderata. C'est compliqué à mettre sur pied mais sans doute faudrait-il intervenir.

Pardonnez-moi, madame, mais quand je vous entends proposer un impôt européen pour aller sauver les pays en déficit excessif, je me pince ! Les pays les plus riches accepteraient d'investir à fonds perdus ? La Grèce a coûté à la France 140 milliards d'euros, 7 points de PIB, soit la totalité de la dette accumulée après la crise sous le précédent gouvernement. Quand j'étais ministre des affaires européennes, j'avais appelé l'attention sur les volumes en cause, mais tout le monde a voté des deux mains, droite et gauche confondues.

Pendant ce temps-là, les débats au Bundestag étaient extrêmement mouvementés. Les parlementaires demandaient si on pouvait contrevenir aux traités pour aider un pays en déficit excessif. Ils posaient des questions sur les conditions, les garanties à demander. En France, rien. Nous devons nous interroger sur nos pratiques. Il ne serait pas absurde que la commission des affaires étrangères réfléchisse à la façon de renforcer les contrôles de l'Assemblée nationale sur ce qui se passe en Europe.

Je conjure ceux qui ont le temps de réfléchir d'essayer de répondre aux problèmes concrets des citoyens plutôt que de chercher quelles dispositions des traités il faudrait modifier. Le système ne fonctionne pas et les bidouillages institutionnels ne régleront pas les problèmes ni a fortiori ne convaincront les peuples.

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