Intervention de Jacques Repussard

Réunion du 20 février 2014 à 9h30
Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Jacques Repussard, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire :

Du point de vue de l'IRSN, certains des cinquante-huit réacteurs actuels du parc nucléaire continueront de fonctionner pendant un certain nombre d'années, car nous avons besoin de cette source d'énergie électrique et parce que la sûreté est considérée, à la suite du bilan réalisé après l'accident de Fukushima, comme bonne. Néanmoins, nous ne pouvons pas totalement exclure l'occurrence d'un accident très grave.

Comment éviter la survenue d'un accident avant la fin de cette exploitation ? Tout d'abord, en améliorant la conception des installations. Tel est le but des évaluations complémentaires de sûreté et des visites décennales. Ensuite, il convient de veiller à ce que l'exploitation soit conforme au cahier des charges et aux meilleures pratiques existantes, notamment au suivi de l'obsolescence de certains équipements, qu'ils soient remplaçables ou non. La sécurité, autrefois conçue pour éviter le vol de matières nucléaires, est maintenant pensée pour prévenir des actes de sabotage ou de terrorisme pouvant entraîner des accidents nucléaires majeurs.

Il convient également d'évaluer si la filière nucléaire dispose des ressources humaines et financières pour gérer l'ensemble des charges d'exploitation comprenant de nouvelles règles en matière de sécurité. Enfin, nous devons nous demander si le pays peut gérer une crise nucléaire en la circonscrivant, le degré de maîtrise d'un incident nucléaire par l'État ayant de fortes conséquences, y compris financières. Il faut savoir que, si l'on impose trop d'exigences à EDF, l'opérateur pourrait être conduit – par manque d'ingénieurs, par exemple – à détériorer les conditions d'exploitation.

Lorsque le Parlement et le Gouvernement auront défini des orientations, il conviendrait qu'une enceinte nationale puisse traiter de l'ensemble des sujets, qu'ils soient économiques, financiers, relatifs à la sûreté ou à l'ensemble de la filière nucléaire, car l'actuelle fragmentation nourrit les divergences de vues entre Areva, EDF et le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). La situation actuelle n'est pas optimale et risque de peser à terme sur la sûreté nucléaire. Les experts techniques peuvent éclairer les débats, mais ne peuvent pas décider.

Les décisions d'augmentation des investissements dans les réacteurs les plus anciens ne se prennent pas rapidement : on vient seulement d'arrêter celles liées aux conséquences de l'accident de Fukushima, trois ans après sa survenue ; leur mise en oeuvre nécessitera une dizaine d'années. Il ne faut donc pas oublier que la prolongation du parc induit des modifications substantielles d'équipements qui exigeront un travail d'une à deux décennies pour vingt ans d'exploitation supplémentaire. Ces contraintes posent la question de la construction de nouveaux réacteurs en fonction de l'équation énergétique du pays.

L'IRSN ne réalise pas d'études économiques, mais nous avons dû nous pencher sur le coût d'un accident – analyse simple et non intrusive des comptes d'EDF. Nous en avons conclu qu'il y avait là un déficit du système national de maîtrise de nos politiques énergétiques, car aucun organisme n'effectuait une telle expertise indépendante. Néanmoins, ne nous focalisons pas uniquement sur la question financière, car celle de la limite des ressources humaines s'avère également primordiale. EDF sera confrontée – comme l'IRSN à une échelle plus modeste – à des problèmes de renouvellement de génération, les départs à la retraite induisant la disparition de savoir-faire anciens qui devront être renouvelés. L'IRSN avait d'ailleurs rendu, l'année dernière, un avis dans lequel il insistait sur la nécessité de conserver des marges de production importantes : notre pays ne doit pas se retrouver dans une situation catastrophique où il devrait choisir entre les lumières allumées et la sûreté nucléaire.

Les conflits entre l'IRSN et EDF sur les évaluations complémentaires de sûreté remontent à un an, car notre rapport, s'il vient d'être publié, date de la fin de l'année 2012. À cette époque, notre réflexion divergeait de celle d'EDF, puisque nous avions montré, grâce à notre simulateur, que sa proposition de procédures de gestion d'un incident dans un réacteur n'abaissait pas suffisamment la probabilité d'une fusion du coeur. EDF a reconnu cette faille et a modifié son plan, ce qui n'a été possible que grâce aux moyens d'expertise technique dont dispose l'IRSN et au dialogue normal que l'Institut nourrit avec EDF.

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