Ne croyez pas que les solutions soient toutes faites et désormais acquises : l'Ukraine est engagée dans un processus de changements considérables. Il faudrait être bien aveugle et oublieux de l'histoire pour croire que tout va se passer de manière linéaire. Les événements ont leur dynamique propre, et ni vous ni moi ne pouvons prévoir toutes les évolutions. Nous pouvons seulement tenter d'analyser la situation et poser un certain nombre de principes.
Je remercie ceux qui ont salué l'action que mes deux collègues et moi-même avons menée ensemble. Le Triangle de Weimar est un format utile.
Monsieur Vauzelle, le processus de démocratisation ne sera certes pas facile et prendra du temps. Vous avez posé une question de stratégie : compte tenu de la diversité de l'Ukraine, peut-on maintenir son unité ? Est-il souhaitable, même, de plaider en ce sens ? À mon sens, il faut d'autant plus le faire que les pays considérés présentent de grandes disparités internes. Le problème est analogue sur le continent africain : le tracé des frontières entre États est lié à des circonstances historiques ou sociales, voire relève de l'arbitraire. Mais si l'on commence à jouer avec la composition interne d'un État, on ne sait jamais où cela va s'arrêter. Même lorsque la communauté internationale le fait avec les meilleures intentions du monde : voyez les difficultés actuelles au Soudan du Sud. Certes, il ne faut pas méconnaître la diversité de l'Ukraine – elle est considérable. Mais il convient que cette diversité s'exprime au sein d'un ensemble. Si l'on commence à mettre en cause l'ensemble lui-même, on s'expose à de nombreuses difficultés.
Monsieur Mariani, mes interlocuteurs russes estiment également avoir été trompés : ils déplorent que le cours des événements ne soit pas conforme à ce qui leur avait été annoncé ou à ce qui figure dans l'accord. Nous n'avons nullement eu l'intention de tromper qui que ce soit. Si les Russes ont ce sentiment, il faut que les Ukrainiens et nous-mêmes fassions des efforts pour les « garder à bord ». S'ils s'opposent au processus en cours, cela compliquera considérablement la situation. Nous devons dialoguer avec eux et entendre leurs arguments, même si nous ne sommes pas d'accord sur tout.
S'agissant de Svoboda, mes collègues et moi-même avons engagé notre première discussion à Kiev avec MM. Iatseniouk et Klitchko, les chefs des deux principaux partis d'opposition, mais M. Tiahnybok a demandé à y participer également. Nous avons alors demandé leur avis aux deux premiers, qui ont jugé que tel devait être le cas. Vous avez raison, monsieur Mariani : il convient d'être très vigilants sur la suite des événements. Si ce parti reprenait les thèses extrémistes inadmissibles qu'il a défendues dans le passé, il perdrait tout soutien de la communauté internationale.
Madame Auroi, la situation dans la rue à Kiev n'est, en effet, pas réglée. Quant à la question de l'accord d'association, elle sera à nouveau soulevée : la nouvelle majorité qui s'est formée à la Rada manifeste la volonté de le signer. Cependant, un responsable russe a déclaré que, dans cette hypothèse, Moscou rétablirait les droits de douanes sur les marchandises ukrainiennes importées en Russie. L'accord est toujours sur la table. Il convient de voir comment les choses vont évoluer.
Monsieur Rochebloine, M. Iouchtchenko reste silencieux. Si jamais il souhaitait revenir sur le devant de la scène, les manifestants de Maïdan s'y opposeraient probablement. Quant à Mme Tymochenko, elle a été libérée de prison et s'est exprimée à Maïdan. Elle a annoncé qu'elle se rendrait en Allemagne pour se soigner. Elle est en contact avec les responsables de son parti, mais je ne connais pas ses intentions.
La situation de la Biélorussie est différente de celle de l'Ukraine. Il m'est difficile de prévoir les éventuelles conséquences des événements ukrainiens sur ce pays.
Madame Maréchal-Le Pen, vous avez confirmé que vous étiez opposée aux mouvements d'extrême-droite – ce que chacun a salué avec plaisir – et souhaité connaître l'attitude de la France en cas d'intervention militaire russe en Crimée ou dans l'est du pays. Les questions qui se poseraient alors seraient de nature très différente de celles qui se posent aujourd'hui. Nous devons travailler pour éviter un tel scénario. Les principes que j'ai cités – unité, démocratie, solidarité – doivent nous permettre de « garder les Russes à bord ». À ce stade, je ne me place pas dans l'hypothèse la plus critique, mais je reconnais humblement que nous n'avons aucune certitude quant à l'avenir.
Messieurs Assouly et Habib, l'influence des mouvements d'extrême-droite et antisémites dépendra en grande partie de ce que fera le nouveau gouvernement ukrainien. Si celui-ci parvient, avec notre appui, à sortir progressivement l'Ukraine de ses difficultés, il fera reculer nombre de menaces. En revanche, si le pays sombre dans le chaos et la violence, les comportements extrémistes risquent de prospérer.
Monsieur Bocquet, le poids des oligarques est important. Ils sont néanmoins très prudents dans leur expression publique. Un oligarque était présent au cours d'une de nos séances de travail avec M. Ianoukovitch, mais d'autres soutiennent la nouvelle majorité. Une partie de l'opposition avait l'intention d'interdire aux cent premières fortunes du pays d'accéder à certaines fonctions. J'ignore où en est cette proposition aujourd'hui. Les oligarques ont souvent placé une partie importante de leur fortune à l'étranger. La question des sanctions peut éventuellement se poser à leur égard. L'Union européenne a été bien inspirée de décider du principe des sanctions sans fixer de liste nominative à ce stade. Nous allons observer la suite des événements et en tirer les conséquences, le cas échéant.
Monsieur Marsaud, je ne peux pas laisser passer cette attaque contre M. Sarkozy ! (Rires.)
Monsieur Lellouche, nous allons délibérer prochainement entre Européens de la question des visas et de l'assistance financière à l'Ukraine. La France ne peut pas prendre de décision unilatérale sur ces dossiers. M. Sikorski a en effet proposé de créer un fonds de stabilisation pour l'Ukraine. Nous allons en discuter également.
J'ai pris connaissance de vos commentaires lorsque j'étais en Chine, pour servir les intérêts de la France. Ils m'ont quelque peu peiné, car j'ai de l'estime pour vous.
Par ailleurs, je rappelle les positions que vous avez prises – c'est votre droit le plus strict – sur certains dossiers importants. En février 2003, à propos de l'Irak, vous avez fait cette déclaration qui reste dans les mémoires : « Tout le monde sait que, depuis vingt-cinq ans, Saddam Hussein accumule des armes de destruction massive. » En 2008, vous avez prononcé cette phrase définitive : « La France doit rester en Afghanistan. » En 2013, vous avez estimé qu'il n'y avait pas de coalition pour aider la France au Mali.
Une perspicacité aussi constante mérite d'être relevée. Je veux non pas m'offusquer de vos remarques, mais vous remercier. La diplomatie est un art très difficile, et il m'arrive parfois, comme à mes prédécesseurs, d'hésiter sur la voie à suivre. Au vu de cette liste, lorsque les ministres des affaires étrangères auront des hésitations, ils essaieront désormais de connaître votre position : en prenant le contre-pied, ils auront de grandes chances de ne pas se tromper. (Rires et applaudissements des commissaires SRC.)