Intervention de Denis Ferrand

Réunion du 25 octobre 2012 à 9h30
Mission d'information sur les coûts de production en france

Denis Ferrand, directeur général de COE-Rexecode :

Depuis une dizaine d'années, COE-Rexecode s'efforce de promouvoir dans le débat économique l'enjeu de la compétitivité du site de production français. Quelques illustrations simples montreront l'affaiblissement régulier de nos performances à l'exportation, par rapport à celles de la plupart des pays européens – et non pas seulement par rapport à celles de l'Allemagne. Je m'efforcerai aussi de soutenir sur le sujet un raisonnement global, dans lequel l'opposition entre compétitivité coûts et compétitivité hors coûts semble vaine tant les deux sont indissociablement liées. De fait, la trajectoire de coûts conditionne l'amélioration de la compétitivité hors coûts, définie comme l'amélioration de la qualité des produits, des services associés et de l'organisation du process de production.

Je présenterai également une analyse macroéconomique des données relatives à la formation du coût de production en France, ainsi que les résultats de l'enquête qualitative que vous avez évoquée et qui est réalisée annuellement depuis vingt ans par COE-Rexecode auprès des importateurs européens, que nous interrogeons sur leur perception de la qualité et du prix des produits français par rapport à ceux des produits allemands, américains ou japonais. La définition même d'un produit « français » ou « allemand » renvoie certes à des représentations qui pourraient faire l'objet de longs débats – pourquoi, par exemple, un véhicule Porsche Cayenne, dont la fabrication incorpore 90 % d'intrants produits hors d'Allemagne, est-elle universellement perçue comme un produit allemand ? –, mais des faisceaux concordants ne s'en dégagent pas moins de cette enquête, montrant que les handicaps de la compétitivité coûts peuvent empêcher de franchir des seuils de qualité.

Pour ce qui est tout d'abord de l'évolution des exportations françaises par rapport à celles de la zone euro depuis 2000, on observe que leur part, qui était de 16,8 % en 1998 – son précédent point haut –, est désormais de 12,6 %. Si, par pure hypothèse, cette part était restée inchangée, le chiffre d'affaires à l'exportation serait supérieur de 150 milliards d'euros à ce qu'il est aujourd'hui, ce qui correspond, compte tenu du rapport entre importations et exportations – de l'ordre de 50 % –, à un déficit approchant 80 milliards d'euros, soit de 4 points de PIB.

Nos exportations ont donc enregistré un recul par rapport à celles de l'Allemagne, mais aussi par rapport à celles des autres pays de la zone euro, dans des proportions à peu près équivalentes.

Pour ce qui est de la structure des coûts de production de l'ensemble de l'économie, on observe que, pour produire 100 euros, l'économie utilise 60 euros de consommations intermédiaires : la valeur ajoutée représente donc 40 euros. Cette proportion est pratiquement identique en France et en Allemagne.

En France, les 40 euros de valeur ajoutée se décomposent en 27 euros de rémunération des salariés, 1,30 euro d'impôt sur les produits et 12 euros d'excédent brut d'exploitation (EBE). En Allemagne, la rémunération des salariés représente 25 euros et l'excédent brut d'exploitation s'élève à 17 euros.

Le coût du capital, c'est-à-dire la rémunération des apporteurs extérieurs de capitaux, banques et actionnaires, correspond à la somme des intérêts et dividendes, qui est de 3,90 euros en France et de 8,20 euros en Allemagne – où ce montant comprend probablement aussi des provisions pour retraites. Reste donc une capacité d'autofinancement de 6,40 euros en France et de 8,30 euros en Allemagne.

Pour l'industrie prise isolément, le poids des consommations intermédiaires est plus élevé que pour l'économie prise dans son ensemble et la valeur ajoutée est donc moins élevée. Elle s'établit, pour une production de 100 euros, à 29 euros en Allemagne et à 24,70 euros en France. Quant à l'excédent brut d'exploitation, il était en 2007, dernière année pour laquelle la comparaison est possible, de 9,50 euros pour l'Allemagne et de 6,9 euros en France – où il est tombé à 6 euros en 2010.

L'analyse de l'évolution du coût du travail doit tenir compte de ce qu'est ce coût dans le secteur des services. En effet, la consommation intermédiaire de services représentant 17 % de la valeur de la production dans l'industrie, et la valeur de la production de ces services étant composée à 40 % par le coût salarial, l'évolution de ce dernier influence pour 8 points les prix de production de l'industrie.

Venons-en aux divergences qui, sur les dernières années, se sont traduites par l'écart de compétitivité observé entre la France et l'Allemagne.

Le poids des consommations intermédiaires de l'industrie a connu une évolution relativement parallèle entre les deux pays. Il en est de même du « sourcing », l'approvisionnement auprès de pays à plus faibles niveaux de salaires pour les principaux produits utilisés notamment en tant que consommation intermédiaires par l'industrie, progressant cependant de 4,6 points en Allemagne contre 6,6 points en France entre 2000 et 2010 – ce qui contredit d'ailleurs une croyance assez répandue.

La part de la rémunération du capital, c'est-à-dire de la somme des intérêts et dividendes nets, restée stable en Allemagne, a progressé en France de 0,6 point dans l'ensemble de la production des sociétés non financières entre 2000 et 2010.

L'essentiel de la différence entre les deux pays s'explique cependant par la rémunération du travail. La part de la rémunération des salariés dans la valeur de la production a en effet augmenté d'un point par rapport à 2000 en France, alors qu'elle a diminué de 3,4 points en Allemagne. Si l'on ne considère que l'industrie, on observe un recul de la part de la rémunération des salariés dans la valeur ajoutée de 0,6 point en France et de 5 points en Allemagne, soit un écart de 4,4 points entre les deux pays.

La part des achats de services dans la production industrielle a progressé de 2,6 points en France entre 2000 et 2007 et a reculé de 1,5 point en Allemagne. Or, je le rappelle, le poids des rémunérations est plus important dans ce secteur que dans l'industrie.

Enfin, la part de l'excédent brut d'exploitation dans la production de l'industrie a diminué de 2,2 points en France et augmenté de 2,2 points en Allemagne : le poids des résultats dans la valeur de la production, qui était un peu plus important en France qu'en Allemagne en 2000, est désormais beaucoup plus fort en Allemagne.

Les divergences les plus marquantes sont donc liées au coût du travail, directement ou, via les services incorporés, indirectement.

Dans l'industrie manufacturière, ce coût est quasi identique en France et en Allemagne – pour une heure de travail, il y était respectivement de 36,8 et de 36,2 euros au deuxième trimestre 2012. Entre 2000 et 2012, il a augmenté de 53,4 % en France et de 27,2 % en Allemagne, la moyenne s'établissant à 38,3 % dans l'ensemble de la zone euro.

Pour l'ensemble de l'économie, ce coût horaire est plus élevé en France – 35,1 euros – que dans l'ensemble de la zone euro – 28,2 euros – et en Allemagne – 31,40 euros –, mais l'évolution a été proche de celle qu'on constate pour l'industrie manufacturière : la progression a été de 43,7 % en France et de seulement 19,2 % outre-Rhin.

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