Il s'agit du coût horaire mesuré par Eurostat, qui nous fournit les données sur lesquelles nous travaillons. Nous avons besoin d'un outil statistique aussi juste que possible, mais les données d'Eurostat, établies sur la base d'une enquête menée auprès des ménages, ne comptabilisent pas ceux qui n'ont pas travaillé durant la semaine sur laquelle porte cette enquête, ce qui majore le nombre d'heures travaillées. Nous souhaiterions qu'Eurostat, qui possède toutes les données nécessaires, prenne en compte dans ses résultats les absences, pour congé ou pour toute autre raison. À défaut, nous continuons à travailler avec les données imparfaites qui nous sont fournies.
Rien n'interdit, au demeurant, que le coût de l'heure de travail évolue plus vite dans un pays que chez ses partenaires, pour peu que ce soit compensé par des gains de productivité supérieurs. Or les niveaux de productivité par heure travaillée dans l'industrie évoluent en France à un rythme sensiblement parallèle à celui qu'on observe pour la zone euro, pour la zone euro hors Allemagne ou pour l'Allemagne. L'évolution de la productivité n'explique donc pas que l'augmentation du coût horaire du travail soit plus élevée en France qu'en Allemagne.
Le coût salarial unitaire – c'est-à-dire le coût de la rémunération des salariés par unité de valeur ajoutée de l'industrie manufacturière –, accuse par conséquent en France une dérive progressive par rapport à l'Allemagne, mais non par rapport aux autres pays de la zone euro. Toutefois, les efforts violents consentis en Espagne se traduisent ces dernières années par une réduction de l'écart de coût salarial unitaire entre la France et les pays du sud de l'Europe. Après avoir fortement perdu en compétitivité par rapport à l'Allemagne, ne risquons-nous pas désormais d'enregistrer le même recul par rapport à ces pays ? Ayant posé la question, il faut aussitôt tempérer l'inquiétude : la compétitivité n'est pas seulement affaire de coûts et l'Espagne va manquer des investissements qui lui permettraient une montée en gamme. Il n'empêche : les conditions de la compétitivité coûts s'améliorent en Espagne – ainsi qu'en Irlande – par rapport à la France.
Cette évolution relative des coûts trouve sa sanction dans l'évolution de l'excédent brut d'exploitation. Si l'on prend pour base 100 la situation en 2000, on observe que le rapport entre l'excédent brut d'exploitation dégagé par l'industrie française et celui de l'industrie allemande, qui était un rapport de 2 à 3, est aujourd'hui un rapport de moins de 1 à 3 : notre capacité d'investissement relative s'en trouve amenuisée. Ainsi, les dépenses de recherche et développement (R&D) financées par les entreprises allemandes sont certes supérieures en part du PIB – 1,9 % contre 1,2 % chez nous –, mais le taux d'effort est pratiquement identique, à 0,5 point près, lorsque ces dépenses sont rapportées à l'excédent brut d'exploitation.
Nous menons chaque année auprès des importateurs européens une enquête, consacrée alternativement aux biens d'équipement et intermédiaires et aux biens de consommation, afin de connaître leur perception du prix et de la qualité des produits français et des produits de divers autres pays. Notre dernière enquête, qui porte sur les biens de consommation, sera publiée prochainement et fait déjà apparaître des conclusions comparables à celles que l'on peut tirer des données relatives aux biens d'équipement et intermédiaires pour les dix dernières années.
En 1995, la qualité des produits français était jugée inférieure à celle des produits allemands, mais il en allait de même pour le prix. Ceux-ci étant jugés moins élevés que les prix des produits allemands. En 2011, on observe une convergence des niveaux de qualité perçus, mais les prix des produits allemands sont désormais jugés moins élevés que ceux des produits français. La dégradation de la situation est spécialement marquée pour les biens d'équipement mécanique : de 1995 à 2011, l'avantage relatif en termes de prix a disparu sans qu'il y ait un rapprochement très sensible de la qualité perçue.
Ces observations dessinent un « cercle vicieux de la rupture de compétitivité ». Des écarts structurels de compétitivité existent, qui tiennent à la différence de taille des entreprises, à l'absence en France d'un réseau comparable à celui des instituts Fraunhofer et à la différence de culture industrielle entre les deux pays. Les prix moins élevés des produits industriels français permettaient jusqu'à présent de minimiser l'effet de ces handicaps structurels, mais les divergences entre les règles de fonctionnement du marché du travail ont creusé l'écart. De fait, les politiques économiques diamétralement opposées adoptées par les deux pays au cours des dix dernières années se sont traduites par une meilleure profitabilité de l'activité en Allemagne, alors que les entreprises françaises voyaient leurs marges s'amenuiser et se montraient incapables de réaliser les mêmes efforts de R&D et d'investissement que leurs homologues outre-Rhin. Quels qu'aient pu être les efforts individuels, c'est la masse qui a fondu. Cette atrophie de la base industrielle, qui empêche de monter en gamme, fige les conditions de prix et de coûts et empêche ainsi une amélioration de la compétitivité globale.
Enfin, pour faire justice de l'idée d'une paupérisation allemande qui aurait accompagné une restauration de la compétitivité menée à marche forcée, il vaut la peine d'examiner l'évolution de la consommation par habitant dans les deux pays – car, faute de meilleur indicateur, le niveau de consommation mesure un niveau de satisfaction qui est, somme toute, la finalité ultime de l'économie. Dans les années 2000, la consommation par habitant en France s'est rapprochée de celle de l'Allemagne, mais cette convergence s'est faite au prix d'une dégradation des marges et d'un déficit public plus important et on observe depuis quatre ans une accélération de la consommation privée en Allemagne par rapport à sa tendance sur la période 1999-2007, tandis que la courbe décline au contraire en France. Cette divergence des trajectoires de consommation privée s'explique, au bout du compte, par la divergence des trajectoires de compétitivité des deux pays.