Intervention de Xavier Beulin

Réunion du 25 octobre 2012 à 10h30
Mission d'information sur les coûts de production en france

Xavier Beulin, président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, FNSEA :

Nous sommes heureux d'être associés à vos travaux. En matière de compétitivité – sujet particulièrement crucial pour l'agriculture –, il faut pouvoir apprécier l'impact des différents paramètres sur l'ensemble d'une filière, de la production à la distribution. Vous avez rappelé, monsieur le président, l'importance de notre secteur en France : selon l'INSEE, la production agricole, l'agrofourniture, l'agroalimentaire et les principaux services qui y sont directement rattachés représentent environ 15 % des emplois de notre pays, soit 3,5 millions d'emplois. Ceux-ci se trouvent pour l'essentiel, y compris dans le secteur agroalimentaire, dans des PME ou dans de très petites entreprises (TPE) : au stade de la production, ce sont les 350 000 à 400 000 exploitations dites professionnelles ; au stade de la transformation, ce sont, à côté des quelque vingt ou vingt-cinq entreprises de taille internationale, leaders sur leurs marchés – on peut penser à Lactalis, à Bonduelle, ou encore à Danone… – et de 300 entreprises de taille intermédiaire (ETI) environ , un peu plus de 10 000 PME ou TPE.

J'insisterai sur trois éléments dont dépend particulièrement notre compétitivité : le coût du travail et, plus précisément les charges qui pèsent sur les salaires, la fiscalité et les règles de la concurrence.

Une comparaison avec nos voisins européens immédiats montrera l'ampleur des écarts en matière de coûts de production. Le coût horaire brut d'un salarié de l'agriculture rémunéré au niveau du SMIC est de 10,82 euros en France, de 6 euros en Allemagne, de 7,37 euros en Belgique et de 7,80 euros en Espagne.

Si l'on prend l'exemple de la filière porcine, les producteurs français sont sans doute, du point de vue technique, les plus performants d'Europe mais si l'on considère les choses au moment où leurs produits arrivent dans la grande distribution, ils se retrouvent parmi les derniers. Entre-temps, plusieurs éléments sont venus gonfler leurs coûts de revient, en particulier les cotisations sociales versées par les deux secteurs qui concentrent l'essentiel des emplois de la filière : l'abattage et la découpe.

L'exemple de la filière des fruits et légumes – concentrant, avec la viticulture et l'horticulture, l'essentiel des 1,7 million d'emplois relevant de l'amont de la filière, du versant production – est également parlant. Depuis une dizaine d'années, cette filière subit une forte concurrence de la part de l'Allemagne. Entre 1996 et 2010, la France a ainsi perdu environ 50 % de surface de production pour l'asperge, 25 % pour la carotte et 39 % pour la fraise, alors que durant la même période, l'Allemagne a augmenté ces mêmes surfaces, respectivement de 73 %, de 30 % et de 64 %.

Jusqu'en 2012, nous bénéficiions d'une exonération de cotisations patronales pour l'emploi de travailleurs occasionnels. C'est avec regret que nous constatons que le projet de loi de finances pour 2013 ampute cette exonération de 20 %. Les 950 000 contrats de travailleurs occasionnels signés chaque année en France ne portent pas sur des emplois précaires : ce sont des emplois saisonniers, couvrant entre six et neuf mois dans l'année, généralement hors période hivernale. Les rémunérations auxquelles ils donnent lieu sont le plus souvent bien supérieures au SMIC : de 50 %, voire de 100 %, grâce à la prime de précarité de 10 % et à un nombre d'heures supplémentaires compris entre quatre et six par semaine. À cet égard, il est particulièrement dommage que le plafond de l'exonération complète soit désormais abaissé à 1,25 SMIC. Nous craignons deux conséquences directes : le retour du travail au noir et l'arrivée de prestataires offrant les services de salariés d'Afrique du Nord, d'Amérique latine ou d'Europe centrale et orientale, payés à l'heure – dans ce cas, il n'y aura même pas versement de cotisation, en tout cas en France ! Cette réduction d'exonération est une lourde erreur.

Nous avions également espéré que le projet de loi de finances pour 2013 confirmerait la décision, prise par le précédent gouvernement, de réduire d'un euro par heure travaillée les cotisations pour les salariés permanents relevant de la Mutualité sociale agricole (MSA). On nous affirme que cette mesure a été refusée par la Commission européenne ; pour ma part, je n'ai rien lu sur le sujet et j'aimerais avoir de plus amples informations. Toujours est-il que la ressource qui devait servir à cet allégement du coût du travail agricole – 210 millions d'euros financés par la taxe sur les sodas et par la taxe sur le gazole utilisé en agriculture et dans les travaux publics – a bien été prélevée en 2012 et figure dans le projet de loi de finances pour 2013. Ce serait en faire bon usage que de l'affecter à une mesure de soutien à l'emploi et je regrette que ce ne soit plus le cas.

Nous sommes conscients de devoir agir dans un cadre européen et c'est donc à ce niveau que nous travaillons à l'instauration d'un salaire minimum en agriculture, ou en tout cas d'un minimum social européen. Aujourd'hui, en Allemagne, il n'existe ni conventions collectives, ni contrats de travail, ni SMIC ! On peut ainsi y faire venir, en vertu d'une convention signée il y a deux ans avec ces deux pays, des salariés bulgares ou roumains qui sont employés en l'absence de tout contrat pour des périodes de six mois, sans cesse renouvelées. Cette situation n'est pas tenable dans le cadre d'un marché unique.

Nous sommes également très favorables à la « TVA-emploi », sujet auquel nous avions réfléchi depuis plusieurs années avec des économistes. Cette mesure réaliste nous semblait permettre à la fois d'abaisser nos charges, donc de nous rendre plus compétitifs, et de transférer sur des produits importés – majoritairement taxés au taux de 19,6 % – une part des coûts de notre modèle social. Le taux réduit de 5,5 % ou de 7 % appliqué aux produits de consommation courante, notamment alimentaires, éviterait par ailleurs de fragiliser le pouvoir d'achat de nos concitoyens. En revanche, malgré un probable effet bénéfique à court terme sur les charges qui pèsent sur les salaires, nous doutons de l'efficacité globale d'une CSG fonctionnant en circuit fermé au sein de notre économie.

Pour résumer, dans la filière des fruits et légumes, dans l'horticulture et dans la viticulture, tout ce qui tient au coût du travail nous met progressivement hors-jeu dans la compétition internationale. Mais il en va de même pour les entreprises de transformation des filières animales, en particulier pour la volaille ou le porc : en une douzaine d'années, nous avons perdu quelque 20 % de notre potentiel productif. Les entreprises d'abattage, de charcuterie et de salaisonnerie du grand Ouest français se trouvent aujourd'hui en situation très délicate et la situation du groupe Doux pourrait préfigurer ce que vivront nombre d'entre elles dans les mois et les années à venir.

En matière fiscale aussi, les écarts sont importants au sein de l'Union. À 42,5 % du PIB, le niveau des prélèvements obligatoires en France était en 2010 l'un des plus élevés des Vingt-Sept et nous en supportons notre part. Nous souhaitons donc une révision des dispositifs réservés aux agriculteurs, notamment la dotation pour investissements (DPI) et la dotation pour aléas (DPA). Pour éviter que les éleveurs ne se retrouvent en difficulté lors des mauvaises années – comme l'année 2011 marquée par la sécheresse –, il faut leur permettre de « pousser » devant eux six à neuf mois de stocks, assujettis à une fiscalité adaptée. Il faut également prendre en compte, outre les risques climatiques et sanitaires, les risques de marché liés à la volatilité des prix agricoles, en faisant bénéficier les exploitations imposées sur leur bénéfice réel d'une gestion fiscale interannuelle. Il ne s'agit pas de les affranchir de l'impôt, mais de lisser des fluctuations de prix devenues insupportables. Depuis 2007, nous avons déjà connu deux vagues d'augmentation et de chute des prix sur les marchés ; ces mesures sont donc plus que nécessaires.

À titre de comparaison, en Belgique, le forfait fiscal agricole n'est pas plafonné, l'agriculteur pouvant choisir entre le système forfaitaire et une déclaration au bénéfice réel ; au Danemark, les taux d'amortissement atteignent 30 % ; en Allemagne, il existe trois dispositifs différents de DPI avec des montants plus élevés qu'en France.

Par souci d'objectivité, il faut toutefois signaler un point positif pour la France, dont nous espérons le maintien : une fiscalité sur les carburants agricoles parmi les plus attractives d'Europe. Sur les 42,84 centimes d'euros par litre de taxe intérieure de consommation (TIC) appliquée au gazole, nous ne payons aujourd'hui que quelque trois centimes. Pour une exploitation agricole moyenne consommant entre 100 et 120 litres de carburant à l'hectare, l'avantage compétitif atteint environ quarante euros par hectare, ce qui est loin d'être négligeable.

Enfin, quelques mots sur le droit de la concurrence et sur nos relations avec nos partenaires de la distribution. Intéressés par l'instauration de la négociabilité des tarifs et des conditions de vente, tout comme par la formalisation de ses contreparties, nous étions favorables à la loi de modernisation de l'économie (LME) de 2008. Si nous revendiquons aujourd'hui l'application de cette loi – qui n'a jamais fait l'objet d'un décret –, c'est que les distributeurs ont du mal à respecter la négociabilité ; on constate que certains contrats sont aujourd'hui vierges et avec une concurrence exacerbée entre les enseignes.

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