Elles sont d'origine communautaire, mais notre pays tend à les alourdir encore. Surtout, chaque État membre n'hésite pas à négocier les dispositions qui lui seront applicables de sorte que les normes fixant le taux maximal d'azote à l'hectare, par exemple, varient d'un pays à l'autre. Or, même si ce n'est pas le cas dans tous les domaines, notre pays se distingue plutôt en faisant du zèle.
Ainsi le seuil à partir duquel un élevage passe du régime de la déclaration à celui de l'autorisation est deux fois plus bas en France que chez la plupart de ses voisins. Nous, nous demandons simplement l'application des normes européennes. Il ne s'agit pas d'en appeler au gigantisme ! Trois producteurs de porcs désireux de rassembler leurs exploitations pour gagner en efficacité, pour faciliter leurs investissements ou pour renforcer la sécurité de leurs systèmes, sont aujourd'hui dans l'impossibilité de le faire tant la procédure requise pour les installations classées est contraignante, longue et coûteuse : il faut une enquête publique qui dure au moins deux ans et coûte 20 000 euros.
Autre exemple : alors qu'en Allemagne, il existe plus de 6 000 unités de méthanisation produisant du gaz à partir d'effluents ou de sous-produits, en France, même si leur nombre augmente, on peut les compter sur les doigts des deux mains. Cela tient pour beaucoup aux délais d'instruction des permis de construire : six à neuf mois de l'autre côté du Rhin, vingt-quatre à trente-six mois en France ! Une telle lourdeur ne peut que peser sur la compétitivité.
J'en viens à la relation entre producteurs et consommateurs. Il y a une dizaine d'années, un ménage français moyen consacrait à peu près 16 % de ses ressources à son alimentation. En 2011, cette part est tombée à 11 %, les matières premières d'origine agricole ne comptant que pour 4 % : le reste correspond à du service – emballage, marketing, transport, réfrigération, etc. Sachant que, de surcroît, le prix de ces matières premières peut varier de 25 à 30 % dans une même année, il y a de quoi s'inquiéter pour la viabilité des activités agricoles, de production comme de transformation. Pouvons-nous nous résigner à ce que le contenant ait plus de valeur que le contenu ?
La forte concentration à l'aval de la filière agricole pose un autre problème, faute d'une plus grande maturité dans les relations entre production et distribution. J'aspire donc à la création d'un cadre et d'outils communs, et la création de l'Observatoire des prix et des marges et la mise en place d'indicateurs constituent un pas dans ce sens. Le premier, qui a sa légitimité, permet de disposer d'informations objectives. Son fonctionnement n'est pas encore parfait, mais il a beaucoup évolué depuis deux ans. Le responsable de l'Observatoire, M. Philippe Chalmin a accompli avec ses équipes un travail important pour déterminer comment se décomposent les prix d'un bout à l'autre de la filière et, quand cela est possible, comment se décomposent les marges.
Quant aux indicateurs, ils permettent de reconstituer – notamment dans une filière animale – la formation des coûts de revient, ce qui devrait à terme nous aider à fonder une nouvelle relation entre producteurs et industriels, et entre industriels et distributeurs.
Mais tout cela suppose d'utiliser effectivement les outils issus de la loi de modernisation de l'économie, en particulier la possibilité de revenir à la table des négociations en cas de décrochement, dans un sens ou dans l'autre, entre l'évolution des prix agricoles et celle des prix de l'alimentation. Certes, quand les premiers baissent, les distributeurs ne tardent pas à exiger de nouvelles négociations, mais dans le cas contraire, les choses sont plus compliquées…
L'emploi agricole a fortement évolué. Tout d'abord, tous les partenaires sociaux s'accordent à reconnaître que le dialogue social dans le secteur est de qualité, ce qui s'explique par la grande proximité entre le chef d'exploitation et son ou ses salariés. Le rapport de confiance, en particulier, est souvent plus fort qu'ailleurs.
Ensuite, nous travaillons depuis plusieurs années à améliorer nos relations partenariales, en particulier en matière de prévoyance et de formation. Nous venons de lancer une nouvelle campagne en vue d'améliorer l'image des métiers de l'agriculture dans l'opinion. On ne peut nier que la pénibilité demeure, mais 93 % des jeunes scolarisés dans l'enseignement agricole trouvent un travail à la sortie et, quand nous avons signé, en 2010 et 2011, entre 3 500 et 4 000 contrats de réinsertion professionnelle destinés à des publics en grande difficulté, la moitié des bénéficiaires ont obtenu un contrat à durée indéterminée après une formation en entreprise et en centre de formation. Le contact avec la terre, avec les animaux et avec la nature constitue en effet un puissant adjuvant à la réinsertion sociale. J'ajoute que près de 70 000 emplois sont à pourvoir dans la filière. L'emploi agricole est peut-être encore méconnu, mais il représente donc un vrai potentiel.
J'ai évoqué le problème qui se pose à propos des installations classées, ainsi que celui des normes sociales, sanitaires, phytosanitaires, environnementales : la tendance de la France à aller en la matière au-delà de ce qu'exige l'Union est incontestable. Mais surtout, il est des domaines dans lesquels il faudrait renoncer à certaines postures. Ainsi, alors que nous n'avons pas investi dans la maîtrise de la ressource en eau depuis dix à quinze ans, certains tendent à assimiler irrigation et intensification de la production, alors que pour nous, l'irrigation est la garantie de la pérennité des exploitations. Nous l'avons vu à nouveau en 2011 : notre incapacité à stocker l'eau au moment où elle tombe nous place dans des situations intenables. À l'issue de la dernière réunion du Comité de sécurité alimentaire de la FAO, notre ministre M. Stéphane Le Foll et ses homologues espagnol et italien ont publié la semaine dernière un communiqué sur la politique agricole commune dont un passage rappelait la nécessité d'une politique d'investissement ambitieuse pour améliorer l'efficacité des systèmes d'irrigation, en particulier grâce à l'aménagement de retenues de substitution. Pourtant, le lendemain, sa collègue Mme Delphine Batho signait un courrier demandant aux directeurs des agences de l'eau de suspendre toute forme de soutien à la création de ces mêmes retenues, au motif qu'une nouvelle mission parlementaire était lancée sur le sujet – comme si les étagères ne croulaient pas déjà sous les rapports consacrés à cette question ! Cette mission devant rendre ses conclusions au printemps prochain, cela signifie que l'on ne fera rien cette année alors que les projets en attente sont nombreux, notamment dans l'Ouest. L'incompréhension est donc totale.
Bien sûr, il ne s'agit pas de faire n'importe quoi. Mais le projet de décret élaboré sous la précédente législature, qui fixait à 350 000 mètres cubes d'eau le seuil en deçà duquel une simple déclaration est suffisante pour constituer une réserve d'eau, a été abandonné : nous sommes revenus à la case départ. Non seulement de telles décisions irritent le monde agricole, mais elles font partie des facteurs qui compromettent notre compétitivité.
J'ai évoqué la diversité du monde agricole. Nous nous faisons bien entendu les promoteurs de formes d'agriculture telles que l'agriculture biologique, les circuits courts – dont l'importance croît dans les milieux périurbains –, ainsi que des notions de proximité ou de produit premium. Mais n'oublions pas que les produits alimentaires sous signe de qualité – agriculture biologique comprise – représentent moins de 25 % de la demande. Avec la crise, cette proportion tend même à descendre en dessous de 20 %. Quant à l'agriculture de proximité, elle couvre la distribution de moins de 15 % des produits alimentaires – et encore, à condition de retenir une définition large de la proximité. Rien de cela n'est négligeable, certes, et ces secteurs sont sans doute appelés à progresser, mais on voit bien la nécessité d'accorder toute notre attention à une autre agriculture, meilleur marché, répondant à des besoins plus quotidiens même si elle est également de qualité : les circuits traditionnels de distribution et ce que l'on appelle pudiquement l'agriculture conventionnelle restent, qu'on le veuille ou non, le coeur de métier. Or les facteurs de compétitivité sont essentiels dans ce secteur.
Il est vrai cependant, Madame Erhel, que l'innovation est un facteur de différenciation. Mais elle doit se traduire dans le prix, et l'augmentation de la valeur ajoutée doit aussi bénéficier à ceux qui la mettent en oeuvre.
Monsieur Grellier, la contractualisation est un sujet sur lequel nous avions beaucoup insisté lors de la discussion de la loi de modernisation de l'agriculture, car nous y voyions un des grands moyens de structurer la production pour plus d'efficacité. Le ministre a sans doute raison de vouloir améliorer le contenu des contrats qui nous lieront avec l'aval de la filière mais, pour l'heure, nous ne savons pas si les cinq – ou neuf – centrales d'achat de France vont accepter d'entrer elles aussi dans ce schéma. Or une contractualisation ne peut être efficace et durable que si elle concerne l'ensemble de la filière.
Aujourd'hui, le cours de la production porcine est fixé dans une proportion de 90 voire de 95 % au cadran de Plérin en Bretagne. Or celui-ci ne reflète pas les conditions ou les coûts de production en amont, mais simplement l'état du marché résultant de l'offre et de la demande. Si, demain, nous voulons améliorer la situation dans ce secteur, il faudra se tourner vers un autre modèle – par exemple vers celui du marché à terme à livraison différée – prenant en compte les coûts de revient, intégrant une contractualisation menée jusqu'au niveau de la distribution et garantissant la réciprocité des engagements entre producteur, collecteur, transformateur et distributeur. Ce qui n'est certainement pas le cas aujourd'hui.
Un autre exemple intéressant est celui de la production laitière. Deux des grandes entreprises du secteur, l'une coopérative, l'autre privée, ont décidé en octobre de baisser le prix du lait de cinq à dix centimes par litre. Une troisième, Danone, a publié un communiqué pour annoncer qu'elle ne s'alignerait pas, en raison des engagements qu'elle avait pris antérieurement avec ses fournisseurs. On voit là tout l'intérêt de la contractualisation, dès lors qu'elle est fondée sur des critères objectifs et transparents. Pour notre part, nous y croyons. Cela peut fonctionner, sous réserve, je le répète, d'une réciprocité des engagements.
De même, nous travaillons à tisser entre filières végétales et animales des liens destinés à limiter les effets de la volatilité des prix agricoles. L'objectif est de mettre en place une contractualisation entre, par exemple, des coopératives de collecte céréalière et des fabricants d'aliments pour bétail, de façon à écrêter les écarts, à la hausse ou à la baisse, par rapport à un « tunnel » de prix. C'est un travail difficile et de longue haleine, mais il doit être mené à bien pour éviter les excès auxquels le marché est confronté.
Nous n'attendons pas tout de la puissance publique, nous prenons notre part de responsabilité et la contractualisation est un bon exemple de ce qui peut être accompli, de manière volontariste, par les seuls acteurs privés. Cette semaine, nous venons ainsi d'adopter le principe d'une cotisation volontaire de deux euros par tonne, payée par les producteurs de céréales et d'oléagineux et dont le produit, par effet de levier, permettra de financer des investissements pouvant concourir à une meilleure compétitivité dans les filières animales. Il s'agit là d'une première. La cotisation sera prélevée le 31 mai 2013 sur la récolte de 2012. La recette attendue est de 100 millions d'euros, ce qui n'est pas négligeable. Le dispositif n'a pas été facile à élaborer, mais nous souhaitons qu'il s'applique dans la durée. Ainsi, chaque fois que le prix des céréales sur le marché atteindra un niveau élevé, comme c'est le cas en ce moment, nous pourrons l'activer de façon à exercer une action contra cyclique au bénéfice du monde de l'élevage.