Intervention de Emmanuelle Prada-Bordenave

Réunion du 17 octobre 2012 à 17h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Emmanuelle Prada-Bordenave, directrice générale de l'Agence de biomédecine, ABM :

Si le haut conseil des biotechnologies (HCB) ne contrôle pas l'évolution des sciences, il a élaboré un rapport prospectif pour éclairer le législateur sur les évolutions à moyen terme dans les différentes disciplines dont il a la charge, notamment la reconstruction d'organes par des cellules colonisant des organismes décellularisés. Ce texte a été mis à jour, et un nouveau rapport sera remis au Parlement.

Sur les paradis éthiques, il s'agit de distinguer soins et recherche. Il faut que l'offre de soins soit suffisante sur notre territoire et que la qualité des prélèvements et du don soit irréprochable pour que les patients n'aillent pas alimenter des trafics d'organes ailleurs. Une enquête sur le trafic d'organes en France montre que ceux qui s'y prêtent sont des primo immigrants qui retournent dans leur pays d'origine acheter un organe, et qui rentrent généralement malades. Il faut par ailleurs développer les dons.

En ce qui concerne la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires, les premières autorisations ont été délivrées par un comité ad hoc placé auprès du ministre de la recherche et non par l'Agence. Comme le législateur avait mis fin à un système d'interdiction totale par la loi de 2004, il appartenait à ce comité de délivrer des autorisations avant la création et la mise en place de l'ABM. 67 autorisations ont été délivrées à ce jour et les équipes françaises ont pu continuer à travailler dans le respect des critères fixés par le législateur, vérifié par des experts et le conseil d'orientation de l'Agence qui en suit les aspects éthiques. Sept refus ont été prononcés depuis le début. Certains l'ont été très tôt, ce qui a été le cas pour des protocoles de recherche à but cosmétologique. On ne peut en effet sacrifier un embryon humain que pour sauver une vie humaine. Les autres refus ont été provoqués par des protocoles inaboutis ou mal formulés. Certains de ces protocoles ont pu être ensuite représentés et acceptés.

Lors de mon audition par le Sénat sur la proposition de loi modifiant la loi relative à la bioéthique de 2011 pour autoriser sous certaines conditions, la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires, j'ai indiqué que plusieurs décisions d'autorisation de recherche octroyées par la direction générale de l'ABM – une en 2008 et quatre en 2010 – avaient été contestées devant les juridictions administratives. L'action contre la décision d'autorisation de recherche de 2008 a été rejetée par le Tribunal administratif de Paris, mais la Cour administrative d'appel de Paris a annulé ce jugement, au motif que l'ABM aurait dû « établir qu'il n'existait pas, à la date de la décision attaquée, une méthode alternative à celle retenue dans le protocole litigieux permettant de poursuivre avec une efficacité comparable l'objectif du projet de recherche en cause ». Il existe donc en France un projet de recherche interdit par une juridiction. S'agissant des quatre procédures en cours devant le Tribunal administratif de Paris, elles concernent un protocole similaire à celui annulé par la Cour administrative d'appel. Dès lors, sans préjuger le jugement que rendra le Tribunal administratif, il y a fort à parier que ce dernier aboutira à la même décision que la Cour, s'il fait application de l'arrêt de cette dernière. Il est en effet demandé à l'Agence d'apporter la preuve que les mêmes recherches n'auraient pas pu être menées avec d'autres cellules. Or, malgré la littérature scientifique récente qui a été produite – dont un article de Nature, qui montrait l'évolution un peu divergente entre les cellules pluripotentes induites (IPS) et les cellules souches embryonnaires, la Cour a jugé que la preuve apportée n'était pas suffisante. Comme je l'ai indiqué aux sénateurs, ce contexte judiciaire introduit un élément d'instabilité.

Pour améliorer la greffe, on peut d'abord améliorer le prélèvement d'organes, grâce au recensement des donneurs décédés. Actuellement, la mort encéphalique représente 2 % de décès sur un total 540 000 décès. Le nombre de donneurs décédés serait donc supérieur à 10 000. On recense aujourd'hui environ 3 000 donneurs potentiels, chiffre qui pourrait atteindre 4 000 si le recensement était plus exhaustif, ce qui contribuerait à accroître le nombre de greffes d'organes, un donneur permettant souvent d'effectuer quatre greffes. Ceci nous a conduits à développer et à déployer de façon extrêmement volontariste dans les hôpitaux l'outil appelé Cristal action, outil rétrospectif et prospectif de recensement des décès et d'analyse. Il permet de savoir, d'une part, si une personne décédée était dans un état qui aurait pu autoriser le prélèvement de ses organes et, d'autre part, dans un tel cas, pour quelles raisons celui-ci n'a pas été effectué. Cet outil extrêmement incitatif a contribué à augmenter le taux de recensement et de prélèvement dans tous les établissements où il a été déployé et utilisé. Il importe de maintenir le prélèvement d'organes sur les donneurs décédés, le rein étant le seul organe prélevé sur le donneur vivant. La France s'est dotée d'un outil très ambitieux de prélèvement sur les donneurs décédés, en raison d'une forte unité nationale autour de l'idée que le don du corps post-mortem participe du principe de fraternité inscrit dans la devise républicaine. Pour cette raison, il convient de poursuivre avec beaucoup de détermination.

En ce qui concerne le rein, il faut ajouter la greffe par donneurs vivants, laquelle, jusqu'à présent, n'était pas suffisamment développée en France. C'est pourquoi un travail d'accompagnement des acteurs a été effectué avec la Direction générale de l'organisation des soins (DGOS) sur les tarifs et avec les équipes sur la promotion du don du vivant auprès des receveurs – qui en ignoraient souvent la possibilité – des centres de dialyse, des néphrologues et des médecins généralistes. Si la greffe du rein avec donneur vivant était développée avec détermination, il serait possible d'en accroître significativement le nombre au-delà des 300 greffes actuelles.

Quant aux neurosciences, l'Agence, en vue d'accroître ses connaissances, s'est rapprochée d'acteurs publics, qui ont déjà travaillé dans ce domaine, tel le centre d'analyse stratégique (CAS). Celui-ci a accumulé une grande expertise à travers ses rapports, dont l'orientation juridique n'a pas empêché l'Agence de mutualiser ses propres expériences avec celles des auteurs de ces rapports. L'ABM s'est également rapprochée des acteurs médicaux et scientifiques de la discipline et notamment les membres de la fondation Imagine. En outre, l'ABM a constitué, un groupe de travail qui se réunira la semaine prochaine pour la première fois. Il s'agit de faire venir à l'Agence des spécialistes des neurosciences afin, comme pour les autres disciplines, d'échanger sur les pratiques, les besoins, les attentes et les risques éventuels de leur profession. Pour les médecins, il s'agit plus des besoins et de la nécessité d'une pédagogie, que des risques, lesquels touchent davantage la société.

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