Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques
Mercredi 17 octobre 2012
Présidence de M. Bruno Sido, Sénateur, Président
La séance est ouverte à 17 heures
– Nomination de rapporteurs
L'OPECST a nommé rapporteurs :
- MM. Alain Claeys, et Jean-Sébastien Vialatte, députés, pour l'étude relative aux « enjeux scientifiques, technologiques et éthiques de la médecine personnalisée » ;
- M. Denis Baupin, député, et Mme Fabienne Keller, sénatrice, pour l'étude relative aux « développements technologiques liés aux voitures écologiques » ;
- M. Jean-Pierre Leleux, sénateur, et Mme Maud Olivier, députée, pour l'étude relative à « la diffusion de la culture scientifique et technique ».
– Audition, ouverte à la presse, de Mme Emmanuelle Prada-Bordenave, directrice générale de l'Agence de biomédecine
Nous sommes heureux de vous accueillir. D'abord parce que l'Agence a collaboré avec ceux des membres de l'Office qui suivent de près les progrès de la biomédecine et dont l'activité a permis de préparer l'actualisation régulière des lois de bioéthique. Ensuite, parce que la dernière de ces lois, celle du 7 juillet 2011, a accru les compétences de l'Agence dans des domaines très variés, comme les greffes, la procréation assistée, les diagnostics anténatals et les recherches sur les cellules souches et les embryons. Ces domaines sont en constante évolution et porteurs à la fois de grandes espérances et curieusement, de grandes inquiétudes. Je vous donne la parole.
Je présenterai tout d'abord l'ABM et ses missions. L'ABM est un établissement public administratif dépendant du ministère de la santé, créé par la loi relative à la bioéthique de 2004. Elle compte 300 collaborateurs dont 80 se trouvent en région pour le prélèvement d'organes. Selon les années, son budget se situe entre 80 et 90 millions d'euros. Pour 2011, il s'établit à un peu moins de 80 millions d'euros. Cependant, le budget véritable est moindre car l'Agence assure le portage de créance pour l'importation et l'exportation de cellules souches hématopoïétiques qui s'autofinancent à hauteur de 28 millions d'euros. L'Agence en fait l'avance, ceci est retracé dans son budget.
Depuis sa création, l'agence est dotée de missions dans plusieurs domaines qui ont en commun de soigner avec des éléments et des produits du corps humain : greffes, procréation assistée, génétique et embryologie. Pour ces activités, les missions de l'Agence sont définies avec précision par les articles L.1418-2 et suivants du code de la santé publique : encadrer ces activités, accompagner les professionnels, évaluer la qualité et la pertinence des pratiques et les promouvoir. Les personnels de l'ABM se répartissent entre ces quatre missions, ce qui explique qu'il n'y ait pas que des médecins à l'Agence. En outre, depuis la création de l'Agence près de 1000 professionnels participent à des groupes de travail et se réunissent régulièrement à l'Agence pour apporter leur concours selon leur discipline.
J'en viens aux diverses activités de l'ABM qui font l'objet du rapport 2011 de l'Agence.
S'agissant de la greffe d'organes, si on constate en 2011 une augmentation du nombre de prélèvements recensés et 4 690 greffes réalisées, l'objectif de 5 000 greffes n'a pas été atteint. L'augmentation porte sur la greffe de rein et de poumon, laquelle a été redynamisée pour atteindre l'autosuffisance, grâce à l'engagement fort des professionnels qui ont été audacieux. L'augmentation de la greffe du rein a été induite par l'appui du Parlement lors de l'élaboration de la loi de bioéthique de 2011 qui promeut le don entre vivants et le don croisé.
Pour la greffe de tissus, la France est désormais autosuffisante en greffe de cornée grâce à l'effort massif de formation des personnels des chambres mortuaires des hôpitaux. En revanche, pour les autres tissus, l'Agence ne dispose pas d'une connaissance suffisante des besoins et de l'activité et a lancé en 2009 deux enquêtes : l'une sur l'activité de prélèvement de tissus auprès des coordinations hospitalières, l'autre sur les tissus conservés auprès des banques de tissus. Une enquête est initiée sur la réalité des besoins auprès des greffeurs, notamment les chirurgiens vasculaires, les orthopédistes et les dentistes, ce qui n'est pas aisé car les dentistes recourent peu à l'ABM. La greffe de cellules a, quant à elle, connu une forte augmentation ces dernières années. Depuis 2011 l'accès à la greffe de patients plus âgés atteints notamment de leucémie, a été facilité grâce à l'allègement des protocoles de conditionnement. L'ABM a appuyé cette activité en liaison avec la direction générale de la santé (DGS) et les équipes pour parvenir à une tarification de cette activité au coût très élevé pour les hôpitaux. Pour le sang placentaire, on compte, en 2011, 17 000 greffons, 20 000 ou plus en 2012 grâce à l'engagement du plan cancer. Cependant, en 2011 comme en 2012, l'Agence n'est pas parvenue, malgré ses efforts, à inscrire 18 000 nouveaux donneurs de moelle osseuse, pour disposer de 10 000 des donneurs nécessaires sur le registre, car les donneurs anciens se retirent. L'ABM s'efforcera donc, en liaison avec l'Etablissement français du sang, de trouver des moyens pour être plus efficace.
Concernant le recours à la procréation assistée, le nombre augmente régulièrement, notamment en assistance médicale à la procréation (AMP) intraconjugale avec les gamètes du couple, pratique habituelle des praticiens en France, ce qui est à prendre en compte dans les études comparatives. En effet, à l'étranger, dans le cadre d'AMP commerciales, le recours à des gamètes extérieurs aux couples, provenant de donneurs jeunes donne des résultats plus positifs qu'il est difficile de comparer aux résultats obtenus en France. Le nombre de dons de gamètes est stable, avec 6 % des actes d'AMP avec donneurs extérieurs. L'ABM a d'ailleurs organisé, avec l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et l'appui du Parlement, une promotion du don d'ovocytes insuffisamment développé en France, ce qui conduit les couples à se rendre à l'étranger dans des centres qui recrutent des donneuses de manière peu éthique. Or, il faut éviter d'alimenter ces pratiques éthiquement très contestables. C'est pourquoi l'Agence continuera d'organiser des campagnes de promotion du don d'ovocytes en 2012 et 2013.
Pour ce qui est de la génétique prénatale, 2011 a vu se poursuivre le développement du dépistage de la Trisomie 21 avec recours aux marqueurs sériques (dosage de substances présentes dans le sang maternel) et à la mesure de la clarté nucale (épaisseur de la nuque) au premier trimestre de grossesse. Alors qu'en 2010, seulement 10 % des femmes avaient accès à ce dépistage au premier trimestre, il s'est progressivement généralisé en 2011, grâce à un effort de formation spécifique des professionnels de l'échographie.
Quant à la génétique constitutionnelle, qui porte sur les maladies héréditaires, c'est une activité récente de l'Agence qui résulte d'un décret de 2008. Cette activité se développe. La France est le premier pays d'Europe à s'être doté de rapports annuels émanant de tous les laboratoires de génétique constitutionnelle du territoire. Cela permet de connaître le nombre, les indications et la nature des tests génétiques réalisés, et vient en appui au développement des schémas régionaux d'organisation des soins (SROS) car, pour la première fois en France, on dispose d'une planification sanitaire en génétique. Ces schémas s'adapteront à la génétique car si la consultation a lieu sur place, les laboratoires peuvent être situés hors de la région concernée, voire, pour des cas extrêmement rares, à l'étranger dans des laboratoires spécialisés dans une pathologie rare donnée. Par ailleurs, l'Agence a entamé une démarche volontariste d'explication de ce qu'est la génétique en médecine. En effet, lors du débat sur la loi relative à la bioéthique, il était apparu que l'envahissement et la promotion d'une génétique récréative par les acteurs économiques étaient devenus préoccupants. L'Agence a décidé de faire comprendre au public que la génétique vient en appui à la médecine et lancera un site Internet qui lui est spécifiquement dédié sur le modèle de ceux dédiés aux dons d'organes et à l'AMP. C'est pourquoi, elle a procédé en 2011 à des enquêtes sur la perception que les différents acteurs ont de la génétique afin que ce site réponde aux attentes du public.
S'agissant de l'activité de recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires, celle-ci a été réduite en 2011. Conformément à la loi relative à la bioéthique de 2004, le principe d'interdiction de cette recherche s'est appliqué en février 2011, à l'expiration du moratoire permettant l'autorisation de ces recherches sous condition par l'ABM. De ce fait, aucun dossier de demande d'autorisation n'a pu être déposé à l'Agence jusqu'à la publication en juillet 2011 de la nouvelle loi qui a décidé que les dérogations pouvaient à nouveau être accordées. C'est en septembre 2011 que l'ABM a ouvert de nouvelles fenêtres de dépôts de dossiers, ce qui a permis l'examen de quelques dossiers fin 2011. En 2012, quelques saisines ont donné lieu à des autorisations.
Je vous signale pour l'avenir, deux projets importants: le plan greffe adopté en mars 2012 avec 70% d'indicateurs et l'objectif d'augmenter les greffes d'organes de 5% par an. Pour y parvenir, l'Agence s'efforcera de former les acteurs en favorisant la mutualisation des prélèvements entre les professionnels de terrain afin d'éviter que des équipes ne traversent la France pour prélever un organe dans un établissement qui dispose d'équipes ad hoc. Le deuxième projet concerne le contrat de performance de l'Agence signé le 30 juillet 2012 avec la Direction générale de la santé qui fixe la feuille de route pour les quatre ans à venir. Ceci est précieux car l'Agence est, comme les autres opérateurs, soumise à des restrictions budgétaires, même si, pour ses nouvelles missions, elle est dotée de moyens supplémentaires. Je vous remets donc ces deux documents : ils concernent respectivement le plan greffe et le contrat de performance de l'ABM.
Il y a quarante ans, on n'imaginait pas comment le monde allait être transformé par les technologies informatiques et les sciences du vivant. Qu'en est-il de la poursuite de l'accélération dans ce domaine et de la possibilité pour le législateur et l'Agence de contrôler cette évolution ? Comment l'Agence gère-t-elle les distorsions de concurrence scientifique et technologique créées par l'existence des paradis éthiques lorsqu'elle accorde des autorisations de protocoles de recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires? Comment améliorer le dispositif existant pour la greffe ? Peut-on déjà faire un premier bilan de l'application de la nouvelle mission d'information du Parlement sur les neurosciences que vous a confiée la loi de 2011 ?
Si le haut conseil des biotechnologies (HCB) ne contrôle pas l'évolution des sciences, il a élaboré un rapport prospectif pour éclairer le législateur sur les évolutions à moyen terme dans les différentes disciplines dont il a la charge, notamment la reconstruction d'organes par des cellules colonisant des organismes décellularisés. Ce texte a été mis à jour, et un nouveau rapport sera remis au Parlement.
Sur les paradis éthiques, il s'agit de distinguer soins et recherche. Il faut que l'offre de soins soit suffisante sur notre territoire et que la qualité des prélèvements et du don soit irréprochable pour que les patients n'aillent pas alimenter des trafics d'organes ailleurs. Une enquête sur le trafic d'organes en France montre que ceux qui s'y prêtent sont des primo immigrants qui retournent dans leur pays d'origine acheter un organe, et qui rentrent généralement malades. Il faut par ailleurs développer les dons.
En ce qui concerne la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires, les premières autorisations ont été délivrées par un comité ad hoc placé auprès du ministre de la recherche et non par l'Agence. Comme le législateur avait mis fin à un système d'interdiction totale par la loi de 2004, il appartenait à ce comité de délivrer des autorisations avant la création et la mise en place de l'ABM. 67 autorisations ont été délivrées à ce jour et les équipes françaises ont pu continuer à travailler dans le respect des critères fixés par le législateur, vérifié par des experts et le conseil d'orientation de l'Agence qui en suit les aspects éthiques. Sept refus ont été prononcés depuis le début. Certains l'ont été très tôt, ce qui a été le cas pour des protocoles de recherche à but cosmétologique. On ne peut en effet sacrifier un embryon humain que pour sauver une vie humaine. Les autres refus ont été provoqués par des protocoles inaboutis ou mal formulés. Certains de ces protocoles ont pu être ensuite représentés et acceptés.
Lors de mon audition par le Sénat sur la proposition de loi modifiant la loi relative à la bioéthique de 2011 pour autoriser sous certaines conditions, la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires, j'ai indiqué que plusieurs décisions d'autorisation de recherche octroyées par la direction générale de l'ABM – une en 2008 et quatre en 2010 – avaient été contestées devant les juridictions administratives. L'action contre la décision d'autorisation de recherche de 2008 a été rejetée par le Tribunal administratif de Paris, mais la Cour administrative d'appel de Paris a annulé ce jugement, au motif que l'ABM aurait dû « établir qu'il n'existait pas, à la date de la décision attaquée, une méthode alternative à celle retenue dans le protocole litigieux permettant de poursuivre avec une efficacité comparable l'objectif du projet de recherche en cause ». Il existe donc en France un projet de recherche interdit par une juridiction. S'agissant des quatre procédures en cours devant le Tribunal administratif de Paris, elles concernent un protocole similaire à celui annulé par la Cour administrative d'appel. Dès lors, sans préjuger le jugement que rendra le Tribunal administratif, il y a fort à parier que ce dernier aboutira à la même décision que la Cour, s'il fait application de l'arrêt de cette dernière. Il est en effet demandé à l'Agence d'apporter la preuve que les mêmes recherches n'auraient pas pu être menées avec d'autres cellules. Or, malgré la littérature scientifique récente qui a été produite – dont un article de Nature, qui montrait l'évolution un peu divergente entre les cellules pluripotentes induites (IPS) et les cellules souches embryonnaires, la Cour a jugé que la preuve apportée n'était pas suffisante. Comme je l'ai indiqué aux sénateurs, ce contexte judiciaire introduit un élément d'instabilité.
Pour améliorer la greffe, on peut d'abord améliorer le prélèvement d'organes, grâce au recensement des donneurs décédés. Actuellement, la mort encéphalique représente 2 % de décès sur un total 540 000 décès. Le nombre de donneurs décédés serait donc supérieur à 10 000. On recense aujourd'hui environ 3 000 donneurs potentiels, chiffre qui pourrait atteindre 4 000 si le recensement était plus exhaustif, ce qui contribuerait à accroître le nombre de greffes d'organes, un donneur permettant souvent d'effectuer quatre greffes. Ceci nous a conduits à développer et à déployer de façon extrêmement volontariste dans les hôpitaux l'outil appelé Cristal action, outil rétrospectif et prospectif de recensement des décès et d'analyse. Il permet de savoir, d'une part, si une personne décédée était dans un état qui aurait pu autoriser le prélèvement de ses organes et, d'autre part, dans un tel cas, pour quelles raisons celui-ci n'a pas été effectué. Cet outil extrêmement incitatif a contribué à augmenter le taux de recensement et de prélèvement dans tous les établissements où il a été déployé et utilisé. Il importe de maintenir le prélèvement d'organes sur les donneurs décédés, le rein étant le seul organe prélevé sur le donneur vivant. La France s'est dotée d'un outil très ambitieux de prélèvement sur les donneurs décédés, en raison d'une forte unité nationale autour de l'idée que le don du corps post-mortem participe du principe de fraternité inscrit dans la devise républicaine. Pour cette raison, il convient de poursuivre avec beaucoup de détermination.
En ce qui concerne le rein, il faut ajouter la greffe par donneurs vivants, laquelle, jusqu'à présent, n'était pas suffisamment développée en France. C'est pourquoi un travail d'accompagnement des acteurs a été effectué avec la Direction générale de l'organisation des soins (DGOS) sur les tarifs et avec les équipes sur la promotion du don du vivant auprès des receveurs – qui en ignoraient souvent la possibilité – des centres de dialyse, des néphrologues et des médecins généralistes. Si la greffe du rein avec donneur vivant était développée avec détermination, il serait possible d'en accroître significativement le nombre au-delà des 300 greffes actuelles.
Quant aux neurosciences, l'Agence, en vue d'accroître ses connaissances, s'est rapprochée d'acteurs publics, qui ont déjà travaillé dans ce domaine, tel le centre d'analyse stratégique (CAS). Celui-ci a accumulé une grande expertise à travers ses rapports, dont l'orientation juridique n'a pas empêché l'Agence de mutualiser ses propres expériences avec celles des auteurs de ces rapports. L'ABM s'est également rapprochée des acteurs médicaux et scientifiques de la discipline et notamment les membres de la fondation Imagine. En outre, l'ABM a constitué, un groupe de travail qui se réunira la semaine prochaine pour la première fois. Il s'agit de faire venir à l'Agence des spécialistes des neurosciences afin, comme pour les autres disciplines, d'échanger sur les pratiques, les besoins, les attentes et les risques éventuels de leur profession. Pour les médecins, il s'agit plus des besoins et de la nécessité d'une pédagogie, que des risques, lesquels touchent davantage la société.
J'ai quelques questions à vous poser. Vous avez rappelé les diverses missions de l'Agence dans le domaine de la biologie et de la médecine humaine : le prélèvement et la greffe d'organes, l'assistance médicale à la procréation, le diagnostic prénatal et génétique et la recherche sur l'embryon. Ces missions relèvent certes du ministère de la santé, mais on y trouve aussi le mot recherche. Une double tutelle des ministères de la santé et de la recherche ne serait-elle pas pour vous un avantage?
Quel est l'impact du nombre de dons croisés sur le nombre de greffes par donneur vivant ?
Au cours du débat sur la loi relative à la bioéthique en 2011, j'ai évoqué la question des tests en libre accès sur Internet. Avec le ministre, nous avons même montré directement comment l'on pouvait accéder à de tels tests en Allemagne ou en Espagne. Arrivez-vous à mesurer l'impact des tests génétiques sur Internet ?
Quant à la recherche sur les cellules souches embryonnaires, nous sommes dans un régime d'interdiction assorti de dérogations. L'OPECST, y compris ses membres de groupes politiques différents, était en désaccord avec cette position. Au Sénat, une proposition de loi pour modifier la loi relative à la bioéthique de 2011 est en discussion. Vous avez évoqué des problèmes judiciaires sur cette question. Dans quelle mesure le régime d'interdiction avec dérogations a-t-il pénalisé la recherche française ?
Sur la possibilité d'une double tutelle du ministère de la recherche et du ministère de la santé, je pense qu'il est assez rare qu'un opérateur souhaite une double tutelle. Il ne m'appartient pas d'en juger. En fait la tutelle juridique, notre seule tutelle, est celle du ministère de la santé et s'exerce par des échanges avec la direction générale de la santé (DGS). Dans la pratique, quand il s'agit soit de recherches sur l'embryon, soit de matières très innovantes, en génétique, même parfois en AMP et sur ces questions très scientifiques, il existe un partenariat avec les services relevant du ministère de la recherche et ses partenaires habituels. Ainsi, un rapport croisé sur les causes de la stérilité demandé par le Parlement à l'ABM s'effectue sous l'égide de l'INSERM. Les textes prévoient d'ailleurs souvent notre saisine pour avis par le ministère de la recherche pour des dossiers de protocoles de recherche qui imposent de prélever des éléments du corps humain, voire d'en importer, d'en exporter. Les relations avec le ministère de la recherche existent donc en tant que de besoin, même si elles ne sont pas formalisées.
Le don croisé, n'a pas encore été mis en oeuvre, nous avons défini un outil informatique, inspiré des algorithmes déployés au Royaume Uni. Il faut nécessairement une théorie mathématique sur laquelle s'appuyer. Nous avons ensuite adapté ces modèles étrangers à la loi française, qui a accepté le don croisé seulement à partir de paires de donneurs compatibles et non pas de « chaînes », contrairement à nombre de pays étrangers comme les Etats-Unis où l'on peut donner par exemple un rein à la société et construire des chaînes. Le législateur français n'a pas souhaité autoriser le don altruiste et on ne peut donc que constituer des doublets de paires. La Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) a donné son autorisation sur l'outil informatique, qui est déjà passé devant le comité médical et scientifique de l'Agence et son comité d'orientation rendra son avis le mois prochain. Les équipes scientifiques ont commencé à sélectionner des paires compatibles et nous pensons donc pouvoir commencer début 2013. Il est difficile d'effectuer le chiffrage du don croisé: il débutera par une dizaine de premières greffes, en espérant l'accroitre par la suite, comme cela s'est passé en Espagne, et peut-être arriver à 10 % des greffes avec donneurs vivants, soit 30 ou 40 greffes par an. Mais ce n'est pas en France le mode ordinaire de greffes, c'est un mode d'organisation destiné à des personnes se trouvant dans une impasse.
Quant aux tests en libre accès sur Internet, pour l'instant les cliniciens ne nous font pas remonter un usage important de ces tests par les patients. L'offre de tests en vente libre sur Internet porte essentiellement sur des tests de prédisposition couvrant nombre de maladies fréquentes, sinon ce ne serait pas assez lucratif. Il faut préciser que nous ne nous occupons pas des tests de paternité à l'Agence, car ils ne sont pas à but médical. En génétique, actuellement, il est clair que ces tests n'orientent pas encore la pratique des soins. Sur l'aspect logistique, la loi a confié à l'Agence une mission qui en fait incombe à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) car les tests de dépistage ou de diagnostic génétique sont des dispositifs médicaux. Leur évaluation, leur qualité, leur promotion, leur indication relèvent de la mission pleine et entière de l'ANSM qui pour cela dispose d'outils, de laboratoires, ce qui n'est pas notre cas. Ainsi pour ce qui concerne le contrôle des tests, nous laissons à l'ANSM son coeur de mission, et ne nous en occupons pas. En revanche, il est de la mission de l'Agence de la biomédecine de contrôler de l'usage et la connaissance par le public de ces tests, et de diffuser auprès de lui le message clair que ces tests ne sont pas bons, car ils n'ont souvent aucun sens, et sont effectués en dehors des bonnes pratiques de génétique : le rendu du résultat s'effectue incorrectement, et la personne n'est pas accompagnée. Nous voulons donc développer un site Internet sur ce point. C'est la raison pour laquelle à l'occasion de notre conférence de rentrée, nous avons abordé le thème de la génétique constitutionnelle avec les journalistes présents pour faire passer quelques messages.
S'agissant du régime légal de la recherche sur l'embryon, il ne m'appartient certainement pas de juger la loi. Au Sénat, la discussion de la proposition de loi du groupe RDSE qui entend la modifier a eu lieu dans le cadre d'une « niche parlementaire » entre 22h30 et 24h30, lundi 15 octobre dernier. Seule la discussion générale a pu avoir lieu et la suite reprendra plus tard, lors d'une prochaine « niche » peut-être en décembre, mais je n'ai pas de précisions sur le calendrier. L'Agence a communiqué au Sénat la liste des publications effectuées par les équipes françaises sur les recherches autorisées par l'Agence et cela est annexé à son rapport annuel. Il y a des publications de très haut niveau, dans Nature, Science, Stem Cell Review. Il faut s'en féliciter. Mais on constate deux choses : ces équipes sont lassées d'être stigmatisées par les medias, car ces recherches souvent dénoncées comme dangereuses pour l'espèce humaine et les péripéties judiciaires les freinent aussi ; nous venons de déposer un pourvoi en cassation, après autorisation du Gouvernement, contre l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Paris, mais la Cour de cassation ne juge qu'en droit, et la condition d'impossibilité de parvenir au résultat escompté par le biais d'une recherche ne recourant pas à des embryons humains ou des cellules souches embryonnaires ou des lignées de cellules souches, est difficile à prouver.
Je me félicite des efforts de l'Agence pour augmenter les dons d'organes et de tissus et trouver des techniques qui permettent de progresser dans ce domaine. Cependant, les dons entre vivants ne représentent que 10 % de la transplantation rénale. Certes, la loi de bioéthique de 2011 a ouvert de nouvelles perspectives mais l'on n'a toujours pas atteint les objectifs assignés entre les entrées de patients sur la liste d'attente et les patients transplantés. Ainsi, chaque année, de nouveaux patients sont inscrits sur cette liste avec la perspective, soit de mourir en attente, soit d'attendre longtemps. La première complication de la greffe étant la non-greffe, il y a davantage de patients qui meurent inscrits sur la liste d'attente que de complications de traitement liées à la greffe. J'observe qu'un tiers des possibilités de don après décès se heurte à un refus oral exprimé par la famille, ce qui dépasse largement le nombre de personnes qui se sont inscrites sur le registre des refus de dons d'organes. Si l'on parvenait à réduire ces refus, on éviterait la pénurie d'organes et la participation de patients français en attente de greffes, à des trafics d'organes à l'étranger pour l'achat de greffons dans des conditions douteuses. Aussi est-il très important de réduire ces refus. Maintenant que les possibilités techniques de greffes ont été développées et qu'il reste au législateur à élargir encore les possibilités de dons, quel type de coopération suggérez-vous pour avancer et préparer une évolution progressive de la législation ? Quelle interaction, entre l'OPECST et l'ABM pour préparer une évolution suggérez-vous ? Faut-il organiser des auditions communes sur cette question ?
Sur la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires humaines (CSEh), comme mes collègues, je regrette que la loi bioéthique de 2011 réduise encore cette recherche. Doit-on laisser perdurer ce système d'interdiction avec dérogation ou bien comme l'ont préconisé la plupart des organismes consultés mettre en place un système d'autorisation encadrée de ces recherches ? On laisserait à l'ABM la responsabilité d'évaluer la pertinence scientifique des protocoles de recherches et de donner les autorisations car, dans ce domaine, ce qui n'est pas scientifique est contraire à l'éthique, et ces recherches doivent s'inscrire dans un cadre scientifique rigoureux. Face aux difficultés rencontrées au quotidien, depuis trente ans par les chercheurs de cette discipline, comment voyez-vous l'avenir ? Tous ceux qui comme moi se sont engagés dans ces recherches ne peuvent pas travailler sereinement ; certains y ont renoncé, d'autres se sont expatriés. Au moment des applications, cela aura des conséquences, la France accusera indubitablement un retard dans cette discipline par rapport à d'autres pays. La recherche sur les CSEh reste indispensable car elles ont des propriétés dont les autres cellules souches ne disposent pas, l'étude des cellules souches pluripotentes induites (IPS) découvertes par le prix Nobel de médecine ne peut se substituer à celle des cellules souches embryonnaires humaines, car les IPS ont des propriétés différentes. L'ABM serait-elle prête à évaluer un nombre plus grand de protocoles de ces recherches considérées comme interdites si l'on faisait disparaître l'autocensure des chercheurs dans cette discipline?
Concernant les greffes, on observe une extrême disparité des taux de refus sur le territoire national, de 9 % à 45 % selon les régions, le taux moyen étant de 33 %. Ce taux d'acceptation de près de 70 % est déjà satisfaisant, mais nous avons voulu, pour progresser encore, nous inspirer des régions qui réussissent, en retenant trois axes de formation. Tout d'abord, la formation grâce à l'outil informatique Cristal Action, qui apporte des résultats par son caractère systématique. Ensuite, la formation à distance des professionnels, s'adressant notamment aux urgentistes et réanimateurs, souvent en retrait sur ce sujet car loin des services de greffes, alors qu'ils pourraient prendre une part initiale au processus. Enfin, la formation à la manière de mener un entretien avec les familles de donneurs décédés.
Par ailleurs, sur un point très important, nous souhaiterions établir une coopération avec l'OPECST. En février se tiendra pour la première fois à Paris – et non à Londres, comme habituellement – un congrès concernant les prélèvements d'organes sur donneurs décédés d'un arrêt cardiaque. En France, les premières greffes ont été réalisées à partir de dons de personnes décédées d'un arrêt cardiaque. Mais, les résultats n'étant pas très bons, à partir de 1985, seuls ont été concernés les donneurs en état de mort encéphalique, c'est-à-dire placés en réanimation avec une irrigation artificielle des organes. En 2005, les techniques de circulation extracorporelle ayant beaucoup progressé et les résultats observés à l'étranger étant meilleurs, on est revenu à la possibilité de prélever des organes de donneurs décédés d'un arrêt cardiaque. La loi Leonetti étant en chemin au Parlement, le comité éthique de l'Établissement français des greffes s'est limité aux prélèvements en cas de décès dus à des arrêts cardiaques inopinés, réservant le cas de décès dus à l'arrêt des thérapeutiques actives, contrairement à ce qui se pratique majoritairement et depuis très longtemps dans les pays anglo-saxons.
Ce congrès sera l'occasion pour toutes les équipes de présenter les résultats des prélèvements et des greffes de donneurs décédés d'un arrêt cardiaque, quelle qu'en soit l'origine. Pour nous, il y a là un seuil très important à franchir, que l'Agence ne peut atteindre seule compte tenu de la gravité du sujet et de l'acuité du débat actuel en France sur la fin de vie. Nous avons donc besoin d'être accompagnés par une réflexion des parlementaires et en particulier de l'OPECST, même si, aux termes de la loi sur la bioéthique, ce sujet ne relève pas de la loi. C'est pourquoi, si l'OPECST acceptait de prendre connaissance de l'information donnée à cette occasion par des professionnels d'autres pays et d'examiner les possibilités d'évolution en France, ce serait un appui à la réflexion déjà entreprise par les professionnels. Le conseil d'orientation de l'ABM a déjà donné son feu vert pour que l'Agence réfléchisse aux modalités pratiques et techniques, mais rien ne peut se faire sans une démarche partagée avec la société. Si cette démarche partagée aboutissait, compte tenu de l'augmentation du nombre de personnes qui décèdent parce qu'on a décidé de ne pas les placer en réanimation et de ne pas engager de traitements – je pense notamment à des suites d'AVC –, on augmenterait certainement de manière assez forte le nombre de donneurs potentiels en France. C'est donc un point très sensible, j'en conviens, mais très important pour nous et pour les greffeurs. Nous souhaiterions donc que certains membres de l'OPECST acceptent, avant l'échéance de février, d'être informés d'une manière spécifique ou bien d'être associés d'une manière ou d'une autre au travail qui va être effectué à l'occasion de ce congrès.
S'agissant des recherches sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires, nos moyens sont réduits. Nous avons un maximum de quatre mois pour rendre une autorisation de recherche après son dépôt et le délai a toujours été respecté. L'ABM serait en mesure de continuer à le respecter même si le nombre de ces protocoles augmentait dans la mesure où des experts extérieurs nous appuient. À court terme, on ne constaterait pas une grande augmentation des demandes d'autorisations parce que ces recherches sont très difficiles, très coûteuses et exigent des compétences spécifiques des chercheurs et des techniciens en biologie. Je ne suis pas certaine que le nombre d'équipes – à ce jour une trentaine en France – qui mènent ces recherches pourrait subitement faire un bond si le régime légal était changé. Sur le long terme une augmentation est possible grâce à des équipes académiques de très haut niveau, mais il en existe peu en France capables de travailler en biologie cellulaire sur ces thématiques.
Conformément aux orientations données aux opérateurs publics, la subvention de l'ABM devrait baisser de 7 % pour ses dépenses de fonctionnement, et de 2,5 % pour ses effectifs. Le Gouvernement a accepté de sanctuariser certaines dépenses pour les activités essentielles, notamment le registre « greffe de moelle », le plan cancer en vue d'obtenir l'augmentation du stock de sang placentaire. En ce qui concerne les missions supplémentaires confiées à l'Agence, comme les neurosciences, des moyens supplémentaires seront donnés par la loi de finances pour 2013 actuellement en discussion. En revanche, l'ABM doit participer à l'effort d'efficacité qui lui est demandé. En interne, cela fait l'objet d'une réflexion sur les méthodes de travail et l'organisation des tâches de chacun pour accroître l'efficience autant que possible. La Direction générale de la santé est très attentive aux missions prioritaires de l'Agence de biomédecine.
Madame, il me reste à vous remercier, au nom de mes collègues, pour cette présentation.
La séance est levée à 18 h 40