Intervention de Emmanuelle Prada-Bordenave

Réunion du 17 octobre 2012 à 17h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Emmanuelle Prada-Bordenave, directrice générale de l'Agence de biomédecine, ABM :

Sur la possibilité d'une double tutelle du ministère de la recherche et du ministère de la santé, je pense qu'il est assez rare qu'un opérateur souhaite une double tutelle. Il ne m'appartient pas d'en juger. En fait la tutelle juridique, notre seule tutelle, est celle du ministère de la santé et s'exerce par des échanges avec la direction générale de la santé (DGS). Dans la pratique, quand il s'agit soit de recherches sur l'embryon, soit de matières très innovantes, en génétique, même parfois en AMP et sur ces questions très scientifiques, il existe un partenariat avec les services relevant du ministère de la recherche et ses partenaires habituels. Ainsi, un rapport croisé sur les causes de la stérilité demandé par le Parlement à l'ABM s'effectue sous l'égide de l'INSERM. Les textes prévoient d'ailleurs souvent notre saisine pour avis par le ministère de la recherche pour des dossiers de protocoles de recherche qui imposent de prélever des éléments du corps humain, voire d'en importer, d'en exporter. Les relations avec le ministère de la recherche existent donc en tant que de besoin, même si elles ne sont pas formalisées.

Le don croisé, n'a pas encore été mis en oeuvre, nous avons défini un outil informatique, inspiré des algorithmes déployés au Royaume Uni. Il faut nécessairement une théorie mathématique sur laquelle s'appuyer. Nous avons ensuite adapté ces modèles étrangers à la loi française, qui a accepté le don croisé seulement à partir de paires de donneurs compatibles et non pas de « chaînes », contrairement à nombre de pays étrangers comme les Etats-Unis où l'on peut donner par exemple un rein à la société et construire des chaînes. Le législateur français n'a pas souhaité autoriser le don altruiste et on ne peut donc que constituer des doublets de paires. La Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) a donné son autorisation sur l'outil informatique, qui est déjà passé devant le comité médical et scientifique de l'Agence et son comité d'orientation rendra son avis le mois prochain. Les équipes scientifiques ont commencé à sélectionner des paires compatibles et nous pensons donc pouvoir commencer début 2013. Il est difficile d'effectuer le chiffrage du don croisé: il débutera par une dizaine de premières greffes, en espérant l'accroitre par la suite, comme cela s'est passé en Espagne, et peut-être arriver à 10 % des greffes avec donneurs vivants, soit 30 ou 40 greffes par an. Mais ce n'est pas en France le mode ordinaire de greffes, c'est un mode d'organisation destiné à des personnes se trouvant dans une impasse.

Quant aux tests en libre accès sur Internet, pour l'instant les cliniciens ne nous font pas remonter un usage important de ces tests par les patients. L'offre de tests en vente libre sur Internet porte essentiellement sur des tests de prédisposition couvrant nombre de maladies fréquentes, sinon ce ne serait pas assez lucratif. Il faut préciser que nous ne nous occupons pas des tests de paternité à l'Agence, car ils ne sont pas à but médical. En génétique, actuellement, il est clair que ces tests n'orientent pas encore la pratique des soins. Sur l'aspect logistique, la loi a confié à l'Agence une mission qui en fait incombe à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) car les tests de dépistage ou de diagnostic génétique sont des dispositifs médicaux. Leur évaluation, leur qualité, leur promotion, leur indication relèvent de la mission pleine et entière de l'ANSM qui pour cela dispose d'outils, de laboratoires, ce qui n'est pas notre cas. Ainsi pour ce qui concerne le contrôle des tests, nous laissons à l'ANSM son coeur de mission, et ne nous en occupons pas. En revanche, il est de la mission de l'Agence de la biomédecine de contrôler de l'usage et la connaissance par le public de ces tests, et de diffuser auprès de lui le message clair que ces tests ne sont pas bons, car ils n'ont souvent aucun sens, et sont effectués en dehors des bonnes pratiques de génétique : le rendu du résultat s'effectue incorrectement, et la personne n'est pas accompagnée. Nous voulons donc développer un site Internet sur ce point. C'est la raison pour laquelle à l'occasion de notre conférence de rentrée, nous avons abordé le thème de la génétique constitutionnelle avec les journalistes présents pour faire passer quelques messages.

S'agissant du régime légal de la recherche sur l'embryon, il ne m'appartient certainement pas de juger la loi. Au Sénat, la discussion de la proposition de loi du groupe RDSE qui entend la modifier a eu lieu dans le cadre d'une « niche parlementaire » entre 22h30 et 24h30, lundi 15 octobre dernier. Seule la discussion générale a pu avoir lieu et la suite reprendra plus tard, lors d'une prochaine « niche » peut-être en décembre, mais je n'ai pas de précisions sur le calendrier. L'Agence a communiqué au Sénat la liste des publications effectuées par les équipes françaises sur les recherches autorisées par l'Agence et cela est annexé à son rapport annuel. Il y a des publications de très haut niveau, dans Nature, Science, Stem Cell Review. Il faut s'en féliciter. Mais on constate deux choses : ces équipes sont lassées d'être stigmatisées par les medias, car ces recherches souvent dénoncées comme dangereuses pour l'espèce humaine et les péripéties judiciaires les freinent aussi ; nous venons de déposer un pourvoi en cassation, après autorisation du Gouvernement, contre l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Paris, mais la Cour de cassation ne juge qu'en droit, et la condition d'impossibilité de parvenir au résultat escompté par le biais d'une recherche ne recourant pas à des embryons humains ou des cellules souches embryonnaires ou des lignées de cellules souches, est difficile à prouver.

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