Intervention de Bérengère Poletti

Réunion du 9 avril 2014 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBérengère Poletti, rapporteure :

Cette proposition de loi s'inscrit pleinement dans l'actualité puisque l'on y retrouve plusieurs des préconisations formulées hier par le Premier ministre.

Les dépenses que représentent les indemnités journalières versées en cas d'arrêt maladie sont loin d'être négligeables. Pour le régime général, elles ont représenté plus de 6,2 milliards d'euros en 2013, après avoir progressé de presque 10 % entre 2008 et 2012.

La Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS), dont je salue ici les deux coprésidents, MM. Jean-Marc Germain et Pierre Morange, s'était saisie de cette question à l'automne 2012 et, à la suite d'un travail très constructif entre tous ses membres, avait formulé 24 préconisations en avril 2013. J'ai, avec mes collègues du groupe UMP, déposé plusieurs amendements au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, qui reprenaient certaines de ces propositions et dont deux ont d'ailleurs été adoptés en commission.

Alors que les comptes sociaux sont dégradés et que le Gouvernement envisage un programme d'économies, il me semble légitime de réfléchir à un dispositif plus économe, plus efficace, plus juste et plus simple.

Tel est l'objet de cette proposition de loi. La première partie du texte concerne l'amélioration du contrôle des salariés du régime général. La seconde porte sur le régime de la fonction publique à travers la poursuite de l'expérimentation du contrôle par la CNAMTS des congés maladie des agents publics et le rétablissement du jour de carence.

Il faut tout d'abord mieux connaître le coût total que représentent les arrêts maladie. Lors de ses travaux, la MECSS avait découvert avec étonnement qu'il lui était impossible de chiffrer ce coût global. Si on connaît les dépenses d'indemnités journalières versées par le régime général d'assurance maladie, il n'en va pas de même de celles versées par les entreprises, que ce soit au titre du dispositif légal pour la prise en charge partielle du salaire ou au titre d'un accord de branche ou d'entreprise pour la prise en charge, totale ou partielle, du délai de carence. Ni les représentants des employeurs, ni les sociétés de contre-visites médicales n'ont été en mesure d'avancer ne serait-ce qu'une estimation.

Les entreprises doivent évaluer le montant des indemnités journalières complémentaires versées à leurs salariés. La déclaration sociale nominative (DSN) pourrait être l'outil approprié pour procéder à ce recensement. C'est ce que propose l'article 2.

La deuxième orientation de ma proposition de loi vise à maîtriser la dépense. Je propose pour cela que les contrôles soient mieux ciblés et décloisonnés.

Les multiples acteurs – agents administratifs, médecins conseils, médecins du travail, médecins mandatés par les sociétés de contre-visite médicale – ne communiquent pas toujours bien entre eux, alors que s'ils intervenaient de manière complémentaire, l'efficacité des contrôles en serait renforcée.

Je propose ainsi, à l'article 3, d'améliorer le lien entre les contrôles effectués par l'assurance maladie et ceux réalisés par les sociétés de contre-visite médicale mandatées par les employeurs. En effet, 75 % des avis transmis aux caisses sont déclarés irrecevables. Le délai de 48 heures dont disposent les sociétés de contre-visite pour envoyer leurs avis au service du contrôle médical pose problème. Je suggère qu'il soit tenu compte du week-end et des jours fériés dans ce délai. Ces deux contrôles sont complémentaires : il est donc impératif de renforcer la coopération entre ceux chargés de les exercer.

Je suggère par ailleurs que le contrôle effectué par l'assurance maladie soit plus opérationnel. La majeure partie des actions de la CNAMTS porte sur les arrêts de plus de 45 jours, au motif qu'ils sont coûteux, mais l'importance de ces arrêts traduit aussi les conditions de travail de plus en plus difficiles des salariés, dans un contexte de vieillissement de la population active. Les abus hélas constatés concernent essentiellement les arrêts de courte durée, les plus pénalisants pour les entreprises. Or, l'assurance maladie s'est dotée ces dernières années de plusieurs outils permettant d'assurer un contrôle plus sélectif.

Le plus intéressant et le plus prometteur est l'observatoire local des indemnités journalières, qui permet de segmenter et d'identifier les variables d'évolution des arrêts selon chaque région en fonction de critères objectifs tels que le sexe, l'âge, la zone géographique ou les secteurs professionnels. Ainsi, dans chaque région, les services peuvent déceler des tendances et cibler les contrôles. À Marseille, les différences obtenues avec le contrôle ciblé et le contrôle aléatoire sont frappantes. L'observatoire local avait détecté une augmentation des durées d'arrêts atypiques pour des pathologies rhumatologiques et des dépressions. Le contrôle ciblé sur ces arrêts a donné lieu à 45 % d'avis défavorables contre 24 % pour le contrôle aléatoire.

L'envoi dématérialisé des avis d'arrêt de travail par les prescripteurs à la CNAMTS, « l'ATT en 5 clics » cher à M. Pierre Morange, permet, quant à lui, une réception des arrêts en temps réel et ainsi un meilleur contrôle des arrêts courts. Mais seuls 20 % des médecins le pratiquent. Une expérimentation conduite en Champagne-Ardenne a pourtant montré que dans l'Aube par exemple, où 30 % des médecins sont équipés, les résultats sont pleinement concluants.

Je propose ainsi que les contrôles médicaux soient menés par l'assurance maladie selon trois axes, repris dans les articles 4 et 5.

Le premier est la prise en compte du constat, par les agents des caisses primaires, que l'obligation de présence à domicile en dehors des heures de sortie autorisées ou celle de s'abstenir de toute activité non autorisée ne sont pas respectées. Il convient de mieux coordonner les contrôles administratif et médical, encore trop souvent distincts alors qu'ils sont complémentaires.

Le deuxième critère est le respect de la durée prescrite de l'arrêt au regard des fiches repères élaborées par l'assurance maladie. Si cette durée dépasse celle conseillée par ce référentiel, un contrôle médical serait effectué. La CNAMTS a évalué à 70 millions d'euros les économies possibles si les médecins appliquaient ces recommandations. Cela permettrait par ailleurs de mettre fin aux disparités géographiques concernant ces durées.

Le troisième axe concerne les arrêts itératifs, courts. L'article 5 tend à rendre automatique leur contrôle par le service du contrôle médical. La CNAMTS a certes jusqu'à présent mené une action ciblée sur ces arrêts, se contentant toutefois d'un contrôle administratif, donnant lieu à un courrier d'avertissement au bout du troisième arrêt.

Le contrôle a aussi pour finalité d'accompagner les salariés concernés, afin de prévenir les arrêts à répétition et éviter, à terme, leur éloignement du monde du travail, voire leur licenciement pour inaptitude, comme cela arrive hélas souvent. L'article 6 prévoit ainsi le recours au médecin du travail, par le médecin conseil, dès le deuxième mois de l'arrêt maladie et non plus à partir du troisième mois afin de lutter contre la désinsertion professionnelle.

Enfin, le dernier axe de cette proposition de loi est l'équité.

Il serait tout d'abord opportun d'évaluer le coût que représenterait l'extension du dispositif actuel aux salariés les plus précaires. Mise en place au sortir de la seconde guerre mondiale, la réglementation des arrêts de travail n'a pas évolué en même temps que les conditions de travail. Dans le secteur privé, pour les travailleurs salariés, pour pouvoir prétendre au versement d'une indemnité journalière en cas de maladie, il faut avoir travaillé un minimum d'heures ou cotisé pendant une durée minimale, ce qui exclut, de fait, une partie des salariés en situation précaire, comme ceux travaillant à temps partiel ou en intérim. Une évolution est souhaitable mais il convient, dans une période contrainte sur le plan budgétaire, d'en évaluer préalablement l'incidence financière. C'est l'objet de l'article premier de la présente proposition de loi.

Je suggère par ailleurs d'allonger de deux ans, de 2016 à 2018, l'expérimentation relative au contrôle des congés maladie des fonctionnaires par la CNAMTS, et ce afin que les conditions de la généralisation du contrôle soient réunies. À défaut, celle-ci ne serait qu'un leurre.

J'ai pu constater, au cours de mes auditions, que le régime spécifique du contrôle des congés maladie des fonctionnaires n'était pas efficace. Le recours au médecin agréé ne donne pas de résultat. Les contrôles sont peu fréquents, voire inexistants. Je n'ai d'ailleurs pas pu obtenir de statistiques. Après une mise en place laborieuse, le bilan de l'expérimentation apparaît aujourd'hui toujours mitigé et perfectible. En l'état actuel des choses, il apparaît impossible de procéder à sa généralisation en 2016.

De nombreux problèmes doivent être préalablement résolus : effectifs supplémentaires dans les réseaux des caisses primaires, généralisation des systèmes d'information, toilettage des textes mais aussi évolution du champ du contrôle afin d'inclure les arrêts courts. Cette prorogation de l'expérimentation pourrait être mise à profit pour définir les modalités d'une véritable stratégie de contrôle, fondée sur le ciblage plutôt que sur une méthode aléatoire, à l'instar de ce que la CNAMTS a mis en place avec ses observatoires locaux des indemnités journalières.

La ministre de la fonction publique a elle-même reconnu que le contrôle devrait être renforcé et que les mêmes règles devaient s'appliquer aux salariés du privé et aux agents publics. J'ai noté que le courrier qu'elle a adressé aux préfets et aux ministres sur le dispositif mis en place pour lutter contre l'absentéisme injustifié date du 27 février 2014, soit quelques jours après le dépôt de ma proposition de loi. Comme quoi celle-ci aura permis d'obtenir un premier résultat !

Enfin, à défaut d'un contrôle efficace, je propose le rétablissement de la journée de carence pour les agents de la fonction publique.

Si la grande majorité des arrêts sont justifiés, l'absentéisme répétitif, de courte durée, pèse sur l'organisation des structures et peut être générateur de tensions, tant pour les équipes que pour le personnel d'encadrement. La mise en place d'une journée de carence vise à neutraliser ces effets fâcheux, notamment dans la fonction publique hospitalière. La Fédération hospitalière de France (FHF) et l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) n'ont pas compris le recul du Gouvernement sur ce point.

Contrairement à ce que prétend la ministre, l'instauration du jour de carence a eu un certain effet sur l'absentéisme de courte durée. Plusieurs études convergentes permettent de conclure en ce sens, notamment pour la fonction publique hospitalière et la fonction publique territoriale.

Outre que l'économie d'environ 100 millions d'euros qui en résulterait serait bienvenue en cette période de rigueur budgétaire, les arrêts courts désorganisent les services et sont particulièrement problématiques pour les établissements de santé.

En conclusion, je dirai que le nécessaire contrôle ne nous dispense pas d'une réflexion sur les déficiences du management, source première de l'absentéisme itératif et de courte durée. L'importance des arrêts maladies de courte durée est un puissant révélateur du fonctionnement de nos organisations, dans le public comme dans le privé.

Le nombre d'échelons hiérarchiques entre un agent et le responsable d'une entreprise, publique ou privée, est, semble-t-il, plus élevé en France que dans les autres pays européens. Cet éloignement peut provoquer un désengagement progressif du salarié qui ne se sent ni reconnu ni impliqué. À cela s'ajoutent les incohérences managériales qui se manifestent par des injonctions contradictoires, sources de tensions inutiles et de stress, pour l'encadrement comme pour les salariés. Il conviendrait d'agir également sur ces facteurs pour réduire l'absentéisme. Ce sujet méconnu mérite toute notre attention.

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