Intervention de Jean-Louis Touraine

Réunion du 10 avril 2014 à 11h00
Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Touraine :

Je veux moi aussi féliciter nos rapporteurs pour leur travail. La réforme de notre droit d'asile est un impératif humanitaire, car ceux qui se voient accorder l'asile doivent voir leurs droits mieux reconnus et leur intégration facilitée. C'est aussi une urgence : nous devons raccourcir nos délais et mieux appliquer les décisions prises, pour respecter la convention de Genève mais également nos obligations européennes car, si nous nous montrons laxistes, nous risquons des pénalités et nous serons montrés du doigt.

Vous l'avez dit, il y a entre vos propositions et le rapport que Valérie Létard et moi-même avons rendu au ministre de l'intérieur quelques divergences ; mais cela ne me paraît pas poser problème. Le projet de loi ne reprendra ni l'un ni l'autre rapport dans son intégralité ! Il faut comprendre ces divergences comme un élargissement de la palette des possibilités et des solutions en vue du dépôt d'éventuels amendements.

Pour répondre aux exigences des directives européennes, il faut réduire de moitié le délai d'examen par la CNDA afin de le ramener de près de neuf mois aujourd'hui à moins de quatre mois. Expérimenter le transfert de cette compétence aux tribunaux administratifs était une proposition de Mme Létard, sur la suggestion de magistrats que nous avons auditionnés. Pour ma part, j'estime comme vous qu'il serait plus judicieux de donner à la CNDA les moyens de faire son travail. Mais il faut reconnaître que le seul fait de proposer une telle expérimentation – donc d'organiser une compétition entre les deux systèmes – a été un aiguillon pour la CNDA, l'incitant à atteindre les objectifs assignés. Il faut donc laisser ouverte cette possibilité et ainsi « maintenir la pression ».

Vous n'approuvez pas l'idée de créer des centres qui accueilleraient les déboutés du droit d'asile – qui représentent 80 % des demandeurs. En pratique, aujourd'hui, très peu retournent effectivement dans leur pays ; l'affaire Leonarda a d'ailleurs bien montré les difficultés de tels retours après plusieurs années de présence en France. Le raccourcissement des délais les facilitera – mais on ne peut pas imaginer que le problème se réglera de lui-même ! Nous proposions donc des centres ouverts, où ces personnes – qui s'engageraient à repartir dans leur pays d'origine – pourraient être aidées, ce qui serait un avantage pour elles. Il s'agirait d'établir des contacts avec leur pays d'origine pour traiter des questions de logement et d'emploi, pour s'assurer qu'elles ne subiront pas de discrimination. Je note qu'il n'y avait pas de consensus parmi les associations : si la FNARS (Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale) était très critique, Forum Réfugiés était tout à fait volontaire pour s'occuper de ce dispositif. Quelle que soit la formule choisie, il faudra en tout cas intervenir et donc mettre en place un dispositif spécifique.

La question des déboutés n'entrait pas au départ dans le cadre de la réflexion que j'ai menée avec Valérie Létard, mais les auditions nous ont rapidement montré qu'elle était en fait au coeur du système. C'est l'une des causes principales de l'encombrement des structures d'accueil. De plus, les décisions judiciaires perdent toute crédibilité si les déboutés du droit d'asile finissent par rester en France de toute façon ; et les passeurs savent bien quels sont les pays laxistes.

S'agissant des étrangers malades, je ne peux, comme médecin, qu'être sensible à ce devoir humanitaire, sacré, d'accueil des personnes qui ont effectivement besoin de soins. Mais plus de 90 % des déboutés du droit d'asile font valoir qu'ils sont malades. En outre, les maladies qui ne peuvent être soignées qu'en France sont en petit nombre ! La maladie la plus souvent invoquée est le choc post-traumatique. Or de tels chocs peuvent être traités par un psychiatre ou un psychologue dans la plupart des pays ; et nous savons bien que les structures françaises sont déjà débordées. Certaines informations sont connues dans les pays d'origine : ainsi, nous voyons un afflux de ressortissants du Kosovo ou d'Albanie présentant des insuffisances rénales chroniques qui invoquent la nécessité d'une greffe de rein en France. Mais notre pays connaît déjà une grave pénurie de donneurs et l'accueil de ces malades allonge encore les listes et les délais… Il serait donc bien préférable d'organiser un transfert de technologie et d'aider les médecins de ces pays à réaliser ces opérations eux-mêmes, ce dont ils sont tout à fait capables.

Votre proposition de confier à l'OFII – plutôt qu'à l'Agence régionale de la santé (ARS) – l'avis médical prévu par la procédure permettrait de distinguer vraiment quels sont les soins ou les actes thérapeutiques qui imposent une présence en France. Car, au fond, le problème est bien que tout cela porte atteinte à ceux qui ont vraiment besoin de l'asile, qui doivent être protégés !

Vos propos en faveur d'une meilleure répartition géographique des demandeurs d'asile m'ont paru très pertinents : la saturation de l'Île-de-France et de Rhône-Alpes complique considérablement l'intégration. Bien sûr, un accompagnement est nécessaire et il faut donc penser plutôt à des hébergements dans des villes de taille au moins moyenne. Il faudra sans doute être un peu directif et cela suppose aussi des moyens, notamment en personnel, et une déconcentration des services de l'OFPRA. Mais une réduction des délais, et donc une augmentation de la rotation des personnes hébergées, permettra de se rapprocher des objectifs.

Il y a aujourd'hui consensus sur l'intérêt de familialiser l'ATA, pour les raisons que vous avez dites.

Au total, il s'agit bien d'intégrer les réfugiés à la société française, en leur offrant une véritable deuxième chance, comme nous avons su le faire par le passé pour d'autres immigrés, qui ont beaucoup apporté à notre pays. L'acquisition du statut de réfugié n'est pas une fin en soi, mais le début d'un parcours. Les propositions avancées dans nos deux rapports permettront, je crois, au Gouvernement d'écrire un bon projet de loi – sur lequel nous travaillerons lors du débat parlementaire.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion