Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques

Réunion du 10 avril 2014 à 11h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à onze heures quinze.

Le Comité examine le rapport de Mme Jeanine Dubié et de M. Arnaud Richard sur l'évaluation de la politique d'accueil des demandeurs d'asile.

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Mes chers collègues, nous allons aujourd'hui examiner le rapport d'évaluation de la politique d'accueil des demandeurs d'asile. Je vous rappelle que nous avons décidé de réaliser cette évaluation à la demande conjointe du groupe Union des démocrates et indépendants, de la commission des finances et de la commission des affaires étrangères.

Nos deux rapporteurs sont Jeanine Dubié pour la majorité et Arnaud Richard pour l'opposition. Le groupe de travail désigné par les commissions était composé d'Éric Ciotti, Claude Goasguen, Laurent Grandguillaume, Chantal Guittet, Élisabeth Pochon, Denys Robiliard et Jean-Louis Touraine.

Madame et monsieur les rapporteurs, vous avez la parole.

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Le rapport que nous allons vous présenter s'inscrit dans le prolongement des travaux que le Comité d'évaluation et de contrôle avait consacrés à l'évaluation de la politique de l'hébergement d'urgence et dont j'avais eu l'honneur d'être le co-rapporteur, avec Mme Danièle Hoffman-Rispal. Notre rapport soulignait en effet la nécessité pour la France de repenser sa politique d'accueil des demandeurs d'asile.

Je tiens à remercier les membres du groupe de travail, en particulier Denys Robiliard, Chantal Guittet et Élisabeth Pochon, qui nous ont accompagnés avec une assiduité sans faille dans nos auditions et nos déplacements, ainsi que Laurent Grandguillaume, qui n'a pas pu être présent aujourd'hui.

Cette évaluation fait suite également à la concertation menée par Valérie Létard et Jean-Louis Touraine, à la demande du ministre de l'intérieur. Nous avons bénéficié de l'important travail accompli par ces deux collègues et je veux dire d'emblée que nos conclusions convergent pour l'essentiel, avec cependant des nuances, voire de réelles divergences s'agissant par exemple du rôle de la Cour nationale du droit d'asile, la CNDA, ou de l'opportunité de créer des centres dédiés aux déboutés.

Notre objectif était de fournir à notre assemblée une évaluation de notre politique d'asile et des propositions de réforme dans la perspective de l'examen du projet de loi actuellement en préparation. Nous espérons avoir rempli cette mission.

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Le nombre des demandes d'asile adressées à la France et aux autres pays européens est en forte croissance, puisqu'en 2013 435 000 demandes ont été déposées dans l'Union européenne, soit 30 % de plus qu'en 2012. Cinq pays – l'Allemagne, la France, la Suède, le Royaume-Uni et la Belgique – totalisent à eux seuls 70 % de l'ensemble des demandes. Avec 985 demandes pour un million d'habitants, la France est loin derrière la Suède, qui a reçu 5 700 demandes pour un million d'habitants. Viennent ensuite la Belgique, avec 1 900 demandes, et l'Allemagne, avec 1 600 demandes.

Sur les 66 300 demandes adressées à la France en 2013, 46 000 étaient des premières demandes, 5 800 des réexamens et 14 500 concernaient des mineurs accompagnants. La France a déjà connu des flux comparables, avec 61 400 premières demandes en 1989 et 52 200 en 2003. La situation actuelle n'a donc rien d'exceptionnel.

Concentrant 36 % des demandes, la région Île-de-France reste de loin la première, suivie de Rhône-Alpes, avec 12 % des demandes, mais on constate partout dans notre pays une augmentation du nombre des demandeurs depuis 2007. Cependant, d'après les chiffres communiqués par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, l'OFPRA, le premier trimestre 2014 aurait vu une diminution de 3 % de ce nombre par rapport au premier trimestre 2013.

Depuis 2007, les deux principaux continents de provenance des demandeurs d'asile sont l'Europe et l'Afrique. En 2013, les principaux pays d'origine ont été la République démocratique du Congo, le Kosovo, l'Albanie, avec plus de 5 000 demandes émanant de chacun de ces trois pays, puis la Russie, le Bangladesh, la Guinée et la Chine.

La demande d'asile était auparavant presque toujours le fait d'un homme isolé, qui faisait ensuite venir sa famille au titre du regroupement. Or, si le demandeur d'asile reste, dans 55 % des cas, un homme célibataire, la proportion de ceux qui arrivent avec conjoint et enfants s'est beaucoup accrue depuis le milieu des années 2000, modifiant la nature de la prise en charge demandée à la collectivité publique.

L'âge moyen des demandeurs d'asile est de trente-deux ans, et 37 % sont des femmes.

La variation du nombre de demandes n'est pas nécessairement corrélée aux évolutions géopolitiques et à l'intensité des conflits. Ainsi les demandes d'asile de ressortissants de Syrie, d'Irak ou d'Afghanistan ne sont pas très nombreuses en France, à la différence de ce qui se passe pour d'autres pays européens.

Actuellement, le nombre de personnes protégées en France est élevé, rejoignant un niveau proche de celui atteint dans les années 1950. Ainsi la population placée sous la protection de l'OFPRA était estimée fin 2012 à près de 177 000 personnes, hors mineurs accompagnants, soit 162 882 réfugiés, 12 892 personnes placées sous protection subsidiaire et 1 210 apatrides. Le nombre des réfugiés est en hausse de 35 % par rapport à 2007, année où il s'élevait à 130 926 réfugiés statutaires.

Le taux global d'admission au statut de réfugié connaît une baisse continue depuis 2008. Il se montait à 29,4 % en 2009 et a progressivement diminué pour tomber à 21,7 % en 2012 – il est toutefois remonté à 24 % en 2013. Cette baisse peut s'expliquer par l'accroissement de la part des réexamens dans les décisions rendues, mais aussi par l'évolution des principaux flux de demandeurs d'asile.

Pour la grande majorité – sept sur dix – des principales nationalités d'origine des demandeurs, les taux d'admission sont très inférieurs à 10 % : c'est le cas pour les demandeurs en provenance de Chine, du Pakistan, d'Arménie, de Géorgie, de Turquie ou du Kosovo. Par contre, l'OFPRA reconnaît majoritairement la qualité de réfugié aux demandeurs originaires de Syrie, avec un taux d'admission de 92 %, d'Irak – 68,5 % –, d'Iran – 54 % –, du Mali – 47,6 % – et d'Afghanistan – 45,5 %. Mais les flux en provenance de ces pays sont moins importants.

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Les délais de traitement des demandes sont excessivement longs. La durée totale de traitement n'est pas connue du fait des délais nécessaires pour entrer dans la procédure, très différents d'une région et d'une année à l'autre en fonction des flux de personnes. Néanmoins, des difficultés chroniques sont constatées en Île-de-France.

Le parcours préalable au dépôt de la demande comporte la domiciliation du demandeur et la délivrance de l'autorisation provisoire de séjour par la préfecture. Le délai de domiciliation a pu varier de quelques jours à deux mois et demi en Franche-Comté. À Dijon, le délai de convocation par la préfecture a varié de trois mois en 2012 à un mois actuellement ; il a atteint sept mois et demi à Paris en 2012. Ce sont là les délais dits cachés qu'il faut résorber. En ajoutant les étapes suivantes – transmission du dossier à l'OFPRA, traitement de la demande par l'Office, recours éventuel devant la CNDA et son traitement par la Cour, on arrive à une durée constatée, pour l'ensemble de la procédure, de dix-neuf à vingt-six mois.

Au cours de la concertation animée par Mme Létard et par M. Touraine comme au cours de nos auditions, un consensus s'est dégagé pour estimer que ces délais sont excessifs, qu'ils fragilisent la situation des véritables demandeurs d'asile et qu'ils rendent très difficile l'exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) signifiées aux déboutés, après deux années ou plus de création de liens sociaux et de scolarisation des enfants.

Notre rapport indique par ailleurs les coûts prévisionnels de l'asile pour 2014. Ces prévisions seront vraisemblablement dépassées en exécution, comme c'est le cas chaque année depuis 2008, notamment en ce qui concerne l'allocation temporaire d'attente, l'ATA, avec 41 millions de report de charge de 2013 sur 2014, et l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile, dont le coût explose. Encore ces chiffres ne prennent-ils pas en compte l'hébergement d'urgence de droit commun ou généraliste : un taux de 25 % de présence de demandeurs d'asile ou déboutés dans ce type d'hébergement en 2013, ce qui est une estimation basse, se traduit par une dépense de 90 millions d'euros. Nous n'avons pas non plus pris en compte les coûts indirects, tels que ceux de l'aide sociale à l'enfance et des aides des collectivités territoriales et des organismes faisant appel à la générosité publique, ou encore les frais de santé et de scolarité. Sans prendre en compte ces coûts indirects, nous sommes cependant parvenus à un coût prévisionnel de 666 millions d'euros pour 2014.

Au vu de ces constats, nous proposons, comme Mme Létard et M. Touraine, de simplifier l'accueil des demandeurs d'asile.

La première étape de leur parcours est caractérisée par la multiplicité des intervenants et des lieux. Ce premier accueil doit être réorganisé afin de le rendre plus lisible, plus simple et plus efficace. Une procédure plus fluide permettrait d'éviter l'encombrement des services préfectoraux comme des opérateurs en charge de l'accueil, qu'il s'agisse de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) ou des associations.

Pour mémoire, la directive « Procédures » de 2013 prévoit dans son article 6 que les personnes qui ont présenté une demande de protection internationale doivent avoir « la possibilité concrète de l'introduire dans les meilleurs délais », et que l'enregistrement doit avoir lieu « trois jours ouvrables après sa présentation », ce délai pouvant être porté à dix jours ouvrables si l'État membre fait face à un nombre élevé de demandes.

Les États membres de l'Union européenne, tels les Pays-Bas, l'Allemagne ou la Suède, qui, bien que confrontés à un flux important d'arrivées, réussissent à assurer le dépôt rapide de la demande d'asile, et donc la prise en charge également rapide de la personne, se caractérisent par une organisation très intégrée des différents intervenants. Sur ce modèle, nous proposons d'établir, au niveau des préfectures de région, un guichet unique réunissant le service préfectoral d'immigration et d'intégration, qui serait chargé de procéder sans délai à l'enregistrement de la personne et à la prise des empreintes, puis de délivrer l'autorisation provisoire de séjour ; la direction territoriale de l'OFII, qui devrait fournir au demandeur les informations relatives à la procédure et à l'aide dont il peut bénéficier, et prendre la décision relative à son hébergement ; enfin, les associations locales d'aide et de soutien, qui ont un rôle très important dans cette politique publique, auraient pour mission de compléter l'accompagnement social de la personne.

Cette première phase d'accueil doit être très brève et réduite à deux ou trois interlocuteurs.

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Après la simplification de l'accueil du demandeur, il convient également d'accélérer l'entrée dans la procédure.

L'étape de la domiciliation, nécessaire à l'obtention d'une autorisation provisoire de séjour (APS) participe largement aux délais cachés. C'est pourquoi nous avons repris la proposition de Valérie Létard et de Jean-Louis Touraine de supprimer l'exigence de domiciliation préalable pour l'admission au séjour des demandeurs d'asile.

Pour le dépôt de la demande d'asile, la domiciliation réelle de la personne peut être confiée à l'OFII. Cette domiciliation doit être effectuée en fonction de la situation du demandeur et du contexte local : soit une domiciliation au lieu d'hébergement dédié affecté au demandeur, soit une domiciliation par un proche chez lequel le demandeur a choisi de résider, ou encore par une association agréée par le préfet.

Avancer au premier passage en préfecture la prise des empreintes sur la borne Eurodac, qui n'intervient actuellement qu'à la seconde présentation, permettrait également une accélération, outre qu'elle découragerait la substitution de personnes et l'organisation des arrivées de demandeurs d'asile par les filières.

Une autre mesure susceptible d'accélérer la procédure en allégeant le travail des préfectures consisterait à aligner dès le début, pour les demandeurs d'asile en procédure normale, la validité de l'APS, actuellement renouvelée par période de trois mois, sur la durée de la procédure et du recours.

Nous proposons également d'instaurer pour le demandeur d'asile une carte informatisée comportant les informations relatives à l'état de la procédure et, corrélativement, à l'actualisation de son droit au séjour, sur le modèle de la carte « de procédure » en vigueur aux Pays-Bas, en Autriche et au Royaume-Uni.

La directive « Procédures » de 2013 permet d'étendre la possibilité de recourir à la procédure accélérée à de nouveaux cas, par exemple aux cas de déclarations peu plausibles rendant la demande peu convaincante. Si la France usait de cette possibilité, il serait souhaitable que les agents des services préfectoraux chargés de la détermination de la procédure applicable puissent prendre l'avis de l'OFPRA.

Il conviendrait par ailleurs d'adapter le référentiel des prestations d'accueil. Une plus grande rapidité de traitement de la phase de premier accueil aurait pour effet d'orienter plus rapidement les demandeurs d'asile vers les structures d'hébergement. C'est donc là que doit s'effectuer l'essentiel de l'accompagnement : accompagnement social et sanitaire, scolarisation des enfants et suivi du dossier de demande d'asile.

Les plateformes d'accueil des demandeurs d'asile (PADA) associatives doivent depuis 2012 se conformer à un référentiel de onze prestations. Celui-ci devrait être revu afin que ces prestations soient partagées entre le lieu unique d'accueil d'abord, avec un rôle accru de l'OFII, et la structure d'hébergement ensuite.

Depuis sa révision en 2013, la directive « Accueil » prévoit que les États membres devront tenir compte de la situation particulière des personnes vulnérables. La détection des formes de vulnérabilité non visibles au premier abord supposera un examen médical, voire psychologique, et un entretien suffisamment approfondi pour permettre à la personne de se confier. Nous proposons que cette mission soit confiée aux médecins de l'OFII, dans le lieu unique d'accueil ou à proximité, lors du premier accueil du demandeur d'asile.

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Il est essentiel d'assurer aux demandeurs d'asile un hébergement et un accompagnement adaptés. Le dispositif d'hébergement repose à titre principal sur un hébergement accompagné dans les centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA), qui offrent aujourd'hui 23 400 places. Il est complété par un dispositif d'hébergement d'urgence, les HUDA, géré au niveau déconcentré, qui compte 22 000 places. Les demandeurs d'asile hébergés en HUDA perçoivent l'allocation temporaire d'attente, l'ATA, d'un montant de 11,35 euros par jour en 2014, versée aux seuls adultes. Enfin, un dispositif d'accueil temporaire géré au niveau national a été ajouté en 2012 : l'Accueil temporaire-Service de l'asile, l'AT-SA, de 2 200 places.

La capacité globale d'hébergement a augmenté régulièrement, passant de 15 000 places en 2005 à 47 520 places aujourd'hui, et elle s'élèvera à 49 570 places fin 2014 avec la construction de nouvelles places en CADA décidée par le Gouvernement en 2012. Il subsiste pourtant un décalage entre la progression du nombre de demandeurs d'asile et les capacités d'hébergement dédiées disponibles. Le dispositif n'accueille qu'un tiers environ des demandeurs d'asile ; 15 000 personnes sont en attente de place et le délai moyen d'obtention d'une place en CADA est de douze mois.

Au vu de ce constat alarmant, nous proposons de renforcer la capacité des CADA pour la porter à 35 000 places. À terme, il faudra unifier les deux catégories d'hébergement, les CADA et l'hébergement d'urgence dédié, afin de faire bénéficier l'ensemble des demandeurs d'asile en procédure normale des mêmes conditions d'hébergement.

Nous proposons également de répartir ces nouvelles capacités sur l'ensemble du territoire, y compris dans les régions rurales, afin de rééquilibrer l'accueil des demandeurs d'asile entre les différentes régions métropolitaines. Il paraît en outre souhaitable de conserver un volant d'environ 11 000 places d'hébergement d'urgence pour les demandeurs d'asile relevant de la procédure prioritaire ou « accélérée » et de la procédure « Dublin ».

Nous préconisons par ailleurs l'institution d'un dispositif d'orientation des demandeurs. Depuis 2010 en effet, la concentration des demandes d'asile dans certains territoires a abouti à la saturation des services préfectoraux, des opérateurs et des travailleurs sociaux chargés de l'accueil, et au dépassement des capacités d'hébergement dédiées. Les préfets ont été contraints de recourir aux nuitées hôtelières et aux autres solutions de mise à l'abri temporaire, mais il est arrivé dans plusieurs chefs-lieux de région que les capacités hôtelières soient elles-mêmes saturées.

C'est pourquoi nous nous prononçons pour l'instauration d'un dispositif d'orientation contraignant, qui obligerait tout demandeur d'asile exprimant le besoin d'être hébergé à l'être dans un CADA déterminé, dans le cadre d'un pilotage national confié à l'OFII, qui pilote déjà le logiciel DN@ mis en place en 2009. Une application informatique permettrait d'orienter les demandeurs arrivants vers les places disponibles. Un tel dispositif serait conforme à la directive « Accueil » de 2003, qui prévoit que l'État peut fixer un lieu déterminé pour la résidence des demandeurs d'asile qui bénéficient des conditions matérielles d'accueil.

Ce schéma directif admettrait évidemment des exceptions, dans le cas par exemple où le demandeur d'asile aurait été jugé vulnérable par les autorités d'accueil et nécessiterait un suivi médical spécifique.

La définition du schéma d'accueil et d'hébergement territorial devrait être soumise aux acteurs territoriaux, qu'il s'agisse du conseil général, compétent en matière sociale, ou du maire, dont relève la scolarisation des enfants.

Nous considérons qu'il faut préserver la possibilité pour le demandeur d'asile d'être hébergé en dehors du dispositif d'accueil, sans suppression de l'allocation temporaire d'attente, s'il peut être hébergé par un proche.

Nous estimons d'autre part qu'il faut étendre les capacités de l'accueil temporaire du service d'asile, l'AT-SA, afin de limiter le recours à l'hébergement d'urgence généraliste.

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Nous avançons plusieurs mesures pour améliorer et moderniser la gestion de l'ATA, dont bénéficient aujourd'hui 42 000 demandeurs d'asile pour un montant d'environ 180 millions en 2013. Nous avons constaté en effet que l'allocation de cette aide donne lieu à un certain nombre de dysfonctionnements, notamment à un taux d'indus évalué à 18 %, ce qui représente une trentaine de millions d'euros. Ces indus trouvent essentiellement leur origine dans un défaut de transmission d'informations entre les services responsables et Pôle emploi, chargé de verser cette prestation. C'est pourquoi nous proposons que la gestion de l'ATA soit confiée à l'OFII, en lui transférant depuis Pôle emploi les moyens en personnel nécessaires pour l'accomplissement de cette mission.

Nous proposons également d'instituer, au niveau régional et à titre expérimental, le versement de l'allocation au demandeur via une carte de retrait et de paiement utilisable dans certains commerces et grandes enseignes alimentaires.

Nous préconisons en outre qu'une réflexion soit engagée sur la familialisation de l'ATA, aujourd'hui versée aux seuls adultes, pour tenir compte de l'accroissement du nombre de demandes d'asile provenant de familles.

Lorsqu'un autre État membre a accepté la réadmission du demandeur d'asile sur son territoire dans le cadre de la procédure « Dublin », il nous semblerait légitime d'interrompre le versement de l'ATA si ce demandeur se soustrayait à la mesure de réadmission.

Afin d'éviter des demandes d'opportunité, nous préconisons d'instaurer un délai, courant dès l'entrée sur le territoire, au-delà duquel l'allocation temporaire d'attente ne pourrait plus être demandée.

Nous proposons enfin de supprimer le bénéfice de l'ATA à partir de la deuxième demande de réexamen, conformément à l'article 20 de la directive « Accueil », afin d'éviter que l'accès à l'allocation ne constitue un élément d'attractivité suscitant des demandes de réexamen abusives.

Le pilotage de l'hébergement et de l'accompagnement des demandeurs d'asile nécessite de disposer d'une application unique rassemblant toutes les informations utiles au suivi des demandeurs d'asile – état de la procédure, situation au regard du séjour, droits sociaux ouverts, hébergement, ATA –, à l'exception des informations protégées par la confidentialité de la procédure d'examen de la demande d'asile.

Il nous semble qu'il faut mieux utiliser les potentialités des procédures accélérées, également dites « prioritaires ».

La procédure dite « prioritaire » en vigueur permet aux services des préfectures de refuser l'accès à la procédure d'asile de certains demandeurs, soit qu'ils relèvent de la compétence d'un autre État membre de l'Union européenne, soit qu'ils constituent une menace grave pour l'ordre public, soit en cas de fraude délibérée, ou d'imposer à l'OFPRA de statuer dans un délai maximal de quinze jours, dans le cas de ressortissants d'un pays figurant dans la liste des pays d'origine sûrs, c'est-à-dire garantissant le respect des droits de l'homme.

Cette liste, qui regroupe actuellement dix-huit États, est une liste nationale, établie par le conseil d'administration de l'OFPRA. Sans être opposés à ce dispositif, nous souhaitons qu'il soit suffisamment souple pour tenir compte des évolutions géopolitiques et que l'établissement de la liste soit confié au directeur général de l'OFPRA plutôt qu'à son conseil d'administration.

Le recours devant la CNDA d'un demandeur d'asile relevant d'une procédure prioritaire n'est actuellement pas suspensif : cela signifie que l'intéressé peut faire l'objet d'une mesure d'éloignement pendant la période d'examen de son affaire par cette juridiction. Cette possibilité a valu à la France un avertissement de la Cour européenne des droits de l'homme dans un arrêt du 2 février 2012. Voilà pourquoi nous préconisons de mettre fin à cette situation en généralisant le caractère suspensif des recours formés devant la CNDA.

Enfin, nous souhaitons pérenniser les procédures qui permettent à l'OFPRA et à la CNDA d'accélérer l'instruction de demandes d'asile manifestement infondées, ce qui n'exclut pas d'en créer d'autres, à condition de laisser à ces instances – et non aux préfectures – la responsabilité exclusive d'aiguiller les dossiers entre toutes ces procédures, en fonction de leurs caractéristiques propres.

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Nous souhaitons aussi que soit poursuivie la professionnalisation de la Cour nationale du droit d'asile, qui a déjà engagé une réduction de ses délais de jugement, conformément aux objectifs que les projets annuels de performance lui assignent : alors que ces délais étaient de onze mois et dix jours en 2011, ils devraient être ramenés à huit mois et quinze jours en 2014, l'objectif étant de les réduire à huit mois en 2015.

La proposition de nos collègues Valérie Létard et Jean-Louis Touraine d'expérimenter un transfert du contentieux de l'asile aux tribunaux administratifs ne nous est pas apparue constituer la solution la plus convaincante, en raison de la grande technicité du sujet, de l'engorgement actuel des tribunaux administratifs et du coût excessif d'une telle mesure. Nous préférons la voie d'une professionnalisation renforcée de la Cour. Il reste en effet des marges de progrès, notamment en ce qui concerne la cohérence de sa jurisprudence. Nous proposons donc de modifier la composition des formations de jugement en portant de dix à vingt le nombre des présidents permanents, en remplaçant les assesseurs, nommés sur proposition des ministres, par les rapporteurs, qui actuellement instruisent les dossiers et les présentent à l'audience, tout en conservant les assesseurs nommés sur proposition du Haut commissariat aux réfugiés.

Une réduction du taux de renvoi des audiences est également nécessaire – il était encore de 24 % en 2013. 37 % de ces renvois étaient dus à l'absence des requérants et 29 % à l'absence des avocats. La transmission numérique des dossiers et le nouveau calendrier prévisionnel d'enrôlement, avec une préconvocation à trois mois de préavis, devraient permettre de remédier à ce dysfonctionnement.

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Nous recommandons également d'accélérer la réforme de l'OFPRA. Celui-ci n'est pas actuellement en voie d'atteindre en 2015 l'objectif d'un traitement des demandes en quatre-vingt-dix jours. Il l'est d'autant moins que la transposition de la directive « Procédures » du 26 juin 2013, qui instaure le droit de bénéficier de l'assistance d'un conseil et d'accéder au compte rendu de l'entretien, réduira sa productivité.

Le plan arrêté en septembre 2013 par le nouveau directeur général est cohérent et ambitieux. Il devrait permettre d'améliorer la productivité de l'Office, notamment par la mutualisation entre les divisions géographiques des principaux flux de demandeurs d'asile, par une instruction proportionnée au degré de complexité de la demande et par l'instauration d'un audit « qualité » des décisions. Ce nouveau plan a produit ses premiers effets, mais cette amélioration est fragile et insuffisante pour résorber le stock de dossiers en attente de traitement, évalué à 30 000 fin 2013.

Outre la poursuite de la réorganisation de l'OFPRA, une augmentation des effectifs d'officiers de protection par la création de vingt équivalents temps plein, en plus des 320 déjà affectés à l'instruction, nous paraît nécessaire. Il nous semble que le coût de cette mesure, soit 1,3 million d'euros en année pleine, serait compensé par l'économie d'ATA générée par la réduction des délais de traitement, sachant qu'une baisse d'un mois des délais d'instruction de l'OFPRA pourrait se traduire par 6,5 millions d'économie.

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Les dépenses nécessaires pour poursuivre la professionnalisation de la CNDA et accélérer la réforme de l'OFPRA seraient en effet des dépenses vertueuses en ce qu'elles généreraient à terme des économies budgétaires.

Notre rapport propose par ailleurs de renforcer l'intégration des personnes bénéficiaires de la protection internationale, dont la plupart rencontrent des difficultés d'insertion, soulignées par Mme Létard et M. Touraine et dont vous trouverez un exposé dans le dernier rapport du Haut commissariat aux réfugiés publié en septembre 2013. Le plan d'action pour l'égalité des droits et la lutte contre les discriminations, annoncé en février dernier, devra prendre en considération de façon particulière la situation de ces personnes.

Améliorer cette situation suppose d'intervenir sur plusieurs plans : développer les capacités d'hébergement destinées aux réfugiés, afin de leur éviter d'avoir recours aux structures de mise à l'abri ; prévoir un rééquilibrage territorial de l'offre d'hébergement accessible aux réfugiés ; charger l'OFII de cette mission et de l'orientation du réfugié vers un hébergement temporaire et un accompagnement sur le territoire français ; accroître les moyens du programme Accelair, afin de pouvoir l'étendre à l'ensemble du territoire et accroître le nombre de bénéficiaires. Je rappelle que ce programme a été lancé en 2002 avec l'aide de programmes européens ; il vise à assurer l'accompagnement des réfugiés vers le logement et l'emploi, en vue d'assurer leur intégration durable et de les faire accéder à l'autonomie.

Il faudra enfin mettre en place une aide à l'orientation et un accompagnement spécifique des réfugiés par les services sociaux, afin de faciliter leur recherche de logement et leur insertion dans l'emploi.

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Il faut enfin se préoccuper du sort des déboutés du droit d'asile, qui représentent 80 % des demandeurs d'asile : une fois exercés tous les recours, ils peuvent devenir des étrangers en situation irrégulière. Il nous semble temps d'arrêter de « faire l'autruche » pour enfin regarder cette situation en face. Il faut assurer le suivi, notamment statistique, dans l'hébergement d'urgence généraliste, de ces personnes dont on ignore ce qu'elles deviennent réellement.

C'est pourquoi nous proposons que l'OFII soit replacé au centre des différents dispositifs et que l'information sur la situation administrative des personnes soit consolidée dès le début de la demande d'asile. La carte de procédure dont nous préconisons la création aurait aussi cet objectif.

Nous sommes en revanche très réservés quant à la mise en place, proposée par nos collègues Valérie Létard et Jean-Louis Touraine, de centres dédiés aux déboutés. Le précédent belge ne semble pas probant, les personnes ne se rendant pas dans ces centres ou les quittant à la perspective d'un éloignement contraint. Toute personne déboutée du droit d'asile et qui séjourne de façon irrégulière sur le territoire français relevant de la politique publique d'immigration, ce problème devrait être traité dans le cadre de la réforme de cette politique, et non dans celui de la réforme du droit d'asile.

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Nous espérons que ces propositions, élaborées dans un cadre pluraliste, inspireront l'action du Premier ministre, qui avait manifesté quand il était ministre de l'intérieur le souci de réformer profondément notre droit d'asile, aujourd'hui en crise. Il y a des voies de progression si on veut assurer des conditions plus dignes d'accueil de celles et ceux qui demandent à bénéficier de la protection internationale sur le territoire français.

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Merci à tous deux de ces très intéressantes propositions. Notre politique d'asile, vous l'avez souligné à plusieurs reprises, s'inscrit nécessairement dans un contexte européen ; la commission des affaires européennes organise d'ailleurs, ce 15 avril, une table ronde consacrée à la politique de l'Union en ce domaine.

La directive « Accueil » révisée du 26 juin 2013 raccourcit à neuf mois le délai d'accès des demandeurs d'asile au marché du travail. Cette disposition peut apporter de la souplesse au profit de personnes vulnérables, mais aussi se prêter à des dévoiements. Il faudra peut-être approfondir ce point.

Élue de Clermont-Ferrand, je n'oublie pas le drame qui s'y est déroulé à l'automne dernier. Nous n'avons toujours pas de solution à ce jour, malgré les grands efforts fournis tant par l'État que par les ONG. Les demandeurs d'asile restent accueillis principalement dans la capitale régionale, où la saturation des hébergements d'urgence représente un véritable problème : de ce fait, il devient presque impossible de venir en aide à certains publics, par exemple aux jeunes en déshérence. Mais il faut se rendre compte qu'héberger des Syriens réfugiés au fin fond de la campagne auvergnate n'est pas nécessairement simple non plus !

Enfin, nombre de demandeurs d'asile viennent de pays considérés comme sûrs. Mais certains de ces pays continuent de n'être pas sans danger pour certaines parties de leur population – je pense notamment à l'Arménie. Il me semble que l'OPFRA, qui dispose de l'information la plus fine, est l'organisme le mieux à même d'établir la liste de ces États.

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Je veux moi aussi féliciter nos rapporteurs pour leur travail. La réforme de notre droit d'asile est un impératif humanitaire, car ceux qui se voient accorder l'asile doivent voir leurs droits mieux reconnus et leur intégration facilitée. C'est aussi une urgence : nous devons raccourcir nos délais et mieux appliquer les décisions prises, pour respecter la convention de Genève mais également nos obligations européennes car, si nous nous montrons laxistes, nous risquons des pénalités et nous serons montrés du doigt.

Vous l'avez dit, il y a entre vos propositions et le rapport que Valérie Létard et moi-même avons rendu au ministre de l'intérieur quelques divergences ; mais cela ne me paraît pas poser problème. Le projet de loi ne reprendra ni l'un ni l'autre rapport dans son intégralité ! Il faut comprendre ces divergences comme un élargissement de la palette des possibilités et des solutions en vue du dépôt d'éventuels amendements.

Pour répondre aux exigences des directives européennes, il faut réduire de moitié le délai d'examen par la CNDA afin de le ramener de près de neuf mois aujourd'hui à moins de quatre mois. Expérimenter le transfert de cette compétence aux tribunaux administratifs était une proposition de Mme Létard, sur la suggestion de magistrats que nous avons auditionnés. Pour ma part, j'estime comme vous qu'il serait plus judicieux de donner à la CNDA les moyens de faire son travail. Mais il faut reconnaître que le seul fait de proposer une telle expérimentation – donc d'organiser une compétition entre les deux systèmes – a été un aiguillon pour la CNDA, l'incitant à atteindre les objectifs assignés. Il faut donc laisser ouverte cette possibilité et ainsi « maintenir la pression ».

Vous n'approuvez pas l'idée de créer des centres qui accueilleraient les déboutés du droit d'asile – qui représentent 80 % des demandeurs. En pratique, aujourd'hui, très peu retournent effectivement dans leur pays ; l'affaire Leonarda a d'ailleurs bien montré les difficultés de tels retours après plusieurs années de présence en France. Le raccourcissement des délais les facilitera – mais on ne peut pas imaginer que le problème se réglera de lui-même ! Nous proposions donc des centres ouverts, où ces personnes – qui s'engageraient à repartir dans leur pays d'origine – pourraient être aidées, ce qui serait un avantage pour elles. Il s'agirait d'établir des contacts avec leur pays d'origine pour traiter des questions de logement et d'emploi, pour s'assurer qu'elles ne subiront pas de discrimination. Je note qu'il n'y avait pas de consensus parmi les associations : si la FNARS (Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale) était très critique, Forum Réfugiés était tout à fait volontaire pour s'occuper de ce dispositif. Quelle que soit la formule choisie, il faudra en tout cas intervenir et donc mettre en place un dispositif spécifique.

La question des déboutés n'entrait pas au départ dans le cadre de la réflexion que j'ai menée avec Valérie Létard, mais les auditions nous ont rapidement montré qu'elle était en fait au coeur du système. C'est l'une des causes principales de l'encombrement des structures d'accueil. De plus, les décisions judiciaires perdent toute crédibilité si les déboutés du droit d'asile finissent par rester en France de toute façon ; et les passeurs savent bien quels sont les pays laxistes.

S'agissant des étrangers malades, je ne peux, comme médecin, qu'être sensible à ce devoir humanitaire, sacré, d'accueil des personnes qui ont effectivement besoin de soins. Mais plus de 90 % des déboutés du droit d'asile font valoir qu'ils sont malades. En outre, les maladies qui ne peuvent être soignées qu'en France sont en petit nombre ! La maladie la plus souvent invoquée est le choc post-traumatique. Or de tels chocs peuvent être traités par un psychiatre ou un psychologue dans la plupart des pays ; et nous savons bien que les structures françaises sont déjà débordées. Certaines informations sont connues dans les pays d'origine : ainsi, nous voyons un afflux de ressortissants du Kosovo ou d'Albanie présentant des insuffisances rénales chroniques qui invoquent la nécessité d'une greffe de rein en France. Mais notre pays connaît déjà une grave pénurie de donneurs et l'accueil de ces malades allonge encore les listes et les délais… Il serait donc bien préférable d'organiser un transfert de technologie et d'aider les médecins de ces pays à réaliser ces opérations eux-mêmes, ce dont ils sont tout à fait capables.

Votre proposition de confier à l'OFII – plutôt qu'à l'Agence régionale de la santé (ARS) – l'avis médical prévu par la procédure permettrait de distinguer vraiment quels sont les soins ou les actes thérapeutiques qui imposent une présence en France. Car, au fond, le problème est bien que tout cela porte atteinte à ceux qui ont vraiment besoin de l'asile, qui doivent être protégés !

Vos propos en faveur d'une meilleure répartition géographique des demandeurs d'asile m'ont paru très pertinents : la saturation de l'Île-de-France et de Rhône-Alpes complique considérablement l'intégration. Bien sûr, un accompagnement est nécessaire et il faut donc penser plutôt à des hébergements dans des villes de taille au moins moyenne. Il faudra sans doute être un peu directif et cela suppose aussi des moyens, notamment en personnel, et une déconcentration des services de l'OFPRA. Mais une réduction des délais, et donc une augmentation de la rotation des personnes hébergées, permettra de se rapprocher des objectifs.

Il y a aujourd'hui consensus sur l'intérêt de familialiser l'ATA, pour les raisons que vous avez dites.

Au total, il s'agit bien d'intégrer les réfugiés à la société française, en leur offrant une véritable deuxième chance, comme nous avons su le faire par le passé pour d'autres immigrés, qui ont beaucoup apporté à notre pays. L'acquisition du statut de réfugié n'est pas une fin en soi, mais le début d'un parcours. Les propositions avancées dans nos deux rapports permettront, je crois, au Gouvernement d'écrire un bon projet de loi – sur lequel nous travaillerons lors du débat parlementaire.

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Je veux moi aussi féliciter nos rapporteurs.

Il est toujours difficile d'obtenir des statistiques ou des chiffres précis : les départements, je le sais par expérience, sont réticents à donner ces informations, car ils ont peur que le fait qu'ils dégagent des sommes conséquentes n'encourage l'État à se décharger sur eux…

La création d'un guichet unique au chef-lieu de région peut poser problème : ainsi, en Bretagne, un demandeur installé à Brest est loin de Rennes. Et cette difficulté ne peut qu'empirer si nous diminuons le nombre des régions. Souvent d'ailleurs, ce sont les départements qui financent les déplacements en train, que ne peut couvrir le montant actuel de l'ATA.

Vous n'évoquez pas la question des langues, qui peut être source de report des audiences ou entretiens. Le Finistère est abonné, pour 30 000 euros par an, à une plate-forme de traduction qui fournit rapidement des interprètes à la demande. Cela fonctionne extrêmement bien.

Dans un arrêt du 27 février 2014, la Cour de justice de l'Union européenne a condamné la Belgique à payer 3 000 euros à une famille de réfugiés à laquelle elle n'avait pas offert des conditions d'accueil dignes. Cet arrêt fera sans doute jurisprudence ; or je connais beaucoup de familles qui ne sont pas accueillies en France dans des conditions satisfaisantes, et c'est un doux euphémisme : beaucoup de demandeurs d'asile sont à la rue ou vivent dans des conditions vraiment déplorables. Il faut donc agir vite pour se prémunir contre ce nouveau risque de condamnation juridique.

S'agissant de l'accompagnement des déboutés, j'approuve vos propositions, même si je doute de la possibilité d'établir des statistiques fiables sur le devenir des déboutés du droit d'asile : les associations ne voudront pas devenir des informateurs. Quant aux intéressés, ils accepteront difficilement de se rendre dans des centres pour préparer un retour au pays qu'ils refusent. J'entends aussi que l'on prendrait contact avec les régions d'origine des déboutés : mais ce serait donner là-bas une publicité à leur demande d'asile, ce qui peut être très délicat pour eux ! Je n'ai pas de solution à ce problème. Mais il me semble qu'il faut encore approfondir beaucoup notre réflexion.

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Je me joins aux félicitations de nos collègues : c'est un travail mené rapidement, mais qui témoigne d'une réflexion approfondie.

Dégager des moyens permettra de faire rapidement des économies, puisque, vous le montrez, une réduction d'un mois du délai d'examen des demandes à l'OFPRA permet une économie de plus de 6 millions d'euros. Pour cela, il faut résorber les goulots d'étranglement à toutes les étapes de la procédure – supprimer la condition de domiciliation, mieux utiliser le premier rendez-vous en préfecture ou dans le lieu unique nouveau, informatiser le titre de séjour et lier sa durée de validité à celle de la procédure, accroître le nombre des agents de l'OFPRA, professionnaliser la CNDA… Votre proposition de vingt officiers de protection supplémentaires pour l'OFPRA ne me paraît pas suffisante, mais il est vrai qu'il faut les former et que ce n'est pas si facile. L'idée d'un lieu unique paraît très pertinente ; il ne doit pas être installé à la préfecture même, car certaines associations, pourtant tout à fait nécessaires au soutien des demandeurs, refuseraient d'y intervenir.

Il est donc possible de réduire vraiment les délais sans porter atteinte à la qualité de la procédure : la France doit rester la terre d'asile dont nous sommes fiers.

Il est effectivement indispensable de prévoir des places en nombre suffisant pour héberger les demandeurs d'asile. L'hébergement permet en outre une meilleure qualité d'accompagnement. Vous faites preuve de souplesse, notamment sur cette question de l'affectation des demandeurs : tout en se montrant directif, il est important de maintenir la possibilité d'être hébergé par ses propres moyens sans se voir supprimer le bénéfice de l'ATA et sans qu'on présume un recours à des filières – qui doivent certes être combattues, mais par d'autres voies.

Des moyens supplémentaires doivent donc être accordés pour renforcer la qualité de la procédure de reconnaissance de la qualité de réfugié.

S'agissant de l'asile à la frontière, je ne rejoins pas entièrement vos propositions. Je comprends que l'on fasse le nécessaire pour que l'OFPRA soit présent en permanence à Roissy. Mais il faut souligner que cela crée une différence avec l'aéroport d'Orly, qui accueille pourtant aussi des demandeurs. Il faut surtout noter l'importance du nombre de demandes déclarées manifestement infondées à Roissy, ce qui montre sans doute plutôt un dysfonctionnement administratif qu'une répartition différente des demandes : il y a là un système trop prompt à rejeter des demandes.

En revanche, l'introduction à l'OFPRA de la possibilité d'avoir un conseil qui assiste à l'entretien, certes exigée par la directive, ainsi que la formalisation de l'entretien par un compte rendu, donc l'introduction du contradictoire dans la procédure, me paraissent des points très positifs. Je vous rejoins également sur le rôle de conseil des préfectures que vous attribuez à l'OFPRA afin que soit choisie la procédure la plus opportune. Faut-il aller plus loin et demander à l'Office de choisir lui-même entre procédure prioritaire et procédure de droit commun ? Cet organisme, je le sais bien, n'est pas demandeur, mais nous pourrions peut-être insister : c'est bien lui qui dispose des connaissances juridiques les plus précises en la matière.

Ce serait en fait un retour à la période d'avant 1993, puisque dès lors que l'OFPRA déterminerait la durée et les modalités de traitement d'une demande, nous n'aurions plus vraiment besoin de la procédure prioritaire – dont la généralisation du caractère suspensif des recours diminuerait d'ailleurs l'intérêt.

J'approuve que la CNDA soit préférée aux tribunaux administratifs. Ces derniers ont déjà par le passé joué un rôle dans la procédure de demande d'asile dit « territorial », ouverte à ceux qui s'étaient vu refuser le statut de réfugié, mais les délais dans lesquels ces demandes étaient traitées n'incitent pas à revenir à cette situation ! Les tribunaux administratifs ne peuvent pas tout faire alors qu'on leur en demande de plus en plus – ils doivent maintenant, je vous le rappelle, statuer dans de très brefs délais en matière d'OQTF, mais aussi, par exemple, sur les plans de sauvegarde de l'emploi. On ne peut pas indéfiniment charger leur barque. De plus, la CNDA est une juridiction de qualité, qui fonctionne, dont les rapporteurs sont très spécialisés et qui travaille à l'amélioration de ses propres délais. Elle a aussi le mérite insigne d'accueillir un juge qui est, indirectement, désigné par le Haut commissariat aux réfugiés. Il me semble donc qu'il faut soutenir cette institution.

Je ne peux pas approuver votre recommandation de recourir à la visioconférence. Une demande d'asile, ce peut être une question de vie ou de mort, c'est en tout cas une question de liberté, souvent de protection de l'intégrité. C'est une procédure administrative, mais où l'humain compte énormément. Or si le juge et la partie au procès ne se trouvent pas dans la même pièce, l'audience sera désincarnée, ce qui risque de désarçonner et donc de défavoriser les demandeurs, qui sont particulièrement vulnérables.

Puisque la question de l'asile sanitaire a été soulevée, je soulignerai qu'on touche là à un sujet qui dépasse de beaucoup celui des demandeurs d'asile : bien d'autres étrangers demandent à être soignés en France. Le législateur est récemment intervenu pour casser une jurisprudence du Conseil d'État d'après laquelle, pour refuser à un étranger malade le droit de rester en France pour se soigner, l'accès au traitement dans le pays d'origine devait être effectif. Si nous ne voulons pas envoyer à la mort des gens qui pourraient théoriquement se soigner dans leur pays, mais dont on sait parfaitement que pour des raisons économiques ils ne le pourront pas, alors il faut absolument revenir sur cette question : dire à des Congolais qu'ils trouveront des trithérapies en rentrant chez eux, c'est se moquer du monde ! Je ne reprends pas la question du Kosovo ou de l'Albanie, mais les chiffres ne me paraissent pas si importants. Je ne suis pas sûr que les médecins de l'OFII soient plus à même de donner un avis que les médecins de santé publique de l'ARS. Il me semble en tout cas qu'il faut repenser ce problème en gardant à l'esprit la nécessité de préserver la dignité humaine de tous, en particulier des malades.

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Je tiens à souligner que notre groupe de travail a su, sur ce sujet important, dépasser les clivages partisans pour établir un diagnostic et avancer des propositions. Avec l'augmentation du nombre de demandes d'asile, nous arrivons à un point où une réforme devient nécessaire pour réduire les délais d'examen, pour ne plus laisser pendant des années des personnes dans l'expectative avant de décevoir leurs espoirs. Il nous faut préserver la qualité de notre asile, fruit de notre histoire, et, tout en faisant preuve d'un esprit rigoureux, respecter la dignité de tous. Mais nous devons aussi parfois rendre la France moins attractive. Souvenons-nous toutefois que nul, même parmi ceux à qui l'on refuse le bénéfice du droit d'asile, ne quitte son pays par plaisir ou par caprice. C'est toute notre politique d'immigration, nos aides et notre solidarité avec les pays d'origine qu'il faut en réalité repenser – ce qui inclut la question des déboutés, qu'on ne peut laisser repartir sans plus aucun espoir.

Je voudrais insister sur la qualité des personnes que nous avons rencontrées et dire en particulier ma considération pour le travail des agents de l'OFPRA et des associations. J'ai été très touchée par les témoignages que nous avons entendus : ces auditions nous ont permis de faire sortir toutes ces personnes de l'invisibilité.

J'approuve dans l'ensemble les propositions présentées, avec peut-être une légère réserve sur l'idée de confier au seul directeur général de l'OFPRA l'établissement de la liste des pays sûrs : n'est-ce pas une responsabilité bien lourde pour une seule personne ? Le Parlement ne pourrait-il pas ici jouer un rôle ?

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Mes chers collègues, je voudrais avoir ici une pensée pour Dominique Baudis, Défenseur des droits, qui s'est beaucoup occupé de ces questions et dont nous venons d'apprendre la disparition.

Ces travaux, pour lesquels je veux féliciter les rapporteurs, mais aussi les fonctionnaires du secrétariat du Comité d'évaluation et de contrôle, sont exemplaires de ce que peut apporter ce Comité à l'Assemblée pour l'évaluation des politiques publiques.

Le système de l'asile est à bout de souffle, ce n'est pas un ancien président du conseil général de Seine-Saint-Denis qui vous dira le contraire. Nous ne savons pas accueillir comme il le faudrait les réfugiés. C'est d'autant plus préoccupant qu'il en va de l'honneur de la France.

Il faut toujours rappeler combien il est important de distinguer politique de l'asile et politique de l'immigration. Mais la procédure de demande d'asile est, il faut le reconnaître, trop souvent détournée ; à nous de la réformer pour qu'elle corresponde mieux à la haute idée que nous nous faisons du droit d'asile.

Le Président de la République s'est déjà engagé à limiter le délai d'instruction des demandes à six mois. Beaucoup de vos propositions vont dans ce sens, notamment celle de créer un lieu unique d'accueil par région, idée qu'il faut creuser. Je suis sensible aussi, vous le devinez, à la question de la répartition géographique des demandeurs, dont certains pourraient être accueillis dans les territoires ruraux. Toutefois, ces personnes ont besoin, comme tous les publics fragiles, de services publics qui ne soient pas trop lointains.

Votre rapport, qui vient en compléter avantageusement d'autres, éclairera utilement le débat qui se tiendra bientôt à l'Assemblée.

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Notre groupe, qui réunissait des députés de sensibilités politiques différentes, a su travailler dans un esprit républicain, sans angélisme, avec un souci d'humanité et d'efficacité et en gardant en tête la nécessité pour notre pays de respecter pleinement la Convention de Genève. Élu d'une circonscription qui fut celle de Michel Rocard, je voudrais citer ici une phrase de lui que l'on a trop souvent tronquée : « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde, mais elle doit en prendre fidèlement sa part. »

Notre réflexion sur l'asile est une conséquence du rapport sur l'hébergement d'urgence, qui nous avait montré le caractère central de la question de l'accueil des demandeurs d'asile, ou plutôt du manque de places pour les accueillir : là est la première raison pour laquelle notre système est au bord de l'embolie.

Mme Auroi a raison de citer la directive de 2013 : il est certain qu'elle nous contraindra, s'agissant de l'emploi des demandeurs d'asile.

S'agissant des étrangers malades, je salue la position républicaine de Jean-Louis Touraine. Nous pourrons, je crois, trouver des points de consensus pour écrire la loi.

Je veux pour finir redire mon plaisir et ma fierté d'avoir travaillé avec vous, mes chers collègues, sur ces sujets délicats.

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Madame Guittet, nous avons bien pris en considération la question du logement que vous évoquez : c'est pourquoi nous proposons la création de 11 000 nouvelles places, dédiées notamment aux personnes en procédure d'urgence ou en procédure « Dublin ».

Je veux dire moi aussi que j'ai eu beaucoup de plaisir à travailler dans un climat d'ouverture et d'écoute mutuelles. Nous avons pu nous accorder sur de nombreuses propositions, qui ont pour but de s'assurer que des personnes en proie à l'injustice, pourchassées, torturées parfois, à qui l'on dénie le droit de s'exprimer et la liberté de conscience, puissent être dignement accueillies en France grâce au statut de réfugié. Il est important, croyons-nous, de redonner tout son sens à la politique de l'asile, qu'il faut effectivement distinguer de la politique de l'immigration.

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Merci encore à tous. Mes chers collègues, sauf objection, je vous propose d'autoriser la publication du rapport.

Le Comité autorise la publication du rapport d'évaluation de la politique d'accueil des demandeurs d'asile.

La séance est levée à midi cinquante-cinq.