Intervention de Jacques Krabal

Séance en hémicycle du 15 avril 2014 à 15h00
Interdiction de la mise en culture du maïs génétiquement modifié mon 810 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Krabal :

Mon intervention va dépasser le cadre de l’analyse de la proposition de loi relative à l’interdiction de la mise en culture du maïs génétiquement modifié MON 810. Au-delà des enjeux institutionnels ou constitutionnels, largement développés tout à l’heure, c’est l’aspect démocratique de ce texte qui nous mobilise.

En effet, comme l’a rappelé M. le ministre, nos concitoyens sont préoccupés. Certes, on ne gouverne pas avec les sondages, mais le dernier d’entre eux sur ce sujet montrait que 79 % des Français interrogés sur les OGM se disaient « très inquiets » ou « plutôt inquiets ». C’est dire si l’opinion publique est sensible à cette question. Ne pas répondre serait irresponsable.

Cette inquiétude concerne notre alimentation et l’industrie agroalimentaire. N’ayons pas la mémoire courte : la vache folle et les scandales récents, qui ne manquent pas, ont marqué la conscience de nos concitoyens. Ce ne sont pas des fantasmes ou de l’obscurantisme, c’est la réalité. Mon propos n’est pas de mélanger des sujets certes différents : il est d’essayer de déterminer ce qui cause et explique notre perception de ces sujets.

L’alimentation est une composante majeure de notre art de vivre à la française. Il n’est qu’à se rappeler qu’Alexandre Dumas, le père des Trois Mousquetaires, bon vivant devant l’éternel, écrivit un livre consacré tout entier à la gloire de la bonne chère : Le grand dictionnaire de cuisine. Il était natif de Villers-Cotterêts, une ville de ma circonscription, et je ne peux m’empêcher d’avoir une pensée très particulière pour lui au lendemain des élections municipales. Tout, dans notre culture, grâce à Dumas et à bien d’autres, renvoie sans cesse aux plaisirs de la table et de la vie.

Il s’agit là d’un particularisme qui explique en grande partie la renommée mondiale de notre gastronomie. Il explique aussi pourquoi les Français sont si vigilants et pointilleux sur ce qu’ils trouvent dans leur assiette. Or, les scandales sanitaires ont ébranlé leur confiance et accru leur désir d’information et de sécurité. Pour rétablir cette confiance, nous avons le devoir de prévenir tous les risques, de dire la vérité à nos concitoyens et de ne pas nous cacher derrière de pseudo-arguments juridiques. Appréhendons ce débat sans esprit partisan, avec sérénité, et ne changeons pas d’avis au gré des majorités.

Les organismes génétiquement modifiés sont un sujet d’interrogations d’autant plus prégnant que les réponses qu’on y apporte sont discordantes, voire contradictoires. Si les OGM sont porteurs d’enjeux, sanitaires et environnementaux mais aussi économiques et sociaux, d’une grande complexité, la question qui se pose à nous aujourd’hui est claire : sommes-nous en mesure de garantir que leur mise en culture ne présente aucun risque ?

Notre boussole principale dans ce débat doit être scientifique. Il ne s’agit en aucun cas de s’engager dans une voie pour des raisons idéologiques ou passionnelles. Songeons à l’aphorisme de Rabelais : « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Certes, la science peut aboutir au meilleur, au progrès humain, mais aussi au pire. C’est l’occasion pour moi de rendre hommage à l’astronome Carl Sagan, qui s’interrogeait : « Qu’est-ce qui, dans les préceptes de la science, empêche les savants de faire le mal ? » Rien, l’histoire nous l’a souvent rappelé.

Nous ne sommes pas, dans cet hémicycle, des experts scientifiques en mesure de nous prononcer sur la dangerosité des OGM. En revanche, nous avons la responsabilité de tenir compte des études disponibles pour répondre à la question qui nous est posée.

Depuis de nombreuses années maintenant, le gouvernement français considère que les études scientifiques disponibles ne nous permettent pas d’apporter de garantie définitive. Je ne veux pas rappeler ici le contexte dans lequel intervient cette proposition de loi, ni m’étendre sur les divers arrêtés pris et annulés par le Conseil d’État.

Face à l’insécurité juridique et aux risques de semis de l’OGM MON 810, un nouvel arrêté d’interdiction a été publié très récemment, le 15 mars 2014, par notre actuel ministre de l’agriculture. Je voudrais insister sur le fait que la nouvelle version de l’arrêté s’appuie sur deux dispositions européennes d’ordre réglementaire, contre une seule dans les deux précédentes interdictions : l’article 34 du règlement 18292003 sur les mesure d’urgence et l’article 18 de la directive 200253, dite directive semences.

Ce dernier article permet d’interdire, « dans tout ou partie de son territoire », une variété inscrite au catalogue commun des variétés « s’il est constaté que [s]a culture pourrait, dans un État membre, nuire sur le plan phytosanitaire à la culture d’autres variétés ou espèces, présenter un risque pour l’environnement ou pour la santé humaine. »

Ce texte n’empêche aucunement la recherche. Il vise simplement à empêcher le semis en plein champ. Autant dire que la prochaine décision du Conseil d’État est très attendue. C’est à l’aide des études scientifiques disponibles que le législateur doit prendre ses responsabilités.

Comme je l’ai dit, les études démontrent de trop grandes incertitudes pour prendre le risque d’autoriser la mise en culture du MON 810. S’il existe des mesures de précaution qui pourraient pallier ces incertitudes, nous devons les mettre en oeuvre avant de délivrer l’autorisation. Pour nous, le principe de précaution n’est pas un parapluie, mais un principe d’innovation. En aucun cas la présente proposition de loi n’épuisera le questionnement légitime sur la mise en culture des OGM. En revanche son adoption vise à garantir la poursuite d’échanges au niveau national comme européen afin d’évaluer précisément les risques encourus.

Vous avez eu raison de le souligner tout à l’heure, monsieur le secrétaire d’État, il n’y a pas eu d’évaluation sérieuse sur ce sujet. Aujourd’hui, la mise en culture massive de maïs génétiquement modifiés présente des incertitudes trop grandes pour être autorisée. Dans la communauté scientifique, de trop nombreuses questions restent sans réponse définitive en ce qui concerne l’innocuité absolue des OGM. Oui, nous avons besoin au préalable de mettre en place des procédures de contrôle et d’évaluation certifiées. La Commission européenne se base quant à elle sur les avis de l’Autorité européenne de sécurité des aliments pour autoriser le MON 810. Mais cette autorité se limite à des études scientifiques contestables. En France, le Haut conseil des biotechnologies évalue l’impact des OGM sur l’environnement et la santé publique, mais procède également à des évaluations sur leurs conséquences économiques et sociales.

Nous devons convaincre nos amis européens que les enjeux concernant les OGM ne sont pas uniquement scientifiques, mais aussi économiques et sociaux. Concernant les enjeux sanitaires et environnementaux, force est de constater que nous ne disposons aujourd’hui d’aucune étude prouvant la sécurité alimentaire des OGM sur le long terme. Les OGM sont souvent présentés comme des variétés d’avenir qui permettraient de grands rendements, une valeur nutritive renforcée et une résistance accrue à la sécheresse ou aux pesticides sans aucune conséquence négative pour l’homme ou la nature. Dans ces conditions, il faudrait être déraisonnable pour ne pas encourager la recherche sur les OGM. Mais aujourd’hui, nous sommes loin de ces belles promesses.

En outre, les OGM posent aussi la question des brevets et de la propriété intellectuelle des semences. N’oublions pas qu’en obligeant nos paysans à réensemencer les champs avec des semences achetées à des multinationales, les OGM accroissent le risque de dépendance. Et ma collègue Dominique Orliac se joint à moi pour souligner les menaces pesant sur la filière apicole.

Les producteurs de miel peuvent témoigner que les OGM représentent un danger pour la biodiversité…

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