Intervention de Brigitte Allain

Séance en hémicycle du 15 avril 2014 à 15h00
Interdiction de la mise en culture du maïs génétiquement modifié mon 810 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBrigitte Allain :

Je suis heureuse que nous puissions examiner cette proposition de loi dès cette semaine dans l’hémicycle et que les derniers mouvements n’aient que peu repoussé son inscription à l’ordre du jour. Nous avons tous conscience de l’urgence qu’il y a à adopter ce texte. Notre nouvelle ministre de l’écologie aura la responsabilité de porter de nombreux dossiers chers aux écologistes et à beaucoup de concitoyens, dont ceux, transversaux, de l’agriculture et de l’alimentation, de la qualité des eaux, de la lutte contre les OGM ou encore de la préservation de la biodiversité et de la diminution des pesticides dans les champs et les villes suite à l’adoption de la récente loi écologiste « Labbé ».

Je ne doute pas que l’auteure de Pays, paysans, paysages saura porter au niveau national la défense de l’agriculture durable et biologique avec force et conviction. Je veux également saluer le groupe socialiste pour avoir déposé cette proposition de loi visant à interdire sur le territoire national la culture des maïs OGM. Je regrette cependant qu’elle ne couvre que les maïs. Ainsi, la proposition de loi no 1839 que nous avons déposée vise à interdire la mise en culture des plantes génétiquement modifiées. Les écologistes réitèrent par ce texte leur opposition génétique aux organismes génétiquement modifiés cultivés en plein champ, que ce soit pour la consommation humaine ou animale ou pour la recherche.

L’enjeu est autant sanitaire, environnemental ou socio-économique que démocratique : c’est la réaffirmation de la primauté de la volonté des peuples européens, qui font preuve de sagesse. Nous demandons l’interdiction de toutes les plantes génétiquement modifiées : maïs, coton, soja, betterave, colza… Ce sera l’objet des deux amendements, que je présenterai tout à l’heure. Il s’agit de manipulations qui visent principalement à introduire par biotechnologie des gènes insecticides dans les plantes, qui deviennent, de ce fait, elle-même insecticides, ou encore à augmenter la tolérance à de puissants herbicides préjudiciables aux équilibres naturels et aux capacités productives des systèmes agricoles.

Il y a de quoi être inquiet. Aujourd’hui, le Parlement affirmera, avec le Gouvernement, son opposition quasi unanime à la culture du maïs MON 810, seul autorisé en Europe, et du maïs TC 1507, qui est en passe de l’être. Mais il faut anticiper les évolutions imminentes au niveau de l’Europe, dont la réglementation fait foi en matière d’OGM.

De nombreuses plantes génétiquement modifiées attendent leur tour. Elles sont prêtes. Je ne citerai que les autorisations les plus imminentes, concernant les plantes suivantes : le coton GHB614 de Bayer, tolérant à l’herbicide glyphosate ; le coton 1445 de Monsanto, tolérant au glyphosate et résistant à la kanamycine, antibiotique à usage vétérinaire ; le coton MON 531 de Monsanto, résistant aux insectes et à la kanamycine ; le soja GTS 40-3-2 de Monsanto, tolérant aux herbicides à base de glyphosate ; la betterave sucrière H7-1de Monsanto, tolérante aux herbicides à base de glyphosate ; la betterave A515 de Monsanto, tolérante à l’herbicide glyphosate ; ou enfin, c’est original, le colza Falcon GS4090 de Bayer et le colza Liberator pHoe6Ac, tolérants aux herbicides à base de glufosinate d’ammonium.

Comme vous le constatez, le débat dépasse largement celui du seul périmètre du maïs. Il a lieu alors que la commission Baroso veut clore le dossier OGM avant son départ et faire plier la France et les derniers pays réfractaires à une dissémination des OGM en Europe. Pour ce qui est des projets du commissaire à la santé, Tonio Borg, je vous invite à lire son interview dans Le Monde du 10 avril : il y affirme clairement, concernant la révision des procédures d’autorisation d’OGM, que le projet de la Commission prévoit qu’un pays pourra demander en amont à être exclu du champ d’une demande d’autorisation de mise en culture d’un OGM. Mais attention, cela n’empêchera pas la libre circulation des produits issus des OGM cultivés dans l’Union. Les groupes écologistes du Sénat et de l’Assemblée, par la voix de leurs présidents, ont fait connaître au ministre de l’agriculture et au ministre de l’environnement de l’époque leur soutien à la décision de la France de maintenir un moratoire sur le MON 810 et ont dénoncé ce que j’appellerai « le chantage antidémocratique » de la Commission européenne, consistant à autoriser le seul maïs TC 1507. Quelle image de l’Europe ces institutions veulent-elles envoyer, à la veille des élections européennes ?

La position des citoyens européens et de leurs représentants, elle, est très claire. Une écrasante majorité reste opposée à la mise en culture des plantes génétiquement modifiées. Il y a trois ans, une pétition européenne contre les organismes génétiquement modifiés a recueilli plus d’un million de signatures. Les écologistes réitèrent aujourd’hui leur position et demandent à la France de rester ferme, comme elle le fait depuis plusieurs années, sur le refus des OGM sur son territoire mais aussi sur tout le territoire européen, et de rejeter la proposition de la Commission d’ « OGM à la carte ».

Nous ne pourrons ouvrir aucune porte tant que nous n’aurons pas la garantie d’évaluations scientifiques indépendantes, à court, moyen et long terme, pour permettre aux autorités de prendre des décisions sur des bases scientifiques fiables afin de garantir la santé des citoyens et la durabilité des systèmes de production agricoles et nourriciers. Gilles-Eric Séralini a pourtant tiré la sonnette d’alarme !

Cette proposition de loi faisant suite à un arrêté ministériel est un signe encourageant. Mais nous ne devons pas nous arrêter au milieu du gué. Une acceptation des OGM à la carte, par État membre, signifierait que les aliments OGM pourraient tout de même librement circuler sur le territoire, que les négociations du traité transatlantique seraient largement simplifiées et ouvriraient in fine la porte aux importations massives de produits américains génétiquement modifiées. Les risques sont grands pour notre souveraineté alimentaire et pour la survie des élevages de qualité en AOP ou en agriculture biologique.

Le choix de notre modèle agricole, alimentaire et même de vie est posé. La coexistence entre plantes génétiquement modifiées et agricultures conventionnelle et bio est impossible. Je prendrai l’exemple du colza résistant aux herbicides, crucifère aux nombreuses cousines se croisant et se reproduisant naturellement très rapidement, et donc véritable bombe à retardement. La contamination sera inévitable et l’augmentation concomitante de pesticides dans l’environnement incontrôlable. Nous avons pourtant une autre solution, celle de l’agro-écologie qui, tout en respectant les écosystèmes, valorise les hommes et les savoir-faire en économisant les intrants.

En France, la mutation de notre modèle agricole vers l’agro-écologie est enclenchée depuis des années et se traduit, jusque dans les plus hautes instances de notre pays, par un projet de loi sur l’avenir de l’agriculture, l’alimentation et la forêt actuellement en discussion au Parlement. Celui-ci ouvre des perspectives historiques pour réorienter notre modèle agricole vers une agronomie du XXIe siècle. Cette transformation s’inscrit résolument dans le cadre de la souveraineté alimentaire, de pratiques agricoles nouvelles, productives et respectueuses de l’environnement et des dynamiques humaines territoriales.

À l’approche de la journée internationale des luttes paysannes, le 17 avril, dédiée au combat sur les semences paysannes, je souhaiterais conclure en rappelant une phrase très juste de Vandana Shiva, écrivaine, physicienne, récipiendaire du prix Nobel alternatif et militante écologiste indienne : sous le masque de la croissance se dissimule, en fait, la création de la pénurie. Ce serait une grave erreur que de céder aux chants des sirènes des agrochimistes nous vendant des modes de production promis comme révolutionnaires, qui sont en réalité dévastateurs pour la biodiversité et les sols, s’inscrivent dans une logique industrielle peu pourvoyeuse d’emplois et condamnent les savoir-faire agricoles. La France a choisi un autre chemin. Gardons le cap et ne sabotons pas nos propres constructions !

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