La proposition de loi qui nous est soumise me semble reposer sur des éléments qui ne font pas de doute et qui rendent légitime l’application du principe de précaution. Nous ne savons certes pas tout sur les effets des organismes génétiquement modifiés, en particulier sur la santé humaine. Néanmoins, en ce qui concerne les maïs modifiés MON 810 et TC 1507, il est établi qu’ils émettent une toxine destinée à protéger la plante contre certains insectes ravageurs. Or cet insecticide génétiquement intégré nuit également à des insectes qui n’en sont pas la cible, en particulier des papillons et des abeilles. Par ailleurs, les larves visées par la modification génétique développant une résistance à la toxine, les agriculteurs se trouvent incités à utiliser des pesticides plus puissants et plus dangereux pour l’environnement.
Par conséquent, il est clair que la mise en culture de plantes génétiquement modifiées présente des risques avérés sur le plan environnemental, par son impact sur la biodiversité, et sur le plan agronomique, par le risque d’apparition d’insectes résistants aux insecticides, le tout pouvant représenter des dangers sur le plan sanitaire.
La culture des maïs génétiquement modifiés, qui nous intéresse ici, nécessite donc des mesures conservatoires que cette proposition de loi établit. C’est pourquoi nous la soutiendrons. J’ajoute que les conséquences de cette culture ne sont pas seulement environnementales mais aussi économiques, par des effets destructeurs sur le secteur de l’apiculture, et qu’elle nous renvoie à un mode de production agricole intensif dont nous ne voulons plus et sans la réforme duquel la transition écologique n’a aucun sens. Nous souhaitons promouvoir une agriculture performante et compétitive, mais respectueuse de l’environnement et des écosystèmes, car l’enjeu est l’avenir de la planète et de l’humanité.
Deux aspects soulevés par cette proposition de loi constituent des sujets de réflexion. D’abord, cette affaire des maïs OGM produits par les entreprises américaines Monsanto et Pioneer a connu de nombreux rebondissements, dont nous ne sommes pas encore au terme. Il faut reconnaître une certaine constance des gouvernements français successifs à nous prémunir des maïs OGM. En effet, par deux arrêtés du 7 février 2008 et du 16 mars 2012, le gouvernement précédent a suspendu l’autorisation de mise en culture des maïs génétiquement modifiés de la variété MON 810. Le premier arrêté a été annulé par le Conseil d’État au prétexte que la clause de sauvegarde ne pouvait être invoquée, la preuve n’étant pas établie de l’imminence d’un danger sanitaire. L’arrêté était donc euro-incompatible. Le second a également été annulé par une interprétation stricte des avis de l’Autorité européenne de sécurité des aliments recommandant la mise en place de mesures de gestion et de surveillance des risques liés à l’utilisation du MON 810 mais excluant l’interdiction. Aucune mesure de gestion et de surveillance n’étant imposée par la réglementation européenne, tout cela relève du voeu pieux et l’on peut donc cultiver le maïs MON 810 sans aucun contrôle…
Le fond est que le lobby agro-industriel impose à l’Europe ses intérêts, comme la finance et les banques en sont capables. Le dernier exemple en date est l’autorisation accordée à l’américain Pioneer pour commercialiser son maïs TC 1507. La demande est ancienne, puisqu’elle remonte à 2001. La Cour de justice européenne a fini par prier la Commission européenne de faire une proposition. Celle-ci a proposé l’autorisation de ce maïs.
Le 16 janvier dernier, le Parlement européen, à une large majorité, s’est opposé à cette autorisation. Le 11 février, les gouvernements des États membres, qui ont un pouvoir de codécision dans le cadre du Conseil, se sont également opposés majoritairement à cette autorisation. Mais cela n’a pas suffi. Certes, dix-neuf États sur vingt-huit, représentant 60 % des voix, se sont explicitement opposés à l’autorisation et seuls cinq États ont donné leur accord, les autres ayant choisi l’abstention – notons au passage que quatre d’entre eux ne cultivent pas le maïs sur leur territoire. Mais il se trouve que, selon les règles de la majorité qualifiée, la proposition de la Commission ne pouvait être refusée qu’à une majorité de 74 % des voix, l’abstention étant assimilée à un vote positif ! Voilà comment la Commission européenne, sans aucune légitimité relevant du suffrage universel et s’étant faite le relais du lobby agro-industriel et de l’américain Pioneer, a réussi à imposer le maïs OGM TC 1507 contre l’avis du Parlement européen élu et de la majorité écrasante des gouvernements des États membres de l’Union.
Le ministre de l’agriculture a pris un arrêté interdisant la mise en culture du MON 810. C’était indispensable, car cette décision devait intervenir avant les semis du printemps et tandis que le Sénat avait voté, le 17 février dernier, une motion d’irrecevabilité repoussant une proposition de loi équivalente à celle qui nous est soumise. Les lobbies, nous le voyons, ne hantent pas que les couloirs de la Commission de Bruxelles…
Cet arrêté, pour utile qu’il soit dans l’immédiat, risque fort de connaître le même sort que ceux qui l’ont précédé et s’attirera les foudres du Conseil d’État. Quant à la présente proposition de loi, elle peut connaître un double destin : soit un recours de l’UMP, relais du lobby agro-industriel, devant le Conseil constitutionnel, faisant valoir la primauté du droit communautaire sur le droit national, soit un recours devant la Cour de justice européenne. Ou alors les deux ! Reste que si elle est adoptée par la représentation nationale, elle est en mesure de donner des moyens supplémentaires au Gouvernement, s’il en a la volonté, pour exiger un changement de la législation européenne en la matière.
L’objectif est donc d’obtenir l’interdiction de ce maïs OGM dans l’espace européen. Est-ce impossible, quand dix-neuf États sur vingt-huit sont d’accord ? Obtenons tout au moins que s’applique en la matière le principe de subsidiarité, qui permet à chacun de décider ce qu’il accepte sur son sol.
Je veux enfin vous faire part d’une préoccupation concernant le paradoxe entre la présente proposition de loi, soutenue par le Gouvernement, et les négociations en cours en vue du partenariat de libre-échange avec les États-Unis. Cet accord transatlantique, débattu depuis juillet 2013 et qui aura été sans aucun doute au coeur des discussions entre Barack Obama et François Hollande lors du récent déplacement du Président de la République aux États-Unis, est préoccupant quant à la question qui nous intéresse.
Le risque réside dans le fait que les industries de biotechnologie américaines, Monsanto et Pioneer en tête, ne nous imposent demain leurs catalogues de produits OGM autorisés par leur législation. Si nous refusons, ces multinationales seront en mesure d’obtenir de notre part et de celle de l’Europe des pénalités de plusieurs centaines de millions d’euros au nom du non-respect du traité transatlantique.
Nous ne saurions avoir deux langages et la proposition de loi que nous allons voter ne peut être en trompe-l’oeil. Elle doit être une arme en France, en Europe et à l’échelle internationale pour faire prévaloir l’intérêt général, la défense de la biodiversité et la sécurité sanitaire sur ces intérêts agro-industriels et marchands.