Intervention de Yann Guisnel

Réunion du 15 janvier 2014 à 17h15
Mission d'information sur l'écotaxe poids lourds

Yann Guisnel, président directeur général de Guisnel distribution SAS :

Je rappellerai tout d'abord que nous sommes une entreprise à 100 % familiale, existant depuis cinquante-sept ans. Nous avons deux activités. La plus connue est celle de transport de mobilier : elle nous permet de réaliser 40 millions d'euros de chiffre d'affaires. La seconde consiste en la location de véhicules dédiés au bâtiment, pour un chiffre d'affaires d'un peu plus de 20 millions d'euros. Nous possédons 800 véhicules moteurs et employons 750 personnes. L'activité meuble est celle qui souffre le plus depuis quelques années, notamment du fait du report de marchandises sur les 3,5 tonnes, qui nous a conduit à baisser nos effectifs de 285 personnes depuis quatre ans. On peut considérer que cette baisse d'effectifs est due à 80 % à un problème de concurrence déloyale. Notre chiffre d'affaires, qui était de 60 millions d'euros il y a cinq ans dans cette activité, est réalisé pour près de 30 % à l'export – Angleterre, Allemagne, Belgique, Suisse, pays nordiques, Espagne.

L'Allemagne a instauré un système de taxation au kilomètre, qui s'applique de deux manières. La première est fondée sur l'installation de GPS dénommés « OBU » au dessus des camions, permettant, dès lors que les véhicules passent la frontière et utilisent des tronçons assujettis à cette taxe, d'établir un calcul des kilomètres parcourus jusqu'à la sortie du pays. Les transporteurs sont alors facturés au mois. Ayant vérifié ces calculs de façon précise et pragmatique, nous avons constaté qu'ils étaient tout à fait exacts. La seconde façon est la suivante : si vous vous rendez vous-mêmes en camion à la frontière, vous serez obligés de vous arrêter et de déclarer, muni de votre carte grise, le nombre d'essieux de votre véhicule et le voyage que vous devez effectuer. Vous serez alors enregistré si bien que lorsque vous quitterez à nouveau le territoire allemand, et ce quel que soit le poste frontière, on vous fera payer sur place, avant de sortir, la taxe correspondant aux kilomètres taxables parcourus. On retrouve d'ailleurs un système assez comparable en Suisse. Il faut savoir qu'au départ, le coût que nous faisions supporter à nos clients en pied de facture sur l'Allemagne, la Suisse et l'Autriche était de 5 à 7 %. Or il s'élève aujourd'hui à 11 %. Car malheureusement, tous les un ou deux ans, l'Allemagne intègre des routes supplémentaires au dispositif.

Comme l'a dit Mme Mesples, le coût de l'écotaxe représenterait 5 à 7 % de notre chiffre d'affaires. Et je vous confirme que nous sommes très satisfaits lorsque, les bonnes années, nous faisons 1,5 % de marges. C'est d'autant plus rageant que nous avons une belle entreprise – nous avons obtenu deux fois le prix de la sécurité en France – et que nous consacrons un peu plus de 4 % de notre masse salariale à la formation.

Nous sommes confrontés à deux problèmes. Le premier réside dans la concurrence déloyale due à l'utilisation des véhicules de 3,5 tonnes provenant pour la moitié de l'étranger. Si vous observez de près les choses dans les semaines et les mois qui viennent, vous verrez qu'il y a un nombre impressionnant de véhicules de 3,5 tonnes sur les autoroutes et les aires de repos ou les parkings. Ces transporteurs ont mis en place une organisation extrêmement performante leur permettant de se ruer sur les petits lots lors des bourses de fret. Ils organisent ainsi depuis la Pologne ou d'autres pays la « ramasse » de ces produits pour les livrer dans des délais performants. L'on sait en revanche que ces véhicules sont en permanence en surcharge, car ils ne peuvent supporter au mieux que 700 à 800 kilos.

Cela dit, l'autre moitié de ces transporteurs est franco-française – ce qui est peut-être plus grave. Si l'État faisait son travail de contrôle des véhicules, et si vous obteniez de Bruxelles que les 3,5 tonnes entrent dans les quotas fixés aux directions générales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) pour les contrôles de véhicules, il y aurait beaucoup moins de concurrence déloyale.

Ce point capital a également d'autres conséquences – et pas uniquement pour l'entreprise Guisnel. Il est clair que le transport industriel et de lots complets est désormais assuré par les transporteurs étrangers. Il n'est guère compliqué de répercuter en pied de facture sur un client une majoration pour le transport d'un lot complet entre Lille et Marseille. En revanche, à l'instar de nombreux transporteurs français, nous transportons des demi-lots et mettons en général dans nos camions de transport mobilier des meubles neufs à destination d'une cinquantaine de clients. Nous remplissons ainsi nos camions pour la semaine. Nous n'avons donc d'autre choix que de répercuter la taxation individuellement en pied de facture. Pour cette raison, nos clients ont déjà contourné le problème : de nombreux chargeurs contraignent les transporteurs – de façon autoritaire, en les menaçant de passer des appels d'offre en cas de refus – à baisser leurs tarifs de 5 %.

Et il vient aujourd'hui de se créer un nouveau métier : celui d'affréteur. Les affréteurs sont des Français appartenant au monde du transport, souvent à de grands groupes – raison susceptible d'expliquer pourquoi certains groupes relevant d'autres syndicats de transporteurs ne protestent pas dans ce dossier. Ces gens appellent tous les chargeurs pour leur proposer de baisser leurs coûts de transport de 20 % du jour au lendemain. Quel chargeur ne serait pas intéressé par une économie aussi substantielle ? Ces commerciaux, qu'ils soient français ou pas, parviennent à faire baisser les prix en recourant à des véhicules de 3,5 tonnes et en faisant venir des transporteurs étrangers. Ils s'arrangent alors pour que ces derniers chargent du fret au départ du pays étranger ou leur demandent de se rendre jusqu'à la frontière allemande. Ils leur confient un transport d'encadrement au départ de l'est de la France vers toutes nos régions, leur assurant des rechargements de produits français, y compris à destination française. Il est en effet impossible de vérifier que les règles de cabotage sont bien respectées. La situation est donc dramatique !

Monsieur Lurton, vous qui êtes de Saint-Malo, sachez que les ferries qui arrivent dans l'ouest de la France sont pleins à craquer de transporteurs étrangers qui ne peuvent charger en Angleterre, si bien que nous n'avons même pas de place en fin de semaine, lorsque nos camions arrivent. Ces transporteurs viennent inonder l'ouest de la France pour prendre des produits à vil prix puisque de toute façon, il leur faut rentrer. Quant aux transporteurs français qui transportent des demi-lots, ils avaient l'habitude de prendre de petits lots pour « payer le gasoil » : or, aujourd'hui ces petits lots ont disparu de la circulation, happés de façon extraordinaire par les transporteurs étrangers.

Je conçois que vous soyez soumis à des contraintes budgétaires, mais je vous conseille d'attendre avant de prendre des mesures et de réagir à la multiplication des 3,5 tonnes. Interdire l'accès aux villes aux véhicules de plus de 3,5 tonnes aura un l'effet inverse au but recherché et l'on sera inondé de 3,5 tonnes, comme en Asie. Et je ne vous parle pas des conséquences dramatiques sur le plan social !

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