Mission d'information sur l'écotaxe poids lourds

Réunion du 15 janvier 2014 à 17h15

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La réunion

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Mission d'information sur l'écotaxe poids lourds

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Nous recevons cet après-midi les responsables de l'Organisation des transporteurs routiers européens (OTRE), organisation professionnelle française se présentant dans ses publications comme « l'unique organisation patronale représentant les TPE et PME du transport routier de marchandises, du transport routier de personnes, du déménagement, du transport de fonds et valeurs, du transport sanitaire et de la logistique ». Une telle présentation illustre clairement sa volonté de se démarquer d'autres organisations professionnelles du transport, plus anciennes qu'elle et peut être plus « statutaires » – que la mission entendra bien évidemment aussi. Il reste néanmoins exact que vos métiers sont exercés par un grand nombre de petites entreprises, d'ailleurs souvent familiales. Les élus que nous sommes les connaissent bien et sont à l'écoute de leurs problèmes.

Votre opposition à l'écotaxe peut être qualifiée de frontale puisque vous en exigez le retrait définitif, dénonçant « l'obstination » des pouvoirs publics. S'active d'ailleurs à vos côtés le « Collectif Spinelli », une coordination plutôt informelle, dont vous voudrez bien nous indiquer les liens avec votre organisation. Les membres de l'OTRE ont en effet été à la pointe des manifestations de la fin de l'année dernière. Ils n'étaient sans doute pas seuls, mais les camions portaient souvent votre sigle sur les opérations de barrages routiers ! Nous souhaiterions donc que vous nous expliquiez plus en détail les raisons fondant votre refus.

Notre mission a bien conscience des difficultés rencontrées par de nombreuses entreprises de votre secteur. Parmi vos revendications, on relève une détermination à combattre le dumping social que vous subissez de la part de certains pays concurrents. De même, vous exigez une lutte plus affirmée contre le travail illégal qui affecte votre secteur et met véritablement en péril de petites entreprises de transport, les plus fragiles face à cette concurrence déloyale. Ayant entendu ces revendications, le Gouvernement a renforcé les contrôles en ciblant plus particulièrement les transporteurs de certains pays. Il agit par ailleurs au niveau européen afin de clarifier de façon définitive les règles de détachement des salariés.

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Aline Mesples, présidente de l'OTRE

Présidente de l'OTRE, je suis à la tête d'une entreprise de transport localisée dans les Pyrénées atlantiques. Je suis accompagnée des deux secrétaires généraux de notre organisation, M. Gilles Mathelie-Guinlet et M. Jean-Marc Rivera. J'ai aussi souhaité que notre délégation comprenne des représentants de l'entreprise bretonne Guisnel, qui a participé à la marche à blanc de l'écotaxe avec Ecomouv' : Mme Béatrice Montay, directrice générale de Guisnel distribution SAS, témoignera ainsi de la dimension technique de cette expérience, et M. Yann Guisnel, président directeur général de Guisnel distribution SAS, apportera le témoignage d'un professionnel confronté à ce que devrait être la majoration qui est proposée en même temps que l'écotaxe.

Fondée en 2000, l'OTRE est une fédération patronale représentative de PME à capitaux familiaux, ayant souhaité, dès sa création, s'inscrire dans une dimension européenne, afin de répondre à la réalité du marché du transport routier français de marchandises, compte tenu de la situation de transit de notre pays et de ses conséquences.

Concernant l'écotaxe, l'OTRE a toujours eu une démarche constructive à l'égard des projets de taxation visant au financement des infrastructures routières, à la condition que cette taxation soit à iso-fiscalité pour les entreprises de transport routier de marchandises françaises et qu'elle permette de réduire le différentiel de compétitivité entre les entreprises françaises et européennes. Tout au long des travaux, nous avons alerté les pouvoirs publics sur les déviances des choix qui se formalisaient avec, d'un côté, une taxation dont la collecte serait sous-traitée à une société privée et des prestataires mandatés et, de l'autre, le principe d'une taxe dont le redevable est le transporteur, ce dernier étant autorisé à la répercuter. Les promoteurs de l'idée de répercussion de la taxe ont ainsi laissé croire à la profession qu'elle n'était qu'un simple collecteur et qu'elle pouvait être assurée de la neutralité financière de la mesure. Or, les travaux de la mission Abraham sur le premier modèle de répercussion, de même que les contours de la majoration actuelle, démontrent que cela ne sera pas le cas et que l'on a donc menti aux transporteurs. Dès lors qu'il est apparu que l'« écotaxe Ecomouv' » ne répondait pas au postulat de départ sur lequel les pouvoirs publics et la profession s'étaient engagés, l'OTRE s'y est clairement opposée.

À ce jour, nous avons établi trois types de constat : un premier de portée technique, un second de nature juridique et un troisième d'ordre commercial.

S'agissant tout d'abord du constat technique, les nombreux dysfonctionnements rencontrés dans le traitement administratif des dossiers d'enregistrement sont massivement à l'origine des reports successifs de l'entrée en application de l'écotaxe poids lourds, initialement fixée au 20 juillet 2013. Aucune preuve du bon fonctionnement des équipements embarqués ni du système de facturation n'a été établie à ce jour et il est impossible de savoir si les boîtiers sont certifiés et homologués par un organisme de métrologie, l'État affirmant que ce ne sont pas des instruments de mesure. Pourtant, c'est bien à partir du décompte de kilomètres parcourus enregistrés et relayés par ce boîtier que la taxe est calculée. De plus, on relève une grande opacité quant aux tests menés. Les différentes phases à blanc qui ont été instituées n'ont apporté aucun élément de réponse probant à cette question. Mme Béatrice Montay vous présentera un compte-rendu de la phase à blanc à laquelle a participé l'entreprise Guisnel.

Sur le plan juridique, l'OTRE estime que les deux grands principes d'égalité de traitement devant l'impôt et de non-discrimination n'ont pas été respectés. Qui plus est, compte tenu du refus de l'État et du ministère des finances de nous fournir une copie du contrat de partenariat public-privé entre l'État et Ecomouv', la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) a été saisie : celle-ci a rendu un avis favorable à la remise du contrat à l'OTRE sous couvert du respect du secret de certaines dispositions comptables, financières et techniques.

Sur le plan commercial, enfin, le fait d'annoncer à de multiples reprises une date précise d'entrée en application de la loi a conduit les chargeurs à geler les négociations commerciales si bien que de nombreuses entreprises de transport n'ont pas pu revaloriser leurs prix depuis 2011. De plus, la loi sur la majoration du prix de transport en compensation de la taxe versée par les transporteurs a incité de nombreux chargeurs à revoir les contrats de transport qu'ils avaient conclus avec leurs transporteurs ou leurs sous-traitants, soit en diminuant directement le prix de transport, soit en rompant ces contrats et en lançant de nouveaux appels d'offre dans le but d'en revoir les conditions tarifaires à la baisse et ainsi de contourner ladite loi. Nous tenons à votre disposition des preuves de ces affirmations et M. Yann Guisnel exprimera tout à l'heure ses réserves à l'égard de la majoration et de ses conséquences sur notre activité.

Dénoncés par l'OTRE, ces trois constats cumulés fondent notre refus de voir l'écotaxe Ecomouv' être instituée ainsi que notre demande d'annulation pure et simple de celle-ci en l'état.

Dès la première audience de la mission est réapparue l'opposition entre le principe de l'utilisateur-payeur et celui du pollueur-payeur, et, en filigrane, la question des moyens de financement des infrastructures. Car que veut-on taxer aujourd'hui ? Le poids lourds en circulation ou bien la marchandise qui circule par la route ? Et comment assurer le financement des infrastructures routières ? Nous souhaiterions par conséquent vous proposer plusieurs pistes de réflexion.

Première solution proposée, la taxation de la circulation des marchandises sur la route selon le principe pollueur-payeur. C'est alors le décideur du mode de transport utilisé pour véhiculer sa marchandise qui doit être taxé : toutes les marchandises circulant sur le territoire national sont taxées, quel que soit le véhicule qui les transporte – poids lourd ou utilitaire –, son tonnage et son immatriculation. Le système est universel et taxe à la source la circulation des marchandises sans avoir d'impact sur les entreprises de transport routier qui ne sont que des prestataires. Ce principe simplifie la chaîne de taxation envisagée actuellement, fondée sur la perception puis la répercussion par le transporteur. Pour ce faire, le principe d'une éco-redevance ou d'une ligne de taxation forfaitaire en bas de facture sur le modèle de la TVA pourrait être envisagé.

À cette idée peut être opposé le fait que les camions étrangers ne seraient alors pas taxés. La réponse envisageable est double : en cas de transport bilatéral, le contrat de transport étant français, le donneur d'ordre français doit faire appliquer la taxe même s'il fait transporter sa marchandise par un étranger ; en cas de transit international, on peut appliquer, selon le même principe que la vignette belge, un droit d'usage routier qui serait majoré du delta de taxation de la circulation de la marchandise sur le territoire national. Le dispositif serait déclaratif, soit via internet, soit grâce à des bornes installées aux frontières. Notez qu'en Allemagne, un projet de taxation, via une vignette, des véhicules utilitaires étrangers de moins de 12 tonnes serait inscrit au programme de la coalition du nouveau gouvernement Merkel. S'agissant par ailleurs du transport pour compte propre, cette taxe s'appliquerait à la marchandise livrée. Dans cette optique, il convient de ne pas oublier que les entreprises de transport routier pour compte d'autrui ou en compte propre continueraient de payer la taxe à l'essieu, respectant ainsi les dispositions de la directive Eurovignette relatives au financement des infrastructures.

Une deuxième solution réside dans la taxation de la circulation des poids lourds, qui correspond au principe de l'utilisateur-payeur posé par la directive Eurovignette II : le camion doit alors payer son utilisation des infrastructures routières. Ce principe était déjà posé dans la directive Eurovignette I qui définissait les taxes nationales affectées à ce financement et à cet entretien. Pour la France, il s'agissait de la taxe à l'essieu et de la vignette automobile. Selon la directive Eurovignette II, cette taxe de financement des infrastructures constitue une redevance, auquel cas – et c'est là une demande de plusieurs députés de la mission – ses recettes devraient être affectées en grande partie à la route et à son entretien. De plus, à la différence des autres États membres de l'Union européenne qui ont mis en place une redevance kilométrique, la France présente la particularité de détenir sur ses infrastructures des autoroutes payantes privées. Sur cet unique réseau autoroutier, le camion participe aussi à hauteur de 40 % du chiffre d'affaires cumulé des autoroutes concédées françaises – soit 8 milliards d'euros annuels. La taxe à l'essieu reste aujourd'hui en vigueur, même si l'État l'a diminuée à son seuil minimal européen. La taxe spéciale sur les véhicules routiers (TSVR) peut donc correspondre à la demande exprimée d'une redevance poids lourds. En assujettissant les poids lourds étrangers à la taxe à l'essieu, les finances de l'État peuvent récupérer très rapidement le même montant de recettes de taxe à l'essieu. Une telle option doit cependant se traduire non pas par un alourdissement de la fiscalité des entreprises françaises – qu'occasionnerait une augmentation de la taxe à l'essieu –, mais bien par l'élargissement de ce prélèvement aux véhicules étrangers utilisant le réseau non concédé.

La troisième piste envisagée concerne le financement des infrastructures – problème pointé par nombre de parlementaires au cours des débats introductifs de la mission parlementaire et de l'audition de M. Cuvillier, au même titre que le coût qu'engendrerait le renoncement au dispositif actuel. Comme cela a été rappelé précédemment, au-delà du simple financement du réseau routier non concédé, le transport routier participe à hauteur de 40 % du chiffre d'affaires global des autoroutes françaises, alors qu'il ne représente que 25 % de la circulation sur ce réseau. Cela représente un montant de plus de 3 milliards d'euros auxquels il convient d'ajouter les recettes fiscales y afférant. Cependant, les premières concessions autoroutières vont prochainement arriver à échéance. Les principales sociétés d'autoroute ont proposé au Gouvernement une rallonge budgétaire – d'un montant total de 3,3 milliards d'euros – contre une extension de trois ans de ces concessions. Au vu des sommes en jeu et des bénéfices que rapporte chaque année la circulation autoroutière, l'OTRE propose que l'État récupère ses contrats de concessions en permettant uniquement à ces sociétés de gérer techniquement les péages, comme elle le fait actuellement pour l'écotaxe avec Ecomouv' – à la différence près que pour les autoroutes, la technologie est déjà en place et fonctionne correctement. Une telle solution permettrait à l'État de retrouver très rapidement une certaine aisance dans le financement des infrastructures.

En conclusion, l'OTRE réaffirme sa demande d'annulation du dispositif actuel d'écotaxe, concédé à la société Ecomouv'. Elle refuse un système qui laisse à croire que les entreprises de transport routier pourront facilement répercuter la charge de la taxe poids lourds sur leurs clients. Il s'agit là d'une fausse bonne solution qui, dès aujourd'hui, est totalement contre-productive pour l'activité des PME françaises. L'OTRE soumet donc à la mission d'information trois pistes de réflexion : l'imposition d'une taxation de la marchandise et de sa circulation routière directement sur le donneur d'ordre de transport, propriétaire de cette marchandise ; celle d'une taxation de la circulation des poids lourds, telle qu'envisagée par la directive Eurovignette, par le biais d'un élargissement de l'assiette de la taxe à l'essieu aux poids lourds étrangers ; enfin, la nationalisation des autoroutes concédées, qui permettrait d'assurer le financement des infrastructures grâce aux recettes de péage. Et les représentants de l'entreprise Guisnel sont là pour vous présenter la marche à blanc avec Ecomouv' et le point de vue d'un chef d'entreprise sur la majoration forfaitaire censée permettre la répercussion de l'écotaxe poids lourds.

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Je vous remercie d'avoir bien voulu nous expliquer les raisons vous ayant conduit à vous opposer à l'écotaxe et de nous avoir présenté différentes propositions – le rôle de notre mission d'information étant non seulement d'entendre les positions des organisations professionnelles sur l'écotaxe, mais aussi d'esquisser des pistes de réflexion compte tenu de l'importance des enjeux en cause.

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Yann Guisnel, président directeur général de Guisnel distribution SAS

Béatrice Montay, directrice générale de l'entreprise Guisnel, va vous présenter un bilan de la phase expérimentale que nous avons menée à bien depuis deux mois.

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Béatrice Montay, directrice générale de Guisnel distribution SAS

Je vais en effet vous présenter une synthèse très rapide de notre expérience, démontrant que la marche à blanc n'a pas réellement débuté et que le dispositif n'est pas au point tant du point de vue technique que de la facturation.

Début septembre 2013, après avoir échangé avec l'OTRE, notre entreprise décide de participer à la marche à blanc. Le 11 septembre, nous prenons rendez-vous avec la société habilitée à percevoir la taxe (SHT) Axxès, avec laquelle nous travaillons déjà pour la fourniture de badges autoroutiers. Nous parvenons très rapidement à un accord et le 14 septembre, les bons de commande sont signés. Les documents administratifs nécessaires – barrés rouges et cartes grises – sont alors transmis à Ecomouv. Le 25 septembre, soit dix jours plus tard, nous avons la grande joie de recevoir quatre boîtiers « marche à blanc », à destination de Guisnel distribution. Le 30 septembre, les boîtiers sont montés par nos ateliers et activés afin de pouvoir circuler sur le réseau autoroutier. Je précise que le montage, qui dure une heure environ, est à la charge du transporteur. Ayant contacté plusieurs ateliers et garages dans toute la France, nous avons constaté que selon les régions, le coût de ce montage représentait entre 72 et 120 euros par camion – soit un coût de plus de 80 000 euros pour notre entreprise, rien que pour brancher les boîtiers écotaxe, coût auquel s'ajoute celui de la location des boîtiers.

Le 1er octobre, nos quatre camions roulent avec leur boîtier activé et le 3 octobre, nous recevons des mandats assignés par la SHT. Très rapidement, dès le 17 octobre, je demande que l'on dispose d'un relevé de facturation : en effet, très motivée par la démarche, je souhaite vérifier si la géolocalisation est au point et si l'on peut en obtenir un relevé rapidement. La société Axxès nous indique alors que c'est impossible car elle n'est pas en possession, comme les autres SHT, des polygones de taxation. En d'autres termes, nous nous trouvons le 17 octobre dans l'impossibilité d'effectuer la moindre phase à blanc. Cela nous étonne tout de même dans la mesure où l'on nous certifie que plus de 400 camions ont effectué les tests sans problème. Le 23 octobre, on nous fait signer une charte de consentement au volontariat pour la marche à blanc : pourquoi ne l'avions-nous pas reçue dès le mois de septembre ? Le 30 octobre, nous apprenons le report sine die de la taxe alors qu'aucun relevé d'écotaxe ni de facturation n'a été produit. Et en novembre : plus de nouvelles.

Le 2 décembre, nous recevons un appel téléphonique de la SHT nous avertissant du démarrage de la phase à blanc, et le 4 décembre, une facture, alors que nous nous étions retirés de la démarche. Cette facture de la SHT reprend la facturation des badges autoroutiers, et comprend, en bas de page et en tout petits caractères, la mention « écotaxe : 197,50 euros hors taxe » sans aucun détail. Ce montant nous est dans le même temps recrédité sur une facture de service, sous le libellé de « frais soumis à TVA », mais pour un montant farfelu de 167,22 euros ne correspondant pour nous à aucune réalité. En outre, nous n'étions pas censés être facturés puisqu'il était prévu que nous disposions dans le cadre de la marche à blanc de relevés kilométriques sans aucune facturation. Le 6 décembre, nous recevons un mail d'Axxès nous informant que nos quatre véhicules déclarés auprès d'Ecomouv' ont été intégrés dans la phase à blanc – alors que la taxe a été reportée sine die le 30 octobre et que nos véhicules circulaient équipés depuis le 1er octobre ! On nous informe également de notre possibilité d'accéder au détail de la liquidation de la taxe par immatriculation via notre espace client Axxès, ce qui est en réalité impossible, comme le démontre un mail de cette société nous précisant que celle-ci n'a pas le droit de fournir d'informations sur le détail de la taxe et que seule Ecomouv' y est habilitée. Nous n'avons donc jamais obtenu le moindre détail. Le 13 décembre, nous adressons un courriel à Axxès demandant l'arrêt de la facturation et les informant que nous nous retirons de cette expérience. Le 16 décembre, nous recevons une deuxième facturation tout aussi incompréhensible.

Nouvelle bizarrerie, le 3 janvier 2014, nous recevons encore une facture, provisoire cette fois, de 2,46 euros. Deux boîtiers ont par ailleurs été activés pour Guisnel location, une autre société du groupe : dans ce cas également, on nous indique l'activation de l'un des badges le 3 janvier alors qu'il l'était en réalité déjà lui aussi depuis octobre 2013.

Par ailleurs, à cette date, nous n'avons plus accès à la partie géolocalisation du site puisque début janvier, nos accès internet ont été bloqués par Axxès, nous empêchant de contrôler la facturation. Cela étant, nous avons quand même essayé d'opérer un contrôle par nos propres moyens de géolocalisation : ayant repris les tournées de notre quatre camions sur la période du 16 au 30 novembre – période pour laquelle Axxès nous avait facturé ses boîtiers le 4 décembre –, nous avons constaté que ceux-ci avaient parcouru 14 149 kilomètres, dont 6 134 sur le réseau écotaxé, pour un montant estimé à 720 euros. Le logiciel que nous avons utilisé pour effectuer cette estimation est « Mapp and Guide » de PTV Loxane, c'est-à-dire, à notre connaissance, le logiciel le plus utilisé pour sa fiabilité et le premier à avoir intégré l'écotaxe, logiciel avec lequel nous travaillons par ailleurs depuis plus de dix ans. Alors qu'Axxès nous avait facturé un montant de 167, 22 euros sur la même période, il nous a été impossible d'effectuer la moindre analyse des écarts constatés. En effet, l'indication, fournie par Axxès, selon laquelle il nous serait possible d'obtenir le détail de cette facture auprès d'Ecomouv' via l'espace client Axxès, s'est révélée fausse : aucun détail n'a jamais été accessible sur le site. Notez que, dans le même mail, Axxès précise qu'elle n'est pas habilitée par le représentant de l'État à fournir le détail de facturation.

Compte tenu de notre expérience, force est de constater que ni la technologie ni la facturation écotaxe ne sont au point à ce jour. Je dois préciser, pour ne pas la pénaliser, qu'Axxès est une entreprise très sérieuse ayant joué le jeu avec conviction et implication dès le début de notre démarche pour la phase à blanc. Nous craignons simplement qu'elle n'ait fait que subir l'inexpérience d'Ecomouv'.

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Nous vous remercions pour ce bilan particulièrement précis. Ce n'est pas la première fois, il est vrai, que l'on attire notre attention sur certains dysfonctionnements.

D'après les informations qui nous ont été communiquées à ce jour, 190 000 camions seraient équipés d'un équipement électronique embarqué. Tous les véhicules de la société Guisnel le sont-ils ?

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Béatrice Montay, directrice générale de Guisnel distribution SAS

Non, ce n'est le cas que de sept camions.

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Aline Mesples, présidente de l'OTRE

Peu d'entreprises en ont équipé leurs camions, et la plupart de celles qui ont commandé des boîtiers les ont gardés emballés. Seules quelques-unes les ont fait installer en garage. Beaucoup d'entreprises n'ont donc pas dépassé la phase d'enregistrement. Car lorsque l'on a échoué jusqu'à quatre reprises à enregistrer une flotte de véhicules, on abandonne la partie. J'ajoute que nous avions positionné trente entreprises réparties de façon relativement équitable sur le territoire français lors de la phase à blanc, et que la seule entreprise ayant pu aller jusqu'au stade de réception et d'installation de badges puis d'obtention d'un retour de facturation est l'entreprise Guisnel. Toutes les autres entreprises ont vu la phase à blanc s'interrompre pour diverses raisons, liées à des problèmes d'enregistrement ou encore au fait que la SHT retenue n'avait pas donné suite à la phase de mise en marche du dispositif.

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Par son propos très intéressant, Mme Montay nous a fait la démonstration que l'écotaxe ne pouvait être mise en application pour des raisons techniques évidentes. De fait, même son expérimentation à une échelle très limitée n'a pas été performante. Je souhaiterais donc que nous en tirions deux leçons. D'une part, il est inutile d'avoir des débats de principe alors que nous ne sommes pas du tout au point techniquement. D'autre part, je souhaiterais que ces informations soient délivrées très explicitement au ministre qui nous a expliqué qu'il était prêt à réceptionner le système Ecomouv' en janvier de cette année et que par conséquent, la dette de l'État commençait à courir vis-à-vis de cette société. À l'évidence, le Gouvernement ne peut pas réceptionner Ecomouv' dans la mesure où le système de répercussion ne fonctionne pas, ce qui signifie que l'argument selon lequel nous sommes en train de perdre beaucoup d'argent n'est pas valable.

Je souhaiterais par ailleurs vous remercier pour votre rôle constant d'alerte des pouvoirs publics : si tous les transporteurs avaient été aussi clairs que vous, sans doute les choses auraient-elles été plus simples dès le départ. Je vous remercie également pour vos propositions : j'en ai retenu une qui mérite peut-être des précisions – l'idée de faire payer par les étrangers la taxe à l'essieu, taxe d'utilisation du domaine public français.

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Je vous remercie de l'extrême précision avec laquelle vous rapportez votre expérience de terrain. Il nous faudra donc demander des informations complémentaires au Gouvernement. En effet, ce qui était vrai en octobre dernier ne l'est peut-être plus forcément le 20 janvier, car peut-être a-t-on amélioré la maîtrise technique du dispositif. Toujours est-il que si ce dernier ne fonctionne pas, nous n'avons pas à payer de dédits. S'agissant de la situation d'octobre, il était bien connu que le dispositif avait des ratés et que les retards étaient dus à Ecomouv' et non pas au Gouvernement.

Si vous avez tout à fait le droit de vous opposer à l'écotaxe, sa remise en cause nous mettrait néanmoins dans une situation très complexe compte tenu de l'héritage du contrat Ecomouv', qui représente 800 millions d'euros de dédits, et du manque à gagner d'environ un milliard d'euros pour le financement des infrastructures, étant entendu que le but du jeu est de faire en sorte que l'État réalise des économies. Car il s'agit bien de faire en sorte de réduire les dépenses de l'État, en leur substituant une fiscalité sur les utilisateurs – c'est-à-dire des redevances. Une telle décision ne relève cependant pas de vous.

Vous proposez pour votre part trois pistes. Celle de la taxation de la marchandise a déjà été évoquée ici puisqu'elle correspond précisément au dispositif initialement proposé par Jean-Louis Borloo. Elle avait cependant été écartée au motif qu'il était infiniment plus compliqué de taxer les marchandises que de majorer les prestations de transport, dans la mesure où vos camions transportaient souvent plusieurs types de marchandises et que vous vous voyiez mal faire de la facturation tous les trois kilomètres, chaque fois que vous livriez un colis. Peut-on revenir à un tel système de facturation sachant qu'une partie de la profession a jugé cela absolument inenvisageable à l'époque ?

La taxation à l'essieu, elle, est européenne ; tous les poids lourds étrangers y sont donc assujettis, mais dans leur pays d'origine. C'est pourquoi je vois mal comment, par exemple, on pourrait recouvrer une taxation supplémentaire à l'essieu sur les Espagnols alors même qu'ils la paient déjà, et au moins au même taux que le nôtre. Et je vois mal comment ce serait physiquement possible puisque c'est sur le territoire national qu'il nous faut prélever l'impôt. S'agissant de la taxation belge que vous avez évoquée, je rappelle qu'une taxation n'est légale dans les États membres de l'Union européenne que si elle est équivalente pour les nationaux et les étrangers sans quoi l'on enfreint le principe de non-discrimination. Par conséquent, la taxation belge sur les poids lourds étrangers est également prélevée sur les Belges. De même, l'écotaxe aurait elle aussi été prélevée sur les Français comme sur les Espagnols. Vous noterez qu'aujourd'hui ces derniers ne paient rien puisqu'ils font le plein avant de passer la frontière pour ensuite se rendre dans la journée au Luxembourg. Il serait donc compliqué de les faire s'arrêter pour leur faire payer une taxe à l'essieu française.

En revanche, vous avez parfaitement raison en ce qui concerne la nationalisation des autoroutes concédées : nous sommes tous convaincus d'avoir échoué en les privatisant puisqu'elles rapportent énormément. La difficulté réside cependant dans le fait que lorsque l'on nationalise un bien, on doit l'acquérir à sa valeur, sans quoi l'on spolierait ses propriétaires. Or, pour disposer de l'argent public nécessaire au rachat d'autoroutes aujourd'hui fort chères, il nous faudrait prélever massivement des impôts – ce qui n'est guère à la mode. Et, de surcroît, cet investissement ne serait amorti que dans le temps. Les autres pays en difficulté budgétaire, tels que l'Espagne ou le Portugal, ont d'ailleurs plutôt tendance à vendre leur patrimoine public.

Quoi qu'il en soit, soutenez-vous l'idée que la taxation de la marchandise ne vous gênerait nullement ? Ce point vous sépare en effet d'autres transporteurs. Et nous nous étions nous-mêmes interrogés sur l'opportunité de taxer les chargeurs, ce qui impliquerait de pouvoir recouvrer cette taxe quelque part.

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J'ai beaucoup de plaisir à accueillir ce soir, dans le cadre de cette mission, une entreprise de ma circonscription. Pour se développer, l'entreprise Guisnel a su allier la tradition familiale à une très grande rigueur de gestion, mais elle a dû faire face à de nombreuses contraintes administratives qui ont malheureusement souvent freiné le développement auquel elle pouvait prétendre.

J'interrogeais ce matin le ministre du budget sur le coût de l'écotaxe pour les transporteurs. Or la réponse que j'ai obtenue ne me semble pas tout à fait correspondre à ce que vous nous avez démontré ce soir : le ministre a en effet indiqué que le coût pour les transporteurs avait été extrêmement faible. Pourriez-vous nous indiquer ce qu'il représente pour une entreprise comme la vôtre ? En outre, que pensez-vous de la possibilité qui vous est offerte de refacturer l'écotaxe au client ? Un tel système est-il simple à instituer ? Enfin, puisqu'il s'agit d'allier une fiscalité écologique à un besoin financier, que pensez-vous de l'éventualité d'une faible augmentation de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques ? Voilà qui aurait pu compenser le manque à gagner de l'écotaxe.

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Je vous remercie, madame la présidente, d'avoir dressé un triple constat technique, juridique et commercial, et d'avoir formulé plusieurs propositions. Compte tenu des observations qui viennent de nous être livrées, il semble que l'on ne puisse pas demander à un poids lourd étranger d'acquitter la taxe à l'essieu sur notre territoire national. Il convient cependant de réfléchir à une solution.

Je viens de l'est de la France, région traversée par l'autoroute A35-A36-A39 qui, selon les dernières estimations, est fréquentée à plus de 52 % par des poids lourds étrangers, d'origine polonaise notamment. Ces poids lourds sont exonérés de la taxe à l'essieu, ce qui induit une forme de concurrence déloyale et de distorsion commerciale. C'est pourquoi votre proposition d'extension de la taxe aux poids lourds étrangers me paraît digne de réflexion, quelle que soit la valeur juridique des observations précitées.

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Vous représentez une organisation de transport routier européen. Vos véhicules circulent donc certainement en Allemagne : comment les choses se passent-t-elles dans ce pays ? Êtes-vous satisfaits du mécanisme de recouvrement qui y est en vigueur ? Les boîtiers utilisés en Allemagne seraient-ils éventuellement compatibles avec la mise en application de l'écotaxe en France ou sera-t-il au contraire nécessaire d'installer un deuxième boîtier sur les réseaux français ?

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La création d'un fonds d'aide à la modernisation de la flotte vous paraît-elle une idée intéressante à examiner dans le cadre de cette mission ? Je souhaiterais également vous interroger sur les actions de formation des chauffeurs qu'il conviendra de mener et qui auront, elles aussi, un coût.

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Je reprends à mon compte les interrogations de Gilles Lurton, que je complèterai par la question suivante : la société Guisnel est-elle en mesure d'évaluer les transferts susceptibles d'intervenir en cas d'application de l'écotaxe aux seuls véhicules de plus de 3,5 tonnes ? Avez-vous déjà effectué, dans votre région, une évaluation approximative du tonnage des marchandises qui pourraient être transférées chez des sociétés concurrentes utilisant des véhicules de moins de 3,5 tonnes ?

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C'est une vraie question. Malheureusement, aucune étude d'impact ne semble avoir été sérieusement conduite.

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Aline Mesples, présidente de l'OTRE

Je formulerai des réponses aux questions généralistes et laisserai M. Guisnel et sa directrice vous apporter des réponses plus précises, s'agissant notamment des modalités d'application de la majoration et de ses effets sur une société de transport située en Bretagne, ainsi que des coûts induits par l'écotaxe pour les entreprises.

S'agissant de nos propositions, si nous avons évoqué la taxation de la marchandise, c'est parce qu'il est possible de la répercuter non seulement sur notre premier client, mais sur toute la chaîne de consommation. S'il n'y a pas eu de fronde contre les éco redevances et écotaxes qui ont été appliquées à l'électroménager et au mobilier, c'est parce qu'il est possible de les répercuter, du producteur au consommateur. Dès lors, elles ne pèsent pas sur une seule branche d'activité. À l'inverse, si l'écotaxe poids lourds pose problème aujourd'hui, c'est que les 1,25 milliard d'euros escomptés seront essentiellement prélevés sur une seule et même branche d'activité – le transport routier de marchandises, en compte public comme en compte propre.

Je complèterai les chiffres que vous avez cités tout à l'heure en vous fournissant ceux de la profession : l'écotaxe poids lourds représente a minima 5,5 % de notre chiffre d'affaires pour des entreprises dont les marges s'élèvent en moyenne à 1,04 %. D'où l'importance de ce dossier pour notre secteur et la véhémence des propos tenus par certaines entreprises. Notre secteur souffre réellement et ne peut supporter un tel impact financier.

Quant à l'effet de report de fret du poids lourd vers le véhicule léger, il s'agit là d'une des conséquences, déjà en marche, de l'écotaxe. Nous avons d'ailleurs alerté à maintes reprises les ministères concernés de la situation du véhicule léger en France : à l'heure actuelle, dans toutes les villes françaises et dans toutes les régions, même les plus reculées, on trouve des véhicules légers étrangers, essentiellement polonais et roumains, qui font du fret. Pour l'anecdote, nous avons observé en venant ici qu'un véhicule léger polonais était en train de livrer l'Assemblée nationale. Il s'agit donc là d'un vrai problème. Les grands opérateurs de transport qui arguent des nécessités de l'international pour venir travailler sur le territoire national à bas coût ont déjà instauré un système et une organisation permettant le report du fret poids lourds sur le fret moins de 3,5 tonnes. M. Guisnel dispose d'ailleurs sur ce sujet d'un dossier étayé dont il pourra vous parler.

Quoi qu'il en soit, si l'utilisation du poids lourd est pertinente, c'est que ce véhicule permet de regrouper les marchandises, de même qu'un bus transporte de nombreux passagers. Les petits véhicules servent, eux, à faire de la ramasse au niveau local, que l'on charge ensuite dans un poids lourd. Il est vrai que ces derniers engendrent de la pollution. Mais lorsqu'au lieu d'un seul véhicule transportant ses vingt tonnes, vingt véhicules légers transportent chacun une tonne – ce qui, soit dit en passant, signifie qu'ils sont en surcharge – dans des conditions sociales et fiscales tout à fait illégales, le coût environnemental, social et fiscal pour notre pays est effroyable.

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Yann Guisnel, président directeur général de Guisnel distribution SAS

Je rappellerai tout d'abord que nous sommes une entreprise à 100 % familiale, existant depuis cinquante-sept ans. Nous avons deux activités. La plus connue est celle de transport de mobilier : elle nous permet de réaliser 40 millions d'euros de chiffre d'affaires. La seconde consiste en la location de véhicules dédiés au bâtiment, pour un chiffre d'affaires d'un peu plus de 20 millions d'euros. Nous possédons 800 véhicules moteurs et employons 750 personnes. L'activité meuble est celle qui souffre le plus depuis quelques années, notamment du fait du report de marchandises sur les 3,5 tonnes, qui nous a conduit à baisser nos effectifs de 285 personnes depuis quatre ans. On peut considérer que cette baisse d'effectifs est due à 80 % à un problème de concurrence déloyale. Notre chiffre d'affaires, qui était de 60 millions d'euros il y a cinq ans dans cette activité, est réalisé pour près de 30 % à l'export – Angleterre, Allemagne, Belgique, Suisse, pays nordiques, Espagne.

L'Allemagne a instauré un système de taxation au kilomètre, qui s'applique de deux manières. La première est fondée sur l'installation de GPS dénommés « OBU » au dessus des camions, permettant, dès lors que les véhicules passent la frontière et utilisent des tronçons assujettis à cette taxe, d'établir un calcul des kilomètres parcourus jusqu'à la sortie du pays. Les transporteurs sont alors facturés au mois. Ayant vérifié ces calculs de façon précise et pragmatique, nous avons constaté qu'ils étaient tout à fait exacts. La seconde façon est la suivante : si vous vous rendez vous-mêmes en camion à la frontière, vous serez obligés de vous arrêter et de déclarer, muni de votre carte grise, le nombre d'essieux de votre véhicule et le voyage que vous devez effectuer. Vous serez alors enregistré si bien que lorsque vous quitterez à nouveau le territoire allemand, et ce quel que soit le poste frontière, on vous fera payer sur place, avant de sortir, la taxe correspondant aux kilomètres taxables parcourus. On retrouve d'ailleurs un système assez comparable en Suisse. Il faut savoir qu'au départ, le coût que nous faisions supporter à nos clients en pied de facture sur l'Allemagne, la Suisse et l'Autriche était de 5 à 7 %. Or il s'élève aujourd'hui à 11 %. Car malheureusement, tous les un ou deux ans, l'Allemagne intègre des routes supplémentaires au dispositif.

Comme l'a dit Mme Mesples, le coût de l'écotaxe représenterait 5 à 7 % de notre chiffre d'affaires. Et je vous confirme que nous sommes très satisfaits lorsque, les bonnes années, nous faisons 1,5 % de marges. C'est d'autant plus rageant que nous avons une belle entreprise – nous avons obtenu deux fois le prix de la sécurité en France – et que nous consacrons un peu plus de 4 % de notre masse salariale à la formation.

Nous sommes confrontés à deux problèmes. Le premier réside dans la concurrence déloyale due à l'utilisation des véhicules de 3,5 tonnes provenant pour la moitié de l'étranger. Si vous observez de près les choses dans les semaines et les mois qui viennent, vous verrez qu'il y a un nombre impressionnant de véhicules de 3,5 tonnes sur les autoroutes et les aires de repos ou les parkings. Ces transporteurs ont mis en place une organisation extrêmement performante leur permettant de se ruer sur les petits lots lors des bourses de fret. Ils organisent ainsi depuis la Pologne ou d'autres pays la « ramasse » de ces produits pour les livrer dans des délais performants. L'on sait en revanche que ces véhicules sont en permanence en surcharge, car ils ne peuvent supporter au mieux que 700 à 800 kilos.

Cela dit, l'autre moitié de ces transporteurs est franco-française – ce qui est peut-être plus grave. Si l'État faisait son travail de contrôle des véhicules, et si vous obteniez de Bruxelles que les 3,5 tonnes entrent dans les quotas fixés aux directions générales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) pour les contrôles de véhicules, il y aurait beaucoup moins de concurrence déloyale.

Ce point capital a également d'autres conséquences – et pas uniquement pour l'entreprise Guisnel. Il est clair que le transport industriel et de lots complets est désormais assuré par les transporteurs étrangers. Il n'est guère compliqué de répercuter en pied de facture sur un client une majoration pour le transport d'un lot complet entre Lille et Marseille. En revanche, à l'instar de nombreux transporteurs français, nous transportons des demi-lots et mettons en général dans nos camions de transport mobilier des meubles neufs à destination d'une cinquantaine de clients. Nous remplissons ainsi nos camions pour la semaine. Nous n'avons donc d'autre choix que de répercuter la taxation individuellement en pied de facture. Pour cette raison, nos clients ont déjà contourné le problème : de nombreux chargeurs contraignent les transporteurs – de façon autoritaire, en les menaçant de passer des appels d'offre en cas de refus – à baisser leurs tarifs de 5 %.

Et il vient aujourd'hui de se créer un nouveau métier : celui d'affréteur. Les affréteurs sont des Français appartenant au monde du transport, souvent à de grands groupes – raison susceptible d'expliquer pourquoi certains groupes relevant d'autres syndicats de transporteurs ne protestent pas dans ce dossier. Ces gens appellent tous les chargeurs pour leur proposer de baisser leurs coûts de transport de 20 % du jour au lendemain. Quel chargeur ne serait pas intéressé par une économie aussi substantielle ? Ces commerciaux, qu'ils soient français ou pas, parviennent à faire baisser les prix en recourant à des véhicules de 3,5 tonnes et en faisant venir des transporteurs étrangers. Ils s'arrangent alors pour que ces derniers chargent du fret au départ du pays étranger ou leur demandent de se rendre jusqu'à la frontière allemande. Ils leur confient un transport d'encadrement au départ de l'est de la France vers toutes nos régions, leur assurant des rechargements de produits français, y compris à destination française. Il est en effet impossible de vérifier que les règles de cabotage sont bien respectées. La situation est donc dramatique !

Monsieur Lurton, vous qui êtes de Saint-Malo, sachez que les ferries qui arrivent dans l'ouest de la France sont pleins à craquer de transporteurs étrangers qui ne peuvent charger en Angleterre, si bien que nous n'avons même pas de place en fin de semaine, lorsque nos camions arrivent. Ces transporteurs viennent inonder l'ouest de la France pour prendre des produits à vil prix puisque de toute façon, il leur faut rentrer. Quant aux transporteurs français qui transportent des demi-lots, ils avaient l'habitude de prendre de petits lots pour « payer le gasoil » : or, aujourd'hui ces petits lots ont disparu de la circulation, happés de façon extraordinaire par les transporteurs étrangers.

Je conçois que vous soyez soumis à des contraintes budgétaires, mais je vous conseille d'attendre avant de prendre des mesures et de réagir à la multiplication des 3,5 tonnes. Interdire l'accès aux villes aux véhicules de plus de 3,5 tonnes aura un l'effet inverse au but recherché et l'on sera inondé de 3,5 tonnes, comme en Asie. Et je ne vous parle pas des conséquences dramatiques sur le plan social !

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Aline Mesples, présidente de l'OTRE

Il me paraissait important que Yann Guisnel s'exprime car, bien que je sois moi-même transporteur, ma fonction de présidente ne donne pas la même force à mon témoignage. Je le remercie donc d'avoir parlé comme il l'a fait. Sans doute conviendra-t-il que Béatrice Montay revienne sur les coûts induits par l'écotaxe, que ce soit en termes d'équipement, de formation du personnel ou de mise à jour de nos logiciels.

Nous voulons vous convaincre que le système retenu est très complexe et qu'il n'a de surcroît pas fait la preuve de son opérabilité. Les Allemands ont certes mis du temps à mettre le leur en place, mais il était beaucoup plus simple. Le système français est en outre fort coûteux puisque les 250 millions d'euros que rapporte la taxe à l'essieu payée par les poids lourds français correspondent à ce que touchera Ecomouv' pour la perception de l'écotaxe. Cela nous paraît d'autant plus insupportable que nos entreprises ont du mal à faire chaque année quelques centaines de milliers d'euros de bénéfice !

Je souhaiterais également revenir sur notre proposition de taxation de la marchandise, qui aurait pour avantage d'avoir une incidence sur le choix du mode de transport et de mettre un terme à certaines pratiques. Aujourd'hui, lorsque vous faites un achat sur internet, les frais de transport vous sont offerts neuf fois sur dix pour la simple raison que l'on a tellement baissé les coûts de transport que l'on est parvenu à les annihiler. Si l'on taxe la marchandise, le consommateur comprendra qu'il doit lui aussi payer pour que cette marchandise transite par la route. Un tel dispositif ne me paraît pas plus complexe à instituer que la taxe applicable aux lave-linge, aux lave-vaisselle, aux grille-pain ou aux sèche-cheveux. Nous représentons pour notre part des métiers transportant des lots complets, des demi-lots et du vrac. Il ne me paraît donc pas plus complexe de facturer individuellement chaque élément transporté. Simplement, il nous faudra trouver le système de facturation adéquat et faire en sorte que celle-ci puisse être répercutée du producteur sur le consommateur.

Le principal danger que nous fait courir l'écotaxe telle que prévue actuellement, c'est de décourager la production en France. Un morceau de bois qui sera transporté des Landes vers une usine de production située à 300 ou 400 kilomètres sera d'abord taxé à l'état brut. Puis, si l'usine ne produit que des planches, celles-ci seront taxées à leur tour lorsqu'elles iront dans un atelier de menuiserie pour être transformées en un meuble qui sera, lui aussi, taxé lors de son transport alors qu'un meuble arrivant de Chine au Havre ou dans un port belge ne sera taxé qu'une seule fois. Tout le problème est là. En revanche, le système de taxation de la marchandise, dans lequel le prélèvement opéré peut être répercuté du producteur ou du chargeur au consommateur final, présente le double avantage d'être simple et de ne pas défavoriser la production française. Le témoignage dont M. Guisnel vient de vous faire part vous aura permis de comprendre aussi que le transport routier français travaille essentiellement pour des clients français, sur le territoire français et sur des distances de moins de 150 kilomètres : 87 % du trafic assumé par les entreprises françaises constitue du trafic intérieur et 79 % des opérations sont effectuées sur moins de 150 kilomètres.

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Gilles Mathelie-Guinlet, secrétaire général de l'OTRE

La taxation de la marchandise dont parle M. Savary reposait sur une répercussion au kilomètre et au gramme de marchandise, alors que nous défendons une taxation de la circulation de la marchandise sur le territoire national, ce qui est totalement différent et permet d'éviter toute complexité.

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L'exposé que viennent de nous faire les professionnels ici présents comprend de nombreux éléments qu'il conviendra de citer dans les conclusions du rapport de cette mission d'information.

Nous avons bien compris, tout d'abord, que l'expérimentation que vous aviez essayé de mener avait été courtelinesque. Si l'affaire n'était pas sérieuse, le récit chronologique que vous nous avons conté serait presque un sketch ! Il nous faudra donc obtenir de sérieux éclaircissements, car on ne peut prétendre que la situation nous coûte horriblement cher alors que le dispositif n'est pas opérationnel.

Ensuite, puisque selon M. Guisnel, le système allemand fonctionne plutôt bien, en toute clarté et en toute simplicité, pourquoi ne pas le copier plutôt que de nous retrouver avec une usine à gaz ?

Notre travail devra également intégrer les propos qui viennent d'être tenus par les professionnels en matière de concurrence déloyale, et en particulier leur constat d'une dégradation des conditions sociales, fiscales et environnementales de concurrence, due tant aux groupes nationaux qu'aux étrangers.

Enfin, il nous faudra déterminer comment faire peser cette taxe – nécessaire au financement de nos infrastructures et au report modal – sur la distribution davantage que sur la production. Les professionnels pourraient-ils nous fournir leur point de vue sur ce point ?

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Cette audition nous permet de mesurer très concrètement, et sur le fondement d'arguments irréfutables, l'extrême difficulté dans laquelle se trouve le pavillon français de transport. On comprend ainsi le trouble qui a pu survenir lorsque l'on a instauré l'écotaxe sans en avoir préalablement évalué l'impact.

Le ministre des transports s'attaque au problème des 3,5 tonnes à Bruxelles. Les petites camionnettes polonaises dont il est question font-elles au moins semblant de faire du transport international ou viennent-elles caboter chez nous avec des Polonais ou d'autres étrangers, bien que ce soit formellement interdit ? La question est beaucoup plus compliquée s'il s'agit de transport international, puisque l'on a le droit de partir de n'importe quel pays avec n'importe quel chauffeur de n'importe quelle nationalité pour se rendre à un autre endroit, en traversant plusieurs pays. En revanche, il est interdit aux étrangers de caboter, a fortiori avec des chauffeurs ne respectant pas les conditions sociales et fiscales françaises.

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Il nous faudrait approfondir notre analyse de l'exemple allemand qui semble fonctionner techniquement, mais ce système est-il compatible en France ?

S'agissant des moins de 3,5 tonnes, j'ai effectivement observé en Alsace la présence de convois de petits véhicules apparemment en surcharge. Il conviendrait donc de faire appliquer la loi, comme vient à juste titre de le souligner Gilles Savary. Cela dit, je serais pour ma part assez favorable à une harmonisation européenne en ce domaine et à une limite fixée à 12 tonnes, comme c'est le cas en Allemagne.

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Yann Guisnel, président directeur général de Guisnel distribution SAS

Le système de GPS installé sur les véhicules allemands est différent du système français. Les deux devraient pouvoir devenir compatibles, mais pas dans l'immédiat.

Le système allemand est certes simple, mais il a été institué il y a huit ans, à une époque où l'on n'était pas encore en crise. Il ne faudrait pas croire que les transporteurs soient farouchement opposés à l'écotaxe, mais plus de cinquante impôts supplémentaires ont été créés ces dernières années, ce qui est lourd à gérer. C'est cette situation qui nous a conduits à la petite rébellion que nous avons vécue il y a peu.

S'agissant du problème des 3,5 tonnes, je vais vous livrer des anecdotes récentes. En Suisse, nous avons dû payer une amende de plus de 600 euros parce que l'un de nos camions dépassait de 2 centimètres la limite fixée à 4,10 mètres dans ce pays. Nous avions en effet commis une erreur d'exploitation. En Belgique, l'un de mes clients joue depuis des années avec le 3,5 tonnes et livre lui-même ce pays avec ce type de véhicules. Or, la semaine précédant Noël, il a été contrôlé dans la région d'Anvers avec quelque 800 kilos de surcharge : cela lui a coûté plus de 1 000 euros et son véhicule a été bloqué. Il en a donc tiré la leçon et m'a confié ses livraisons sur la Belgique.

Je vais à présent vous donner quelques exemples, tout en précisant que je suis non seulement transporteur mais aussi éleveur et que je connais donc bien ce secteur.

Le poulet brésilien qui arrive à Brest n'est taxé qu'une fois – que l'on bénéficie ou pas d'une remise particulière en Bretagne, et qu'il soit transporté dans un camion français ou allemand. En revanche, son élevage, lui, n'aura pas été taxé. Par ailleurs, le taux de l'heure travaillée dans les abattoirs allemands est de 7 euros au mieux. Compte tenu du taux français, comment voulez-vous que les paysans et les transporteurs français s'en sortent ? Nous ne sommes pas plus bêtes que les autres ! Nous innovons ! Et s'il est vrai qu'il y a trente ans, le transport était une faillite sociale en France, c'est aujourd'hui un modèle en la matière. La preuve en est que lors des contrôles qui ont récemment été effectués dans la région de Mme la présidente, près de Bordeaux, on a constaté une hécatombe d'anomalies. Enfin, au Vivier-sur-Mer, capitale européenne de la moule sur bouchot, le kilo de moules élevées à moins de dix kilomètres coûte 3,95 euros, contre 1,95 euro pour les moules hollandaises, qui sont presque aussi bonnes. Est-il normal qu'une moule provenant d'en endroit situé à 800 kilomètres soit deux fois moins chère ?

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Jean-Marc Rivera, secrétaire général adjoint de l'OTRE

S'agissant de la présence de véhicules utilitaires étrangers sur le territoire national évoquée par Gilles Savary, nous sommes persuadés qu'il ne s'agit pas là d'un système de transit international et que c'est bel et bien du trafic intérieur. Et il n'est peut-être pas aussi clair que l'interdiction pour les véhicules de ce type d'effectuer du transport intérieur soit juridiquement fondée.

Par ailleurs, les chauffeurs de poids lourds de plus de 3,5 tonnes doivent posséder un permis de conduire plus difficile à obtenir, donc plus cher, et sont soumis à des obligations de formation.

Enfin, un véhicule utilitaire a effectivement un poids total autorisé en charge (PTAC) limité à 3,5 tonnes, mais son poids total roulant autorisé (PTRA) peut aller jusqu'à 7,5 tonnes s'il est attelé à une remorque, et il ne sera alors pas soumis à l'écotaxe.

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Aline Mesples, présidente de l'OTRE

La grande différence entre la France et l'Allemagne, c'est que cette dernière a « écotaxé » les routes correspondant à notre réseau autoroutier concédé. Si, en France, les transporteurs sont de plus en plus contraints d'utiliser le réseau autoroutier et donc d'assumer le coût des péages, l'argent qu'ils versent ne vient malheureusement pas abonder le budget de l'État ; il est empoché par des sociétés d'autoroute privées. Le transport routier de marchandises paie déjà pour circuler sur le réseau autoroutier et il lui est maintenant demandé de payer aussi sur les réseaux national et départemental. En d'autres termes, si les coûts kilométriques allemand et français sont presque identiques actuellement, la France est en train d'étendre la liste des routes sur lesquelles le transport routier de marchandises devra payer sa circulation, alors même que les Allemands n'ont installé de péages publics que sur le réseau autoroutier. L'enjeu commercial et l'acceptabilité du système pour le transport routier sont donc tout à fait différents en France et en Allemagne. Il est vrai, par ailleurs, que l'Allemagne a consacré des fonds de soutien à la modernisation de sa flotte lors de l'instauration de sa taxation, ce qui a permis aux transporteurs allemands d'investir dans des véhicules plus propres. En France, en revanche, l'investissement de 10 000 à 12 000 euros qui est nécessaire pour avoir un véhicule conforme à la norme Euro 6 ne peut même pas être compensé par la différence de taxation entre ce type de véhicule et ceux de type Euro 5.

Voilà pourquoi nous proposons de nationaliser les autoroutes. Sachant que l'on a perdu 40 milliards d'euros de recettes depuis leur privatisation, même si le transport routier paie un milliard d'euros par an, il lui faudra quarante ans pour combler le déficit ! L'idée sous-jacente à nos propositions est la suivante : le secteur du transport routier n'a pas les moyens d'apporter au budget de l'État le milliard qui lui est nécessaire. La concurrence déloyale qui sévit sur notre territoire permettra en effet aux chargeurs d'éviter de faire appel aux transporteurs français et de recourir aux véhicules légers ou de faire du cabotage illégal. En effet, l'écotaxe poids lourds ne représente rien dans la balance d'un transporteur étranger circulant avec du personnel rémunéré 400 à 500 euros par mois, et dont les coûts de personnel se situent au maximum à 1000 euros par mois. Par contre, les 5,5 % de taxation supplémentaire sont inacceptables pour un transporteur français dont les coûts de personnel se situent entre 3 000 et 3 500 euros par mois, charges comprises. C'est essentiellement le social qui fera toute la différence : un chargeur aura en effet tout intérêt à faire appel à des véhicules légers roulant sept jours sur sept à 120 kmheure sans compter les heures de route de leur chauffeur – dont les frais sont de surcroît remboursés a minima –, plutôt que de faire appel à des transporteurs poids lourds français.

Pour répondre au besoin de financement de nos infrastructures routières, nous proposons d'instituer une taxation qui puisse se diffuser sur plusieurs secteurs et qui ne repose pas sur le seul transport routier.

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Je vous remercie de votre exposé et de votre démarche très active dans ce dossier. Je m'inscrirai cependant en faux sur plusieurs points.

On ne peut avancer l'argument de la crise pour dire qu'il ne faut rien faire. La crise doit au contraire nous conduire à nous interroger et à prévoir des réponses appropriées. Il s'agit en l'occurrence de faire évoluer la situation du transport routier de marchandises de façon structurelle – ce que vous proposez d'ailleurs vous-mêmes. D'après mes calculs, l'instauration de l'écotaxe ne représenterait qu'un ou deux euros de plus dans le prix des meubles fabriqués en France, et ce dans le pire des cas – c'est-à-dire dans l'hypothèse où le bois nécessaire à leur élaboration transiterait par des axes écotaxés depuis son abattage jusqu'à sa finition et au transport final. La question n'est donc pas là. On le perçoit d'ailleurs clairement lorsque vous dénoncez la concurrence déloyale dans le secteur du transport routier.

Gilles Savary et moi-même avons introduit dans la loi du 28 mai 2013 un article 41 instituant l'objectif d'élaborer un schéma national de la logistique pour mettre enfin en cohérence l'aménagement du territoire et les politiques publiques de transport. Quelles seraient vos propositions pour réviser non seulement l'écotaxe poids lourds, mais l'ensemble de la problématique du transport routier de marchandises – secteur qui ne doit transporter que ce qui est nécessaire au développement équilibré de notre pays, selon les trois piliers du développement durable ? La Suisse, que vous avez citée, a quant à elle véritablement révisé son modèle de transport routier de marchandises afin de le rendre plus efficace : l'instauration d'une redevance à taux variable y a ainsi été l'occasion d'une réorganisation territoriale ; on a accompagné la transformation des flottes de poids lourds et l'augmentation du taux de charge a été acceptée. En effet, si le PTRA s'élevait à 28 tonnes au début des années 2000 en Suisse, il est aujourd'hui proche des 40 tonnes. J'estime que les opérateurs qui ne jouent pas le jeu doivent disparaître.

Enfin, chers collègues bretons, vous avez rappelé qu'en Allemagne l'écotaxe était appliquée sur les autoroutes gratuites, mais je ne crois pas qu'il y ait une seule autoroute payante en Bretagne !

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Aline Mesples, présidente de l'OTRE

Nous ne disons pas que notre refus de l'écotaxe poids lourds est lié à la crise. Simplement, celle-ci aurait sans doute été plus acceptable pour les chefs d'entreprise il y a cinq ou dix ans, lorsque nos activités se portaient mieux. Je suis en revanche d'accord avec vous pour dire que le problème du transport routier de marchandises français est d'ordre structurel. En effet, selon les statistiques, un tiers des dépôts de bilan est actuellement dû à la crise, et deux tiers s'expliquent par des raisons structurelles s'expliquant essentiellement par la concurrence déloyale. Cela fait des années que l'on nous propose d'avancer vers un nouveau modèle d'organisation des transports et de la logistique, mais dans la pratique, il n'y a pas moins de camions en France. Ou plutôt, il y a beaucoup moins de camions français, mais beaucoup plus de camions étrangers ! Le problème actuel, c'est que le transfert de fret s'effectue non pas du transport routier vers d'autres modes, mais du routier français vers le routier international – et plus particulièrement vers le routier low cost, qui intéresse les donneurs d'ordre. Nous ne pouvons que souscrire à ce projet de transformation de l'offre logistique et de transport, mais nous ne voulons plus être les dindons de la farce – cela fait vingt ans que nous le sommes ! On nous a demandé d'être les plus performants, nous disant que même si cela devait nous coûter plus cher, nous serions les meilleurs et que les Européens nous suivraient. Mais cela ne s'est pas passé comme ça ! Et les choses vont de mal en pis, car la concurrence espagnole et portugaise que l'on a connue à la fin des années 90 n'était rien comparée à la concurrence de un à dix que l'on connaît depuis l'ouverture du marché aux pays de l'Est : une concurrence fondée sur des comportements délinquants de fraude aux autoroutes et de vol de gasoil.

Nous avons tous trop perdu. Nos entreprises ont peu à peu quitté le transport international – qui ne représente plus que 10 % de notre activité – pour se concentrer sur le transport national, qu'elles l'ont ensuite quitté pour descendre sur le transport régional, voire départemental. Or, voilà que nous nous retrouvons désormais attaqués sur ce créneau-là aussi !

Enfin, vous nous avez objecté que le montant de l'écotaxe applicable au produit fini était infime : eh bien justement ! Pourquoi ne pas taxer le produit ? Cela aurait un impact beaucoup moins important, car beaucoup plus diffus – et donc beaucoup plus acceptable –, que si vous taxez le seul secteur du transport routier – qui lui, n'en a pas les moyens ? Si un ou deux euros ne représentent pas grand-chose dans le prix d'un produit, 5,5 % de son chiffre d'affaires représente pour le transport routier un montant considérable.

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Gilles Mathelie-Guinlet, secrétaire général de l'OTRE

Je veux réfuter l'argument de M. Savary selon lequel il serait impossible d'appliquer une taxe à l'essieu aux véhicules étrangers. De fait, si les Espagnols sont taxés chez eux sur leurs infrastructures, ils ne paient rien pour l'entretien des infrastructures routières lorsqu'ils viennent en France. Or, à l'inverse des transporteurs des pays anglo-saxons et du Benelux, les Espagnols et les Portugais empruntent plutôt nos routes gratuites, notamment les routes départementales qui longent le littoral aquitain, passant par des petits villages pour éviter l'A63. Quant aux Belges, ils paient effectivement une vignette, comme les transporteurs étrangers. Nous demandons donc, conformément à la directive Eurovignette 2, qu'il n'y ait plus en France de discrimination à l'égard des transporteurs français qui contribuent au financement des infrastructures en payant la taxe à l'essieu que ne paient pas les étrangers. J'ai entendu la responsable d'une autre fédération affirmer qu'un problème se posait en France dans la mesure où nous avions deux types de réseau. Je pense au contraire que l'on peut envisager de taxer la circulation des véhicules étrangers uniquement sur le réseau non concédé. Cela a existé à un moment donné pour la taxe à l'essieu : les entreprises françaises payaient une taxe différente selon l'infrastructure utilisée. Il nous paraît donc tout à fait envisageable de faire payer la circulation des poids lourds étrangers sur le réseau français dans le cadre de la directive Eurovignette 2.

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Vous soulevez là une question majeure à laquelle il nous faudra tenter d'apporter des réponses. Il nous a en effet été indiqué que l'on ne pouvait faire payer sur autoroute à un transporteur étranger à la fois un péage sur l'autoroute et un droit d'usage – c'est-à-dire une vignette. Nous avons donc prévu de nous rendre à Bruxelles pour compléter les informations et réflexions susceptibles de nous être communiquées par des organismes tels que le vôtre.

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Gilles Mathelie-Guinlet, secrétaire général de l'OTRE

Le troisième point de l'article 7 de la directive précitée dispose que pour une catégorie donnée de véhicules, les péages et droits d'usage ne sont pas perçus cumulativement pour l'utilisation d'un même tronçon de route. En d'autres termes, vous ne pouvez faire payer un droit d'usage sur un tronçon d'autoroute soumis à péage. Sauf qu'aujourd'hui, les entreprises françaises paient quand même ce droit d'usage sous la forme de la taxe à l'essieu. A contrario, cet article signifie bien que lorsqu'on se situe sur un tronçon du réseau susceptible d'être taxé, il n'y a pas de raison qu'un camion étranger ne paie pas ce droit d'usage. C'est du moins l'interprétation que nous faisons de ce texte.

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Je suggère que nous clarifions ce débat en écrivant à la Commission européenne. La taxe à l'essieu n'a jamais été conçue comme un droit d'usage car celui-ci doit être directement proportionnel au nombre de kilomètres parcourus. Tout camion français est assujetti à la taxe à l'essieu, quand bien même il ne se déplacerait pas. Le droit d'usage est à ma connaissance le seul moyen de faire payer les étrangers, sauf à nous exposer à des rétorsions terribles et à des pénalités – le ministre du Budget nous indiquait encore ce matin que nous payons actuellement trois milliards d'euros de pénalités à l'Union européenne. De plus, comment voulez-vous faire payer la taxe à l'essieu à un camion qui traverse trois pays différents dans la journée, alors qu'il la paie déjà chez lui ? C'est d'ailleurs pour limiter les distorsions entre les différents États membres que cette taxe a été encadrée par le droit européen, tout comme la TVA.

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Nous parlons de vignette, pas de taxe à l'essieu. C'est différent !

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Gilles Mathelie-Guinlet, secrétaire général de l'OTRE

L'article 7 de la directive dispose également que les États membres ont le droit de maintenir ou d'introduire des droits de péage ou d'usage. Cela ne veut pas dire a contrario, qu'ils ne soient pas autorisés à les supprimer. La taxe à l'essieu pourrait donc être supprimée si l'écotaxe entrait en application. De plus, les deux premiers articles de la directive définissent très précisément les taxes sur les véhicules pour l'utilisation de l'infrastructure ainsi que pour son entretien, voire son financement.

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La taxe à l'essieu n'est pas un droit d'usage.

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Aline Mesples, présidente de l'OTRE

J'ai connu une époque où nous déclarions le nombre de kilomètres parcourus sur autoroute pour les déduire ensuite du calcul de la taxe à l'essieu. Il s'agissait donc bien alors de nous faire payer l'usage du réseau non autoroutier.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie, Mesdames, Messieurs, pour cet échange de qualité.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'écotaxe poids lourds

Réunion du mercredi 15 janvier 2014 à 17 h 15

Présents. - M. Philippe Bies, M. Marcel Bonnot, M. Florent Boudié, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Richard Ferrand, M. Claude de Ganay, M. Jean Grellier, M. Guénhaël Huet, Mme Joëlle Huillier, M. François-Michel Lambert, M. Marc Le Fur, M. Gilles Lurton, M. Gilles Savary, M. Éric Straumann

Excusés. - M. Xavier Breton, M. Alain Claeys, M. Joël Giraud, Mme Viviane Le Dissez