Intervention de Jean-Louis Borloo

Réunion du 8 janvier 2014 à 11h00
Mission d'information sur l'écotaxe poids lourds

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Borloo, ancien ministre d'état, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire :

Je me félicite de la création de cette mission d'information dont l'objet est de trouver les voies et les moyens de sortir des difficultés actuelles. Le groupe UDI a d'ailleurs soutenu cette initiative.

Je vous le dis tout de go : ayant été, comme membre du gouvernement, partie prenante du Grenelle et ayant à ce même titre présenté les textes au Parlement votés très largement, je n'entends pas revenir sur le principe de la fiscalité écologique.

Le Parlement a été amplement solidaire du Grenelle de l'environnement dont la redevance poids lourds était un élément. Je veux rappeler la genèse de celle-ci. Cette idée de la redevance poids lourds est antérieure au Grenelle puisqu'elle remonte à 2003. Elle a ensuite été appuyée par nos collègues alsaciens qui s'inquiétaient de l'évolution chez nos voisins.

Cette redevance, loin de fragiliser une profession, a pour ambition d'encourager lentement le transfert modal, qu'il soit maritime, fluvial ou ferroviaire, et de favoriser le passage du tout véhicule aux transports doux dans les villes.

Le Grenelle de l'environnement reposait sur le principe suivant : dès lors que les cinq parties prenantes avaient trouvé un accord, le Gouvernement s'engageait à le soumettre au Parlement. La redevance poids lourds s'inscrit dans la problématique globale des transports et de la mobilité. L'objectif est de passer du tout routier, qui caractérise notre pays, à des modes de transport plus doux. Cela demande plusieurs décennies et la compréhension du modèle économique du transport routier et de la souplesse que ce dernier apporte.

Les organisations syndicales, y compris agricoles, les régions, y compris l'Aquitaine et la Bretagne, le Medef, les ONG, les organisations représentatives des salariés, le Parlement et l'État, tous se sont engagés en faveur d'une redevance poids lourds qui devait concourir au transfert modal tout en étant compatible avec la situation économique.

Cette redevance s'accompagnait d'un effort considérable en matière d'infrastructures : les autoroutes ferroviaires – avec une première expérimentation sur la ligne Perpignan-Bettembourg et la création d'une structure dédiée associant la SNCF, la Caisse des dépôts et consignations et un partenaire privé –, les autoroutes maritimes, le transport fluvial avec le canal Seine-Nord Europe et la régénération ferroviaire, indispensable compte tenu de l'état du réseau, à laquelle 9 milliards d'euros sur cinq ans ont été consacrés. Parallèlement, les opérations de lignes à grande vitesse (LGV) ont été lancées : les lignes Sud-Est, Le Mans-Rennes ou le TGV Est. Il faut savoir que les voies libérées par la création de lignes à grande vitesse sont réaffectées au transport de proximité ou au fret ferroviaire, permettant ainsi la réorganisation du réseau. La ligne Barcelone-Perpignan-Paris, récemment inaugurée, et le contournement de Montpellier-Nîmes pour éviter les camions allant de l'Espagne à l'Italie en sont des exemples. L'écotaxe s'inscrit dans cet ensemble de mesures.

Le principe de la redevance poids lourds a donc été acté. Restaient posées les questions sur l'équité territoriale, la technologie à mettre en place et les modalités pour y parvenir.

Sur le premier point, l'équilibre du territoire, le Parlement a considéré dès le départ que certains territoires ne devaient pas être soumis à l'écotaxe – ce fut le cas des DOM-TOM. Se posait également la question des territoires périphériques, notamment l'Aquitaine et la Bretagne, dans lesquels le trafic international est faible. Sur les 900 000 transporteurs répertoriés sur le territoire français, 200 000 sont des transporteurs étrangers.

Avec l'aide du Conseil d'État et au regard des règles européennes, a été envisagée la possibilité de faire de certains territoires des cas particuliers, non comme une faveur qui leur serait faite mais parce que leur situation périphérique le justifiait. Ainsi, le cas du Finistère a été, dès l'origine, pris en considération. Le principe d'une réduction du montant de l'écotaxe pour les régions périphériques a été admis. Cette réduction était de 25 % pour le Finistère ; elle a été portée ensuite à 40 % puis à 50 % pour être étendue à l'ensemble de la Bretagne. Il a également été décidé d'exclure la route nationale 164 et la collecte du lait, ainsi que d'autres mesures spécifiques.

Dès que le texte a été approuvé, largement et dans une certaine euphorie, par le Parlement, les investissements ferroviaires et fluviaux ont démarré. Mais nous savions que la mise en place de la redevance serait très compliquée comme le montre l'exemple de l'Allemagne : il a fallu cinq tentatives et aujourd'hui encore cette question y fait l'objet d'un contentieux de 3,5 milliards d'euros. Il y avait des choix technologiques à faire et une organisation à trouver pour garantir l'acceptation du projet.

Après le vote du texte, début 2009, deux décisions sont intervenues. La première a été de faire appel à la mission d'appui à la réalisation des contrats de partenariat public-privé (PPP), présidée par M. Noël de Saint-Pulgent. Celle-ci a rendu un avis le 12 février 1999 disant que « la pertinence juridique du recours au PPP est établie au titre de la complexité du projet particulièrement évidente dans le cas présent. Il est en effet impossible à l'État de déterminer seul et à l'avance le choix de l'option technologique optimale entre le système de positionnement par satellites GNSS et le système DSRC de communications à courte portée au sol. Le choix optimal pour l'État ne pourra être opéré qu'à l'issue du dialogue compétitif ».

Selon les autorités techniques et administratives qui conseillent alors le Gouvernement, le recours au PPP est donc justifié, non par des considérations financières, mais par la complexité du projet et le choix technologique à faire impliquant de multiples compétences. Dominique Bussereau a mené un travail rigoureux pour comprendre les différents systèmes. Il s'est rendu à plusieurs reprises en Allemagne à cette fin.

Seconde décision, un décret du Premier ministre établissant avec rigueur les responsabilités de chacun a été publié le 31 mars 2009. Son article 1er confie au ministre chargé des transports la charge de piloter la procédure préalable à la conclusion de tout contrat.

L'article 2 crée une commission consultative à laquelle le ministre chargé des transports soumet pour avis la sélection et le choix des candidats à la dévolution du contrat. Sa composition est précisée par l'article 3. Cette commission est présidée par un membre du Conseil d'État, désigné par le vice-président du Conseil d'État, ou son suppléant. Elle comprend, en outre, le directeur général des infrastructures, des transports et de la mer, le directeur général des douanes et droits indirects, le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, le directeur du budget et le président de la mission d'appui à la réalisation des contrats de partenariat, ou leur représentant. Elle peut recueillir l'avis d'experts astreints au secret professionnel. La commission, chargée de rendre des avis tout au long de la procédure, a donc été composée de personnalités indiscutables.

Depuis l'origine, la question de la périphéricité est posée. Elle a donné lieu, en février et mars 2010, à des débats avec les différents représentants de la région bretonne, qui ont abouti à proposer au Parlement d'étendre à l'ensemble de la Bretagne les mesures applicables au Finistère, d'exclure de l'assiette la nationale 164 et la collecte du lait, et d'autoriser les 44 tonnes. Je rappelle que la contrepartie de l'écotaxe poids lourds était la réduction à son plus bas niveau européen de la taxe à l'essieu.

La mise en place d'une fiscalité écologique et le transfert modal demanderont des décennies. Cette évolution indispensable doit faire l'objet d'un minimum d'assentiment.

Comment sortir de la situation actuelle ? C'est avec beaucoup de modestie et en tant que membre du Parlement, et non comme président de groupe, que je vais tenter de répondre à certaines questions.

La technologie peut-elle permettre d'exonérer les petites distances, de moins de cinquante kilomètres par exemple ? Je le dis avec prudence : apparemment oui, mais ce sujet mérite d'être expertisé.

Peut-on commencer par des expérimentations ? Apparemment oui.

Peut-on davantage tenir compte de la situation périphérique de certaines régions ? C'est possible. Cela ne constitue pas une concession à leur égard ; cela relève de la prise en considération d'une particularité.

On peut aussi envisager d'affecter une partie du produit de l'écotaxe à la modernisation de la flotte de camions, en dépit des contraintes budgétaires pesant sur le financement des infrastructures.

Enfin, l'évolution de la taille des poids lourds pourrait être étudiée avec les parties prenantes.

Le Grenelle était un accord social. Il en est résulté 260 propositions émanant de l'ensemble des parties, qui ont toutes été soumises au Parlement et validées à une écrasante majorité par ce dernier.

La fiscalité écologique est une mutation difficile mais indispensable. Il est vrai que les difficultés en Bretagne s'étaient manifestées au printemps 2010, mais elles se sont aggravées pour d'autres raisons que la seule écotaxe.

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