Mission d'information sur l'écotaxe poids lourds

Réunion du 8 janvier 2014 à 11h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • camion
  • grenelle
  • lourd
  • poids lourds
  • taxe
  • écologique
  • écotaxe

La réunion

Source

Mission d'information sur l'écotaxe poids lourds

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous recevons M. Jean-Louis Borloo qui, comme vous le savez tous, a été, de juin 2007 à novembre 2010, ministre d'État, en charge de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer ainsi que des technologies vertes et des négociations sur le climat.

Monsieur Borloo, notre mission a déjà auditionné M. Dominique Bussereau qui a été votre collègue au sein du gouvernement et travaillait d'ailleurs étroitement avec vous dans le domaine des transports.

Vous avez, au cours de cette période, défendu devant le Parlement de nombreux dispositifs et de grandes lois à vocation écologique, notamment les textes de mise en oeuvre des Grenelle I et II, dans le cadre d'un véritable marathon parlementaire. Nous sommes nombreux ici à nous en souvenir.

L'écotaxe a d'ailleurs été inscrite, dans son principe, à l'article 11 de la loi dite Grenelle I, en vertu duquel elle devait entrer en vigueur au cours de l'année 2011. Je rappelle que la loi Grenelle I a été adoptée, sinon à l'unanimité, à une écrasante majorité puisque les groupes UMP, SRC et Nouveau centre ont voté « pour ».

D'autres dispositions, notamment réglementaires, sont intervenues par la suite alors que vous aviez quitté le gouvernement.

En revanche, le recours à un partenariat public privé (PPP) pour la collecte de l'écotaxe a été décidé avant votre départ du gouvernement, même si le choix du consortium n'est intervenu qu'ultérieurement.

Toutefois, notre mission d'information n'est pas une commission d'enquête. Elle a avant tout pour objectif de trouver les voies et moyens d'une véritable refondation de l'écotaxe. Il nous revient de chercher à extirper le débat de la confusion dans laquelle il s'est malheureusement enlisé.

C'est donc dans cet état d'esprit que votre audition intervient. Je souhaite que vous nous donniez, si possible, certaines des pistes, voire des clés, qui permettraient de débloquer la situation.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je me félicite de la création de cette mission d'information dont l'objet est de trouver les voies et les moyens de sortir des difficultés actuelles. Le groupe UDI a d'ailleurs soutenu cette initiative.

Je vous le dis tout de go : ayant été, comme membre du gouvernement, partie prenante du Grenelle et ayant à ce même titre présenté les textes au Parlement votés très largement, je n'entends pas revenir sur le principe de la fiscalité écologique.

Le Parlement a été amplement solidaire du Grenelle de l'environnement dont la redevance poids lourds était un élément. Je veux rappeler la genèse de celle-ci. Cette idée de la redevance poids lourds est antérieure au Grenelle puisqu'elle remonte à 2003. Elle a ensuite été appuyée par nos collègues alsaciens qui s'inquiétaient de l'évolution chez nos voisins.

Cette redevance, loin de fragiliser une profession, a pour ambition d'encourager lentement le transfert modal, qu'il soit maritime, fluvial ou ferroviaire, et de favoriser le passage du tout véhicule aux transports doux dans les villes.

Le Grenelle de l'environnement reposait sur le principe suivant : dès lors que les cinq parties prenantes avaient trouvé un accord, le Gouvernement s'engageait à le soumettre au Parlement. La redevance poids lourds s'inscrit dans la problématique globale des transports et de la mobilité. L'objectif est de passer du tout routier, qui caractérise notre pays, à des modes de transport plus doux. Cela demande plusieurs décennies et la compréhension du modèle économique du transport routier et de la souplesse que ce dernier apporte.

Les organisations syndicales, y compris agricoles, les régions, y compris l'Aquitaine et la Bretagne, le Medef, les ONG, les organisations représentatives des salariés, le Parlement et l'État, tous se sont engagés en faveur d'une redevance poids lourds qui devait concourir au transfert modal tout en étant compatible avec la situation économique.

Cette redevance s'accompagnait d'un effort considérable en matière d'infrastructures : les autoroutes ferroviaires – avec une première expérimentation sur la ligne Perpignan-Bettembourg et la création d'une structure dédiée associant la SNCF, la Caisse des dépôts et consignations et un partenaire privé –, les autoroutes maritimes, le transport fluvial avec le canal Seine-Nord Europe et la régénération ferroviaire, indispensable compte tenu de l'état du réseau, à laquelle 9 milliards d'euros sur cinq ans ont été consacrés. Parallèlement, les opérations de lignes à grande vitesse (LGV) ont été lancées : les lignes Sud-Est, Le Mans-Rennes ou le TGV Est. Il faut savoir que les voies libérées par la création de lignes à grande vitesse sont réaffectées au transport de proximité ou au fret ferroviaire, permettant ainsi la réorganisation du réseau. La ligne Barcelone-Perpignan-Paris, récemment inaugurée, et le contournement de Montpellier-Nîmes pour éviter les camions allant de l'Espagne à l'Italie en sont des exemples. L'écotaxe s'inscrit dans cet ensemble de mesures.

Le principe de la redevance poids lourds a donc été acté. Restaient posées les questions sur l'équité territoriale, la technologie à mettre en place et les modalités pour y parvenir.

Sur le premier point, l'équilibre du territoire, le Parlement a considéré dès le départ que certains territoires ne devaient pas être soumis à l'écotaxe – ce fut le cas des DOM-TOM. Se posait également la question des territoires périphériques, notamment l'Aquitaine et la Bretagne, dans lesquels le trafic international est faible. Sur les 900 000 transporteurs répertoriés sur le territoire français, 200 000 sont des transporteurs étrangers.

Avec l'aide du Conseil d'État et au regard des règles européennes, a été envisagée la possibilité de faire de certains territoires des cas particuliers, non comme une faveur qui leur serait faite mais parce que leur situation périphérique le justifiait. Ainsi, le cas du Finistère a été, dès l'origine, pris en considération. Le principe d'une réduction du montant de l'écotaxe pour les régions périphériques a été admis. Cette réduction était de 25 % pour le Finistère ; elle a été portée ensuite à 40 % puis à 50 % pour être étendue à l'ensemble de la Bretagne. Il a également été décidé d'exclure la route nationale 164 et la collecte du lait, ainsi que d'autres mesures spécifiques.

Dès que le texte a été approuvé, largement et dans une certaine euphorie, par le Parlement, les investissements ferroviaires et fluviaux ont démarré. Mais nous savions que la mise en place de la redevance serait très compliquée comme le montre l'exemple de l'Allemagne : il a fallu cinq tentatives et aujourd'hui encore cette question y fait l'objet d'un contentieux de 3,5 milliards d'euros. Il y avait des choix technologiques à faire et une organisation à trouver pour garantir l'acceptation du projet.

Après le vote du texte, début 2009, deux décisions sont intervenues. La première a été de faire appel à la mission d'appui à la réalisation des contrats de partenariat public-privé (PPP), présidée par M. Noël de Saint-Pulgent. Celle-ci a rendu un avis le 12 février 1999 disant que « la pertinence juridique du recours au PPP est établie au titre de la complexité du projet particulièrement évidente dans le cas présent. Il est en effet impossible à l'État de déterminer seul et à l'avance le choix de l'option technologique optimale entre le système de positionnement par satellites GNSS et le système DSRC de communications à courte portée au sol. Le choix optimal pour l'État ne pourra être opéré qu'à l'issue du dialogue compétitif ».

Selon les autorités techniques et administratives qui conseillent alors le Gouvernement, le recours au PPP est donc justifié, non par des considérations financières, mais par la complexité du projet et le choix technologique à faire impliquant de multiples compétences. Dominique Bussereau a mené un travail rigoureux pour comprendre les différents systèmes. Il s'est rendu à plusieurs reprises en Allemagne à cette fin.

Seconde décision, un décret du Premier ministre établissant avec rigueur les responsabilités de chacun a été publié le 31 mars 2009. Son article 1er confie au ministre chargé des transports la charge de piloter la procédure préalable à la conclusion de tout contrat.

L'article 2 crée une commission consultative à laquelle le ministre chargé des transports soumet pour avis la sélection et le choix des candidats à la dévolution du contrat. Sa composition est précisée par l'article 3. Cette commission est présidée par un membre du Conseil d'État, désigné par le vice-président du Conseil d'État, ou son suppléant. Elle comprend, en outre, le directeur général des infrastructures, des transports et de la mer, le directeur général des douanes et droits indirects, le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, le directeur du budget et le président de la mission d'appui à la réalisation des contrats de partenariat, ou leur représentant. Elle peut recueillir l'avis d'experts astreints au secret professionnel. La commission, chargée de rendre des avis tout au long de la procédure, a donc été composée de personnalités indiscutables.

Depuis l'origine, la question de la périphéricité est posée. Elle a donné lieu, en février et mars 2010, à des débats avec les différents représentants de la région bretonne, qui ont abouti à proposer au Parlement d'étendre à l'ensemble de la Bretagne les mesures applicables au Finistère, d'exclure de l'assiette la nationale 164 et la collecte du lait, et d'autoriser les 44 tonnes. Je rappelle que la contrepartie de l'écotaxe poids lourds était la réduction à son plus bas niveau européen de la taxe à l'essieu.

La mise en place d'une fiscalité écologique et le transfert modal demanderont des décennies. Cette évolution indispensable doit faire l'objet d'un minimum d'assentiment.

Comment sortir de la situation actuelle ? C'est avec beaucoup de modestie et en tant que membre du Parlement, et non comme président de groupe, que je vais tenter de répondre à certaines questions.

La technologie peut-elle permettre d'exonérer les petites distances, de moins de cinquante kilomètres par exemple ? Je le dis avec prudence : apparemment oui, mais ce sujet mérite d'être expertisé.

Peut-on commencer par des expérimentations ? Apparemment oui.

Peut-on davantage tenir compte de la situation périphérique de certaines régions ? C'est possible. Cela ne constitue pas une concession à leur égard ; cela relève de la prise en considération d'une particularité.

On peut aussi envisager d'affecter une partie du produit de l'écotaxe à la modernisation de la flotte de camions, en dépit des contraintes budgétaires pesant sur le financement des infrastructures.

Enfin, l'évolution de la taille des poids lourds pourrait être étudiée avec les parties prenantes.

Le Grenelle était un accord social. Il en est résulté 260 propositions émanant de l'ensemble des parties, qui ont toutes été soumises au Parlement et validées à une écrasante majorité par ce dernier.

La fiscalité écologique est une mutation difficile mais indispensable. Il est vrai que les difficultés en Bretagne s'étaient manifestées au printemps 2010, mais elles se sont aggravées pour d'autres raisons que la seule écotaxe.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le financement des infrastructures repose depuis 2005 sur le principe de recettes affectées. L'écotaxe a été créée par le gouvernement auquel vous apparteniez pour pallier les conséquences de la regrettable privatisation des autoroutes. La suspension de l'écotaxe – un manque à gagner d'un milliard d'euros de recettes – pose donc problème pour le financement des infrastructures engagées ou à venir.

L'écotaxe a été conçue sur le fondement de la directive dite Eurovignette et sur le modèle de la LKW Maut. D'autres options fiscales ou techniques ont-elles été étudiées avant de faire ce choix ?

Un autre mode de perception, fondé sur une déclaration des chargeurs, pourrait être envisagé. L'information sur les émissions de CO2 des prestations de transport est obligatoire depuis le 1er octobre 2013. Dans quelques mois, la certification des calculateurs de ces émissions sera mise en place. Peut-on imaginer de demander aux chargeurs de déclarer les émissions de CO2 induites par leur cargaison et de payer l'écotaxe comme ils le font pour la TVA ? Ce système est-il suffisamment viable pour être retenu par le législateur demain ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L'écotaxe a été décidée dans le cadre du Grenelle de l'environnement, vous l'avez rappelé. Son principe semblait alors faire consensus. Mais, entre la décision politique et sa mise en application, le contexte économique a changé : les entreprises sont confrontées à des difficultés économiques ; elles sont assaillies de taxes en tout genre et doivent faire face à un système très concurrentiel, concurrence parfois illégale dans le cas des camions de moins de 3,5 tonnes qui circulent souvent en surcharge.

Quel est votre avis sur la suppression d'une autre taxe, par exemple la taxe à l'essieu que vous avez évoquée, en contrepartie de l'instauration de l'écotaxe ? Nous avons tendance à créer de nouvelles taxes sans nous interroger sur ce qui a été fait par le passé, ce qui contribue à exaspérer les citoyens et les chefs d'entreprise de ce pays.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez souligné que l'écotaxe s'inscrivait dans un plan d'ensemble visant à faire évoluer les modes de transport afin de diminuer la part du transport routier et de favoriser le transfert modal. Or, les chargeurs et les transporteurs nous le disent, les infrastructures nécessaires pour opérer ce transfert n'existent pas et n'existeront pas compte tenu de la nature de leur activité.

Monsieur Lurton a évoqué le contexte économique national et le contexte breton. Nous sommes confrontés à un dilemme : si l'écotaxe ne voit pas le jour, cela représente un manque à gagner pour les infrastructures. Mais si elle est appliquée, cela fragilise encore un peu plus l'activité économique. Avez-vous réfléchi à cette question lorsque des résistances à la mise en place de l'écotaxe se sont manifestées ? En Bretagne, des améliorations ont été apportées, mais elles sont aujourd'hui insuffisantes pour éteindre la revendication de suppression de la taxe.

Les transporteurs soulignent les possibilités d'amélioration de la flotte de camions. Ils demandent à l'État de soutenir un renouvellement du parc pour un transport plus propre. Qu'en pensez-vous ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je peine à comprendre pourquoi une distinction pourrait être opérée entre les régions au nom de la périphéricité mais ne pourrait pas l'être entre les pays européens. Je reprends la proposition que j'ai émise de distinguer la taxe à l'essieu, qui serait payée par les transporteurs nationaux, et l'écotaxe, qui serait payée par les transporteurs étrangers. Il me semble que cette idée mérite d'être creusée, y compris au plan européen. Les directives ne sont pas gravées dans le marbre.

J'entends mes collègues de l'UMP dire que l'écotaxe n'est plus possible aujourd'hui parce que les entreprises sont submergées de taxes nouvelles. Ce n'est pas vrai. Les entreprises de transport sont confrontées à deux problèmes : la taxe à l'essieu et les péages. Ces derniers ont connu une augmentation extraordinaire à la suite de la privatisation des autoroutes. Ne serait-il pas opportun de réfléchir à un retour en arrière sur cette question ?

S'agissant du transfert modal, l'expérience allemande, sur laquelle nous disposons du recul suffisant, montre que celui-ci est faible, voire, dans d'autres pays, inexistant. Cela me renforce dans l'idée que l'objectif premier de cette taxe doit être l'application du principe pollueur-payeur – celui qui abîme les routes doit payer. Le transfert modal est certes un objectif plus ambitieux, mais plus lointain aussi.

Enfin, l'idée d'une expérimentation en Alsace de l'écotaxe, à laquelle mon collègue Straumann et moi-même étions plutôt favorables, me paraît aujourd'hui illusoire et très risquée. La FNTR y est d'ailleurs totalement opposée.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L'intérêt de ces auditions est de prendre de la hauteur et d'échanger sur les perspectives en matière de développement durable.

Le Grenelle a été marqué par l'implication de tous et le consensus. L'unanimité était totale sur la taxe poids lourds qui est l'un des premiers instruments de l'économie verte. Les acteurs de la société civile et le Parlement y étaient favorables, y compris la Fédération nationale des transports routiers (FNTR) qui vient nous expliquer que l'accord négocié il y a quelques mois n'est plus valable aujourd'hui.

Nous connaissons les menaces, qui ne sont d'ailleurs pas contestées – le réchauffement climatique et la disparition de la biodiversité –, et les opportunités – l'économie verte. Que manque-t-il pour avoir le courage d'accepter la réalité et de transformer les menaces en opportunités ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous proposez d'exonérer les courtes distances et d'améliorer la prise en compte de la périphéricité. Mais comment appréciez-vous cette périphéricité ? Je suis sceptique. Le transporteur qui va de Nice à Lille est par définition périphérique de Lille. Tout dépend du point de départ et de la destination.

Savez-vous que la distance moyenne parcourue est de 115 kilomètres ? Si ces 115 kilomètres sont parcourus à l'intérieur de la Bretagne, il y aura une exonération ; s'ils le sont à l'intérieur de l'Auvergne, il n'y en aura pas : vous créez de l'inégalité ! Je suis dubitatif sur l'ouverture de la boîte de Pandore de la périphéricité. Est-elle fondée sur une évaluation sérieuse ou est-elle le résultat de la pression politique ?

Enfin, quel est votre avis sur le mécanisme de répercussion de l'écotaxe ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L'idée d'affecter une partie du produit de la taxe au renouvellement du parc de poids lourds a-t-elle été étudiée dès l'origine ou est-elle une réponse au problème actuel ?

La mise en oeuvre de la fiscalité écologique voulue par le Grenelle de l'environnement, qu'il s'agisse de la taxe carbone ou de l'écotaxe, se heurte à de grandes difficultés. Est-ce inhérent à la fiscalité écologique ou est-ce une fois encore une exception française ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

En réponse à mon collègue Bies, l'expérimentation en Alsace ne serait acceptable qu'à la condition que l'intégralité du produit de la taxe revienne au réseau alsacien qui a pris un grand retard.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je note, au travers de vos propos et de ceux tenus devant nous par la FNTR, une différence d'appréciation qui explique certainement les difficultés de l'écotaxe. Selon cette organisation, l'ouverture du réseau routier aux 44 tonnes n'est nullement une compensation à l'écotaxe.

Je suis inquiet pour les régions bénéficiant d'une exonération au titre de leur périphéricité. Si à court terme, elles peuvent croire en tirer profit, à long terme, elles ne connaîtront pas d'évolution structurelle et seront rattrapées par les réalités économiques, favorisant de nouveau l'apparition de bonnets rouges.

Plutôt que d'exaspération fiscale, ne conviendrait-il pas de parler d'exaspération à l'égard d'Ecomouv' et du taux de collecte de la taxe ? C'est ce qui ressort des discussions avec les transporteurs routiers de ma région. Pensez-vous que nous devons persister dans ce choix ou mettre en place un autre mécanisme de répercussion ?

L'écotaxe, avez-vous dit, s'inscrit dans une vision globale et dans un schéma de développement logistique. En Allemagne, la mise en place d'une taxe équivalente a été l'occasion de repenser l'aménagement du territoire et les modes de transport. Ne devrions-nous pas plutôt nous en inspirer ?

Pouvez-vous, grâce à votre maîtrise du sujet, pronostiquer la date à laquelle le premier euro d'écotaxe sera collecté ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je souhaite apporter quelques rectifications d'ordre historique.

L'unanimité obtenue lors du Grenelle doit beaucoup à votre talent. Mais je dois rappeler que, dès le débat sur le projet de loi de finances pour 2009, certains députés, issus de la même région, vous avaient alerté en demandant la suppression de l'article instaurant la taxe. L'unanimité n'était donc pas totale…

Il est vrai que la situation économique d'aujourd'hui n'est pas celle d'hier. Au regard de la pression fiscale, la situation a changé. Les complications sur lesquelles nous vous avions alerté à l'époque se sont accrues.

Votre intuition est bonne lorsque vous soulignez le problème du transport court. Selon les spécialistes, le transfert vers le rail ne se justifie qu'à partir de 300 ou 400 kilomètres de trajet. Pour le transport de proximité, il n'existe pas d'alternative. En outre, comme l'a dit mon collègue alsacien, l'expérience allemande nous renseigne sur l'ineffectivité du report modal.

Il y a un risque pour les ambitions environnementales à allier systématiquement écologie et fiscalité, écologie et sanctions, écologie et normes. Les préoccupations écologiques que les citoyens partagent sont aujourd'hui associées à des éléments contraignants et négatifs. Nous parlementaires devons nous interroger : en instaurant l'écotaxe, ne sommes-nous pas en train d'interrompre le mouvement de la société en faveur du développement durable ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

À la lumière de la position de blocage de la FNTR, je pense que l'écotaxe ne pourra pas être reprise dans sa forme actuelle. Depuis le vote du texte instaurant la taxe, des années se sont écoulées, la fiscalité a évolué, la technique et le monde aussi. Ce qui est proposé est-il encore d'actualité ?

Il me semble que le problème est pris par le petit bout de la lorgnette. On s'attaque aux poids lourds qui sont certes destructeurs : un poids lourd de 38 tonnes équivaut à 1,2 million de passages de voitures légères sur une route. Ne faut-il pas envisager une approche écoresponsable qui consisterait à demander à celui qui choisit le moyen de transport d'en assumer le coût ? Il faut replacer la responsabilité sur l'objet transporté si l'on veut induire des comportements vertueux. Dans un monde parfait, il n'y aurait plus de camions à terme. Il faut faire payer celui qui est à l'initiative du transport plutôt que racketter l'intermédiaire.

Vous ne réussirez pas à imposer l'écotaxe dans sa version actuelle. Il faut imaginer un système dans lequel celui qui prend l'initiative de recourir à un certain mode de transport est le payeur, car c'est lui le pollueur et non le conducteur de camion.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le ministre, comme l'ont rappelé certains collègues, vous avez su faire prendre conscience à nos concitoyens, dans les années 2008-2009, de l'importance des questions relatives à l'écologie et au développement durable. Cela s'est traduit par le vote quasi unanime des textes du Grenelle de l'environnement. Dans ces conditions, comment expliquer le laps de temps qui s'est écoulé entre la prise de décision politique et la mise en oeuvre de cette redevance qui nous cause tant de souci aujourd'hui ?

Le contexte étant favorable, on aurait pu imaginer que les choses se mettraient en place sereinement. Que s'est-il donc passé ? Faut-il chercher la cause de ce retard dans les ministères ? Les techniciens chargés de conseiller le Gouvernement n'étaient-ils pas prêts ? À moins qu'ils n'aient pas été à la hauteur des enjeux que vous aviez fixés !

Le report modal – maritime, fluvial et ferroviaire – était l'un des enjeux du Grenelle. Vous aviez présenté et développé des stratégies, dont les Bretons sont, ou seront, les bénéficiaires : avec la ligne à grande vitesse Le Mans-Rennes ou la future ligne Bretagne-Pays de la Loire. Quel scénario aviez-vous imaginé en matière de report modal ? Vous avez toujours dit que l'écotaxe financerait uniquement des infrastructures de transport.

Ensuite, on parle depuis de nombreuses années de procéder à une harmonisation fiscale, sociale et environnementale, afin de lutter contre les distorsions de concurrence existant au sein de l'Europe. A-t-on établi avec nos voisins européens des tableaux comparatifs permettant d'établir que cette nouvelle taxe ne créera pas de distorsion de concurrence supplémentaire ?

La réponse aux difficultés de mise en oeuvre de l'écotaxe ne se trouve-t-elle donc pas, en partie, au niveau européen ? Les questions liées à l'écologie, à l'environnement et au développement durable ne doivent-elles pas être prises à bras-le-corps par l'Europe ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le ministre, je voudrais que vous nous éclairiez sur votre implication dans les négociations avec la société Écomouv', et sur votre position concernant trois points particuliers : la durée du PPP, le montant du loyer et la pénalité financière due en cas de non-application de l'écotaxe – pénalité dont nous avons été nombreux à ne découvrir l'existence qu'à l'occasion du mouvement des bonnets rouges.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Certains d'entre vous se sont intéressés, à juste titre, à ce qui se passait au niveau international et européen. J'observe que l'actuel ministre des transports a pris l'initiative de réunir au printemps l'ensemble de ses collègues des transports sur le sujet et qu'au Parlement européen, le vice-président Dominique Riquet, en charge des transports, a pris la même initiative. Sans doute l'harmonisation européenne est-elle souhaitable – voire indispensable, s'agissant des modalités et des techniques. Mais je ne sais pas si elle est faisable, dans la mesure où les situations sont assez diverses. Certains pays, comme la Suisse ou la République tchèque, sont de véritables « corridors » à camions internationaux.

Monsieur Duron a déclaré que l'écotaxe avait été conçue sur le fondement de la directive Eurovignette. Oui, au plan formel, mais pas au plan philosophique. Certains d'entre vous ont loué mon enthousiasme et mon habileté, mais la vérité est que les Français, dans le cadre du Pacte écologique signé par tous les candidats à l'élection présidentielle, avaient très fortement envie de progresser en matière de développement durable. De fait, un sondage mené au niveau international en 2010-2011 a montré que nos concitoyens étaient, parmi les Occidentaux, ceux qui se préoccupaient le plus des enjeux environnementaux – alors même qu'ils s'en désintéressaient dans les années 2004-2005. L'engagement des parties prenantes fut la conséquence et la concrétisation de leur volonté.

Monsieur Le Fur s'est demandé si on ne risquait pas de lier « taxe et écologie », ce qui irait à l'encontre de la philosophie générale de la taxation écologique. C'est bien entendu un sujet majeur. Il est terrible de constater que l'on parle beaucoup moins des éco prêts à taux zéro, des aides à la conversion de l'agriculture bio, du bonus-malus écologique – grâce auquel la France est le pays du monde qui, depuis 2009, a réduit le plus massivement ses émissions de CO2 – ou de la multiplication par deux, et bientôt par trois, des transports « doux » en ville. Je rappelle que l'objectif du Grenelle était de multiplier ceux-ci par quatre. Cela suppose que dans chaque ville, on soit à moins de huit minutes de l'endroit où l'on se rend. J'observe également que la France est l'un des rares pays au monde qui respecte le Protocole de Kyoto. Elle est même très avance sur ses engagements et obligations, si l'on se réfère à l'accord européen des trois fois vingt conclu sous présidence française.

Tel était donc le schéma dans lequel nous nous trouvions. Pour autant, nous devons faire face à une certaine désaffection. Celle-ci s'explique par le fait que certains assimilent respect de l'environnement et gestion des ressources rares à des politiques coûteuses et non à une stratégie majeure en matière énergétique et de développement. Or je suis convaincu que, dès aujourd'hui et pour les générations futures, les pays qui feront leur transition énergétique auront – y compris économiquement et socialement – un coup d'avance.

Évidemment, chaque fois que l'on s'engage dans telle ou telle mesure, des difficultés surgissent. Souvenez-vous des hurlements que l'on a entendus lors de la mise en place du bonus-malus écologique automobile. Certains disaient que c'était une vignette sur les grosses voitures, que cela n'aurait pas d'impact sur les achats. Bien au contraire, 54 % des achats ont été influencés par le bonus malus écologique des voitures. Et la diminution des émissions de CO2 est passée d'un gramme tous les dix ans à un gramme par an. Aujourd'hui, il y a moins de bonus et l'on commence à ressentir un sentiment de taxation. Certes, je comprends les contraintes budgétaires, mais il est clair qu'on est en train d'évoluer sur ce point.

Monsieur Duron, le projet de financement affecté n'est pas lié aux privatisations – sur lesquelles chacun peut avoir son opinion. Pour avoir assisté à tous les débats du Grenelle, je peux vous affirmer que l'éco redevance poids lourds était vraiment le fruit d'une réflexion environnementale et qu'elle a été portée, entre autres, par les transporteurs, les syndicats agricoles et toutes les régions. À l'époque, avait-on envisagé d'autres options ? Objectivement, je n'en n'ai pas le souvenir. Je vous répondrais plutôt non, sous réserve d'inventaire. Enfin, pourrait-on baser la perception de l'écotaxe sur la déclaration des transporteurs et des chargeurs ? Cette modalité mérite d'être expertisée, mais je n'ai pas, à cette heure, les moyens de vous répondre.

Monsieur Lurton a parlé des véhicules utilitaires légers. Je précise que les transports sont concernés par l'application de la directive « Services » et que le transport routier français souffre parfois aussi du fait que certains opérateurs ne sont pas soumis aux mêmes règles de temps de travail ou aux mêmes règles sociales que nous. C'est un point sur lequel la Fédération nationale des transports routiers souhaite plus de contrôles. Cela me paraît indispensable. Le Gouvernement essaie de faire ce qu'il peut en ce domaine. Ensuite, il faut améliorer la flotte des camions. C'est une hypothèse que j'avais évoquée à l'époque.

Monsieur Savary m'a demandé mon avis sur l'évolution du principe de répercussion. Ce qu'a fait le Gouvernement en la matière me paraît adapté. Le sujet est complexe et je n'ai rien à y redire.

Je ne crois pas que la fiscalité écologique soit un problème français. L'écotaxe semble moins critiquée par l'opinion publique que les autres taxes. Il faut toutefois reconnaître que France est un pays climatiquement béni des dieux où, pendant longtemps, les notions énergétiques et climatiques n'ont pas été prises en compte.

La fiscalité écologique française rencontre-t-elle des difficultés ? Je ne crois pas non plus. Le bonus-malus écologique fait partie des deux mesures les plus appréciées des dix dernières années. Les aides sur les travaux énergétiques dans les bâtiments ont été également bien accueillies. Les problèmes apparaissent quand les intéressés ont le sentiment qu'il n'y a pas de contrepartie.

Par ailleurs, il ne peut pas y avoir de rapport direct entre le payeur et le transfert modal dont il peut profiter lui-même. Le transfert dont il s'agit est global, il intéresse tout le pays et n'a rien à voir avec la décision de chacune et de chacun. C'est pour cela qu'il faut qu'il soit supportable.

Monsieur Lambert s'interroge sur Écomouv'. Que ce soit très clair : politiquement, j'assume totalement la situation. Je vous ai lu le décret mettant en place la commission chargée de donner un avis sur le choix de l'entreprise, mais il se trouve que je n'ai jamais rencontré ses membres et que je ne connais pas le contenu du contrat. Ni Dominique Bussereau ni moi-même n'étions en charge à ce moment-là. Il me semble toutefois que mes successeurs, compte tenu de la rigueur de la procédure utilisée, ont eu raison de faire ce qu'ils ont fait. Je vous rappelle qu'il s'est agi d'un choix technologique, et je vous renvoie à ce que disait la mission d'appui pour le partenariat public-privé, à savoir que le choix optimal pour l'État ne pourrait être opéré qu'à l'issue d'un dialogue compétitif. C'est ce qui a justifié le PPP. Pour une fois, ce n'était pas une opération de préfinancement.

Messieurs Benoît et Gorges notamment se sont interrogés sur le temps qui s'est écoulé entre la prise de décision et la mise en oeuvre de l'écotaxe. À l'évidence, les concepteurs de l'époque se sont arrêtés sur un principe. Mais les modalités sont extrêmement complexes. Je rappelle qu'en Allemagne, trois ou quatre ministres successifs ont buté sur le sujet, que le coût de collecte est très supérieur à ce qu'il est en France et qu'un contentieux de 3,5 milliards est bel et bien en cours.

Je pense que nos ingénieurs – en satellites, signalisations, télécommunications, etc. – ont plutôt bien fait leur travail d'ingénieur, tout en remarquant que le degré d'acceptabilité de l'écotaxe dans telle ou telle région ne relève pas de leur responsabilité. Ils ont conçu un système moins cher que le système allemand, qui fonctionnera sans doute très bien, technologiquement parlant, lorsqu'il sera mis en application. Bien sûr, cela a pris du temps. Le système devait être opérationnel fin 2011 et mis en application début 2013. Les circonstances ne l'ont pas permis. Nous avons plus de deux ans de retard et, entre-temps, la situation économique de notre pays a évolué.

Il ne s'agit pas du tout de faire la guerre aux camions. Ne pas prendre en compte la souplesse qu'ils permettent serait pure folie. Le fret ferroviaire en France est en grande difficulté, notamment à la sortie des ports, où 92 % des marchandises sont chargés sur des camions. Il faut donc investir massivement dans ce secteur, tout en défendant le système des camions, par ailleurs indispensable. C'est la raison pour laquelle nous avions lancé les autoroutes ferroviaires. Le fret ferroviaire est en effet un transfert total sur le rail, alors que l'autoroute ferroviaire est un système mixte dans lequel le monde du transport routier a toute sa place. Une première ligne, d'abord expérimentale, s'est imposée progressivement : un train par jour, puis deux, puis huit par jour, etc., jusqu'à atteindre le seuil de rentabilité. On devait en créer d'autres, au rythme d'une par an – Grand Nord, Grand Sud-Est, Sud-Ouest et Ouest-Est. Je regrette que, pour l'instant, à ma connaissance, nous ayons arrêté le développement des autoroutes ferroviaires qui constituent un bon combiné entre le rail et les camions.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'écotaxe poids lourds

Réunion du mercredi 8 janvier 2014 à 11 heures

Présents. - Mme Sylviane Alaux, M. Thierry Benoit, M. Philippe Bies, M. Florent Boudié, M. Xavier Breton, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. André Chassaigne, M. Alain Claeys, Mme Françoise Dubois, M. Philippe Duron, Mme Sophie Errante, M. Olivier Faure, M. Claude de Ganay, M. Joël Giraud, M. Jean-Pierre Gorges, M. Jean Grellier, M. Michel Heinrich, Mme Joëlle Huillier, M. François-Michel Lambert, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Viviane Le Dissez, M. Marc Le Fur, M. Philippe Le Ray, M. Jean-Pierre Le Roch, M. Gilles Lurton, M. Olivier Marleix, M. Bertrand Pancher, M. Hervé Pellois, Mme Eva Sas, M. Gilles Savary, M. Éric Straumann, M. Thomas Thévenoud, M. Fabrice Verdier

Excusés. - Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Richard Ferrand, M. Jean-Marie Sermier

Assistaient également à la réunion. - Mme Geneviève Gaillard, Mme Colette Langlade, M. Philippe Noguès, M. Gilbert Sauvan