Intervention de Jean-Louis Borloo

Réunion du 8 janvier 2014 à 11h00
Mission d'information sur l'écotaxe poids lourds

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Borloo, ancien ministre d'état, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire :

Certains d'entre vous se sont intéressés, à juste titre, à ce qui se passait au niveau international et européen. J'observe que l'actuel ministre des transports a pris l'initiative de réunir au printemps l'ensemble de ses collègues des transports sur le sujet et qu'au Parlement européen, le vice-président Dominique Riquet, en charge des transports, a pris la même initiative. Sans doute l'harmonisation européenne est-elle souhaitable – voire indispensable, s'agissant des modalités et des techniques. Mais je ne sais pas si elle est faisable, dans la mesure où les situations sont assez diverses. Certains pays, comme la Suisse ou la République tchèque, sont de véritables « corridors » à camions internationaux.

Monsieur Duron a déclaré que l'écotaxe avait été conçue sur le fondement de la directive Eurovignette. Oui, au plan formel, mais pas au plan philosophique. Certains d'entre vous ont loué mon enthousiasme et mon habileté, mais la vérité est que les Français, dans le cadre du Pacte écologique signé par tous les candidats à l'élection présidentielle, avaient très fortement envie de progresser en matière de développement durable. De fait, un sondage mené au niveau international en 2010-2011 a montré que nos concitoyens étaient, parmi les Occidentaux, ceux qui se préoccupaient le plus des enjeux environnementaux – alors même qu'ils s'en désintéressaient dans les années 2004-2005. L'engagement des parties prenantes fut la conséquence et la concrétisation de leur volonté.

Monsieur Le Fur s'est demandé si on ne risquait pas de lier « taxe et écologie », ce qui irait à l'encontre de la philosophie générale de la taxation écologique. C'est bien entendu un sujet majeur. Il est terrible de constater que l'on parle beaucoup moins des éco prêts à taux zéro, des aides à la conversion de l'agriculture bio, du bonus-malus écologique – grâce auquel la France est le pays du monde qui, depuis 2009, a réduit le plus massivement ses émissions de CO2 – ou de la multiplication par deux, et bientôt par trois, des transports « doux » en ville. Je rappelle que l'objectif du Grenelle était de multiplier ceux-ci par quatre. Cela suppose que dans chaque ville, on soit à moins de huit minutes de l'endroit où l'on se rend. J'observe également que la France est l'un des rares pays au monde qui respecte le Protocole de Kyoto. Elle est même très avance sur ses engagements et obligations, si l'on se réfère à l'accord européen des trois fois vingt conclu sous présidence française.

Tel était donc le schéma dans lequel nous nous trouvions. Pour autant, nous devons faire face à une certaine désaffection. Celle-ci s'explique par le fait que certains assimilent respect de l'environnement et gestion des ressources rares à des politiques coûteuses et non à une stratégie majeure en matière énergétique et de développement. Or je suis convaincu que, dès aujourd'hui et pour les générations futures, les pays qui feront leur transition énergétique auront – y compris économiquement et socialement – un coup d'avance.

Évidemment, chaque fois que l'on s'engage dans telle ou telle mesure, des difficultés surgissent. Souvenez-vous des hurlements que l'on a entendus lors de la mise en place du bonus-malus écologique automobile. Certains disaient que c'était une vignette sur les grosses voitures, que cela n'aurait pas d'impact sur les achats. Bien au contraire, 54 % des achats ont été influencés par le bonus malus écologique des voitures. Et la diminution des émissions de CO2 est passée d'un gramme tous les dix ans à un gramme par an. Aujourd'hui, il y a moins de bonus et l'on commence à ressentir un sentiment de taxation. Certes, je comprends les contraintes budgétaires, mais il est clair qu'on est en train d'évoluer sur ce point.

Monsieur Duron, le projet de financement affecté n'est pas lié aux privatisations – sur lesquelles chacun peut avoir son opinion. Pour avoir assisté à tous les débats du Grenelle, je peux vous affirmer que l'éco redevance poids lourds était vraiment le fruit d'une réflexion environnementale et qu'elle a été portée, entre autres, par les transporteurs, les syndicats agricoles et toutes les régions. À l'époque, avait-on envisagé d'autres options ? Objectivement, je n'en n'ai pas le souvenir. Je vous répondrais plutôt non, sous réserve d'inventaire. Enfin, pourrait-on baser la perception de l'écotaxe sur la déclaration des transporteurs et des chargeurs ? Cette modalité mérite d'être expertisée, mais je n'ai pas, à cette heure, les moyens de vous répondre.

Monsieur Lurton a parlé des véhicules utilitaires légers. Je précise que les transports sont concernés par l'application de la directive « Services » et que le transport routier français souffre parfois aussi du fait que certains opérateurs ne sont pas soumis aux mêmes règles de temps de travail ou aux mêmes règles sociales que nous. C'est un point sur lequel la Fédération nationale des transports routiers souhaite plus de contrôles. Cela me paraît indispensable. Le Gouvernement essaie de faire ce qu'il peut en ce domaine. Ensuite, il faut améliorer la flotte des camions. C'est une hypothèse que j'avais évoquée à l'époque.

Monsieur Savary m'a demandé mon avis sur l'évolution du principe de répercussion. Ce qu'a fait le Gouvernement en la matière me paraît adapté. Le sujet est complexe et je n'ai rien à y redire.

Je ne crois pas que la fiscalité écologique soit un problème français. L'écotaxe semble moins critiquée par l'opinion publique que les autres taxes. Il faut toutefois reconnaître que France est un pays climatiquement béni des dieux où, pendant longtemps, les notions énergétiques et climatiques n'ont pas été prises en compte.

La fiscalité écologique française rencontre-t-elle des difficultés ? Je ne crois pas non plus. Le bonus-malus écologique fait partie des deux mesures les plus appréciées des dix dernières années. Les aides sur les travaux énergétiques dans les bâtiments ont été également bien accueillies. Les problèmes apparaissent quand les intéressés ont le sentiment qu'il n'y a pas de contrepartie.

Par ailleurs, il ne peut pas y avoir de rapport direct entre le payeur et le transfert modal dont il peut profiter lui-même. Le transfert dont il s'agit est global, il intéresse tout le pays et n'a rien à voir avec la décision de chacune et de chacun. C'est pour cela qu'il faut qu'il soit supportable.

Monsieur Lambert s'interroge sur Écomouv'. Que ce soit très clair : politiquement, j'assume totalement la situation. Je vous ai lu le décret mettant en place la commission chargée de donner un avis sur le choix de l'entreprise, mais il se trouve que je n'ai jamais rencontré ses membres et que je ne connais pas le contenu du contrat. Ni Dominique Bussereau ni moi-même n'étions en charge à ce moment-là. Il me semble toutefois que mes successeurs, compte tenu de la rigueur de la procédure utilisée, ont eu raison de faire ce qu'ils ont fait. Je vous rappelle qu'il s'est agi d'un choix technologique, et je vous renvoie à ce que disait la mission d'appui pour le partenariat public-privé, à savoir que le choix optimal pour l'État ne pourrait être opéré qu'à l'issue d'un dialogue compétitif. C'est ce qui a justifié le PPP. Pour une fois, ce n'était pas une opération de préfinancement.

Messieurs Benoît et Gorges notamment se sont interrogés sur le temps qui s'est écoulé entre la prise de décision et la mise en oeuvre de l'écotaxe. À l'évidence, les concepteurs de l'époque se sont arrêtés sur un principe. Mais les modalités sont extrêmement complexes. Je rappelle qu'en Allemagne, trois ou quatre ministres successifs ont buté sur le sujet, que le coût de collecte est très supérieur à ce qu'il est en France et qu'un contentieux de 3,5 milliards est bel et bien en cours.

Je pense que nos ingénieurs – en satellites, signalisations, télécommunications, etc. – ont plutôt bien fait leur travail d'ingénieur, tout en remarquant que le degré d'acceptabilité de l'écotaxe dans telle ou telle région ne relève pas de leur responsabilité. Ils ont conçu un système moins cher que le système allemand, qui fonctionnera sans doute très bien, technologiquement parlant, lorsqu'il sera mis en application. Bien sûr, cela a pris du temps. Le système devait être opérationnel fin 2011 et mis en application début 2013. Les circonstances ne l'ont pas permis. Nous avons plus de deux ans de retard et, entre-temps, la situation économique de notre pays a évolué.

Il ne s'agit pas du tout de faire la guerre aux camions. Ne pas prendre en compte la souplesse qu'ils permettent serait pure folie. Le fret ferroviaire en France est en grande difficulté, notamment à la sortie des ports, où 92 % des marchandises sont chargés sur des camions. Il faut donc investir massivement dans ce secteur, tout en défendant le système des camions, par ailleurs indispensable. C'est la raison pour laquelle nous avions lancé les autoroutes ferroviaires. Le fret ferroviaire est en effet un transfert total sur le rail, alors que l'autoroute ferroviaire est un système mixte dans lequel le monde du transport routier a toute sa place. Une première ligne, d'abord expérimentale, s'est imposée progressivement : un train par jour, puis deux, puis huit par jour, etc., jusqu'à atteindre le seuil de rentabilité. On devait en créer d'autres, au rythme d'une par an – Grand Nord, Grand Sud-Est, Sud-Ouest et Ouest-Est. Je regrette que, pour l'instant, à ma connaissance, nous ayons arrêté le développement des autoroutes ferroviaires qui constituent un bon combiné entre le rail et les camions.

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