Intervention de Axelle Lemaire

Réunion du 15 avril 2014 à 21h30
Commission des affaires économiques

Axelle Lemaire, secrétaire d'état chargée du numérique :

Monsieur Abad, si toutes les entreprises de services à la personne n'entrent pas dans la catégorie des entrepreneurs sociaux, c'est qu'elles ne poursuivent pas nécessairement un objectif d'utilité sociale. Considérez-vous que le jardinier d'une maison bourgeoise ou l'aide scolaire à domicile, qui fait travailler l'enfant d'une famille aisée, accomplissent une mission sociale ? En la matière, la naïveté n'est peut-être pas là où vous le pensez. Certains services à la personne, utiles certes, mais tournés vers le confort de certains privilégiés et attachés à un secteur commercial lucratif, ne font manifestement pas partie de l'ESS.

Le débat sur le droit d'information des salariés, que nous entendons créer, sera probablement passionné. Ce droit nous semble aller de soi car, dans notre pays, la non-transmission d'entreprises saines est une source croissante de perte d'emplois. En Île-de-France, une entreprise sur trois ne trouve pas à se transmettre, ce qui entraîne la disparition de 10 000 emplois par an. À l'échelon national, 40 000 entreprises qui auraient pu être sauvées par leurs salariés ne l'ont pas été, ce qu'on peut attribuer à un défaut d'information.

Le droit d'information bénéficiera moins aux « pépites » ou aux « jeunes pousses » innovantes, qui pourraient dégager des marges commerciales importantes, qu'aux entreprises à la rentabilité plus modeste, comme les entreprises familiales, dont le propriétaire reçoit peu d'offres de reprise. En cas de cession, ne négligeons pas le rôle que peuvent jouer les salariés, qu'il faut considérer non comme un élément de coût mais comme un potentiel. Ceux-ci doivent d'ailleurs se montrer proactifs dans la gestion de leur entreprise.

Le Conseil supérieur de l'économie sociale et solidaire existe déjà, mais le projet de loi, en reconnaissant cette existence, lui confère une légitimité et consacre son rôle. Quant à l'organisation, tous les deux ans, d'une conférence régionale de l'économie sociale et solidaire, elle répond à une demande pressante du secteur. C'est par souci de trouver un échelon adapté à l'ESS que nous avons choisi d'harmoniser, dans une instance nationale, le dialogue entre les acteurs, tout en préservant la nécessaire proximité.

Monsieur Grellier, je vous sais gré du travail que vous avez effectué, avec les autres parlementaires, sous la supervision des rapporteurs. Il n'est pas difficile d'hériter d'un texte comme celui-ci, qui a donné lieu, en amont, à un véritable dialogue entre l'exécutif et le législatif.

Monsieur Chassaigne, je note avec satisfaction que vous portez un regard favorable sur le texte, même si vous pointez le risque d'un dévoiement ou d'une dilution de l'ESS dans le reste de l'économie. Tel est bien le coeur du débat. L'article 1er dispose que certaines organisations économiques à but lucratif peuvent appartenir à l'ESS du fait de leur forme de gouvernance, ce qui est conforme à la tradition historique du secteur. Reste à savoir si les critères proposés sont trop souples ou trop restrictifs.

Pour nous, l'ESS est un secteur inclusif, qui peut intégrer les sociétés commerciales. Son potentiel au service de la croissance et de la création d'emplois est important – il représenterait 10 % du PIB – mais relativement sous-exploité. C'est pourquoi nous entendons concilier la notion d'entrepreneuriat avec la poursuite d'un objectif d'utilité sociale. Le rapporteur l'a rappelé : il s'agit non d'opposer deux modèles, l'un capitaliste et guidé par la recherche du profit, l'autre social et solidaire, mais d'installer entre eux une barrière juridique en espérant que le premier puisse s'intéresser au second, pourvu que celui-ci réussisse, ce qui suppose que nous lui en donnions les moyens.

Vous avez évoqué le risque d'une dilution des financements, mais nous n'entendons pas mettre en concurrence, au vu de leur statut, les différentes structures qui existent au sein de l'ESS. Dans mon propos introductif, j'ai indiqué que les financements de la BPI s'adapteraient à chaque membre de la famille ESS. BPI France a distingué les besoins de chaque structure, des associations aux sociétés commerciales. L'apport de garanties, les avances remboursables ou les financements en fonds propres dont les associations ont besoin se feront selon des modes spécifiques, très différents de ceux que pourraient solliciter des sociétés commerciales. Le risque de porosité et de dilution ne nous échappe pas, mais le projet de loi fait le pari que l'ESS peut attirer les formes d'économie traditionnelles.

Madame Bonneton, la territorialité est au coeur du projet de loi. La constitution de pôles territoriaux de coopération économique permettra au Gouvernement de labelliser les acteurs et de lancer de nouveaux appels à projets. Cela dit, nous n'oublions pas que certains groupements existaient déjà lors du lancement de l'appel à projets de juillet 2013. Un amendement du rapporteur tend à les prendre en compte.

M. Giraud regrette que le texte ne soit pas plus transversal, mais notre principal objectif était, tout en posant l'existence d'objectifs similaire, de reconnaître la spécificité de chaque membre de la famille ESS. Comment harmoniser la situation d'une coopérative, qui possède un capital, celle d'une mutuelle, qui en est dépourvue, et celle d'une fondation ou d'une association, qui ont leur propre organisation interne ? À trop chercher la transversalité, on ne peut qu'accroître le risque de dilution. Néanmoins, la loi reconnaît l'économie sociale et solidaire comme une famille unique, ce qui introduit une première forme d'harmonisation. Les modes d'accès au financement sont eux aussi harmonisés au sein des politiques territoriales, de même que la capacité de répondre à des marchés publics dans des conditions spécifiques. La transversalité, qui ne figurait pas parmi nos objectifs, n'est donc pas absente du projet de loi.

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