Intervention de Anne Froment-Meurice

Réunion du 10 avril 2014 à 8h30
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Anne Froment-Meurice, présidente de la cinquième chambre de la Cour des comptes :

Le rapport qui vous a été transmis sur la mise en oeuvre des missions de la CNSA a en effet été établi à la demande du président de la commission des finances, de la présidente de la commission des affaires sociales, ainsi que des coprésidents de la mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) de l'Assemblée nationale, en application du 2° de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) et de l'article L.O. 132-3-1 du code de la sécurité sociale.

La lettre de saisine précisait que l'enquête devait faire le point sur « la place et le positionnement de la CNSA dans la conception et la mise en oeuvre des politiques publiques d'accompagnement de la perte d'autonomie », cela dans trois domaines : tout d'abord en matière de compensation individuelle au travers des concours que la CNSA apporte aux départements au titre de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et de la prestation de compensation du handicap (PCH) ; ensuite, en matière d'offre collective, dans la répartition des ressources destinées aux établissements et services médico-sociaux (ESMS) ; enfin, dans l'exercice de la mission d'appui et d'animation des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et de l'action de la CNSA en faveur de la convergence des systèmes d'information.

Notre travail a commencé en mars 2013 et nous avons remis notre rapport à votre assemblée à la fin du mois d'octobre.

À des degrés divers, le message principal de la Cour est commun aux domaines que je viens d'évoquer. Il peut être résumé en trois points.

Alors que l'organisation du secteur médico-social, à la différence de celle du secteur sanitaire, est complexe et fortement décentralisée, le législateur a fait en 2004 le choix assez original de créer un établissement public de l'État qui n'est ni l'un de ses « opérateurs » ni une caisse de sécurité sociale, et il lui a confié des missions particulièrement ambitieuses, notamment celle de répartir équitablement sur le territoire national les dépenses de l'objectif global de dépenses (OGD) et celle de contribuer à l'égalité de traitement sur le territoire des bénéficiaires de l'APA et de la PCH.

L'affirmation du rôle de la CNSA a été très progressive. Ses missions initiales concernant les personnes âgées et les personnes handicapées ont d'abord fait l'objet, pour les exercices 2006 à 2009, d'une convention avec l'État qui, très générale, comportait peu d'objectifs précis. Il a fallu attendre la création des agences régionales de santé (ARS) par la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST), et la mise en place de ces dernières, pour que la Caisse prenne un nouveau départ, marqué par la convention d'objectifs et de gestion signée avec l'État pour les exercices 2012 à 2015, convention qui a fixé une feuille de route précise et utile.

Près de dix ans après sa création, la CNSA occupe une place centrale dans le paysage médico-social. Son rôle est reconnu et apprécié, même si les transformations nécessaires se concrétisent lentement et si la Caisse fait face à de fortes limitations de ses possibilités d'action.

La Cour présente ses principaux constats dans les quatre chapitres du rapport.

Le chapitre Ier traite du cadre institutionnel dans lequel évolue la CNSA et souligne les spécificités de cet établissement dont la gouvernance est singulière puisqu'il est administré par un conseil de quarante-huit membres, composé donc de façon très large de manière à ce qu'y soit représentée la diversité des acteurs du secteur médico-social – ce qui a pour effet que l'État n'y a pas de majorité automatique.

Ce premier chapitre présente également les ressources de la CNSA. Depuis sa création en 2004, d'importantes réserves ont été constituées puisque leur montant cumulé approchait 3,3 milliards d'euros en 2012. Ce phénomène s'explique par une sous-consommation structurelle de l'OGD consacré aux personnes âgées, sous-consommation qui commence toutefois à se résorber. Nous avons constaté que la quasi-totalité de ces réserves avait bien été consacrée à des emplois correspondant aux missions de la CNSA. Les deux tiers ont permis de financer des aides à l'investissement dans les établissements et services médico-sociaux ou ont été reportés sur l'OGD des années ultérieures – ce qui revient malgré tout à alimenter l'excédent. Le tiers restant a servi, pour l'essentiel, à alimenter des transferts de crédits vers l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) sanitaire, ce que nous pouvons admettre, mais il a également été utilisé pour financer des dépenses qui auraient dû relever du budget de l'État, comme celles résultant des engagements d'aides à l'investissement pris par l'État dans les contrats de projets État-région.

Dans ce même chapitre, l'examen des systèmes d'information montre qu'il s'agit d'une des faiblesses de la CNSA. Ces systèmes, construits « en silos », sans vision d'ensemble cohérente, ne sont toujours pas adaptés aux exigences des missions de la Caisse. Nous déplorons qu'ils ne permettent pas pour l'instant de connaître les besoins collectifs à partir de l'évaluation individuelle des besoins des personnes âgées et des personnes handicapées.

Le chapitre II porte sur la mission la plus importante de la CNSA par le volume des crédits publics qui y sont consacrés : le remboursement des dépenses des régimes d'assurance maladie au titre des ESMS, soit près de 18 milliards d'euros et 85 % des charges de la Caisse en 2012. La CNSA est en effet chargée par la loi de répartir équitablement sur le territoire les crédits destinés à l'offre médico-sociale.

Les grands plans nationaux de création de places ont fortement majoré ces crédits. Nous avons relevé des écarts sensibles entre prévisions et réalisations, particulièrement en ce qui concerne les établissements hébergeant des personnes âgées.

Dans l'accomplissement de sa mission, la CNSA rencontre deux limites de nature technique.

La première est l'insuffisante connaissance des besoins à satisfaire. Ceux-ci ne peuvent être déterminés qu'à la base, dans le cadre des schémas régionaux d'organisation médico-sociale (SROMS). La Cour a constaté l'hétérogénéité de ces schémas qui ne permettent pas encore, malgré les efforts consentis par la CNSA, de mener une approche comparative entre régions, pourtant indispensable pour que la Caisse joue pleinement son rôle.

L'insuffisante connaissance des prestations, des coûts et des tarifs des établissements constitue une seconde limite.

Le chapitre II traite également de la réserve ministérielle nationale à disposition du ministre chargé des affaires sociales et de ses ministres délégués ou secrétaires d'État aux personnes âgées et aux personnes handicapées. Il y a là une nouvelle limitation, s'ajoutant à celles que je viens d'évoquer : en effet, la répartition des moyens s'opère sur le fondement de critères sommaires prenant trop peu en compte la situation des divers territoires. L'existence de cette réserve, qui représente 10 % de l'enveloppe des crédits nouveaux, contrarie de ce fait les efforts entrepris pour réduire les fortes disparités entre les régions.

D'autre part, le mécanisme de lissage, appelé « serpent », réduit également l'impact des redéploiements destinés à résorber les écarts entre régions.

Le chapitre III analyse la mission d'appui et d'animation du réseau des MDPH, mission essentielle, non au regard du volume des crédits qui y sont affectés – environ 60 millions d'euros par an –, mais en raison de la place centrale dévolue aux MDPH dans le dispositif de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

La CNSA ne dispose d'aucun pouvoir de contrainte sur ces maisons, qui sont des groupements d'intérêt public (GIP) décentralisés. Pour autant, elle exerce effectivement un rôle d'animation et de diffusion des bonnes pratiques. Son action est toutefois contrariée par les grandes difficultés qu'elle rencontre pour mettre en oeuvre le système d'information qui lui serait nécessaire pour accomplir la mission ambitieuse dont la charge la loi : veiller au traitement équitable des demandes de compensation.

Enfin, le chapitre IV rend compte de la mission consistant à assurer une bonne allocation des concours aux départements et à contribuer à l'égalité de traitement des bénéficiaires sur le territoire en matière de compensation des aides individuelles, APA et PCH, versées par les départements.

Si nous avons constaté de fortes disparités dans l'attribution de ces aides selon les départements, leur compensation par la CNSA doit obéir aux règles de péréquation financière définies par la loi et les règlements. Le conseil de la Caisse a essayé en 2010 de réformer la pondération des critères de péréquation de l'APA, mais cette tentative n'a pas abouti. Nous rappelons dans notre rapport la nécessité de réviser ces critères trop peu fins, mais cette révision dépend de l'Assemblée des départements de France (ADF), qui la lie à une augmentation du volume des concours de l'État.

Nous relevons enfin que, si la loi prévoit l'intervention de la CNSA pour contribuer à l'égalité de traitement des personnes handicapées par l'harmonisation des pratiques d'attribution de la PCH et par l'animation du réseau des MDPH, elle ne lui attribue aucune compétence pour agir auprès des équipes départementales sur la distribution de l'APA, ce qui limite sérieusement sa marge de manoeuvre.

Tirant les enseignements de ces constats, la Cour a formulé neuf recommandations qu'il est possible de regrouper autour de trois grands objectifs. Le premier consiste à développer les outils de connaissance des besoins, des coûts et de l'offre territoriale ; le deuxième à mieux définir les critères de répartition des moyens, qu'il s'agisse de la création de places ou des concours de la CNSA au financement de l'APA, à supprimer la réserve nationale et à réviser le « serpent », deux dispositifs qui entravent une allocation optimale des financements destinés aux ESMS. Le troisième objectif est de doter la CNSA des moyens d'exercer une mission d'animation dans le domaine de l'aide aux personnes âgées comme elle le fait dans celui de l'aide aux personnes handicapées.

Préparé par le précédent Gouvernement, le futur projet de loi relatif à l'adaptation de la société au vieillissement tend à renforcer les capacités d'action de la Caisse dans un sens conforme aux recommandations de la Cour.

Ainsi les missions de la CNSA seraient élargies ou renforcées en ce qui concerne l'appui méthodologique, l'harmonisation des pratiques et l'échange d'expériences en matière d'APA – de manière à ce que, comme nous le souhaitons, la Caisse assure dans ces domaines des missions identiques à celles qu'elle exerce auprès des MDPH. Elle se verrait confier, en lien avec les acteurs locaux compétents, l'information du grand public sur les droits et services qui lui sont destinés. Enfin, elle devrait être mise à même de concevoir et mettre en oeuvre un système d'information commun à l'ensemble des MDPH afin de faciliter les remontées de données des départements. Pour ce faire, elle pourrait désormais définir des normes garantissant l'interopérabilité des différents systèmes d'information, et labelliser seulement ceux d'entre eux qui seraient conformes à ces normes.

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