COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
MISSION D'ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Jeudi 10 avril 2014
La séance est ouverte à huit heures trente-cinq.
(Présidence de M. Pierre Morange, coprésident de la mission)
La Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède à l'audition, ouverte à la presse, de Mme Anne Froment-Meurice, présidente de la cinquième chambre de la Cour des comptes, de M. Dominique Antoine, conseiller maître, président de section, et de MM. Christian Carcagno et Michel Thomas, conseillers référendaires, sur « la mise en oeuvre des missions de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) ».
En accueillant ce matin des représentants de la Cour des comptes, la MECSS aborde une nouvelle thématique : la mise en oeuvre des missions de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA).
Nous remercions vivement la Cour d'avoir travaillé dans des délais contraints au rapport qui lui avait été demandé sur ce sujet par notre mission d'évaluation, par la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire, et par celle des affaires sociales. Un texte sur le vieillissement sera prochainement soumis à notre assemblée, et notre rapporteure aura un rôle éminent à jouer lors de son examen.
Le rapport qui vous a été transmis sur la mise en oeuvre des missions de la CNSA a en effet été établi à la demande du président de la commission des finances, de la présidente de la commission des affaires sociales, ainsi que des coprésidents de la mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) de l'Assemblée nationale, en application du 2° de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) et de l'article L.O. 132-3-1 du code de la sécurité sociale.
La lettre de saisine précisait que l'enquête devait faire le point sur « la place et le positionnement de la CNSA dans la conception et la mise en oeuvre des politiques publiques d'accompagnement de la perte d'autonomie », cela dans trois domaines : tout d'abord en matière de compensation individuelle au travers des concours que la CNSA apporte aux départements au titre de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et de la prestation de compensation du handicap (PCH) ; ensuite, en matière d'offre collective, dans la répartition des ressources destinées aux établissements et services médico-sociaux (ESMS) ; enfin, dans l'exercice de la mission d'appui et d'animation des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et de l'action de la CNSA en faveur de la convergence des systèmes d'information.
Notre travail a commencé en mars 2013 et nous avons remis notre rapport à votre assemblée à la fin du mois d'octobre.
À des degrés divers, le message principal de la Cour est commun aux domaines que je viens d'évoquer. Il peut être résumé en trois points.
Alors que l'organisation du secteur médico-social, à la différence de celle du secteur sanitaire, est complexe et fortement décentralisée, le législateur a fait en 2004 le choix assez original de créer un établissement public de l'État qui n'est ni l'un de ses « opérateurs » ni une caisse de sécurité sociale, et il lui a confié des missions particulièrement ambitieuses, notamment celle de répartir équitablement sur le territoire national les dépenses de l'objectif global de dépenses (OGD) et celle de contribuer à l'égalité de traitement sur le territoire des bénéficiaires de l'APA et de la PCH.
L'affirmation du rôle de la CNSA a été très progressive. Ses missions initiales concernant les personnes âgées et les personnes handicapées ont d'abord fait l'objet, pour les exercices 2006 à 2009, d'une convention avec l'État qui, très générale, comportait peu d'objectifs précis. Il a fallu attendre la création des agences régionales de santé (ARS) par la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST), et la mise en place de ces dernières, pour que la Caisse prenne un nouveau départ, marqué par la convention d'objectifs et de gestion signée avec l'État pour les exercices 2012 à 2015, convention qui a fixé une feuille de route précise et utile.
Près de dix ans après sa création, la CNSA occupe une place centrale dans le paysage médico-social. Son rôle est reconnu et apprécié, même si les transformations nécessaires se concrétisent lentement et si la Caisse fait face à de fortes limitations de ses possibilités d'action.
La Cour présente ses principaux constats dans les quatre chapitres du rapport.
Le chapitre Ier traite du cadre institutionnel dans lequel évolue la CNSA et souligne les spécificités de cet établissement dont la gouvernance est singulière puisqu'il est administré par un conseil de quarante-huit membres, composé donc de façon très large de manière à ce qu'y soit représentée la diversité des acteurs du secteur médico-social – ce qui a pour effet que l'État n'y a pas de majorité automatique.
Ce premier chapitre présente également les ressources de la CNSA. Depuis sa création en 2004, d'importantes réserves ont été constituées puisque leur montant cumulé approchait 3,3 milliards d'euros en 2012. Ce phénomène s'explique par une sous-consommation structurelle de l'OGD consacré aux personnes âgées, sous-consommation qui commence toutefois à se résorber. Nous avons constaté que la quasi-totalité de ces réserves avait bien été consacrée à des emplois correspondant aux missions de la CNSA. Les deux tiers ont permis de financer des aides à l'investissement dans les établissements et services médico-sociaux ou ont été reportés sur l'OGD des années ultérieures – ce qui revient malgré tout à alimenter l'excédent. Le tiers restant a servi, pour l'essentiel, à alimenter des transferts de crédits vers l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) sanitaire, ce que nous pouvons admettre, mais il a également été utilisé pour financer des dépenses qui auraient dû relever du budget de l'État, comme celles résultant des engagements d'aides à l'investissement pris par l'État dans les contrats de projets État-région.
Dans ce même chapitre, l'examen des systèmes d'information montre qu'il s'agit d'une des faiblesses de la CNSA. Ces systèmes, construits « en silos », sans vision d'ensemble cohérente, ne sont toujours pas adaptés aux exigences des missions de la Caisse. Nous déplorons qu'ils ne permettent pas pour l'instant de connaître les besoins collectifs à partir de l'évaluation individuelle des besoins des personnes âgées et des personnes handicapées.
Le chapitre II porte sur la mission la plus importante de la CNSA par le volume des crédits publics qui y sont consacrés : le remboursement des dépenses des régimes d'assurance maladie au titre des ESMS, soit près de 18 milliards d'euros et 85 % des charges de la Caisse en 2012. La CNSA est en effet chargée par la loi de répartir équitablement sur le territoire les crédits destinés à l'offre médico-sociale.
Les grands plans nationaux de création de places ont fortement majoré ces crédits. Nous avons relevé des écarts sensibles entre prévisions et réalisations, particulièrement en ce qui concerne les établissements hébergeant des personnes âgées.
Dans l'accomplissement de sa mission, la CNSA rencontre deux limites de nature technique.
La première est l'insuffisante connaissance des besoins à satisfaire. Ceux-ci ne peuvent être déterminés qu'à la base, dans le cadre des schémas régionaux d'organisation médico-sociale (SROMS). La Cour a constaté l'hétérogénéité de ces schémas qui ne permettent pas encore, malgré les efforts consentis par la CNSA, de mener une approche comparative entre régions, pourtant indispensable pour que la Caisse joue pleinement son rôle.
L'insuffisante connaissance des prestations, des coûts et des tarifs des établissements constitue une seconde limite.
Le chapitre II traite également de la réserve ministérielle nationale à disposition du ministre chargé des affaires sociales et de ses ministres délégués ou secrétaires d'État aux personnes âgées et aux personnes handicapées. Il y a là une nouvelle limitation, s'ajoutant à celles que je viens d'évoquer : en effet, la répartition des moyens s'opère sur le fondement de critères sommaires prenant trop peu en compte la situation des divers territoires. L'existence de cette réserve, qui représente 10 % de l'enveloppe des crédits nouveaux, contrarie de ce fait les efforts entrepris pour réduire les fortes disparités entre les régions.
D'autre part, le mécanisme de lissage, appelé « serpent », réduit également l'impact des redéploiements destinés à résorber les écarts entre régions.
Le chapitre III analyse la mission d'appui et d'animation du réseau des MDPH, mission essentielle, non au regard du volume des crédits qui y sont affectés – environ 60 millions d'euros par an –, mais en raison de la place centrale dévolue aux MDPH dans le dispositif de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
La CNSA ne dispose d'aucun pouvoir de contrainte sur ces maisons, qui sont des groupements d'intérêt public (GIP) décentralisés. Pour autant, elle exerce effectivement un rôle d'animation et de diffusion des bonnes pratiques. Son action est toutefois contrariée par les grandes difficultés qu'elle rencontre pour mettre en oeuvre le système d'information qui lui serait nécessaire pour accomplir la mission ambitieuse dont la charge la loi : veiller au traitement équitable des demandes de compensation.
Enfin, le chapitre IV rend compte de la mission consistant à assurer une bonne allocation des concours aux départements et à contribuer à l'égalité de traitement des bénéficiaires sur le territoire en matière de compensation des aides individuelles, APA et PCH, versées par les départements.
Si nous avons constaté de fortes disparités dans l'attribution de ces aides selon les départements, leur compensation par la CNSA doit obéir aux règles de péréquation financière définies par la loi et les règlements. Le conseil de la Caisse a essayé en 2010 de réformer la pondération des critères de péréquation de l'APA, mais cette tentative n'a pas abouti. Nous rappelons dans notre rapport la nécessité de réviser ces critères trop peu fins, mais cette révision dépend de l'Assemblée des départements de France (ADF), qui la lie à une augmentation du volume des concours de l'État.
Nous relevons enfin que, si la loi prévoit l'intervention de la CNSA pour contribuer à l'égalité de traitement des personnes handicapées par l'harmonisation des pratiques d'attribution de la PCH et par l'animation du réseau des MDPH, elle ne lui attribue aucune compétence pour agir auprès des équipes départementales sur la distribution de l'APA, ce qui limite sérieusement sa marge de manoeuvre.
Tirant les enseignements de ces constats, la Cour a formulé neuf recommandations qu'il est possible de regrouper autour de trois grands objectifs. Le premier consiste à développer les outils de connaissance des besoins, des coûts et de l'offre territoriale ; le deuxième à mieux définir les critères de répartition des moyens, qu'il s'agisse de la création de places ou des concours de la CNSA au financement de l'APA, à supprimer la réserve nationale et à réviser le « serpent », deux dispositifs qui entravent une allocation optimale des financements destinés aux ESMS. Le troisième objectif est de doter la CNSA des moyens d'exercer une mission d'animation dans le domaine de l'aide aux personnes âgées comme elle le fait dans celui de l'aide aux personnes handicapées.
Préparé par le précédent Gouvernement, le futur projet de loi relatif à l'adaptation de la société au vieillissement tend à renforcer les capacités d'action de la Caisse dans un sens conforme aux recommandations de la Cour.
Ainsi les missions de la CNSA seraient élargies ou renforcées en ce qui concerne l'appui méthodologique, l'harmonisation des pratiques et l'échange d'expériences en matière d'APA – de manière à ce que, comme nous le souhaitons, la Caisse assure dans ces domaines des missions identiques à celles qu'elle exerce auprès des MDPH. Elle se verrait confier, en lien avec les acteurs locaux compétents, l'information du grand public sur les droits et services qui lui sont destinés. Enfin, elle devrait être mise à même de concevoir et mettre en oeuvre un système d'information commun à l'ensemble des MDPH afin de faciliter les remontées de données des départements. Pour ce faire, elle pourrait désormais définir des normes garantissant l'interopérabilité des différents systèmes d'information, et labelliser seulement ceux d'entre eux qui seraient conformes à ces normes.
La représentation nationale, qui a travaillé à plusieurs reprises sur le sujet, est convaincue comme la Cour des comptes que, près de dix ans après la création de la CNSA, ses missions doivent être renforcées. Quelles sont vos recommandations pour que la Caisse puisse exercer pleinement ses responsabilités ?
Depuis de nombreuses années, chacun s'accorde à considérer que les systèmes d'information de la CNSA fonctionnent mal et constituent l'un de ses points faibles. Ils sont indispensables pour mieux recenser les besoins, mais les améliorer serait une tâche complexe et difficile, nous dit-on. Selon vous, quelles pistes pourrions-nous emprunter pour disposer de systèmes plus efficaces ?
Notre rapport montre que de sérieux efforts sont consentis par la Caisse pour améliorer ses systèmes d'information. Il reste que les évolutions sont lentes et les obstacles nombreux. Toutefois, il existe un projet dit « d'urbanisation » du système d'information qui semble très prometteur.
En matière de systèmes d'information, il faut distinguer deux champs autonomes : celui de l'offre collective, la répartition de l'OGD entre les établissements sociaux et médico-sociaux, et celui des MDPH.
Pour le premier, la CNSA trouve des moyens d'action par l'intermédiaire des ARS, pilotées par un Conseil national de pilotage présidé par le ministre ou le secrétaire général du ministère. Les systèmes d'information de ce champ ont été bâtis à partir des directives de l'administration centrale avant la création de la CNSA. Six à sept systèmes – pour les ressources et la tarification, pour les autorisations de création, pour la médicalisation des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), etc. – étaient montés « en silos », ce qui obligeait les ARS et les services à saisir plusieurs fois les mêmes données. Le projet d'urbanisation des systèmes d'information doit fédérer les systèmes de base. L'application dite « HAPI », pour « harmonisation et partage de l'information », permettra d'harmoniser la tarification des établissements et services des ARS. Les autres systèmes d'information seront greffés sur ce pivot afin de constituer un ensemble cohérent.
Il a été entrepris dès 2011 ou 2012, mais de nombreux retards ont été enregistrés.
J'ai encore en mémoire les propos d'un directeur général de la Caisse nationale d'assurance maladie qui nous assurait en 2004 que l'urbanisation serait rapidement opérationnelle au sein de la branche maladie. Dix ans après, ce n'est toujours pas achevé. Et je n'évoque même pas l'interconnexion des fichiers du secteur médico-social avec ceux du fisc !
Point positif, nous avons constaté que le système HAPI fonctionne. Même si les ARS s'en méfient encore un peu et ont conservé leurs systèmes autonomes en 2013, il est probable qu'elles l'utiliseront de façon exclusive pour la prochaine campagne de tarification. D'autres applications, d'ailleurs bien moins lourdes, seront absorbées à terme. En ce qui concerne l'allocation des moyens de l'offre collective, nous constatons donc qu'une ligne directrice se dégage et que des perspectives favorables se dessinent.
Disposons-nous d'une évaluation du coût de mise en oeuvre de cette urbanisation ? Avons-nous bien affaire à des systèmes ouverts, et non à des systèmes mainframe comme ceux que nous avons rencontrés dans la branche famille ?
Il n'y a rien de comparable. Nous avons tenté d'estimer les coûts, ce qui n'est pas facile, mais les sommes en jeu ne sont pas considérables car, d'une part, ces systèmes sont très décentralisés puisqu'ils sont gérés dans les ARS et, d'autre part, la CNSA dispose en son sein d'un service d'une dizaine de personnes qui nous ont paru compétentes, ce qui permet de limiter le recours aux cabinets de conseil. Cette direction des systèmes d'information fournit un travail important qui tend à se développer, plusieurs arbitrages favorables ayant permis à la Caisse de renforcer ses moyens dans ce domaine.
Pour ce qui est des MDPH, la situation est plus complexe car la loi n'était pas claire. Lors de la création de la CNSA, les départements n'ont pas voulu lui déléguer le pilotage des systèmes d'information. Elle devait donc remplir une mission impossible consistant à fédérer des informations dont elle n'avait pas la maîtrise. Une kyrielle de prestataires de services intervenait. Un système d'information national « SipaPH », pour Système d'information partagé pour l'autonomie des personnes handicapées, a été créé en 2010 pour recueillir toutes les informations et les faire remonter, mais son développement n'était pas satisfaisant car, en même temps que des opérateurs tardaient à entrer dans le jeu, certaines MDPH considéraient que ce sujet ne constituait pas une priorité, qu'il leur fallait d'abord dématérialiser les demandes. En définitive, le SipaPH a pris un retard considérable et la première des quatre phases préalables à son alimentation n'est pas encore partout mise en oeuvre.
Aujourd'hui, néanmoins, les départements ont pris conscience de l'intérêt que pouvait avoir l'existence d'une instance centrale leur permettant de récupérer, d'échanger et de comparer des données. Cette évolution se traduit dans les mesures figurant dans l'avant-projet de loi qui, dans sa version de la fin du mois de février, prévoyait que la CNSA disposerait de la maîtrise du pilotage du système d'information des MDPH, grâce à la labellisation et à l'utilisation du numéro d'inscription au répertoire national d'identification des personnes physiques. Si ces dispositions sont votées, la CNSA disposera de plus de pouvoir pour développer ce système d'information. Elle en tirera un réel profit pour l'évaluation des besoins des personnes handicapées, ce qui devrait lui permettre d'ajuster avec les ARS les schémas et l'offre.
Le paysage médico-social a considérablement évolué depuis dix ans. La création de la CNSA, la loi du 11 février 2005 précitée, l'implantation des MDPH dans les départements et la création des ARS ont constitué une véritable révolution dans ce secteur.
En 2010, j'ai été rapporteure de la mission d'information, présidée par Mme Laurence Dumont, sur les missions et l'action de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. Il faut bien avouer que, malgré les efforts de communication consentis par la CNSA, son organisation et ses mécanismes de financement ne sont pas faciles à décrypter. Ils font parfois figure d'usine à gaz pour des parlementaires qui ne sont pas toujours prêts à consacrer l'énergie nécessaire à l'analyse de ce dispositif – et qui ne saisissent d'ailleurs toujours pas, par exemple, pourquoi tous les crédits ne sont pas dépensés alors que, sur le terrain, les besoins sont immenses.
Même si les choses s'améliorent, cette non-consommation des crédits a constitué durant des années un véritable problème. La création par notre commission des affaires sociales de cette mission d'information visait à analyser ce phénomène. Quatre ans après, je constate que vos réflexions et vos questions rejoignent les nôtres. Ainsi les systèmes d'information qui étaient au coeur de nos propositions sont encore aujourd'hui au coeur des vôtres, et l'on peut craindre qu'en la matière les choses se compliquent encore. En effet, si l'on peut se satisfaire de l'action que la CNSA conduit en faveur des personnes handicapées en partenariat avec les MDPH, tout reste à faire pour les personnes âgées. Les départements qui pilotent les politiques de ce secteur et la CNSA ne se connaissent pratiquement pas.
Il y a tout de même eu des progrès !
Le futur projet de loi pourrait donner à la CNSA les moyens qui lui manquent aujourd'hui pour jouer son rôle en matière d'accompagnement des personnes âgées. La Caisse est en effet chargée en ce qui les concerne de la même mission que celle qu'elle exerce maintenant avec plus de succès à l'égard des personnes handicapées : elle doit veiller à l'équité de la répartition des concours sur le territoire. Il est très gênant qu'elle ne puisse pas s'en acquitter.
Je crois qu'une conférence des financeurs doit être organisée dans les départements. Elle devrait permettre de tisser des liens avec la CNSA.
Malgré des améliorations progressives, les difficultés rencontrées pour consommer la totalité des crédits demeurent. En 2010, nous avions constaté que la délégation tardive des crédits vers les ARS ne laissait que quatre mois pour mener la campagne sur le terrain. Certaines dispositions avaient été prises afin que les ARS puissent anticiper les besoins – notification d'enveloppes anticipées, recours aux appels à projets… Il semble néanmoins que le problème persiste. Ces mesures ont-elles permis d'assurer une meilleure fluidité des crédits ?
Dans notre rapport, nous avions également préconisé de renforcer l'audit interne de la Caisse et envisagé la possibilité d'une certification de ses comptes par la Cour des comptes. Nous avions en outre souhaité faire évoluer sa gouvernance en allégeant la composition de son conseil. Quelles solutions permettraient selon vous à la CNSA de prendre ses décisions de manière plus fluide et plus rapide ?
Les grands plans nationaux de création de places, comme le plan solidarité grand âge pour 2007-2012, ont joué un rôle dans la non-consommation des crédits en raison d'un décalage entre les ambitions et l'exécution par les ARS – les objectifs en matière de création de services n'ont pas été atteints, alors qu'ils étaient dépassés en ce qui concerne la création d'établissements. Ce constat avait conduit le ministère et la CNSA à mettre en place un système d'autorisations de programme et de crédits de paiement.
Aujourd'hui, grâce aux appels à projets et au tarissement des crédits nouveaux, lié à la fin des grands plans nationaux, la sous-consommation des crédits tend à diminuer.
La création des ARS a sans doute contribué aussi à cette amélioration – auparavant, lorsque les choses se décidaient au niveau du département, on constatait d'ailleurs que les crédits étaient mieux répartis et consommés quand les préfets de région s'en chargeaient au plus près du terrain. Il reste cependant des crédits non consommés.
Cela concerne désormais seulement 1 % des crédits : on est passé de 490 millions d'euros en 2012 à 173 millions en 2013.
Le renforcement des missions de la CNSA doit permettre d'étendre aux personnes âgées toutes les compétences qu'elle exerce aujourd'hui à l'égard des personnes handicapées.
Un débat permanent existe aussi sur la frontière qu'il faudrait tracer entre la CNSA et les administrations centrales de l'État, en particulier avec la direction générale de la cohésion sociale (DGCS). Évidemment, un établissement public peut se montrer plus « agile » et réactif qu'une administration centrale. La Cour reste néanmoins un peu réticente à l'idée de voir confier des missions à caractère réglementaire à un établissement public détaché de l'État. Il faut sans doute améliorer la coopération entre les deux entités en question et ne pas hésiter à mettre davantage la CNSA à contribution, par exemple dans la préparation de certains textes en tant qu'expert, mais la DGCS devrait selon nous conserver son rôle normatif.
Plusieurs propositions ont été faites en matière de gouvernance, en particulier la création d'un Haut Conseil de l'âge. On a également évoqué la possibilité de revoir la composition du conseil de la CNSA, en ménageant trois postes de vice-président : l'un pour un représentant des départements et les deux autres partagés entre les associations s'occupant des personnes âgées et celles qui s'occupent des personnes handicapées. De fait, en tant que présidente du Conseil national consultatif des personnes handicapées, je sais que ces associations souhaitent que la CNSA ne perde pas de vue les spécificités de prise en charge tant du vieillissement que du handicap. Que pense la Cour de ces propositions ? Sont-elles susceptibles d'améliorer la situation ?
Notre rapport mentionne dans ses développements consacrés à la gouvernance les propositions qui ont été avancées en vue d'accroître la représentation des principaux financeurs de la Caisse au sein de son conseil, en y faisant entrer les organismes de sécurité sociale et en y renforçant la place des conseils généraux qui pourraient se voir confier une troisième vice-présidence, créée à cet effet. À ma connaissance, les réflexions en cours et le futur projet de loi vont dans ce sens, ce qui nous semble positif comme tout ce qui permet de resserrer les liens entre les départements et la CNSA et de faciliter l'action de cette dernière.
Mme Bérengère Poletti m'a paru très critique : mes collègues, que l'élaboration de ce rapport a conduits à fréquenter assidûment la CNSA, n'ont pas eu le sentiment qu'elle était confrontée à des blocages dus à sa gouvernance. Il nous semble au contraire que l'institution fonctionne bien.
Je me suis sans doute mal fait comprendre. Les lourdeurs que j'évoquais concernent la conception originelle très complexe de certains mécanismes, en matière budgétaire notamment ; je n'en reconnais pas moins que la CNSA constitue l'une des grandes réussites de la loi du 11 février 2005. Le progrès permis par le lien établi entre la Caisse et les MDPH est tel que nous regrettons que le modèle ne s'applique pas également en ce qui concerne les personnes âgées – mais je pense qu'il a servi d'exemple à ceux qui ont élaboré le projet de loi sur le vieillissement.
Je me suis contentée de constater qu'alors que certaines lourdeurs de fonctionnement ou certaines difficultés sont identifiées depuis longtemps, on n'y remédie que bien lentement – par exemple en ce qui concerne les systèmes d'information.
Les systèmes d'information constituent en effet un sujet central.
La Cour, dans sa septième recommandation, considère qu'il est impératif de « progresser dans la connaissance des coûts des établissements et services médico-sociaux », ce qui souligne, en creux, leur dispersion. Celle-ci s'explique peut-être par l'histoire de la prise en charge de la dépendance et du handicap, qui doit beaucoup à l'action des associations même si l'État a peu à peu rattrapé son retard. Avez-vous constaté dans le secteur du handicap une multiplication des coûts de fonctionnement liée à ce phénomène, comme la Cour avait pu le relever dans son travail sur les hôpitaux ?
Il s'agit de l'un des rares sujets sur lesquels nous sommes vraiment critiques à l'égard de la CNSA. Nous constatons une grande insuffisance en matière de connaissance des coûts. Les gestionnaires actuels ne sont pas en cause – ils font ce qu'ils peuvent – mais, presque dix ans après la création de la Caisse, on se demande comment il a été possible d'attendre aussi longtemps pour mener des études de coûts, sachant que, sans la connaissance de ceux-ci, la CNSA ne peut remplir sa mission consistant à répartir équitablement l'OGD entre les territoires.
Nous avons longuement débattu du sujet avec la Caisse, qui insiste sur ce qui est désormais entrepris. Néanmoins, des obstacles se dressent encore, ne serait-ce qu'en raison de la complexité de ces analyses. Une contribution a été demandée à l'Agence technique de l'information sur l'hospitalisation (ATIH), qui fait un remarquable travail dans son domaine mais qui n'a pas les moyens de donner cet appui, sachant que ces enquêtes prennent de trois à quatre ans.
En la matière, le retard pris par la CNSA est considérable et, même si plusieurs études ont été lancées, il faudra longtemps pour le combler.
Je veux également souligner que la bonne répartition des moyens n'épuise pas les exigences de l'équité entre territoires. Il faut aussi une juste distribution des moyens financiers entre les établissements, y compris à l'intérieur d'un même territoire.
La Cour a identifié un certain nombre de freins parmi lesquels un déficit de volonté partagée, que vous évoquiez à demi-mot, monsieur le coprésident. Il est vrai que la transparence sur les coûts peut déranger et remettre en cause des situations acquises. La CNSA ou les ARS ont aussi pu trouver une certaine facilité dans la reconduction mécanique des enveloppes. Il ne faut pas non plus négliger l'insuffisance des outils à la disposition de l'État, qui a concentré son expertise sur le secteur sanitaire en négligeant le secteur médico-social.
La Cour des comptes ne pousse évidemment pas à la dépense mais, précisément, il semble qu'investir un peu plus dans l'expertise médico-sociale donnerait un levier pour réaliser des économies, en sus de favoriser la recherche de l'équité.
Derrière ce problème de la connaissance des coûts, nous rencontrons forcément celui de la réforme de la tarification des établissements que, pour ma part, je réclame depuis des années. Une telle réforme n'aurait rien d'anodin sachant que certaines tarifications historiques vont bien au-delà de ce qui se pratique sur le terrain. Il faudrait instaurer une convergence entre les établissements, convergence que les associations de personnes handicapées n'appellent pas nécessairement de leurs voeux.
Nous menons actuellement une enquête, qui devrait aboutir au second semestre de cette année, sur la tarification et sur l'allocation des ressources dans les établissements sociaux et médico-sociaux qui hébergent des personnes âgées et des personnes handicapées, et nous faisons le même constat que vous. Mais cette réforme de la tarification est manifestement un sujet compliqué.
Après que plusieurs événements médiatisés ont mis en évidence les difficultés de prise en charge de certaines situations de handicap, le Gouvernement a confié à M. Denis Piveteau, conseiller d'État, une mission sur le sujet qui devrait traiter de cette question de la tarification. Elle met en effet en jeu le fonctionnement des établissements, leur répartition et l'offre sur les territoires. Cette contribution devrait nous permettre d'avancer sur cette question essentielle que nous évoquons depuis longtemps.
La Cour ne propose, dans sa cinquième recommandation, que de revoir le mécanisme de lissage des réductions des écarts interrégionaux appelé « serpent » alors qu'elle préconise de mettre fin à la pratique de la réserve nationale. Pourquoi cette différence de traitement ?
Dans un premier temps, nous avions proposé la suppression du « serpent ». À l'issue de la procédure contradictoire avec la CNSA, nous avons décidé de nous contenter d'en demander la révision car, sur le terrain, certains éléments peuvent justifier son maintien, ce qui n'est pas vrai de la réserve nationale.
La réserve nationale joue sur des volumes considérables et gêne les ARS. Certaines décisions prises au niveau central sont contraires aux prescriptions des schémas ; les ARS nous en ont fourni de multiples exemples. En termes d'efficacité de la répartition des moyens sur le territoire, la Cour considère donc que la réserve est contre-productive.
Le mécanisme du « serpent » a une portée plus symbolique. Le conseil de la CNSA avait souhaité que toutes les régions, même celles qui étaient « surdotées », bénéficient des moyens supplémentaires alloués dans le cadre des grands plans. Ce choix qui est à l'origine du « serpent » a évidemment paru à la Cour contraire à la volonté du législateur de réduire les écarts entre les régions. La CNSA nous a toutefois convaincus de modérer notre recommandation initiale en faisant valoir qu'il était difficile de ne rien donner dans certains secteurs. En tout état de cause, le tarissement des grands plans nationaux fait que ce mécanisme aura désormais des effets sans commune mesure avec ceux qu'a provoqués l'existence de la réserve nationale.
Comparativement, les enjeux financiers sont très faibles.
Nous remercions vivement la Cour des comptes pour les éclairages qu'elle nous a apportés ce matin. Nous avons eu un immense plaisir à l'accueillir, comme c'est toujours le cas.
La séance est levée à neuf heures quarante.