Le débat en commission élargie du mardi 23 octobre dernier consacrée au budget de l'enseignement supérieur et de la recherche pour 2013 a renforcé les différents éléments qui conduisent à ne pas accepter en l'état les crédits proposés pour cette mission déterminante.
Les moyens des programmes et actions « Recherche » de la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur » sont en effet un élément décisif pour considérer un projet politique. Ils conditionnent l'avenir intellectuel comme le soutien au développement économique de notre pays. Le précédent gouvernement, s'inscrivant dans la continuité d'une orientation politique fixée dès le début des années 2000, a tenu les engagements de la loi de programme pour la recherche de 2006 comme du ceux du programme des investissements d'avenir de 2010.
Si le projet de loi de finances pour 2013, défendu par la nouvelle majorité, présente un budget de la recherche préservé dans ses grandes lignes, cette apparente stabilité recouvre une évolution interne et des baisses de moyens significatives, touchant au premier chef l'Agence nationale de la recherche, l'ANR, dont les crédits baissent de plus de 10 %.
La fragilisation de l'ANR intervient alors que son rôle central dans le système français de recherche s'est confirmé par sa gestion des investissements d'avenir, qui ont contribué à redessiner le cadre de l'enseignement supérieur et de la recherche en France en le dotant de moyens exceptionnels par rapport aux époques antérieures. Or, une modification des crédits de l'ANR touche directement l'ensemble des programmes de la recherche publique dont elle est le premier financeur. Toute baisse des moyens de l'Agence a des conséquences immédiates, et très supérieures à celle touchant les crédits récurrents, sur les dépenses effectives de recherche. Ce choix de remettre en cause la recherche par projets nous distingue par ailleurs de la plupart de nos partenaires économiques, en particulier européens, qui ont au contraire décidé de la renforcer dans cette période difficile, et cela malgré leurs difficultés budgétaires.
Ces modifications internes touchent également différents acteurs de la recherche dans le domaine de l'énergie, comme le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ou l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) – ce qui est pour le moins paradoxal à la veille du débat national sur la transition énergétique où leur expertise sera essentielle. Elles se font également au détriment de la recherche universitaire d'excellence : à l'Institut universitaire de France, pourtant créé à l'initiative de Claude Allègre en 1991, le nombre de postes ouverts en 2013 baisse de près d'un tiers par rapport à 2012 et aux années précédentes.
Il est nécessaire, dès lors, de s'interroger sur l'avenir des multiples outils dont est dotée la recherche publique, tant en termes de structures que de financements, alors que se tiennent les Assises de l'enseignement supérieur et de la recherche décidées par le nouveau gouvernement : le cadre budgétaire de la mission interministérielle pour 2013 semble anticiper quelque peu sur les résultats de ses travaux, ce qui n'est pas très cohérent, et tendrait même à montrer que le gouvernement a préempté les conclusions des Assises. La concertation serait-elle un simulacre ?
Cette réorientation plus ou moins discrète de l'intervention publique semble toucher également des opérateurs comme l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur, l'AERES. Alors que son existence même est remise en cause par certains – l'Académie des sciences, par exemple –, il est nécessaire qu'elle soit mieux défendue par le gouvernement. La réponse de Mme la ministre n'a pas été très encourageante. Il est pourtant plus que jamais nécessaire de disposer d'une instance indépendante d'évaluation de notre système et de nos établissements d'enseignement supérieur et de recherche, correspondant de plus à nos engagements européens.
Permettez-moi de concentrer maintenant mon propos sur le crédit d'impôt recherche (CIR).
Notre pays dispose, sous une forme renforcée depuis 2008, d'un instrument de soutien à la recherche au sein des entreprises, le crédit d'impôt recherche, qui est très largement considéré comme pertinent et efficace. C'est du reste la dépense fiscale rattachée à la mission interministérielle qui est la plus appréciée des entreprises. En dehors du crédit d'impôt recherche, l'essentiel des dépenses fiscales concerne le programme 192, « Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle », et plus particulièrement les jeunes entreprises innovantes et la valorisation des licences et brevets.
Le crédit d'impôt recherche bénéficie d'un réel consensus, y compris au Parlement, et ce depuis sa création en 1983, comme l'a montré encore récemment le rapport du sénateur Michel Berson. Il est le principal levier visant à permettre à la recherche et développement français d'atteindre l'objectif, fixé au niveau européen, d'un taux d'investissement de 3 % de PIB.
L'impact du crédit d'impôt recherche est presque mesurable en temps réel : le maintien du niveau des dépenses de recherche des entreprises en France depuis le début de la crise en est un indicateur significatif. Au moment où la compétitivité de notre économie est au centre du débat politique, il s'agit donc d'un outil fondamental.
« Un dispositif satisfaisant mais perfectible », selon l'expression revenue plusieurs fois lors des auditions aussi bien du côté des représentants des entreprises et de leurs conseils que de leurs partenaires publics. L'aspect satisfaisant est traduit par les chiffres mêmes de son succès : triplement du nombre d'entreprises concernées et décuplement de la créance fiscale depuis 2004. Une approche plus précise montre une véritable adhésion des directions des entreprises depuis 2009. Les PME, en particulier, qui représentent près de 80 % des entreprises bénéficiant du dispositif, se sont emparées de certaines des dispositions les plus incitatives, comme celle visant au recrutement de jeunes docteurs. L'expérience est, de l'avis des intéressés, passionnante pour les deux parties, et se traduit par une pérennisation de l'emploi du docteur au sein de l'entreprise dans 80 % des cas.
Un autre avantage, moins intuitif, est apparu lors des auditions, celui de dépasser l'effet de mode qui peut s'emparer de la recherche publique. La recherche en entreprise est davantage conduite à persévérer, pour rentabiliser les crédits engagés. Le crédit d'impôt recherche peut donc servir à développer des recherches qui n'auraient pas bénéficié autrement de l'attention des organismes publics. Cet effet vertueux incite à continuer de stimuler les relations entre public et privé en la matière.
Les améliorations importantes du dispositif depuis 2008 ne doivent cependant pas dissimuler un certain nombre de difficultés, que les auditions ont permis de préciser.
Si le projet de loi de finances pour 2013 n'a pas cédé à la tentation de réduire le crédit d'impôt recherche, il propose cependant, dans son article 55, d'en modifier certaines modalités.
Constatant que seule une partie des dépenses de développement des entreprises est prise en compte actuellement dans l'assiette du CIR, alors que celles-ci sont décisives pour transformer une découverte technologique en un produit commercialisable, le projet de loi de finances propose d'étendre le régime du CIR à certaines dépenses d'innovation réalisées par les PME en aval de la recherche et développement. Ces dépenses, plafonnées, entreraient dans la base du crédit d'impôt et bénéficieraient d'un taux d'aide de 20 %. Ce taux est donc réduit par rapport au taux normal de 30 %. Par ailleurs, la dépense fiscale supplémentaire serait gagée par la suppression du taux majoré du CIR les deux premières années. À mon sens, ce gage est totalement inapproprié : c'est en effet au début du processus que s'accomplit la rupture conceptuelle à l'origine de l'innovation ; il serait paradoxal de remettre en cause la principale incitation au développement de la recherche à l'occasion d'une mesure censée en favoriser la valorisation.
Le projet de loi de finances prévoit également d'améliorer le dispositif du rescrit fiscal en permettant aux entreprises d'y recourir même lorsque leur projet de recherche et développement a déjà débuté. C'est une mesure intéressante, mais qui ne règle pas une question cruciale, celle de l'expertise. L'éligibilité des dépenses de recherche au CIR est demandée aux experts du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. Or cette expertise ne garantit pas la possibilité d'un débat contradictoire. De plus, l'importance croissante du CIR, l'extension du dispositif de rescrit fiscal et l'introduction d'une procédure contradictoire rendent nécessaire le renforcement de cette même expertise. Outre OSEO et l'ANR, déjà habilités à délivrer des rescrits, le rôle d'expertise ne pourrait-il être étendu à une autorité administrative indépendante comme l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur ? C'est une proposition que je formule.
Vous l'aurez compris, le projet de budget de la mission interministérielle souffre de plusieurs faiblesses structurelles et d'orientations en décalage par rapport à certains grands enjeux internationaux en matière de recherche, notamment en ce qui concerne le financement de la recherche par projets. C'est ce qui me conduit à donner un avis négatif au volet « Recherche » du projet de loi de finances pour 2013 tel qu'il nous est proposé par le gouvernement.