Intervention de Isabelle Attard

Réunion du 30 octobre 2012 à 17h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Attard, rapporteure pour avis :

Suivant l'usage, j'ai choisi de consacrer mon avis budgétaire à un thème d'investigation principal, le logement étudiant.

Avant de vous présenter la politique budgétaire de l'État en la matière, permettez-moi de rappeler les mouvements de crédits sur les programmes 150, relatif à l'enseignement supérieur, et 231, consacré à la vie étudiante. Ces deux programmes échappent à la règle de stabilité imposée à la plupart des dépenses de l'État. Les crédits du programme 150 se montent à 12,8 milliards d'euros. Ils augmentent de 249 millions d'euros, pour un tiers à l'avantage de la formation en licence qui reçoit, conformément à un engagement pris par François Hollande lors de la campagne présidentielle, 1 000 nouveaux postes. La formation en master obtient un supplément de 35 millions d'euros.

Le passage à l'autonomie des derniers établissements d'enseignement supérieur s'achève. La ministre de l'enseignement supérieur a reconnu qu'il s'est fait sans concertation, sans que les établissements y soient préparés et au prix de déséquilibres financiers pour nombre d'entre eux. Les inconvénients de ce passage en force apparaissent dans les nombreuses contributions recueillies lors des Assises territoriales et nationales de l'enseignement supérieur et de la recherche qui sont actuellement conduites par Mme Françoise Barré-Sinoussi.

Les conclusions de ces Assises ne devraient pas revenir sur les compétences et les financements qui ont été délégués aux établissements depuis 2007. Mais elles inviteront sans doute le gouvernement à simplifier l'architecture du système public d'enseignement et de recherche et à modifier la gouvernance des établissements. Ces conclusions devraient être reprises dans un projet de loi attendu l'année prochaine et traduites dans le projet de loi de finances suivant.

La ministre a déjà annoncé que le système SYMPA (« système de répartition des moyens à la performance et à l'activité ») d'allocation des moyens aux universités serait revu. Cette révision sera cependant limitée par les contraintes budgétaires strictes qui s'appliqueront, selon la programmation triennale annoncée, aux crédits de l'enseignement supérieur et de la recherche en 2014 et 2015. Seuls les établissements bénéficiant des dépenses d'investissements d'avenir et du plan Campus disposent aujourd'hui de marges de manoeuvre.

Or ces ressources extrabudgétaires ont été très inégalement réparties et une grande partie a été investie dans des opérations immobilières qui tardent à produire leurs effets. L'opacité des procédures de partenariats public-privé (PPP), retenues ces dernières années pour les investissements dans l'immobilier universitaire, aurait pu être compensée par la rapidité des constructions et l'efficacité des prestataires. Il n'en a rien été. Votre rapporteure partage la surprise exprimée devant vous à ce sujet par la ministre de l'enseignement supérieur. L'opération Campus a été lancée en 2007, les investissements d'avenir en 2010. Aucune première pierre n'a été posée plus de quatre ans après la sélection des premiers bénéficiaires !

Un rapport de la mission d'évaluation et de contrôle de la Commission des finances, déposé en décembre dernier, reconnaissait que les décaissements liés au plan Campus étaient faibles et les raisons des lenteurs imputables à la complexité des opérations. La ministre de l'enseignement supérieur souligne plutôt le manque d'engagement des collectivités territoriales dans ces projets immobiliers, puisque celles-ci sont tenues à l'écart des instances qui les conduisent. Elle s'est engagée à remettre à plat les partenariats les moins avancés.

Le programme 231 relatif à la vie étudiante reçoit pour sa part 141 millions d'euros d'autorisations d'engagement et 156 millions d'euros de crédits de paiement supplémentaires. Ces hausses ne sont toutefois que le rétablissement, longtemps attendu, du budget nécessaire au paiement des bourses sur critères sociaux sur dix mois. Le programme 231 avait fait l'objet d'un rappel à l'ordre de la Cour des comptes dans son rapport sur l'exercice 2011. La Cour relevait une sous-évaluation chronique des crédits nécessaires au paiement des bourses depuis l'exercice 2009.

Outre les crédits des bourses et l'aide sociale aux étudiants, le programme 231 couvre également une partie des dépenses de l'État en faveur du logement étudiant. Le gouvernement a annoncé un nouveau programme de construction de 40 000 logements sociaux pour les étudiants. Il a augmenté pour cela de 20 millions d'euros la dotation d'investissement immobilier du Centre national des oeuvres universitaires et scolaires, le CNOUS.

La ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche a confirmé la semaine dernière que la dotation supplémentaire serait reconduite dans les années à venir et qu'elle ne serait pas diminuée par une baisse des investissements des futurs contrats de projets État-région.

Elle a également confirmé qu'une mission conjointe de son ministère et du ministère du logement serait mise en place pour piloter ce nouveau plan. Je m'en réjouis particulièrement car on était dans le flou depuis l'annonce du mois de juin. Ce suivi interministériel avait manqué au plan précédent, le plan Anciaux, qui visait d'abord la rénovation des anciennes cités universitaires, devenues vétustes et inadaptées. Cette rénovation a pris du retard. Elle se poursuit encore, sur un rythme moins rapide que prévu, mais sur des crédits budgétaires renouvelés chaque année et sans endettement des centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires, les CROUS.

Le plan Anciaux fixait ensuite un objectif de construction de 5 000 nouvelles places par an dans le parc des CROUS. Un tiers des places devait compenser les pertes dues à la rénovation des anciennes chambres, puisque celles-ci sont agrandies – on utilise deux chambres pour en faire une ou trois pour en faire deux – afin de recevoir un bloc sanitaire complet. Le reste devait accroître l'offre de logements très sociaux pour les étudiants français et étrangers. Le CNOUS et le ministère de l'enseignement supérieur reconnaissent que la moitié seulement des nouvelles places prévues a été construite.

En revanche, si l'on consulte le bilan, publié par le ministère du logement, du financement par des prêts aidés des résidences sociales pour étudiants, on apprend que l'objectif de 5 000 places par an du plan Anciaux a été atteint. Cette contradiction s'explique par la politique des bailleurs sociaux : ils ont construit les résidences étudiantes, pour leur propre compte ou pour celui des CROUS, avec peu de subventions mais avec des prêts locatifs sociaux. Ce sont ces bailleurs qui ont négocié avec les municipalités l'implantation des résidences, qui ont défini l'architecture et choisi le gestionnaire et le régime d'exploitation. Dans un cas sur deux, ils ont préféré placer leurs résidences sous le régime de la location meublée non professionnelle, pratiquée par des associations sans but lucratif qui s'en sont fait une spécialité, plutôt que sous celui de l'affectation administrative, pratiqué par les CROUS. C'est pourquoi plusieurs questions restent encore sans réponse concernant le nouveau plan de construction : où seront construits les 40 000 nouveaux logements étudiants annoncés ? Qui les louera ? Et à quel prix ?

Les municipalités détiennent les réserves foncières à bas coût. Ce sont elles qui seront les bénéficiaires de la loi de mobilisation du foncier public en faveur du logement social. En confiant aux bailleurs sociaux le soin de décider avec elles de l'implantation des résidences étudiantes, la politique de l'État a abouti à multiplier les constructions dans les villes moyennes et non pas dans les grandes agglomérations, où la rareté et le prix du foncier ne permettent pas aux résidences sociales financées par emprunt d'atteindre l'équilibre financier.

La plupart des résidences étudiantes ont en outre été construites sur le même modèle architectural. On est ainsi passé d'un extrême à l'autre depuis les années 1960. Les dortoirs des cités universitaires, avec douche et toilettes à l'étage, ont cédé la place aux casiers individuels alignés par dizaines dans des caisses en béton. Les chambres ont doublé de taille afin de recevoir le bloc sanitaire et la cuisine indispensables pour atteindre les standards des logements sociaux et obtenir le conventionnement à l'APL (aide personnalisée au logement). Le chauffage collectif a été remplacé par un chauffage électrique individuel. Enfin, le financement de ces résidences pour étudiants par des emprunts aidés plutôt que par des subventions a diminué la part du parc très social et augmenté les loyers payés par les étudiants. Cette hausse des loyers a obligé l'État à accorder plus largement aux étudiants le bénéficie de l'allocation logement à caractère social, la fameuse ALS, qui est régulièrement remise en cause parce qu'elle profiterait à des catégories d'étudiants qui n'en auraient pas besoin.

À la différence des bourses, qui tiennent compte des revenus familiaux, les aides au logement ne dépendent que des revenus personnels des étudiants alors que la plupart n'en déclarent pas. Le ministère des finances souhaite donc récupérer une partie du 1,2 milliard d'euros d'ALS qui leur est alloué chaque année et réduire l'avantage qu'accorde, par étudiant à charge, la demi-part du quotient familial aux ménages qui payent l'impôt sur le revenu. Le ministère de l'enseignement supérieur souhaite, de son côté, mettre en place une allocation d'études supérieures sous condition de ressources qui se substitue entièrement aux parts fiscales, aux bourses et aux aides sociales actuelles afin de cibler d'avantage les étudiants issus des milieux les plus modestes.

Ces projets suscitent beaucoup d'inquiétudes parmi les représentants des étudiants. Au lieu de l'allocation universelle d'autonomie qu'ils avaient imaginée, portée au niveau des minima sociaux et donc plus coûteuse que les aides actuelles pour les finances publiques, ils craignent une allocation financée à coût constant voire à moindre coût, qui soit un peu plus favorable aux étudiants issus des milieux les plus modestes mais aux dépens de ceux qui, n'ayant accès ni aux bourses ni aux logements sociaux, doivent consacrer l'essentiel de leurs ressources à leur logement et souvent travailler au-delà du seuil raisonnable de 12 à 15 heures par semaine pour payer leur loyer. Avant de durcir les conditions d'attribution des aides sociales à ces étudiants, il serait souhaitable de baisser les loyers des petites surfaces et d'accroître le parc de logements.

Celui des CROUS n'atteint pas actuellement les objectifs que lui assigne l'État, à savoir loger 10 % des étudiants et 30 % des boursiers. Pour les atteindre, il faudrait changer le modèle des résidences étudiantes, en séparant le logement étudiant du logement social, et proposer des logements collectifs financés par des subventions et loués à moins de 150 euros. Je veux parler – et c'est le coeur de mon propos – de logements collectifs confortables et conviviaux pour 4 à 8 étudiants dans lesquels chacun loue une chambre et partage des pièces communes et des salles d'eau.

Ce modèle de logement collectif est peu pratiqué en France mais largement répandu dans les pays proches, notamment la Belgique, les Pays-Bas ou la Grande-Bretagne. Il a fait ses preuves à tous points de vue, financier, pédagogique et social. Les logements sont moins chers à la location, plus économes en énergie et plus agréables à vivre pour les étudiants.

Je prendrai l'exemple de Louvain-la-Neuve, en Belgique, où ces logements s'appellent des « kots ». Il ne s'agit pas d'une colocation indivise. Les chambres sont louées individuellement aux étudiants par des baux qui fixent l'usage des parties communes et divisent, sans contestation possible, les charges, les cautions et les frais de réparation des dégradations. Il y a un état des lieux à l'entrée et à la sortie de chaque étudiant. Pour assurer l'entretien des pièces communes et maintenir un contact social permanent entre l'étudiant et le service des logements de l'université, le loyer inclut le paiement de services, en particulier le ménage, comme dans nos résidences étudiantes avec services mais à moindre prix. Ces services permettent une prise en charge sociale des étudiants les plus jeunes – le dispositif concerne les première et deuxième années –, un accompagnement à l'autonomie, un signalement des étudiants en mal de vivre et un contrôle des excès de comportement ou du laisser-aller dans l'usage et l'entretien des locaux.

Ces résidences savent aussi s'adapter à l'âge des étudiants, en réservant aux plus jeunes l'hébergement à prix modique dans un logement collectif et en leur proposant par la suite d'intégrer une colocation organisée autour d'un projet associatif, un « kot à projet ». Dans cette deuxième étape, les étudiants se regroupent autour d'un projet commun qu'ils mèneront sur une année ou plus. Non seulement les autres étudiants, mais aussi tous les habitants de la ville bénéficient de cette participation à la vie associative, culturelle et associative de Louvain-la-Neuve.

Ces logements collectifs coûtent peu, rapportent plus qu'ils ne coûtent et favorisent les études comme l'épanouissement et la socialisation des étudiants qui y habitent. Qu'attend-on pour les développer en France ?

Ils doivent être pensés dès l'élaboration du projet architectural de construction des 40 000 logements. Ils doivent pouvoir s'appuyer sur une administration solide qui répartit, entretient et anime les immeubles, tout en veillant au bien être des étudiants. Il est encore temps d'inciter le réseau des oeuvres universitaires à multiplier les expérimentations de cette nature dans les programmes de construction qu'il va financer.

Les CROUS ont commencé à reprendre la main sur la construction des résidences étudiantes qu'ils gèrent. Ils recourent de plus en plus à un accord cadre d'installation de logements industrialisés, conclu par le CNOUS avec cinq groupements d'entreprises. Chaque groupement réunit un industriel, un architecte, des sociétés d'ingénierie et de réseaux et un installateur de logements modulaires. Ce n'est pas moins cher que la construction habituelle en béton mais bien plus rapide à installer. Pour l'instant, cette rapidité d'installation est le principal argument retenu pour utiliser cette formule. On pourrait cependant faire mieux pour améliorer le bilan énergétique et la convivialité de ces logements.

Puisque le réseau des oeuvres reprend la maîtrise d'ouvrage de ses investissements immobiliers, c'est l'occasion pour lui de définir un nouveau standard de résidence étudiante, en construisant non plus seulement des unités individuelles mais des logements collectifs de quatre ou cinq chambres distribuées autour de pièces communes.

Je compte beaucoup sur la mission interministérielle qui doit piloter le nouveau plan de construction pour aider le réseau des oeuvres à inventer un standard français du logement collectif étudiant. La mission pourra mobiliser les services des ministères, voire des équipes d'architectes. Elle pourra suivre les résidences pilotes depuis leur conception et veiller à l'équilibre des plans de financement selon les sites. Ce modèle pourrait ensuite être repris par les résidences étudiantes que construisent les établissements d'enseignement et les bailleurs sociaux. On pourrait même imaginer qu'il s'étende à la colocation privée.

Mais cela ne pourra se fait qu'à deux conditions : d'une part, que le régime des baux surmonte les inconvénients actuels des baux collectifs indivis pratiqués dans la colocation privée ; d'autre part, qu'une intermédiation locative entre le propriétaire et les étudiants s'impose pour éviter les abus de loyers ainsi que les contentieux sur la répartition des charges et la durée des cautions.

Cette intermédiation locative pourrait devenir le nouveau métier des CROUS, dont le site internet « Locaviz », ouvert en mars, marque les premiers pas en ce domaine. Conçu initialement pour augmenter le taux de remplissage des résidences universitaires, ce site pourrait devenir une plateforme du logement étudiant. Il reprend déjà les offres locatives publiées par les 66 000 propriétaires qui avaient adopté le service d'intermédiation des CROUS appelé « logement en ville ».

Le pilote interministériel du nouveau plan de construction de 40 000 places dans les CROUS devra inciter les bâtisseurs et les bailleurs, au moment où de nouveaux campus sortiront de terre et s'entoureront, pour certains, de villes nouvelles, à adopter des techniques de construction plus économes en énergie et moins chères à la location.

L'engagement de l'État et de son principal opérateur dans le logement collectif ne doit pas cependant pas les dispenser d'améliorer tout de suite les conditions d'accès des étudiants au marché locatif privé, par des moyens peu coûteux et très utiles aux étudiants qui recherchent un logement. Je pense en particulier au cautionnement solidaire. Des dispositifs ont déjà été expérimentés par Action logement, par les CROUS et par quelques régions, avec plus ou moins de succès et seulement pour certaines catégories d'étudiants.

Vous l'aurez compris, en dépit des contraintes budgétaires et en attendant les conclusions des Assises de l'enseignement supérieur et de la recherche, le projet de loi de finances pour 2013 commence à corriger les déséquilibres des précédents budgets dans le domaine de l'immobilier universitaire comme dans celui du logement étudiant. C'est pourquoi je vous invite à adopter les crédits de l'enseignement supérieur et de la vie étudiante.

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