Intervention de Francis Vercamer

Réunion du 31 octobre 2012 à 9h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrancis Vercamer, rapporteur pour avis :

Pour la quatrième année consécutive, j'ai l'honneur d'être le rapporteur pour avis de notre commission pour les programmes 111 et 155 de la mission « Travail et emploi ».

Je ne peux que remarquer l'absence d'impulsion nouvelle donnée à ces deux programmes qui s'inscrivent dans la continuité des politiques menées par le précédent Gouvernement.

En termes de présentation budgétaire, j'observe que le nouveau Gouvernement ne m'a communiqué que l'évolution globale des crédits de la mission pour 2014 et 2015, alors que je disposais toujours précédemment de l'évolution prévisionnelle par programme. L'intérêt de la programmation pluriannuelle m'apparaît dès lors limité en termes d'anticipation économique : on ne connaît pas l'hypothèse de répartition des réductions annoncées entre les quatre programmes de la mission.

Sur le fond, je ne peux que me réjouir de la mise en oeuvre progressive de certaines des préconisations que je formule depuis quatre ans. Par exemple, avec le déploiement du deuxième plan « Santé au travail », je constate que l'effort de recherche dans le domaine de la santé au travail a été poursuivi, que le calendrier de la réforme de la médecine du travail a été respecté, les nouvelles dispositions étant entrées en vigueur le 1erjuillet 2012, et que les risques psychosociaux sont désormais intégrés à la politique publique de santé au travail.

En revanche, je ne peux que regretter le manque d'ambition du Gouvernement en ce qui concerne les conseils de prud'hommes. Comme je l'avais indiqué dans mon avis sur le projet de loi de finances pour 2011, plusieurs améliorations pourraient être apportées au système prud'homal, notamment la mise en place d'audiences foraines, pour rapprocher la justice des citoyens, et l'aménagement de la formation des conseillers. Les conventions entre l'État et les organismes agréés de formation prendront fin en 2013 : leur renégociation constituerait un cadre propice à l'organisation d'une concertation.

Je souhaite maintenant partager avec vous quelques réflexions sur le thème que j'ai choisi pour l'avis : le dialogue social. En 2013, le système français de relations collectives connaîtra deux inflexions majeures : l'achèvement de la réforme de la représentativité des organisations syndicales et le lancement de celle des organisations d'employeurs, pour laquelle je milite depuis plusieurs années. La constitutionnalisation du dialogue social, souhaitée par le Président de la République et le Premier ministre, doit également être pour nous un sujet de réflexion. Le ministre a apporté hier quelques précisions à ce sujet.

Depuis dix ans, le rôle dévolu aux partenaires sociaux en France a considérablement évolué : ceux-ci occupent désormais une place centrale dans l'élaboration du droit du travail. On constate, d'ailleurs, une grande vitalité du dialogue social en France. En 2011, quarante-six accords nationaux interprofessionnels, près de 2 000 textes de branche et 34 000 accords d'entreprise ont ainsi été signés. Ce haut niveau d'activité conventionnelle résulte de la mobilisation des partenaires sociaux, conscients non seulement de leur nouveau rôle, mais aussi de l'implication de l'État qui apporte, par différents dispositifs, son soutien à la négociation collective.

Toutefois, il me semble que l'architecture du dialogue social devrait être améliorée. Il serait d'abord nécessaire, me semble-t-il, de créer un Conseil permanent du dialogue social ; j'ai déposé une proposition de loi en ce sens au mois de juillet 2011. Il n'existe pas aujourd'hui d'instance d'organisation et de coordination du dialogue social au niveau national ; or je suis convaincu que la création d'une telle structure serait très utile, car elle permettrait aux partenaires sociaux de débattre au long cours, de manière plus apaisée. Le Commissariat au dialogue social et à la prospective, dont la mise en place a été annoncée lors de la grande conférence sociale, ne remplira vraisemblablement pas ce rôle : placé auprès du Premier ministre, il devrait plutôt produire un travail de prospective partagée, et ne serait pas un lieu de négociation.

Ensuite, les branches professionnelles doivent être restructurées. En 2012, le ministère du travail recense environ 700 conventions collectives en vigueur, dont la moitié a un champ d'application seulement régional ou local. Plus de 60 % des conventions couvrent moins de 5 000 salariés. Cette situation n'est pas satisfaisante : un regroupement des branches doit a minima être opéré. On pourrait, par exemple, s'appuyer sur le travail de restructuration qui a été accompli dans le secteur du spectacle.

Enfin, le renforcement du dialogue social territorial me semble fondamental. Il s'agit non pas de créer un niveau supplémentaire de normes, mais de permettre aux partenaires sociaux de concevoir des plans d'action sur des questions d'intérêt local et de définir des priorités à mettre en oeuvre sur un territoire.

Au niveau national, l'implication des partenaires sociaux dans l'élaboration de la loi découle des procédures de consultation préalable instituées par la loi « Larcher » et par les protocoles des deux chambres du Parlement. Le bilan de l'utilisation de ces procédures apparaît positif, ce qui a conduit le Gouvernement à envisager la constitutionnalisation de ces principes et, de manière plus générale, du dialogue social.

À cet égard, de nombreuses interrogations subsistent. Tout d'abord, le législateur sera-t-il tenu par le contenu des accords conclus par les partenaires sociaux dans le cadre de la concertation préalable ? Cela semble difficile à double titre : au regard du droit d'amendement des parlementaires et de la rédaction parfois ambiguë des accords. La transposition législative de ces derniers peut donc impliquer un travail de réécriture. Mais la modification par le législateur des dispositions de l'accord peut, à terme, avoir des effets négatifs sur les conditions de négociation, qui pourraient se révéler moins loyales si une intervention politique était escomptée.

Ensuite, quelle attitude doit adopter le Gouvernement si une partie des organisations syndicales ne signe pas l'accord ? L'absence de reprise des dispositions négociées constituerait un désaveu pour les organisations signataires. Les personnes que j'ai auditionnées ont toutes rappelé la nécessité que le Parlement respecte l'équilibre global des accords conclus : quelle serait l'utilité d'une constitutionnalisation qui ne comporterait aucune contrainte de fond pour le législateur ?

Je propose donc de commencer par réfléchir à la possibilité de mettre en place un gel temporaire de l'initiative parlementaire et gouvernementale sur des dispositions en cours de renégociation par les partenaires sociaux. Ce gel offrirait aux organisations un cadre de discussion plus sécurisé, mais il suppose d'améliorer l'information entre les partenaires sociaux et les élus, en particulier sur les projets en cours de négociation.

En ce qui concerne l'évolution des règles de représentativité syndicale et patronale, je souhaite évoquer un instant avec vous la réforme de la représentativité des organisations d'employeurs. Je me réjouis du lancement de ce chantier, que j'appelle de mes voeux depuis longtemps : il me semble, en effet, qu'un parallélisme des formes est nécessaire pour renforcer la légitimité de ces organisations et tenir compte des évolutions de la structure économique de notre société.

Plusieurs options sont aujourd'hui en débat : l'élection, le décompte des membres ou un système mixte. Nous verrons ces prochains mois sur quelles règles se mettront d'accord les organisations patronales – si elles y arrivent, ce qui est loin d'être sûr !

J'appelle, par ailleurs, votre attention sur les importantes conséquences qu'entraînera la réforme de la représentativité des syndicats, qui s'achèvera l'an prochain. En particulier, comment sera opérée la nouvelle répartition des sièges dans les instances nationales, régionales et locales auxquelles participent les syndicats de salariés ? Ce problème se posera dans de très nombreuses structures, parfois de premier plan, telles que le Conseil économique, social et environnemental ou les caisses de sécurité sociale, ce qui aura des conséquences pour le financement des organisations syndicales. Le ministre, hier, semblait sceptique sur ces probables revendications : je serais étonné au contraire qu'elles n'émergent pas rapidement. La loi du 20 août 2008 n'a pas réglé cette question : elle s'est limitée à ôter leur capacité de négociation aux acteurs ayant perdu leur représentativité.

Enfin, j'ai consacré la dernière partie de mon avis au financement du dialogue social, une question sur laquelle je travaille depuis plusieurs années. J'ai été notamment membre de la commission d'enquête dont notre ancien collègue Nicolas Perruchot était le rapporteur, dont le rapport qui n'existe pas.

Le système de financement actuel des syndicats repose sur trois catégories de revenus – les cotisations, les ressources issues du paritarisme et les subventions publiques – dont le poids est très variable dans le budget des syndicats – vous trouverez des chiffres dans mon rapport.

Des progrès ont été accomplis en matière de transparence avec l'obligation de certification et de publication des comptes. Les organisations doivent, je le rappelle, soit publier leurs comptes sur le site du Journal officiel, lorsque leurs ressources sont supérieures ou égales à 230 000 euros, soit déposer leurs comptes auprès de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) compétente, si elles choisissent de ne pas publier leurs comptes en ligne. À ce jour, 554 comptes ont été déposés sur le site du Journal officiel et dans les DIRECCTE : 365 pour les organisations d'employeurs et 189 pour les organisations syndicales salariées.

En concluant l'accord national interprofessionnel sur la modernisation du paritarisme et de son fonctionnement du 17 février 2012, les partenaires sociaux se sont aussi engagés dans une démarche de renforcement de l'encadrement et de la transparence du paritarisme de gestion. Cet accord instaure des principes de gouvernance clairs et rigoureux.

Cependant, si je me félicite de ces progrès, la question sensible des comptes des comités d'entreprise doit encore être traitée. Le dépôt d'un projet de loi a été annoncé par le Premier ministre : je l'attends de pied ferme.

La force du dialogue social réside dans sa légitimité : celle-ci est liée non seulement à la représentativité, mais aussi aux modalités de financement des acteurs du dialogue social – organisations d'employeurs et syndicats de salariés. J'insiste donc sur l'importance d'aller au terme de ces chantiers pour que le dialogue social s'affirme davantage, dans les années qui viennent, comme un vecteur essentiel de transformation des normes juridiques en lien avec les réalités vécues par les salariés et les employeurs au sein des branches professionnelles et des entreprises.

En conclusion, j'émets un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Travail et emploi ».

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