Intervention de Gérard Cherpion

Réunion du 31 octobre 2012 à 9h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGérard Cherpion, rapporteur pour avis :

La Commission des affaires sociales consacre pour la première fois un avis budgétaire au compte d'affectation spéciale « Financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage», créé en 2011. Les ministres ont présenté les crédits hier matin : je n'y reviens donc pas. Je voudrais, en revanche, partager avec vous les réflexions et les propositions auxquelles m'ont mené les nombreuses auditions que j'ai effectuées.

Il me semble, tout d'abord, nécessaire de réformer le financement de l'apprentissage, dont la structure apparaît trop éclatée et auquel concourent aujourd'hui des dispositifs de natures très différentes.

Il s'agit, en premier lieu, de la taxe d'apprentissage, dont le montant s'élevait en 2011 à 1,9 milliard d'euros. Le produit de cette taxe est divisé en deux fractions inégales.

Le « quota », représentant 53 % de la collecte en 2012, dont les fonds alimentent le compte d'affectation spéciale, pour 22 % de la collecte, et financent les centres de formation d'apprentis, pour 31 % de la collecte – le quota sera porté à 55 % en 2013, 57 % en 2014 et 59 % en 2015 ;

Le « hors quota », ou barème, représentant 47 % du produit de la taxe en 2012, qui est réservé aux premières formations technologiques et professionnelles.

À la taxe d'apprentissage sont assimilées deux autres contributions : la contribution au développement de l'apprentissage – 722 millions d'euros en 2011 – et la contribution supplémentaire à l'apprentissage – 235 millions prévus pour 2013.

Divers avantages fiscaux et sociaux ont été mis en place pour inciter les employeurs à recruter des apprentis : une exonération de cotisations sociales sur les salaires des apprentis, totale pour les entreprises artisanales et de moins de onze salariés, partielle pour les autres – 1,3 milliard d'euros en 2012 – ; l'indemnité compensatrice forfaitaire versée par les régions – 800 millions d'euros en 2012 – ; un crédit d'impôt pour les employeurs d'apprentis – 470 millions d'euros en 2012 – ; une exonération d'impôt sur le revenu de l'apprenti – 285 millions d'euros en 2012.

À ces avantages pérennes se sont ajoutées trois mesures temporaires de soutien financier : le dispositif « zéro charges », pour 29 millions d'euros en 2009 et 2010 ; la prime à l'embauche d'un apprenti, pour 196 millions d'euros sur la même période ; enfin, la prime à l'embauche d'un alternant supplémentaire, pour 40 millions d'euros pour 2011 et 2012.

Cette brève présentation des montants et des dispositifs en jeu vous aura fait comprendre, mes chers collègues, toute la complexité du financement de l'apprentissage.

Trois pistes de réforme ont été évoquées lors des auditions.

Tout d'abord, il semble nécessaire de réduire le nombre d'organismes collecteurs de la taxe d'apprentissage (OCTA). On en dénombre aujourd'hui 144, répartis entre 63 établissements consulaires, 55 OCTA nationaux et 26 OCTA régionaux. Bien que leur nombre ait déjà été fortement réduit – il en existait 563 en 2003 –, il semble encore trop élevé pour permettre une gestion optimale des financements et engendre une forte concurrence entre les structures. À titre de comparaison, il existe maintenant, la suite à la réforme de 2009, une vingtaine d'organismes collecteurs paritaires agréés (OPCA).

On constate, de plus, d'importants écarts de collecte entre les OCTA : trois organismes concentrent 30 % des montants, les dix plus importants réunissent 51 % de la taxe, alors que plus de cent OCTA gèrent moins de 10 millions d'euros, dont cinquante-six moins de 2 millions d'euros. Les frais de gestion varient également fortement selon les organismes : le coût moyen d'un dossier serait compris entre 10 et 2 655 euros. Pour l'ensemble des OCTA, les frais de gestion atteignent 30,3 millions d'euros.

Deux pistes de réforme des OCTA sont envisageables. La première consisterait à revoir leurs conditions d'agrément et à relever le seuil minimal obligatoire de collecte, à l'instar de ce qui a été accompli pour les OPCA. Ce seuil est actuellement fixé à 2 millions d'euros pour les OCTA à compétence nationale, et à 1 million d'euros pour les OCTA à vocation régionale. À titre de comparaison, il est de 100 millions d'euros pour les OPCA.

La seconde piste de réforme consisterait à rapprocher OPCA et OCTA, ce qui impliquerait une gestion paritaire des fonds de l'apprentissage, mais opérerait une véritable rationalisation du circuit de collecte. La branche de l'hôtellerie-restauration a déjà mis en oeuvre un tel dispositif. Cette hypothèse semble particulièrement intéressante, car elle permettrait de constituer une politique globale de formation professionnelle et d'apprentissage.

Au-delà de la réduction du nombre d'OCTA, il me semble indispensable d'accroître la transparence sur l'affectation des fonds de l'apprentissage. Une meilleure information des financeurs et des bénéficiaires apparaît, pour le moins, nécessaire, afin de mettre en place les relations de coopération les plus efficaces possibles. Une réflexion sur la répartition des fonds devrait aussi être menée.

Enfin, pour ce qui concerne le financement de l'apprentissage, le bonus accordé aux entreprises de 250 salariés et plus qui comptent dans leur effectif plus de 4 % de jeunes en contrat d'alternance a fait l'objet de nombreuses critiques lors des auditions. Son montant serait trop faible pour être réellement incitatif, et son obtention auprès de Pôle emploi se révèlerait difficile en pratique.

Face à cette situation, ce dispositif pourrait être aménagé. Son assiette pourrait, tout d'abord, être élargie : les salariés embauchés après un contrat d'alternance dans l'entreprise pourraient être comptabilisés dans la part des effectifs ouvrant droit au bonus, au moins pendant un moment – peut-être deux à trois ans. De nombreuses personnes auditionnées ont, de manière plus générale, insisté sur la nécessité de revoir les modalités de calcul du quota des « alternants ». La liste des entreprises bénéficiaires pourrait également être étendue aux structures de moins de 250 salariés accomplissant des efforts particuliers en matière de recrutement de jeunes en alternance. Le montant de l'aide pourrait, enfin, être augmenté.

L'engagement fort pris par l'ancien Gouvernement en faveur de l'apprentissage s'est traduit par une hausse du nombre d'entrées dans cette formation en 2011. Les premiers effets positifs de la loi du 28 juillet 2011 se font sentir. Vous trouverez des éléments de bilan à cet égard dans mon rapport.

J'espère donc que le nouveau Gouvernement poursuivra les efforts entrepris pour développer cette formation d'excellence, mais, au vu de nos échanges d'hier matin, je n'en doute pas. Trois orientations doivent selon moi être suivies pour construire une politique ambitieuse de l'apprentissage : l'amélioration de l'orientation des jeunes, la valorisation de la voie de l'apprentissage et le développement des formations, par exemple dans les structures publiques.

De l'avis général des personnes auditionnées, l'orientation demeure l'un des principaux obstacles au développement de l'apprentissage, malgré les progrès accomplis depuis 2009. Je pense que celle-ci devrait être plus librement choisie par les jeunes, grâce à une information plus large et de qualité. Cela permettrait, sans doute, de réduire le nombre de « décrocheurs ».

La mise en place du service public de l'orientation doit être poursuivie. Je tiens à saluer, d'ailleurs, le travail remarquable accompli, dans un délai très court, par M. Jean-Robert Pitte, délégué interministériel à l'information et à l'orientation.

Un autre moyen de construire une politique forte en matière d'apprentissage réside dans la valorisation de cette voie. Il faut lutter contre la mauvaise image dont souffre cette filière et, surtout, mieux accompagner les apprentis et leurs maîtres d'apprentissage.

À cet égard, je souhaite présenter brièvement l'amendement que j'ai déposé et qui vise à mettre en place des dispositifs d'accompagnement renforcé des apprentis et de leurs maîtres d'apprentissage. Il s'agit de prévenir les ruptures de contrats, souvent dues au manque d'accompagnement tant des jeunes, qui découvrent l'entreprise, que des maîtres d'apprentissage, qui auraient besoin de référents pour les aider dans la formation de publics parfois difficiles.

La Fondation des apprentis d'Auteuil, que nous avons reçue, a mené, en Alsace, une expérimentation d'accompagnement, par des éducateurs spécialisés, d'apprentis et de maîtres d'apprentissage dans le secteur des hôtels, cafés et restaurants. Cette expérimentation a donné de très bons résultats : tous les jeunes ont obtenu leur certificat d'aptitude professionnel (CAP) et le taux de rupture des contrats n'a pas dépassé 10 %. D'après les données transmises par la fondation, le coût de ce dispositif d'accompagnement renforcé s'élève à 17 000 euros pour vingt jeunes, soit 850 euros par jeune.

Mon amendement a donc pour objectif de déployer dans plusieurs régions un dispositif expérimental proche, qu'il faudra adapter selon les besoins des territoires. Son financement, à hauteur de 2 millions d'euros, permettrait d'en faire bénéficier environ 2 350 apprentis. Ce financement serait assuré par un transfert de crédits depuis l'action budgétaire relative aux contrats d'objectifs et de moyens pour le développement et la modernisation de l'apprentissage, dotée de 355 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2013.

Cet amendement a reçu un avis a priori favorable du Gouvernement lors de l'audition des ministres par la Commission hier matin.

Mêlant savoir être et savoir agir, la formation en apprentissage constitue une voie de réussite, qui ne m'apparaît pas devoir être une source de conflits partisans. Nous devons tous oeuvrer à son développement, car je rappelle que l'apprentissage obtient des résultats exceptionnels en termes d'insertion professionnelle et permet non seulement à des jeunes qui se trouvent en difficulté dans le système scolaire d'obtenir un diplôme, mais aussi à des étudiants de bénéficier d'une première expérience professionnelle solide avant la fin de leur cursus universitaire.

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