Lorsqu'a été annoncée une réforme de la fiscalité, s'agissant notamment des ménages, il m'a semblé que les femmes pouvaient être concernées par cette question. Le groupe de travail sur la fiscalité des ménages, présidé par MM. Dominique Lefebvre et François Auvigne, devrait rendre ses conclusions très prochainement. Dans la mesure où il ne s'agit pas d'un projet de loi, il n'y a pas eu de saisine de la Délégation, mais j'ai informé de notre initiative le Premier ministre par courrier, ainsi que la ministre des Droits des femmes, le ministre délégué du Budget, le rapporteur général de la commission des Finances, M. Christian Eckert, et M. Dominique Lefebvre.
L'objectif de ces travaux était d'examiner dans quelle mesure la fiscalité peut avoir un impact sur les revenus et l'autonomie des femmes. Il s'agit là d'un sujet particulièrement complexe, mais il est essentiel que nous, parlementaires, puissions pleinement comprendre et faire comprendre un système fiscal, qui gagnerait d'ailleurs à être rendu plus transparent et plus juste. La présente contribution s'attache donc, tout d'abord, à rendre ces questions compréhensibles, en présentant également des éléments de comparaison internationale.
L'une des particularités du système fiscal français tient au quotient conjugal, qui doit être distingué du quotient familial au titre des enfants à charge. En France, les couples mariés ou pacsés sont obligés de procéder à une déclaration commune de revenus. Concrètement, dans le cas d'un couple sans enfant, le revenu imposable du foyer, constitué de la somme des revenus de chaque membre du couple, est divisé par deux, puis soumis au barème. Il est ensuite multiplié par deux, une part fiscale étant attribuée à chaque membre du couple.
Le montant de l'avantage fiscal lié au quotient conjugal augmente avec les revenus du couple et peut représenter des sommes significatives pour certains ménages. L'estimation globale de son coût pour les finances publiques est de l'ordre de 5,5 à 9,5 milliards d'euros. Le quotient conjugal soulève aujourd'hui plusieurs questionnements.
Tout d'abord, la mise en place de ce dispositif après la seconde guerre mondiale s'inscrivait dans le contexte de politiques démographiques et familialistes, alors que prévalait le modèle du couple où le mari travaille, tandis que son épouse reste au foyer. Aujourd'hui, nous ne sommes plus dans cette vision. Par ailleurs, ce ne devrait pas être à l'administration fiscale de dire de quelle façon les couples doivent déclarer leurs revenus.
Le quotient conjugal ne favorise pas le travail des femmes, car il augmente le taux marginal d'imposition du second apporteur de ressources. Si certains estiment que les femmes ne sont pas le sujet d'une éventuelle réforme de la fiscalité, il me semble au contraire important de souligner que le système fiscal ne reconnaît pas suffisamment l'autonomie et la pleine citoyenneté des femmes, comme l'a fait observer la représentante d'une association féministe que nous avons entendue.
D'autre part, le quotient conjugal se fonde sur l'idée que les deux membres du couple mettent en commun leurs revenus. Or la mise en commun intégrale des ressources ne concerne que moins des deux tiers des couples dont au moins un des conjoints est actif, selon une étude récente de l'Insee. Il convient également de tenir compte d'évolutions sociologiques concernant les ménages, avec notamment la progression des couples en union libre et des familles recomposées.
En outre, la France est aujourd'hui l'un des rares pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), avec le Luxembourg et la Suisse, à avoir un système d'imposition conjointe obligatoire, même s'il est vrai que dans plusieurs pays européens, l'impôt n'est pas totalement individualisé. Dans un rapport récent, l'OCDE invite d'ailleurs la France à opter pour l'imposition individuelle.
Au regard de ce constat, plusieurs voies de réforme pourraient être envisagées.
Si l'individualisation de l'impôt aurait des effets positifs, mais aussi des effets négatifs pour certains ménages, il m'a semblé que les couples pourraient tout d'abord avoir la possibilité d'opter ou non pour la déclaration commune et l'application du quotient conjugal. L'administration fiscale pourrait faire des simulations afin d'aider les ménages à choisir ce qui leur est le plus favorable – ce qui peut donc entraîner une perte de recettes fiscales. Nous pourrions proposer cette piste du libre choix en se fixant l'objectif d'aller à terme vers la suppression du quotient conjugal, mais il faut y aller par étapes. Il est donc proposé de donner aux couples le choix quant au mode de déclaration – conjointe ou séparée – de leurs revenus, sachant toutefois que cela supposera une négociation dans le couple, comme cela a été souligné lors de l'audition qui a eu lieu hier.
Il conviendrait également de plafonner le montant de l'avantage fiscal procuré par le quotient conjugal pour les ménages à très hauts revenus. Il s'agirait alors de redistribuer ces revenus vers les familles les moins aisées.