Intervention de Michel Sapin

Réunion du 23 avril 2014 à 12h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Michel Sapin, ministre des Finances et des comptes publics :

Je veux commencer par saluer Mme Valérie Rabault, la nouvelle rapporteure générale, et par vous remercier de votre accueil au sein de cette Commission, que j'ai quittée voilà deux ans.

Ce matin, le Conseil des ministres a adopté le programme de stabilité, qui fixe la feuille de route pour la conduite de nos finances publiques pour les trois prochaines années et traduit, dans une trajectoire cohérente de croissance, de recettes et de dépenses, le pacte de responsabilité et de solidarité et les efforts d'économie détaillés la semaine dernière par le Premier ministre. Ce programme traduit, avec le programme national de réforme qui l'accompagne, la stratégie économique du Gouvernement, stratégie responsable qui vise à plus de croissance et d'emplois.

Il s'agit de rendre notre économie plus forte et, en même temps, d'assurer la capacité de la France à peser en Europe. Les deux sont liés, car une France affaiblie et isolée serait une France vulnérable, qui ne serait pas en situation de se faire entendre – y compris sur des sujets que l'Europe comme la France ont intérêt à faire avancer, comme celui de la valeur de l'euro.

Voilà pourquoi nous devons nous battre sur deux fronts en même temps et poursuivre notre travail de redressement économique tout en assumant pleinement nos engagements d'assainissement des comptes publics. Cette double stratégie a été unanimement comprise et saluée par des interlocuteurs auxquels j'ai expliqué, notamment la semaine dernière à Washington – et certes avec bien moins de détails que je ne le fais aujourd'hui devant vous – les logiques de ce pacte de responsabilité et de ce programme de stabilité. C'est la voie de la responsabilité et c'est celle qu'ont choisie le Président de la République et le Premier ministre.

Elle consiste d'abord à renforcer notre économie en gagnant en efficacité et en compétitivité, parce que c'est évidemment la meilleure contribution à la croissance et à l'emploi, et donc au pouvoir d'achat de tous, de manière durable et profonde, tout en faisant des efforts ciblés pour le pouvoir d'achat des plus modestes afin de répondre à l'urgence sociale. Elle consiste parallèlement, afin de crédibiliser l'ensemble, à poursuivre le redressement de nos comptes publics pour regagner des marges de manoeuvre et faire baisser la dette publique tout en en assurant le financement de nos priorités.

Cette double priorité s'explique d'abord par l'impératif de croissance. En 2013, le PIB français était quasi identique à celui de 2008 – environ 2 000 milliards d'euros. Pour la première fois depuis 1945, notre pays – comme du reste l'Europe – a en effet connu une croissance nulle pendant cinq ans, ce qui provoque des dégâts considérables tant pour le tissu économique et industriel que pour les finances publiques et la société, avec une considérable montée du chômage.

Nous sommes au moment crucial où la croissance manifeste une reprise timide, mais réelle. L'année 2013 s'est en effet achevée avec une croissance de 0,3 %, là où certains la prévoyaient quasi nulle, voire négative. Pour 2014, nous avions tablé sur une croissance de 0,9 %, tandis que le Fonds monétaire international – FMI – et la Commission européenne prévoient un chiffre de 1 %. Nous avons donc revu notre prévision en ce sens et retenu cette dernière hypothèse, que le Haut Conseil des finances publiques considère comme solide, réaliste et non susceptible d'être remise en cause par des tendances baissières. Les dernières informations dont nous disposons témoignent de l'amélioration en cours, avec des signes encourageants dans l'industrie par exemple. Mais 1 % de croissance, c'est insuffisant pour réparer le tissu productif, redresser nos finances publiques et lutter en profondeur contre le chômage de masse que nous connaissons. Il faut donc faire plus, et plus vite, pour permettre de retrouver plus d'emplois.

Pour gagner en croissance et en emplois, nous construisons sur ce qui a déjà été voté par le Parlement. Je pense à cet égard au crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi – CICE –, que les chefs d'entreprise, après l'avoir, dit-on, trouvé compliqué l'année dernière, commencent à apprécier maintenant qu'il commence à être versé – il devrait l'être à toutes les entreprises bénéficiaires d'ici au 15 mai prochain. Je pense aussi aux mesures de simplification qui ont commencé à être mises en oeuvre, comme celle relative aux obligations comptables des petites et moyennes entreprises – PME – et des très petites entreprises – TPE.

Mais nous avions besoin de manière cruciale d'une nouvelle étape, d'une accélération, de faire plus pour aller plus vite : c'est le pacte de responsabilité et de solidarité, qui devrait nous permettre de rehausser l'activité d'un demi-point à l'horizon 2017 et de générer ainsi près de 200 000 emplois supplémentaires, selon les calculs des organismes de prévision de notre ministère. Ce pacte intervient à un moment décisif pour notre économie, celui du basculement d'une croissance zéro vers une croissance plus forte, compatible avec les besoins de notre économie et de notre pays – plus de croissance, plus d'emplois, plus de confiance, plus d'espoir.

Cette stratégie de croissance résulte d'une analyse lucide de notre situation.

Nous souffrons d'un problème de compétitivité de l'économie française, beaucoup plus que d'un problème de demande intérieure – je sais que ces propos peuvent faire débat, mais je suis prêt à le dire clairement et précisément. L'aggravation du déficit courant français en est la parfaite illustration, qui reflète l'évolution maîtrisée des coûts salariaux unitaires chez nos concurrents directs. De ce point de vue, l'instauration d'un salaire minimum en Allemagne est une bonne chose pour notre économie.

Parallèlement, l'économie européenne – et la France en particulier – souffre du niveau trop élevé de l'euro. L'euro ne doit pas être notre excuse pour ne pas nous réformer. Rappelons-nous que nos premiers compétiteurs sont des pays qui partagent cette monnaie avec nous. Mais il est évident qu'un euro trop fort à un moment où l'économie est faible pèse sur la reprise de l'activité, pour nos partenaires comme pour nous. C'est bien ce qu'a relevé de manière tout à fait inédite M. Mario Draghi en indiquant qu'une action de la Banque centrale européenne – BCE – pourrait être nécessaire si l'appréciation de l'euro se poursuivait. Lorsqu'on connaît les subtilités du langage d'un banquier central, on peut mesurer la force de ces propos. La BCE est donc prête désormais à injecter des liquidités pour faire repartir le crédit et la croissance.

C'est une chance que nous devons saisir. Mais pour que chacun joue le jeu au niveau européen, encore faut-il que nous sachions tenir nous-mêmes nos engagements et, sur ce point, le constat est clair : c'est notre capacité à redresser nos finances publiques et à poursuivre les réformes en profondeur de l'économie et de la société françaises qui assoit notre crédibilité.

Un deuxième élément est la nécessité de poursuivre la réduction de nos déficits, qui résulte d'une analyse lucide de nos faiblesses.

L'endettement de la France représentait 60 % du PIB en 2002, puis 65 % en 2007, 90 % en 2012 et 93 % en 2013. C'est un niveau considérable. C'est aussi la conséquence de l'ensemble de ces années, que chacun pourra ainsi juger dans leur continuité. L'évolution du déficit public depuis 2012, bien qu'étant passé de 5,3 % du PIB en 2011 à 4,3 % en 2013, soit une diminution de 1 point, n'a pas encore permis de réduire la dette.

Nous avons fait un effort sans précédent en 2013, où nous avons tenu la norme de dépenses des précédents projets de lois de finances et avons même réussi à moins dépenser que prévu pour l'État et pour la santé. Il faut donc continuer de réduire les déficits d'ici à 2017 en visant, pour 2015, un objectif de déficit nominal de 3 %.

Pourquoi 3 % ? Cette question peut susciter des débats, qui ne datent d'ailleurs pas d'aujourd'hui. Il ne s'agit pas de fétichisme, et encore moins de soumission, mais chacun sait que, dans des conditions de croissance qui sont celles que nous souhaitons retrouver, c'est en repassant sous ce seuil que nous pourrons d'abord stabiliser la part de la dette publique dans la richesse nationale, puis la faire diminuer. C'est là un enjeu de crédibilité pour peser en Europe.

C'est vrai pour la zone euro, qui continue de trouver les moyens d'être plus solide, comme on le voit encore aujourd'hui lorsque la Grèce et le Portugal recourent aux marchés pour financer leurs besoins. C'est la bonne manière de résister aux crises, dont nous voyons le coût économique et social, comme c'est le cas depuis juin 2012 avec le projet d'Union bancaire qui est là aussi pour assurer la reprise en Europe.

C'est aussi un objectif essentiel pour garder des taux d'emprunt bas pour la France – cela vaut pour les entreprises, les ménages, les collectivités locales et l'État : un demi-point de taux d'intérêt en plus sur la dette française représenterait 10 milliards d'euros de charges supplémentaires pour le remboursement de la dette pour le seul État. Autant dire qu'une moindre crédibilité, même limitée, pourrait effacer en quelques semaines des années entières d'économies et d'efforts consentis par les Français. Une hausse des taux d'intérêt, ce serait moins d'investissement des entreprises et des ménages. Ce serait aussi un mauvais coup pour l'emploi. De tout cela, nous ne voulons pas. Derrière l'objectif de réduction des déficits, il y a donc aussi un objectif en termes d'emplois.

C'est au nom de ce même objectif d'emploi et de croissance que nous proposons de ne pas augmenter les impôts au cours des années 2015, 2016 et 2017. Les mesures économiques qui vous sont présentées sont, pour les trois ans à venir, intégralement gagées par un effort sans précédent d'économies budgétaires : 50 milliards d'euros par rapport à la tendance, ce n'est pas une dépense qui baisse, mais c'est un réel effort – une dépense qui augmente quasiment comme l'inflation lors des trois prochaines années et non plus entre 1 % et 2 % au-dessus comme nous l'avons connu depuis plusieurs années ; une dépense de l'État qui augmentera un peu moins que l'inflation, ce qui nécessitera des efforts de chacun. Au total, nous ramènerons les prélèvements obligatoires à 45,3 % en 2017 en ayant retrouvé le chemin d'une dette publique compatible avec la préservation de notre modèle social.

C'est la première fois qu'un mouvement d'une telle ampleur est engagé. Là où, depuis trente ans, on n'a cessé de céder à la facilité consistant à financer les mesures nouvelles par des hausses d'impôts, nous proposons, quant à nous, des économies et des redéploiements. Nous proposons un effort réaliste, réparti équitablement entre l'ensemble des administrations publiques et en cohérence avec les priorités d'avenir que nous voulons mettre en oeuvre. Sont ainsi évidemment préservées toutes les dépenses d'avenir, qu'il s'agisse de la formation des jeunes ou des investissements de recherche et d'innovation.

Cela suppose évidemment des réformes en profondeur, car on n'atteint pas le niveau de 50 milliards d'économies par une simple politique de rabot et d'échenillage. Derrière chacune des économies de dépenses qui vous sont présentées, il y a des réformes dans la façon dont les services publics sont rendus aux Français.

Cela vaut pour l'État – des redéploiements importants sont en cours et le nombre d'agences de l'État sera réduit.

Cela vaut pour les collectivités territoriales, dont nous ramenons la progression de la dépense au rythme de l'inflation avec la réforme territoriale annoncée par le Premier ministre – et je pense, dès cette année, à la suppression de la clause générale de compétence ou à la rationalisation des syndicats intercommunaux.

Cela vaut bien sûr aussi pour l'assurance maladie où, dans le cadre de la stratégie nationale de santé, 10 milliards d'euros d'économies seront réalisés en réorganisant par exemple les parcours de soins – travail qui a commencé et a déjà produit beaucoup d'effets positifs – ou en généralisant davantage le recours aux génériques ou à la chirurgie ambulatoire. Et cela, bien entendu, sans jamais réduire la prise en charge des soins, ni leur qualité.

Il y a évidemment une exigence dans les décisions annoncées : c'est la préservation de notre modèle social et républicain ; c'est la justice ; c'est la protection du pouvoir d'achat des Français, notamment des plus modestes.

Contrairement à la plupart de nos partenaires européens, nous avons écarté les baisses de prestations. L'effort sera partagé ; le niveau des pensions et des prestations sera maintenu. Certes, beaucoup de Français ne bénéficieront pas cette année d'une revalorisation. Nul ne peut sous-estimer qu'une telle décision peut provoquer des difficultés. De cet effort, nous exonérerons les plus modestes, car les minimas sociaux continueront d'être revalorisés.

De même, les fonctionnaires, qui ont déjà fait beaucoup d'efforts, contribueront encore à l'effort, mais les avancements seront préservés. Grâce à ces avancements et au glissement vieillesse technicité – GVT –, le pouvoir d'achat des personnels en place, maintenu ces dernières années en dépit du gel, pourra aussi évoluer.

Voilà le plan d'économies sur trois ans que le Premier ministre a présenté et qui sous-tend le programme de stabilité qui vous est soumis.

Nous savons qu'il s'agit d'une stratégie exigeante, qui demande du courage de la part de tous, mais elle est à la mesure des enjeux. Elle doit nous rassembler, au-delà des débats légitimes dans une démocratie et dans un Parlement comme les nôtres, car elle vise à préparer un avenir au pays. Elle ne sacrifie pas les générations futures par l'accumulation des dettes ; elle redonne du dynamisme à notre économie et replace la France au coeur de l'Europe. Chacun a conscience, ici et à l'extérieur, de ce moment décisif. Si nous agissons comme nous le proposons, c'est une reprise réelle qui pourra être perçue par la France – une reprise au niveau de nos capacités, car la France est pleine de ressources, d'intelligence, de capacités d'innovation et d'investissement. Une reprise aussi au niveau de nos besoins pour combattre l'endettement de notre pays et pour lutter en profondeur contre le chômage par la création d'emplois dans le secteur privé.

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