Intervention de Michel Sapin

Réunion du 23 avril 2014 à 12h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Michel Sapin, ministre des Finances et des comptes publics :

Je commencerai par répondre aux questions portant sur l'Europe, et notamment à celle de M. Mariton sur notre dialogue avec les autorités européennes. Ce n'est pas la Commission européenne qui nous oblige à prendre les mesures qui vous sont soumises : la mission de celle-ci consiste en effet à établir des diagnostics, à les analyser et, éventuellement, à formuler des propositions. L'organe qui prend les décisions est celui auquel je participe en tant que ministre aux côtés de mes homologues des autres pays – et notamment de ceux qui, au cours de ces dernières années, ont été soumis à des programmes d'ajustement extrêmement rigoureux et douloureux ayant parfois abouti à une alternance politique. Or, si ces pays ne sont pas nécessairement exigeants vis-à-vis des autres États membres, ils sont néanmoins attentifs à leurs efforts. Ils savent en effet que si un grand pays comme le nôtre ne respecte pas ses engagements, ils seront les premiers à en subir les conséquences négatives tant ils demeurent fragiles, en dépit de leurs propres efforts. Ce n'est pas par esprit de solidarité ou d'altruisme que je m'exprime ainsi : car si les petits pays repartent dans une spirale difficile, aucun grand pays ne sera à l'abri. Ainsi avons-nous très directement subi en 2011-2012 les conséquences de la déstabilisation de la zone euro et de ces pays fragiles. C'est pourquoi si nous raisonnons en fonction des intérêts de la France, ceux-ci sont indissociables de ceux du socle européen, sur lequel nous construisons notre croissance.

C'est exactement en ces termes que j'ai discuté avec mes interlocuteurs, monsieur Mariton ! Il est bien normal que vous accordiez de l'attention aux pseudo-romans racontés ici ou là par des quidams qui se croient toujours – à tort – mieux informés que les autres. Reste que je me trouvais, moi, au coeur de la discussion. Et les affirmations que j'ai pu lire dans un journal, selon lesquelles c'est à la suite d'une certaine rencontre que j'aurais proposé au Gouvernement de respecter la règle des 3 % de déficit, sont complètement fausses ! D'ailleurs, quiconque observe l'ordre chronologique de mes déclarations et de mes prises de contact s'apercevra qu'à aucun moment je n'ai demandé à qui que ce soit je ne sais quel délai supplémentaire... Voilà qui ne serait pas à la hauteur de l'idée que je me fais de la France et de sa grandeur ! Nous y avions certes habitué nos partenaires, tant en 2002 qu'en 2007, et cela est même advenu au cours de ces dernières années puisque, sans que nous l'ayons sollicité, un délai nous a été accordé par la Commission européenne, compte tenu de la spécificité de la situation et conformément aux textes régissant notre vie commune.

J'ai donc expliqué la logique du pacte de responsabilité et de solidarité à l'ensemble de nos partenaires : au FMI, qui a parfois une vision plus équilibrée de la situation européenne que celle que l'on peut entendre dans certains cercles européens, à la Commission européenne et, surtout, à mes homologues des autres États membres. Je leur ai expliqué en quoi ce pacte constituait la contribution française à la hausse de la croissance en Europe. Or, tous m'ont répondu que nous étions sur la bonne voie et que nous avions retenu la bonne manière de procéder – en particulier lorsque nous cherchions à faire en sorte que nos entreprises regagnent en compétitivité et qu'elles aient des marges suffisantes pour investir et embaucher.

Sous l'autorité des déclarations du Président de la République et du Premier ministre, j'ai affirmé qu'il était nécessaire d'adapter le rythme d'application de ces mesures – ce dont certains ont déduit que cela revenait à le ralentir. Les courbes illustrent d'ailleurs que le rythme que nous avons retenu pour réduire nos déficits n'est pas exactement le même que celui annoncé au cours des deux dernières années. Nous l'avons en effet adapté au financement du pacte de responsabilité et à ses conséquences positives sur la croissance française. C'est ainsi que la France pourra conserver une voix forte en Europe et adopter une position différente de celle de la Banque centrale européenne sur l'euro. Si je n'établis aucune relation de cause à effet entre notre explication du pacte de responsabilité et les déclarations de M. Draghi sur la nécessité de mettre fin à la surévaluation de l'euro, nous avons cependant contribué à les rendre possibles. De même, c'est parce que nous tenons nos engagements et que nous sommes forts en Europe que nous pouvons pousser à la mise en place de l'Union bancaire – et ce, malgré nos divergences d'intérêt avec notre partenaire allemand. C'est aussi parce que la France pèse et qu'elle est respectée et respectable que nous pouvons faire en sorte que la taxe sur les transactions financières devienne réalité dès maintenant et obtenir la réalisation d'investissements au niveau européen. On dit d'ailleurs souvent à juste titre que si les dettes sont étatiques, les capacités d'investissement se situent quant à elles au niveau européen. Mais pour peser en ce sens, encore faut-il que la France soit respectée.

S'agissant de l'avis rendu par le Haut Conseil des finances publiques, vous êtes les premiers à en avoir reçu l'explication orale du Premier président de la Cour des comptes, ainsi que la loi le prévoit. Or, si l'on peut toujours interpréter les mots dans différents sens, je n'ai pas souvenir qu'il y ait jamais eu d'avis accordant autant de crédibilité aux hypothèses gouvernementales : pour 2014, « aucune tendance baissière n'est à craindre », ce qui signifie que le 1 % de croissance sur lequel nous tablons est indiscutable. Pour 2015, l'hypothèse de 1,7 % de croissance – encore discutable l'an dernier et aujourd'hui qualifiée par beaucoup de trop optimiste – est considérée comme « pouvant être atteinte ». Quant à 2016-2017, puisque c'est afin d'améliorer notre taux de croissance que nous vous proposons de telles mesures, nous n'allons tout de même pas vous annoncer qu'il y aura alors moins de croissance, malgré un effort de cette nature. J'ignore en effet quel gouvernement irait annoncer l'échec de la politique qu'il est en train de mener ! Le pacte de responsabilité constituant notre contribution à la croissance française, ses effets bénéfiques se retrouvent dans ces chiffres, non contestés par le Haut Conseil qui les a qualifiés d'optimistes – ce que je considère plutôt comme un compliment – et non de « trop optimistes » ou d'« irréalistes ».

Eu égard aux effets du pacte sur les PME-PMI et les grandes entreprises d'une part, et sur l'emploi d'autre part, le modèle MESANGE servant depuis de nombreuses années à déterminer les conséquences de baisses de cotisations ou de charges sur les créations d'emplois, ce sont des chiffres nets de création d'emplois que nous vous avons fournis. Il est vrai, en effet, qu'une baisse de cotisations sociales peut avoir des effets positifs, mais son financement peut aussi exercer un effet négatif sur la croissance et l'emploi. Dès lors que nous assurons ce financement non par une augmentation de l'emprunt ou des impôts, mais par une diminution de la dépense publique, la mesure a un effet récessif. Notre objectif est cependant que l'effet bénéfique du pacte de responsabilité sur la croissance soit largement supérieur à l'effet récessif du financement de certaines dépenses. Les 50 milliards d'euros d'économies budgétaires correspondent certes à un effort réel et difficile – d'aucuns citant d'ailleurs différentes catégories de Français susceptibles de trouver à redire à ce plan – mais néanmoins parfaitement à notre portée dans la mesure où nous l'effectuerons dans des conditions raisonnables. Il ne s'agit pas là d'un plan d'austérité, qui consisterait en une diminution de la dépense en valeur et en volume ; c'est un plan qui permettra d'éviter des hausses de dépenses qui nous pénaliseraient, compte tenu de notre niveau d'endettement et du taux de croissance actuel.

Concernant l'impact de ces mesures sur les entreprises, en 2015, la totalité des baisses de cotisations et d'impôts qui vous sont proposées profitera aux très petites entreprises, aux PME-PMI et aux entreprises de taille intermédiaire – ETI. Tout d'abord, parce que la mesure en faveur des indépendants bénéficiera par définition aux plus petites entreprises. Ensuite, parce que les baisses de cotisations ne porteront en 2015 que sur les salaires inférieurs à 1,6 SMIC, dont la proportion est beaucoup plus importante dans les PME que dans les grandes entreprises. Les modèles économiques, tels que MESANGE, montrent d'ailleurs que c'est de cette façon que l'on parviendra à créer des emplois le plus rapidement, dans un premier temps. Ce qui n'empêche qu'à partir de 2016-2017, les baisses de cotisations viseront à une amélioration de notre compétitivité – objectif que je n'oppose pas à celui de l'emploi puisque les entreprises, une fois redevenues compétitives, seront en mesure de recréer des emplois. Enfin, en 2015, la première phase de suppression de la C3S s'opérera par un abattement, de telle sorte que ce sont d'abord les plus petites des entreprises assujetties qui en seront exonérées. Par conséquent, l'effort fourni en 2015 profitera intégralement aux TPE, aux PME-PMI et aux ETI – ce que nous reprochent parfois les grandes entreprises.

S'agissant du pouvoir d'achat et de la justice sociale, la baisse de 2,5 milliards d'euros des cotisations salariales pour les salaires compris entre 1 et 1,3 SMIC bénéficiera aux foyers les plus modestes. De même, nous prévoyons, dès 2014, une mesure d'un coût de 500 millions d'euros, permettant d'éviter que certaines catégories de Français non imposables ne le deviennent alors même que leurs revenus n'ont pas augmenté. Ce sont au total 3 milliards d'euros qui seront ainsi consacrés aux foyers les plus modestes en 2015. Il y a donc un équilibre entre les baisses de prélèvements obligatoires pour les entreprises et le soutien au pouvoir d'achat des ménages.

Je conclurai mes réponses par deux remarques. D'une part, nul ne nie le fait qu'une consolidation budgétaire produise des effets de ralentissement sur l'activité économique. Reste à savoir de quelle manière elle est financée. Si elle l'était par une hausse d'impôts ou du niveau d'emprunt, elle aurait des effets négatifs. Or, notre objectif consiste au contraire à faire en sorte que cette consolidation, nécessaire mais mesurée, permette d'accroître notre taux de croissance en rendant aux entreprises des marges suffisantes pour investir et embaucher.

D'autre part, que devront faire les entreprises en contrepartie de ces baisses d'impôts et de cotisations ainsi que du CICE qui entre actuellement en application et qui atteindra sa pleine maturité en 2015 ? Pour avoir exercé récemment au ministère du Travail et de l'emploi, j'attache beaucoup d'importance à ce point. Nous devons effectivement fixer avec les entreprises des « rendez-vous de chantier » et exiger d'elles des contreparties en termes de création d'emplois et de qualité de l'emploi. Ce pacte s'étalant sur trois ans, c'est par étapes que nous procéderons. Un accord portant sur la mise en application du pacte de responsabilité a d'ailleurs été signé entre les partenaires sociaux afin de veiller à ce que tant les entreprises que les organisations syndicales respectent leurs engagements, de même que le Gouvernement a pris les siens. C'est ainsi que nous pourrons faire en sorte que les objectifs attendus de ce pacte – hausse de la croissance et de l'emploi – deviennent réalité.

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