Intervention de Jean-François Girault

Réunion du 9 avril 2014 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Jean-François Girault :

Je répondrai d'abord sur la Syrie car je ne peux pas laisser dire que la diplomatie française se désintéresse de ce pays. Quelle est la situation actuelle ? Sur le plan militaire, la situation est celle d'une guerre d'attrition. Le régime concentre ses efforts sur la récupération des territoires qui constituent le pourtour de la frontière avec le Liban, tandis qu'une offensive militaire est conduite par l'opposition depuis la frontière turque en direction de Lattaquié.

Sur le plan politique, le processus de Genève est interrompu puisqu'il est impossible de le reprendre tant que le régime syrien n'accepte pas de discuter de ce qui est son mandat, à savoir la transition. La Haute-Commissaire des Nations Unies pour les droits de l'Homme, Mme Pillay, était auditionnée hier par les Nations Unies. Elle a confirmé que la résolution 2139 est restée lettre morte du fait du blocage du régime. Enfin l'opposition n'est toujours pas unie. L'Assemblée générale de la Coalition vient de s'achever. Le bureau politique a été élargi et renouvelé, il y aura un nouveau président à la fin du mois de juin.

Pour la France, l'objectif demeure de parvenir à une transition politique négociée auquel s'agrège une dimension anti-terroriste car de nombreux combattants rejoignent les rangs jihadistes. Il est nécessaire d'articuler toute solution politique avec un double changement d'équilibre des rapports de forces sur le terrain : donner à l'opposition modérée la possibilité de prendre le dessus et lutter contre la montée en puissance des groupes djihadistes sur le terrain. La France se coordonne avec ses partenaires du Core group, surtout les Etats-Unis et le Royaume-Uni, pour y parvenir. Nous poursuivons notre appui aux zones libérées pour aider les pouvoirs locaux modérés à les contrôler et les élargir, avec une assistance humanitaire, politique et sécuritaire.

Bachar el-Assad se prépare à des élections en se livrant à une vraie mascarade. Des cartes d'électeurs avec puces sont distribuées à ceux dont il pense qu'ils voteront pour lui et les critères de candidature fixées ne permettent quasiment qu'à lui de se présenter. De plus, 10 millions de personnes, soit la moitié de la population, sont déplacées, 160 000 sont mortes, 2,6 millions sont hors des frontières, au Liban notamment. Ce qui rend tout scrutin ni possible, ni légitime, ni acceptable.

Concernant le lycée Charles de Gaulle de Damas, je suis d'autant plus attentif à sa situation que j'en avais posé la première pierre. Le précédent gouvernement a choisi, lorsque l'ambassade à Damas a été fermée, de transférer la gestion du lycée à une association locale de parents d'élèves et de mettre fin à la Convention qui le liait à l'AEFE. La France continue de verser des bourses scolaires à presque tous les élèves français et nous sommes en contact avec le proviseur. Mais nous avons une difficulté juridique s'agissant d'un établissement qui n'appartient pas au réseau de l'Etat français. Le terrain appartient à la France et les bâtiments devraient lui revenir en pleine propriété dans une dizaine d'année. Des parlementaires ont été sollicités après qu'une roquette ait endommagé le bâtiment. Les parents d'élèves sont par ailleurs pour un certain nombre d'entre eux très fortunés et ont la capacité d'aider le lycée. Croyez bien que nous restons très attentifs.

La diplomatie n'est pas une science exacte, et comme le disait le général de Gaulle ce qui importe c'est la doctrine des circonstances. Or les circonstances ne sont pas maîtrisables. M. Myard a évoqué le fait qu'à présent nous ne sommes pas à la hauteur de la situation, qu'on ne gouverne plus rien dans la région. Comme le dit souvent notre Ministre des Affaires étrangères, on est dans un monde apolaire dont il convient de reconstruire la gouvernance. Il est vrai qu'actuellement, la situation échappe à tous.

En ce qui concerne le Liban, alors que la situation semblait critique à la fin de l'année, l'Iran a pesé sur le Hezbollah pour la formation d'un nouveau gouvernement, et l'Arabie Saoudite a permis au mouvement du 14 mars de s'asseoir à la table du Conseil des ministres avec des ministres issus du Hezbollah. Le mandat de Michel Sleiman s'achève le 25 mai prochain, ce qui amène à se concentrer désormais sur l'élection à venir. Il n'appartient pas à la France de choisir ou de se déterminer sur le nom d'un candidat à la présidence.

Depuis trente ans, le régime de Damas était un grand électeur de la présidence libanaise. Aujourd'hui, compte tenu du conflit syrien, l'équation est différente. Les Libanais sont davantage maîtres de leur choix. Ce qui importe, c'est le profil du prochain président. Ce dont le Liban a besoin aujourd'hui, c'est d'avoir un Président de rassemblement, d'unité, quelqu'un qui soit à la hauteur du changement historique à venir puisque le régime de Bachar Al-Assad ne sera pas éternel. Le Liban doit rechercher un autre mode, une autre assise que celle induite par cette emprise féroce qui pesait sur lui depuis la guerre du Liban. Dans ce contexte, le Président Sleiman achève incontestablement son mandat par le haut.

En ce qui concerne l'Algérie, on constate qu'il y a des tensions mais, globalement, le pays reste assez indifférent au débat électoral. Il suffit de lire la presse algérienne pour s'en convaincre. Il n'y a pas de suspens. Le président Bouteflika n'a pas vraiment de challenger. Seul Ali Benflis émerge, eu égard notamment aux responsabilités qu'il a pu exercer par le passé.

Sur la Libye, nous buttons, avec l'ensemble de nos partenaires, sur une réalité structurelle : l'absence d'État. Jusqu'à présent, le pays n'est pas parvenu à avoir une masse critique d'institutions pour l'imposer. Comme l'a récemment dit le représentant spécial des Nations Unies pour la Libye à M. Laurent Fabius, le pouvoir y est émietté en mille pouvoirs. On est revenu à une société féodale où les relations de personnes priment sur les rapports de droit. Avec nos partenaires, on envisage de repenser la situation dans son ensemble. L'idée serait de construire une sorte de périmètre englobant l'ensemble de ceux qui ont une parcelle d'autorité, et qu'une personnalité d'envergure internationale exerce une fonction de médiation.

S'agissant de la Tunisie, ce pays est un signe d'espoir pour les transitions arabes. Pour le moment, c'est un modèle qui marche, alternative au chaos (comme en Libye) ou au retour en arrière (comme en Égypte). Du fait de son niveau d'évolution et du sens des responsabilités des Frères musulmans tunisiens, la Tunisie est restée sur le mode du consensus. La constitution qui a été adoptée est la plus positive que l'on pouvait attendre. Le Président de la République s'est rendu à Tunis le 7 février dernier, le jour de son adoption pour en marquer la portée symbolique. Il était d'ailleurs le seul chef d'État occidental à avoir fait le déplacement. Nous suivons cette transition en apportant tout notre appui à ce pays et nous travaillons à l'organisation d'une conférence internationale « Investir pour la Démocratie en Tunisie ». M. Pierre Duquesne, ambassadeur pour les pays en crise, est d'ailleurs en train d'effectuer une tournée de plusieurs capitales sur ce sujet.

Sur l'Irak, ce pays va mal. Le Premier ministre al-Maliki a neutralisé les institutions. Il a capté l'ensemble des pouvoirs. Il dispose de la force, de l'argent et de la justice. Lorsque je me suis rendu à Bagdad fin février, j'ai rencontré les principaux responsables politiques. J'ai été frappé par leur diagnostic : la vie politique est détournée et le risque est grand de revenir à un Irak doté d'un pouvoir personnel dictatorial. Cette tentation césariste a conduit à ce que les provinces sunnites soient en situation insurrectionnelle. Les relations avec la région autonome du Kurdistan sont au bord de la rupture. Le pays souffre de l'absence du président Talabani, hospitalisé en Allemagne depuis 17 mois. La fonction médiatrice suprême n'est plus exercée.

Cette politique a mis le feu à la Province d'Al Anbar, a fait taire les Chiites et cherche à pousser à la faute le président de la région autonome kurde avec la provocation de la suspension du paiement des salaires des fonctionnaires d'Etat. Bref, bien que l'on en parle peu parce qu'il y a d'autres priorités, nous avons en Irak une situation inquiétante.

Pour ce qui est de l'Iran, M. Zarif est effectivement un diplomate de talent. M. Fabius l'a rencontré et est en contact avec lui. Mais il ne faut pas se faire d'illusions, le président actuel qui occupe depuis longtemps des fonctions importantes est un « insider », un proche du Guide. Mais son attitude est aux antipodes de celle de son prédécesseur M. Ahmadinejad : alors que celui-ci avait une vision messianique des relations internationales, M. Rohani s'en tient à la mission que lui a confiée le Guide, laquelle est de redresser l'économie. Cela implique un accord avec la communauté internationale sur le nucléaire.

Dans la négociation de cet accord, la vraie question reste ouverte : l'Iran est-il prêt à renoncer complètement à tout programme nucléaire militaire ? Car c'est là le véritable enjeu : nous sommes d'accord pour que l'Iran ait une capacité nucléaire civile, mais en aucun cas, une capacité nucléaire militaire. Or, les dispositifs développés jusqu'à présent dépassent de toute évidence des objectifs qui seraient seulement civils.

La situation des négociations israélo-palestinienne n'est pas satisfaisante. Israël est-il prêt à accepter un accord de paix qui impliquerait le retour aux frontières de 1967 ? Israël invoque des raisons de sécurité pour considérer qu'il devra maintenir des forces en territoire palestinien et ne veut en aucun cas que Jérusalem soit la capitale des deux Etats. La question des réfugiés est moins tranchée, car M. Abbas admet que demander le retour sur le territoire israélien de cinq millions de personnes est impossible. Il y a enfin une demande nouvelle que les Palestiniens reconnaissent le caractère juif de l'Etat à Israël. Ce que leur histoire ne leur permet moralement pas de faire.

La question aujourd'hui est de savoir s'il y a en Israël une majorité parlementaire susceptible de prendre les décisions courageuses qui s'imposent. Ce ne seront évidemment ni les Européens ni les Américains qui feront la paix, même s'ils s'efforcent d'en faciliter les termes.

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