Je voudrais souligner devant vous combien l'existence de deux composantes indissociables, complémentaires et non hiérarchisées fait la force de notre dissuasion.
Disposer de deux composantes de la dissuasion nucléaire se traduit pour notre pays par : un spectre plus large de modes d'action offert à l'autorité politique, au-delà du « tout ou rien » ; une contrainte supplémentaire pour les défenses adverses qui doivent prendre en compte des modes de pénétration très différenciés – balistique ou aérobie ; une garantie vis-à-vis d'un problème technique majeur que rencontrerait l'une ou l'autre des composantes ou d'une percée technologique imprévue, par exemple dans les domaines de la défense aérienne ou anti-missiles balistiques ou de la détection sous-marine.
Sans entrer dans des considérations opérationnelles que leur degré de classification m'interdit d'aborder ici, je tiens à préciser que les deux composantes permettent ensemble d'atteindre un niveau d'efficacité globale de la dissuasion cohérent avec les orientations fixées par le président de la République.
S'agissant en particulier de la composante aéroportée, je veux souligner ses deux avantages particuliers : l'excellence de son couple énergie-précision et sa souplesse d'emploi alliée à son caractère démonstratif.
Sur le premier point, vous devez retenir, mesdames et messieurs les députés, que l'efficacité d'une arme nucléaire, sur laquelle se fonde directement la crédibilité d'un système de dissuasion, se présente comme le produit de sa précision et de sa puissance. À cet égard, la très grande précision du missile ASMP-A offre la possibilité de détruire des objectifs fortement résistants et d'exécuter des frappes aux effets adaptables et strictement conformes à ceux décidés par le président de la République. Cette capacité est tout particulièrement précieuse dans le cadre de frappes adaptées et d'avertissement.
Ainsi, la composante aéroportée de la dissuasion offre au président de la République une capacité de frappe massive de rétorsion ou, au contraire, une alternative en permettant de sortir de l'impasse du « tout ou rien » pour répondre à une atteinte aux intérêts vitaux de la Nation.
Sur le second point, comme pour les missions conventionnelles, c'est bien l'aptitude de la composante aéroportée à monter en puissance et à se déployer de manière progressive et visible lors d'une crise qui offre à l'autorité politique un espace pour une manoeuvre politico-diplomatique. À titre d'exemple, je ferai référence au dernier exercice que nous avons réalisé au mois de décembre dernier, et pour lequel j'avais demandé à la direction du renseignement militaire (DRM) de me fournir une image Hélios de la base de Saint-Dizier afin de visualiser sa montée en puissance. La DRM m'a alors indiqué qu'au même moment un satellite d'une autre puissance passait au-dessus de la base... Sur la photo de la DRM on pouvait distinguer une tête nucléaire, montée sur son camion, qui se dirigeait vers une hangarette avec un Rafale à l'intérieur. Si je peux le voir à travers un de nos satellites, d'autres le peuvent aussi. Cette capacité à monter en puissance et à se déployer de manière progressive est donc visible. Toutefois, nous savons à quel moment passent les satellites et nous pouvons donc choisir les créneaux afin de passer inaperçus.
La composante aéroportée permet également au président de la République de prouver sa détermination en faisant décoller un raid nucléaire tout en lui offrant la possibilité de rappeler les avions si cette action démonstrative ramenait l'adversaire à la raison. J'évoque ici le troisième volet essentiel de cette composante après le Rafale et le Boeing, à savoir les transmissions qui ne sont, au demeurant, pas uniquement dédiées aux FAS. La possibilité de rappel offerte au président de la République est une manière de réintroduire de la dissuasion là où elle avait initialement échoué en se matérialisant par le message fort que constitue l'ordre de faire décoller un raid.
La crédibilité de notre dissuasion repose en outre sur l'existence d'une chaîne de commandement claire, robuste et éprouvée, en ligne directe avec le président de la République.
En tant que commandant des FAS j'ai la responsabilité de mettre en condition les moyens dont je dispose et de suivre l'exécution des missions. La spécificité nucléaire de la mission de dissuasion conduit les FAS à se conformer dans l'exécution à des exigences exceptionnelles en termes de rigueur et au principe de stricte séparation entre mise en oeuvre et contrôle, avec notamment l'existence d'une force de gendarmerie spécialisée dans les armements nucléaires. Cette séparation va jusque dans la planification des opérations, le chef d'état-major des armées envoyant des officiers vérifier que celle-ci se fait sur les objectifs qui ont été déterminés.
Ce degré d'exigence est au coeur de la culture des FAS, une culture dont il faut bien mesurer combien elle est indissociable de notre mission et à laquelle il faut se tenir. À cet égard, je souhaiterais faire référence à l'exemple américain. En 1992, par souci d'économies, les États-Unis décident de dissoudre le Strategic Air Command, c'est-à-dire le commandant aérien dédié à la composante nucléaire. Les 450 Minuteman III passent alors sous le contrôle du Space Commmand, tandis que les appareils B52 et B2 partent à l'Air Command, le commandement organique. Deux incidents majeurs se produisent alors : un B52 armé de six têtes nucléaires passe 24 heures sur une base alors qu'on le pensait équipé de simples têtes d'exercice ; des pièces détachées de Minuteman III se retrouvent à Taïwan suite à une erreur d'adressage. Ces graves incidents impliquant des armes nucléaires, qui ont échappé à tout contrôle gouvernemental pendant 36 heures, ont conduit une commission d'enquête à recommander la création d'un commandement spécifique, en rappelant que la culture nucléaire ne se dilue pas et que la dissolution du Strategic Air Command en 1992 avait été une erreur. En 2009, un commandement dédié à la composante nucléaire aéroportée est recréé et depuis cette date, les FAS ont des contacts réguliers – deux fois par an – avec l'Air Force Global Strike Command dont la première action a été de venir nous voir afin que nous leur expliquions la manière dont fonctionnent notre système de contrôle gouvernemental, de sécurité nucléaire, et notre gendarmerie spécialisée.
Pour finir, je voudrais rappeler que, tout en respectant le contrat de posture nucléaire et les exigences associées, les moyens de la composante aéroportée de la dissuasion contribuent significativement au contrat des missions conventionnelles de l'armée de l'air depuis de nombreuses années. Dès 1974 les Mirage IVP sont engagés au Tchad pour y mener des missions de reconnaissance stratégiques ; les Mirage 2000 N effectuent le premier tir réel de l'OTAN en Bosnie en 1994. Demain, les Rafale des FAS partent remplacer les trois Rafale stationnés à N'Djamena. Les avions des FAS ont réalisé environ le quart des tirs effectués par des avions français lors des opérations Harmattan et Serval. Ils étaient également en alerte dans l'hypothèse où une opération aurait été menée en Syrie. Sur le territoire national, les Rafale des FAS contribuent aussi à la posture permanente de sûreté. Les C 135 ravitaillent quant à eux l'ensemble des avions de combat français et étrangers engagés en opérations depuis des décennies. Ils sont aussi aptes à effectuer des transports logistiques, des évacuations sanitaires lourdes, avec le kit Morphée notamment, ainsi que des missions de service public. Ils ont ainsi été mobilisés lors de l'embuscade d'Uzbin afin de prendre en charge les soldats de l'armée de terre. À cet égard, le chef d'état-major de l'armée de terre, le général Ract-Madoux, a souligné la force de ce dispositif auprès de ses hommes et son effet sur leur moral puisque ceux-ci savent qu'en douze ou quinze heures ils pourront, le cas échéant, être rapatriés dans un hôpital en métropole afin d'y être soignés.
Je souligne enfin que, sur les deux dernières LPM, deux réductions successives ont conduit à une diminution de près de 60 % du format de l'aviation de combat. Nous avons atteint un niveau qui nous oblige à intégrer les moyens des FAS dans les contrats de défense aérienne et d'opérations extérieures pour pouvoir réaliser les missions définies par le Livre blanc de 2013. Cette participation aux opérations conventionnelles de nos forces nucléaires illustre un autre point que va maintenant développer le général Mercier : depuis 50 ans notre mission nucléaire a toujours « tiré vers le haut » l'ensemble de l'armée de l'air, et bien plus encore.