Je vous remercie, mon cher collègue.
À l’approche de la nomination par décret, au mois de juin, du nouveau Contrôleur général des lieux de privation de liberté, je tiens comme vous tous à saluer, au nom du groupe UDI, le travail remarquable et remarqué du conseiller d’État Jean-Marie Delarue. Après six années de bons et loyaux services, nous sommes nombreux, les propos des uns et des autres le montrent, à reconnaître la qualité du travail de celui qui aura été le premier à accomplir la délicate mission de contrôler les conditions de vie des personnes privées de liberté, qu’il s’agisse des établissements pénitentiaires, des établissements de santé, des locaux de garde à vue ou des centres éducatifs fermés.
Les membres du groupe UDI ont souvent à cette tribune une formule qui, je le crois, vaut aussi pour le contrôleur général : « Une société se juge souvent à la manière dont elle traite son maillon le plus faible et le plus vulnérable. » Du point de vue du droit, qui est plus vulnérable que celui privé de liberté ? Le bilan des six années d’activité du contrôleur général est pour le moins largement positif. Les chiffres parlent d’eux-mêmes, et c’est satisfaisant en termes d’efficacité des politiques publiques : plus de 800 établissements de privation de liberté visités depuis 2008, 4 000 lettres traitées en 2013 et suivies pour près d’un tiers par une enquête et, toujours pour l’année 2013, la situation de 1 683 personnes a été portée pour la première fois à la connaissance du contrôleur général, soit une augmentation de 12 % par rapport à 2012. Dans un contexte inédit de surpopulation carcérale et de détérioration des conditions de détention, ce qui ne sera jamais assez rappelé à cette tribune, le contrôleur général a su, au fil des années, trouver sa place au sein de nos institutions et devenir le porte-parole et le défenseur des personnes privées de liberté.
La proposition de loi déposée par Catherine Tasca, sénatrice des Yvelines, ne bouleverse pas la loi d’octobre 2007 qui a créé cette fonction, mais elle devrait mettre à la disposition du contrôleur général des outils supplémentaires pour mener à bien sa mission, ô combien difficile. Il s’agit en effet pour lui de se glisser dans les habits d’un inspecteur qui peut visiter à tout moment, de façon programmée ou inopinée, sur l’ensemble du territoire, tout lieu où des personnes sont privées de liberté – droit donné également, notre rapporteure l’a rappelé, aux membres de la représentation nationale.
Le groupe UDI salue donc un texte qui vise à renforcer la loi de 2007 et surtout, ce qui est le plus important, à retranscrire dans la législation des faits observés dans la pratique, dans la lignée du protocole signé en 2006 par l’État français à l’Assemblée générale des Nations unies, protocole dont l’un des objectifs était, rappelons-le, de mettre en place un système international d’inspection des lieux de privation de liberté dans les soixante-quinze États signataires.
Aujourd’hui, nous sommes tous conscients du caractère très préoccupant de la situation carcérale dans notre pays, laquelle, madame la garde des sceaux, ne va pas en s’améliorant : le nombre de détenus est 34 % plus important qu’en 2002 ; quarante-quatre établissements ont une densité supérieure ou égale à 150 %, dont huit supérieure à 200 % ! Dans ce contexte, l’existence d’un contrôleur général doté de moyens supplémentaires est absolument primordiale. Ces dernières années, le contrôleur général a dressé un constat très mitigé, vous l’avez dit vous-même, madame la garde des sceaux, constat qui doit nous alerter. En garde à vue notamment, le confort est pour le moins souvent très rudimentaire. En milieu carcéral, il a fait état de l’application difficile, même plutôt hésitante, de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009.
Dans l’accomplissement de ses fonctions, le Contrôleur général doit souvent jouer l’équilibriste entre le respect de la dignité de la personne humaine et les considérations d’ordre public. Il a récemment montré le manque de sécurité dans certains lieux de privation de liberté, tel le quartier des mineurs de la maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone dans l’Hérault. Dans ses recommandations urgentes du 23 avril, un véritable coup de gueule, il a pointé des « violences graves » mettant en « péril l’intégrité corporelle » de jeunes détenus. Si l’implantation de caméras de surveillance a une influence sur la baisse de la violence, cette dernière reste difficile à évaluer ; seule une présence physique plus active et plus nombreuse de surveillants permettra de la faire baisser. Nous devons bien garder à l’esprit la pénibilité du travail des gardiens de prison, souvent soumis à des violences physiques ou psychologiques du fait de leurs fonctions. Pour le groupe UDI, il est nécessaire de réaffirmer, voire de renforcer, une des missions importantes du Contrôleur général : celle d’alerter les services compétents lorsque les conditions de travail des surveillants deviennent trop insupportables, voire dangereuses.
Mes chers collègues, nous l’avons tous dit, le bilan du contrôleur général est sans appel : le droit ne doit pas s’arrêter aux portes des lieux de privation de liberté. Or plusieurs situations de fait ont été dénoncées comme illégales. À titre d’exemple et malgré une réforme récente, il n’y a pas de mutation des pratiques professionnelles en matière de fouilles et l’application du droit du travail est souvent la grande oubliée en milieu carcéral. Dans son dernier rapport, le contrôleur général a présenté vingt recommandations qui, sans être les plus importantes, permettraient d’avancer et sur lesquelles nous devons absolument, au sein de nos groupes respectifs, travailler les uns et les autres pour espérer une mise en oeuvre rapide de certaines d’entre elles.
Malheureusement, mais espérons que le profil de son successeur permettra d’y remédier, le contrôleur général souffre encore d’un manque de visibilité, notamment auprès des auxiliaires de justice.
Un réel investissement pédagogique doit être mis en place afin de faciliter l’accès au droit en milieu fermé, de faire connaître le rôle du contrôleur général et les recours à la disposition des personnes incarcérées ou hospitalisées, sans crainte pour elles de représailles.
Dans ce contexte, l’affirmation et le renforcement des missions et l’indépendance du contrôleur général, par le biais d’une proposition de loi, est sans conteste une réforme nécessaire et attendue, mais cette indépendance ne doit pas nous priver pour autant d’une réflexion sur les formes de collaboration que le contrôleur général pourrait développer avec d’autres autorités.
En ce sens, la précision des procédures de saisine et d’enquête, proposée par le présent texte, est tout à fait louable. Nous, parlementaires, sommes d’ailleurs directement concernés par ces procédures puisque la loi de 2007 nous permet de saisir le contrôleur général de faits ou de situations susceptibles de relever de sa compétence.
Nous ne pouvons également que nous satisfaire du renforcement du suivi par le Gouvernement des observations du contrôleur général mais aussi du procureur de la République. Le contrôleur général ne doit pas devenir une autorité vertueuse passive sans réel pouvoir d’action ou de sanction.
Cela étant, je terminerai mon propos en émettant quelques réserves.
La première concerne l’article 4 de ce texte qui propose de rendre systématiquement publics les avis, recommandations ou propositions que le contrôleur général émet, alors qu’il n’est pas tenu de diffuser publiquement les rapports de visite ou les résultats d’enquêtes ponctuelles. N’y a-t-il pas là une contradiction à publier certains documents et à en occulter d’autres ? Peut-être serait-il plus judicieux de diffuser dans un premier temps les recommandations aux autorités responsables des lieux de privation de liberté et d’observer ensuite les potentielles évolutions plutôt que de diffuser automatiquement des constats souvent hâtifs.
J’en viens enfin à un sujet qui me tient à coeur : l’extension du champ de compétences du contrôleur général aux mesures d’éloignement prononcées à l’encontre d’étrangers. Il semble préférable d’étudier en amont ce que cet élargissement de compétence implique avant de l’adopter.
Le contrôleur général des lieux de privation de liberté, dont le budget s’élève à 4,2 millions d’euros, dispose-t-il vraiment des moyens et des ressources nécessaires pour cette nouvelle mission ? Je me permettrais de rappeler que l’actuel contrôleur général, Jean-Marie Delarue, s’est lui-même déclaré défavorable à l’extension de ses compétences. Ayant commis pour l’Assemblée nationale un rapport d’évaluation et de contrôle sur la situation de l’asile, je me permets de vous dire que cette extension de compétences me semble être une fausse bonne idée.
En dépit de ces quelques réserves, nous pensons qu’il s’agit là d’un texte indispensable, nécessaire à l’évolution de la fonction de contrôleur et, plus largement, à l’amélioration du fonctionnement des lieux de privation de liberté. En conséquence, les membres du groupe UDI voteront en faveur de cette proposition de loi.