Intervention de Gérard Charasse

Séance en hémicycle du 30 avril 2014 à 15h00
Modification de la loi no 2007-1545 instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGérard Charasse :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, chers collègues, la loi du 30 octobre 2007 a institué le contrôleur général des lieux de privation de liberté, un acteur efficace devenu incontournable et respecté pour la qualité de son travail.

Durant les six années de son mandat, M. Jean-Marie Delarue a réalisé un travail d’investigation considérable que je tiens aussi à saluer au nom du groupe RRDP, tout comme je salue l’initiative de nos collègues sénateurs qui ont déposé cette proposition de loi.

L’institution de cette nouvelle autorité indépendante avait été d’initiative gouvernementale mais, dès 2001, le Sénat avait ouvert la voie en adoptant une proposition de loi créant un contrôle général des prisons. Puis était intervenue la signature du protocole facultatif de la Convention des Nations unies contre la torture, qui confie aux mécanismes nationaux qu’il crée la mission de prévenir la torture.

C’est donc un bilan « extrêmement positif » pour reprendre les termes de votre rapport, madame la députée Laurence Dumont, que celui du contrôleur général.

Ce bilan c’est, en premier lieu, un grand nombre de visites. Celles-ci sont venues, grâce aux différents rapports dressés par le contrôleur général des lieux de privation de liberté, nous éclairer sur la situation et le fonctionnement réel de ces lieux : nos 191 établissements pénitentiaires, nos 4095 locaux de garde à vue, nos 236 locaux de rétention douanière, nos 182 lieux de dépôts ou geôles des tribunaux, nos 102 centres et lieux de rétention administrative, nos 369 établissements de soins psychiatriques sans consentement et enfin nos 44 centres éducatifs.

Je dis « nos » car tous ces lieux sont de notre responsabilité. Les conditions dans lesquelles nous privons de liberté les personnes qui enfreignent la loi sont de notre responsabilité. Nous devons à toute personne le respect de sa dignité humaine. « Le droit sans dignité n’est que médiocrité et la dignité sans droit n’est que déraison », disait Blaise Pascal. On ne peut espérer la réinsertion d’une personne si elle n’est pas traitée pendant sa détention comme un citoyen.

Pour mémoire, je citerai Guy Canivet qui, en 2000, dans le rapport de la commission qu’il présidait alors sur l’amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires : « On ne peut réinsérer une personne privée de liberté qu’en la traitant comme un citoyen. Le contrôle extérieur des prisons s’impose donc pour s’assurer que sont respectés les droits des détenus et donnés à l’administration pénitentiaire les moyens d’une telle politique. »

Quatorze ans plus tard, où en sommes-nous ?

Si la nomination de Jean-Marie Delarue, en 2008, a notablement fait évoluer les choses, il reste cependant beaucoup faire, comme cela a déjà été dit.

Si le contrôleur a lui-même dénoncé nombre de dysfonctionnements, depuis corrigés, il n’a pas été le seul. Encore récemment, en 2001, la France, pays de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour « traitement dégradant ». Bien que l’établissement en question ait été fermé en 2009, il est inadmissible d’imaginer que de telles conditions existent encore dans notre pays. Et je passerai sur le scandale des geôles du palais de justice de Paris, dont l’état plus qu’insalubre avait été dénoncé en 2009.

En six ans, ce sont près de 800 de ces lieux qui ont été visités et parfois contre-visités par le contrôleur général. Ce dernier est doté du seul pouvoir d’adresser des recommandations aux pouvoirs publics, et si certaines de ses nombreuses recommandations ont été suivies d’effet par notre action législative, mais aussi celle de l’exécutif ou de l’administration – il l’a rappelé dans son rapport d’activité de 2013 –, d’autres sont restées lettre morte.

Il a, de ce fait, dressé une liste de vingt mesures qu’il estime urgentes à mettre en oeuvre par les pouvoirs publics. Ces mesures ne sont pas seulement des priorités de contrôle mais elles se veulent aussi pédagogiques.

En effet, pour que la situation change, il ne suffit pas seulement de produire des textes législatifs, il faut également que les pratiques et les habitudes changent, ce qui, on le sait bien, n’est pas chose aisée.

Ce changement doit être d’autant plus encouragé que certaines de ces mesures sont peu coûteuses. Il est possible de faire mieux avec les outils déjà à disposition, et mieux pour tout le monde.

Montrer un peu plus de considération à la personne détenue est une façon d’apaiser les possibles tensions au sein de l’établissement entre personnel et détenus, et ainsi faciliter la future réinsertion.

Nous allons bientôt discuter de la réforme pénale qui s’attaque à la thématique de la récidive. Contrairement à ce que certains essayent de nous faire croire, la récidive ne diminue pas en instaurant des peines plancher et en mettant tout le monde derrière les barreaux.

Aller dans le sens des recommandations du contrôleur général, c’est donc aller d’ores et déjà vers une meilleure prise en charge des détenus afin d’assurer une meilleure réinsertion et donc une meilleure sécurité pour notre société.

Des marges d’action sont encore possibles pour aller plus loin dans ce contrôle et s’assurer que nos prisons, nos cellules de garde à vue et tous les autres lieux de privation de liberté sont en adéquation avec les valeurs de notre République : le respect de la dignité humaine.

Plusieurs axes d’amélioration ont été mis en évidence à la suite des travaux de M. Delarue.

Le premier serait de raccourcir les délais de présentation par le contrôleur général des lieux de privation de liberté aux ministres des observations qu’il formule suite à ses visites. Actuellement, il faut compter deux ans : c’est en moyenne le laps de temps qui s’écoule entre la visite et la présentation des observations aux ministres concernés.

Pour parvenir à une réduction de ce délai sans pour autant diminuer la qualité du travail réalisé par le contrôleur, il apparaît nécessaire que les moyens alloués à cette autorité, assez limités pour le moment, soient réévalués. Cela a été très justement souligné par notre rapporteure.

Autre marge d’action : la visibilité des suites données aux observations du contrôleur, qui doivent être davantage rendues publiques. En effet, ce sujet mérite plus de publicité, notamment de la part des parlementaires que nous sommes.

Afin de renforcer l’efficacité du contrôleur, quatre objectifs sont poursuivis par la présente proposition de loi.

Tout d’abord, il s’agit de clarifier et de conforter les pratiques mises en oeuvre dans l’exercice de sa mission. Il est prévu que le contrôleur puisse à l’avenir communiquer ses observations à l’autorité responsable du lieu en question, alors que, pour l’instant, seuls les ministres sont destinataires de ces remarques.

La réponse des ministres est également rendue obligatoire dans un délai maximal que le contrôleur détermine lui-même. Surtout, ce texte rend systématique la publication des avis, recommandations et autres propositions formulés par le contrôleur. En renforçant ainsi la transparence, on renforce l’efficacité du contrôle et son impact.

Autre point important de la proposition de loi : il est prévu de mieux protéger les personnes qui communiquent avec le contrôleur général, pour éviter tout risque de pression qui les dissuaderait de dénoncer toute situation anormale.

Est également élargie la panoplie des documents auxquels le contrôleur peut avoir accès. Pour établir la réalité des faits qui lui sont dénoncés, il doit avoir accès à l’ensemble des informations disponibles, même celles normalement couvertes par le secret médical si c’est dans l’intérêt de la personne concernée et que celle-ci y consent.

Vous l’aurez compris, le groupe RRDP est favorable à ce texte, au renforcement de la mission si importante effectuée par le contrôleur général des lieux de privation de liberté et à son élargissement.

Au 1er avril, on dénombrait 68 859 détenus – triste record du nombre de personnes incarcérées – pour une capacité opérationnelle de 57 680 places, sans compter les personnes placées en garde à vue. La mission exercée par le contrôleur concerne donc près de 69 000 personnes au quotidien.

Cette proposition de loi concerne un sujet qui nous est cher : le respect de nos libertés fondamentales. Je suis heureux que notre assemblée en débatte aujourd’hui, de la façon la plus constructive possible.

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