Intervention de Christiane Taubira

Séance en hémicycle du 5 mai 2014 à 16h00
Droit à l'information dans le cadre des procédures pénales — Article 3

Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice :

Tel n’est pas le cas : cet amendement concerne en réalité le sujet le plus dense de ce texte de loi, à savoir l’accès de l’avocat à l’entier dossier.

Je me suis exprimée à ce sujet, lors de la présentation du texte, en recourant tant à des arguments de droit que d’opportunité. Je comprends parfaitement, et je vais jusqu’à dire que j’approuve la nécessité de consolider et de parachever les droits de la défense en assurant l’accès aux pièces du dossier.

J’ai rappelé les arguments en droit, en faisant tout d’abord référence non pas à la Constitution en tant que telle mais au principe constitutionnel des droits de la défense, reconnu par le Conseil constitutionnel dans l’une de ses décisions comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République. J’ai rappelé la jurisprudence notamment nationale de nos cours suprêmes, c’est-à-dire la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État. J’ai rappelé également la jurisprudence européenne, celle de la Cour européenne des droits de l’homme. Tels sont les éléments de droit que j’ai évoqués.

J’ai également présenté des arguments d’opportunité, qui revêtent deux aspects. Il s’agit premièrement du contenu de la directive, qui est relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales. Nous aurons d’ailleurs à transposer par la suite une directive relative au droit d’accès à un avocat.

J’ai bien entendu l’argumentation, selon moi teintée de mauvaise foi, du député Guy Geoffroy, qui affirme que nous transposons la « directive C » partiellement en même temps que la « directive B », et que nous introduisons ainsi des éléments nouveaux alors que nous sommes en procédure accélérée. Nous sommes au contraire cohérents. Le fait que nous ayons modifié notre procédure d’enquête pénale par petits morceaux a été unanimement contesté, mais nous n’y sommes pour rien. Ces dernières années, chaque modification de la procédure pénale s’est faite sous le coup de la censure soit de nos propres cours soit de la Cour européenne des droits de l’homme.

À cet égard, ma bonne foi est établie : j’ai installé la mission Beaume depuis le mois de février, énonçant très clairement qu’on ne peut pas continuer à modifier notre procédure d’enquête pénale par petits bouts, par morceaux chaque fois qu’on subit une censure. J’ai demandé à M. le procureur général Jacques Beaume, dont personne ne conteste ni les compétences, ni les capacités, ni la clairvoyance, et qui est entouré pour cette mission de personnalités de très grande qualité, de faire des propositions concernant l’architecture même de notre procédure pénale. Cela montre bien qu’en amont de la discussion d’aujourd’hui j’ai considéré l’importance de mettre en oeuvre une réflexion construite. Je suis donc absolument convaincue qu’il faut accomplir ce travail.

Cependant, le calendrier des différents textes n’est pas coordonné, et nous sommes malheureusement parfois confrontés à cette difficulté. Il aurait été préférable que nous disposions de six mois supplémentaires pour transposer la « directive B » : nous aurions alors pu avoir connaissance des conclusions de la mission, nous aurions pu travailler ensemble et préparer un certain nombre de choses.

J’évoquais les éléments d’opportunité. La présente directive concerne le droit à l’information, mais nous aurons à transposer par la suite une directive qui concerne le droit d’accès à un avocat. Le Gouvernement a donc pris l’initiative d’introduire dès ce texte de loi des dispositions concernant l’accès à un avocat pour une personne qui serait retenue en audition libre et à laquelle on pourrait reprocher un délit ou un crime. Il a donc agi sans doute par anticipation, mais l’anticipation est en l’occurrence une vertu : l’introduction de ces dispositions vise à consolider le statut de la personne entendue en audition libre.

Par ailleurs, nous ne pouvons nier les difficultés pratiques que j’ai évoquées rapidement et sur lesquelles je veux revenir, c’est-à-dire les conditions dans lesquelles le dossier lui-même est constitué. Parce que sa constitution a lieu au fur et à mesure de la procédure, le dossier est finalisé au moment où la procédure est levée. Lorsque la garde à vue a été commandée par un juge d’instruction sous commission rogatoire, les services d’enquête ne disposent pas de l’intégralité du dossier. Dans ces conditions, comment se ferait l’accès à l’intégralité du dossier ?

Ainsi que je l’ai dit tout à l’heure, la jurisprudence européenne prévoit elle-même un certain nombre de dérogations : des pièces font l’objet d’exception à transmission pour les nécessités de l’enquête ou pour assurer la sécurité des personnes. Or, et c’est le dernier point sur lequel je souhaite revenir, dans la rédaction que la commission des lois a adoptée, et je sais que M. le député Cherki a déposé un amendement à ce sujet, il est précisé à l’alinéa 14 de l’article 3 : « À sa demande, l’avocat peut, dès le début de la garde à vue, consulter l’ensemble des pièces du dossier utiles à la manifestation de la vérité et indispensables à l’exercice des droits de la défense. » Mais qui fera le tri entre ces pièces ?

La difficulté, c’est que nous devons avoir constamment le souci concomitant de sécuriser les procédures. Il est arrivé qu’on m’accuse, mais certains en font leur profession à plein temps, de prendre un certain nombre de précautions de droit. Pour ma part, je préfère agir ainsi et sécuriser les procédures en amont plutôt que de les voir cassées par la Cour de cassation, car celles-ci peuvent concerner la criminalité organisée. Dès lors, la question est de savoir comment sécuriser la procédure.

Au lieu de préciser que l’avocat a accès à l’intégralité du dossier, vous précisez qu’il peut consulter les pièces utiles à la manifestation de la vérité, mais qui détermine ce qui est utile à la manifestation de la vérité ? À mes yeux, il y a là une difficulté.

Je le répète : sur le principe, il me paraît essentiel de progresser sur le contradictoire dans les enquêtes pénales. Quoi qu’on en dise, chaque fois qu’un débat législatif a lieu sur le sujet, on se rend bien compte qu’à l’usage tout le monde a à y gagner, y compris les enquêteurs. Les procédures sont plus solides lorsqu’on introduit du contradictoire. Il faut cependant parvenir à le faire de la façon la plus efficace possible.

Pardonnez-moi d’avoir été si longue, mais le sujet me paraissait nécessiter que je vous présente avec scrupule, de la manière la plus détaillée possible, les raisons pour lesquelles le Gouvernement présente cet amendement, et vous donne un rendez-vous proche tout en prenant le temps de consolider les dispositions et de travailler avec tous les professionnels concernés, notamment au sujet des pièces qui pourraient faire l’objet d’une exception quant à leur transmission.

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