Intervention de Jérôme Lambert

Réunion du 30 avril 2014 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJérôme Lambert, rapporteur :

Madame la Présidente, mes chers collègues, notre collègue Didier Quentin, co-rapporteur sur les questions relatives à l'espace Schengen, a souhaité que je puisse lire un message de sa part, car il n'a pu être présent aujourd'hui. Retenu dans sa circonscription par les cérémonies du 69ème anniversaire de la Libération de la Poche de Royan et de l'île d'Oléron, notre collègue nous prie de bien vouloir l'en excuser.

Didier Quentin rappelle en préambule de la communication la position du Groupe UMP, s'agissant de l'ouverture à l'espace Schengen à la Bulgarie et à la Roumanie, je vous lis son message « Le Groupe UMP demeure opposé à toute intégration de la Bulgarie et de la Roumanie, tant que de sérieux progrès et des résultats tangibles n'auront pas été enregistrés, en matière de contrôle extérieur des frontières de l'Union européenne. En outre, et ce point est souligné dans la communication, il s'interroge sur l'opportunité juridique de faire rentrer, en deux temps, la Bulgarie et la Roumanie dans l'espace Schengen, en leur confiant dans un premier temps le contrôle des frontières aéroportuaires et maritimes. En tout état de cause, il importera qu'un prochain Conseil européen se prononce clairement sur ce sujet sensible. »

J'en viens maintenant à la communication elle-même et à la discussion de ces différents points.

Ces derniers mois, les raccourcis et amalgames à propos de l'espace Schengen se sont multipliés et des crispations autour de la libre circulation des personnes se sont fait jour, notamment en Suisse ou au Royaume-Uni, mais également ailleurs. Ainsi, certains ont pu associer la question de la libre circulation, voire de la libre circulation des populations Roms, à l'espace Schengen, faisant craindre un élargissement de cet espace à la Bulgarie et à la Roumanie alors que les ressortissants roumains et bulgares bénéficient déjà de la libre circulation des personnes, étant ressortissants d'un État membre de l'Union depuis 2007.

La libre circulation des personnes dans l'espace européen est un principe fondamental de l'Union européenne, rappelé par l'article 20 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).

Il est proposé d'examiner, dans un premier temps, la question de l'ouverture de l'espace Schengen à la Bulgarie et à la Roumanie puis, dans un second temps, les propositions de la Commission européenne s'agissant de la surveillance des frontières, le paquet « frontières intelligentes ».

S'agissant de l'ouverture de l'espace Schengen a la Roumanie et la Bulgarie, les vérifications menées au titre de l'évaluation Schengen sont terminées depuis 2011 et ont conclu que les critères techniques étaient remplis par les deux États.

Un vote à l'unanimité au Conseil doit désormais permettre une entrée des deux États dans l'espace Schengen. De très fortes réticences se sont exprimées sur un tel vote, initialement de la part de la France, de l'Allemagne et des Pays-Bas et de la Finlande notamment. La France et l'Allemagne ont proposé une entrée en deux temps, afin de permettre d'abord une ouverture des frontières aéroportuaires et maritimes puis celle des frontières terrestres.

Se pose en outre la question délicate du mécanisme de coopération et de vérification (dit MCV), qui avait pour vocation de vérifier les évolutions de la situation en matière de justice et d'affaires intérieures dans les deux États.

Les rapports annuels rendus depuis 2010 sont demeurés préoccupants.

Le dernier rapport du mécanisme de coopération et de vérification pour la Bulgarie, sorti le 22 janvier 2014, porte sur les derniers dix-huit mois. En matière de réforme judiciaire, la confiance de la population demeure faible. Des nominations de hauts fonctionnaires ont été peu transparentes, des nominations de membres de la Cour constitutionnelle et de l'agence d'Etat pour la sécurité nationale, les candidats ayant dû se retirer, ont suscité des inquiétudes. Les résultats de la stratégie de lutte contre la corruption ont été très limités. La Commission européenne juge les progrès trop faibles.

Le dernier rapport relatif à la Roumanie, en date du 22 janvier 2014, porte sur l'année 2013. Les attaques, provenant des médias notamment, contre des magistrats à la suite de décisions judiciaires semblent avoir reculé mais ne cessent pas. Le refus du Parlement de mettre fin à des mandats suite à des décisions judiciaires est souligné. Des difficultés sérieuses ont été relevées dans les nominations à des postes de haut niveau (direction nationale anticorruption). Les modifications apportées par le Parlement roumain au code pénal en décembre 2013 tendant à affaiblir les règles applicables en matière de conflits d'intérêt et de corruption suscitent beaucoup de réactions et laissent la Commission européenne perplexe. La Commission européenne s'interroge sur la viabilité des processus de réforme en Roumanie.

Quel est le lien entre le MCV et Schengen ? Juridiquement, il n'en existe pas. Un contrôle effectif des frontières pourrait être mené même s'il existe des difficultés dans certains domaines sensibles. Pour autant, on peut convenir qu'il existe bien un lien sur le plan politique. Les risques existent bien en matière de contrôle des frontières d'un État si la corruption existe et si la police et la justice ne sont pas transparentes, même s'il présente techniquement un bon niveau de protection des frontières. Ceci explique la position des États membres de l'Union.

Les débats au niveau européen n'ont pas vraiment avancé en 2013. Avec l'Allemagne, la France a proposé une ouverture en deux étapes : frontières maritimes et aériennes, puis décision ultérieure sur les frontières terrestres. Cette proposition a été acceptée par tous les États membres au Conseil JAI de septembre 2011, hormis les Pays-Bas et la Finlande, toujours très réservés à ce jour. Les frontières aéroportuaires ou maritimes sont plus aisées à contrôler que l'ensemble d'une frontière terrestre. J'ai pu vérifier en Bulgarie et en Roumanie, et d'autres autorités, telles que la Commission européenne, l'ont fait avant moi, que les frontières aéroportuaires sont parfaitement contrôlées et contrôlables dans ces deux États. Nous pourrons entrer dans le détail des mesures prises par les autorités de ces deux États, avec les contrôles inopinés, les affectations des agents à leur poste le matin de manière aléatoire, le strict contrôle de la détention d'argent liquide au-delà d'une dizaine d'euros par les agents ou encore la vidéosurveillance. Pour moi et pour les autorités européennes, tout est sous contrôle pour les frontières aéroportuaires.

S'agissant de la frontière terrestre entre la Bulgarie et la Turquie, sur laquelle je me suis rendu et qui a été ces derniers temps très utilisée par les migrants, les contrôles déployés sont très impressionnants, avec notamment des réseaux de barrières, de caméras, de capteurs thermiques et de puces le long de la frontière.

Les autorités bulgares ont rappelé la crise d'immigration sans précédent à laquelle la Bulgarie a dû faire face à l'automne 2013. Les flux ont été multipliés par 5,5 par rapport à l'année 2012, avec 11.618 migrants irréguliers interpellés en 2013 dans le cadre de passages illégaux. Les demandeurs d'asile qui déposent une demande en Bulgarie sont principalement des Syriens. La frontière est aujourd'hui, c'est mon sentiment, sous contrôle. Les autorités font face et retiennent les personnes le temps nécessaire à l'examen de leur situation. Se pose également la question de l'accueil des migrants et notamment des demandeurs d'asile dans un petit pays, pauvre qui plus est. Je ne sais si certains d'entre vous ont pu visiter de telles structures où sont accueillis les réfugiés de pays en guerre, et je dois avouer que j'en ai été marqué que cela restera pour moi un souvenir pesant.

Les membres français de nos missions diplomatiques qui s'occupent de la coopération m'ont assisté dans cette mission et ont pu m'indiquer que la situation était sous contrôle.

Pour ces deux pays, la question de Schengen, même si elle n'empêche pas la circulation au sein de l'Union, et même si elle ne bouleversera pas la vie des ressortissants roumains et bulgares, fait débat au plan national. Alors que les commissions techniques passent et repassent constater le bon niveau de la surveillance, le report de la décision d'entrée dans l'espace Schengen peut être vécu comme vexatoire et est parfois exploité par les oppositions politiques. Cela a été largement souligné.

J'en viens maintenant à la seconde partie de ma communication sur le paquet législatif relatif aux frontières intelligentes.

Le paquet législatif relatif aux frontières intelligentes comprend trois textes, déposés simultanément le 28 février 2013 :

- la proposition de règlement portant création d'un système d'entréesortie pour l'enregistrement des entrées et sorties des ressortissants de pays tiers franchissant les frontières extérieures ;

- la proposition de règlement modifiant le code frontières Schengen et

- la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil portant création d'un programme d'enregistrement des voyageurs .

Le système entréesortie est assez classique pour ceux qui sont habitués à voyager à l'extérieur de l'espace Schengen. La Commission européenne propose de mieux organiser l'entrée dans l'espace Schengen. Elle estime que cet instrument permettra, et l'on peut en discuter, de mieux lutter contre l'immigration illégale. Selon la Commission européenne, le nombre d'étrangers en situation irrégulière séjournant dans l'Union serait, selon les estimations, de 1,9 million à 3,8 millions. Elle souligne qu'il est communément admis que la majorité des immigrés irréguliers sont entrés légalement sur le territoire de l'Union puis y sont restés après l'expiration de la durée de séjour autorisée.

Le système européen entréesortie calculera la durée de séjour autorisée, aidera à identifier une personne qui ne remplit pas les conditions de séjour et permettra aux autorités des États membres d'identifier les personnes ayant dépassé la durée de séjour autorisé et de recueillir des statistiques. Plusieurs questions se posent, notamment s'agissant des finalités de cet instrument, de son coût et des possibilités d'interconnexion avec d'autres fichiers tels que le SIS et le VIS.

Selon la Commission européenne, chaque année, 700 millions de franchissements de frontières sont recensés aux points de passage des frontières extérieures (aéroportuaires, maritimes et terrestres). La facilitation des flux relève selon elle de la viabilité des aéroports européens.

Très peu de voyageurs d'États tiers – chefs d'État, diplomates, travailleurs frontaliers – bénéficient d'exceptions au principe de la vérification approfondie par le garde-frontière à l'entrée dans l'espace Schengen. Ils représentent environ deux millions de personnes, soit 0,2% du flux total de voyageurs.

Il est proposé, grâce à un programme d'enregistrement des voyageurs, de pouvoir procéder à des vérifications simplifiées aux frontières pour les ressortissants de pays tiers ayant fait l'objet de contrôles de sûreté préalables, qui voyagent souvent et dont on estime qu'ils présentent peu de risques. Le voyageur enregistré recevrait un jeton d'authentification, sous la forme d'une carte lisible à la machine contenant un identifiant unique, qu'il passerait dans une barrière automatique à la frontière, à l'arrivée et au départ.

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