Intervention de André Vallini

Séance en hémicycle du 7 mai 2014 à 15h00
Sociétés d'économie mixte à opération unique — Présentation

André Vallini, secrétaire d’état chargé de la réforme territoriale :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, monsieur le rapporteur de la commission des lois, mesdames, messieurs les députés, après le vote unanime du Sénat, le 11 décembre dernier, et le travail approfondi de votre commission des lois, vous êtes aujourd’hui appelés à discuter de la proposition de loi tendant à créer des sociétés d’économie mixte à opération unique. Je veux rappeler que ce ne sont pas moins de six propositions de loi qui ont été déposées sur ce sujet à l’initiative de députés et de sénateurs de plusieurs groupes parlementaires.

Saisie de la proposition de loi déposée le 16 octobre 2013 par MM. Jean-Léonce Dupont et Hervé Marseille, la commission des lois du Sénat a joint à son examen les propositions de loi déposées le même jour et en termes identiques à l’initiative de MM. Daniel Raoul et Antoine Lefèvre. À l’Assemblée nationale, des préoccupations similaires avaient abouti au dépôt de propositions de loi identiques à l’initiative de MM. Philippe Vigier, Jean-Marie Sermier et de votre rapporteur, M. Erwann Binet, soulignant par là même le caractère transpartisan de cette attente des élus locaux.

C’est ainsi que plus de cent signataires ont été enregistrés dans les deux chambres. Parmi eux figurent notamment Jacques Pélissard, président de l’Association des maires de France, député du Jura, Alain Rousset, président de l’Association des régions de France, député de la Gironde, et Roland Ries, président du Groupement des autorités responsables de transport, sénateur du Bas-Rhin. L’Assemblée des départements de France et l’Assemblée des communautés de France ont également pris position en faveur de cette initiative.

C’est dire si l’attente des élus de toutes les tendances et de toutes les strates est forte. Que ce soit dans les domaines de l’eau, des déchets, des transports, de l’énergie, du haut débit ou encore des opérations de rénovation urbaine, les collectivités territoriales souhaitent, en effet, pouvoir bénéficier d’outils rénovés et même innovants, alors que la gestion en régie a parfois montré ses limites et que les expériences passées de partenariat public-privé ont suscité de nombreuses critiques notamment quant à leur coût pour la collectivité et quant aux limites induites par leur mise en oeuvre.

Pour les projets complexes – notamment ceux qui touchent aux nouvelles technologies, à l’environnement ou à l’énergie – et qui impliquent un fort investissement capitalistique, tous les élus réclament de nouveaux instruments leur permettant de bénéficier du savoir-faire du secteur privé sans, pour autant, se passer d’une vraie maîtrise et d’un réel contrôle démocratique des conditions de fonctionnement de ces services publics locaux. Cette nouvelle catégorie de SEM s’inscrira donc dans la gamme des entreprises publiques locales à côté des 1 158 SEM proprement dites, des trente-huit sociétés publiques locales d’aménagement et des 119 sociétés publiques locales présentes sur notre territoire.

La proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui a pour finalité d’introduire dans le code général des collectivités territoriales un titre spécifique consacré à cette nouvelle catégorie de société d’économie mixte : la SEM à opération unique. Si vous l’adoptez, le nouvel article L. 1541-1 du code général des collectivités territoriales précisera qu’une collectivité territoriale ou un groupement de collectivités territoriales peut créer, avec au moins une personne privée, sélectionnée après une mise en concurrence, une société d’économie mixte à opération unique.

Cette SEM sera créée exclusivement en vue de la conclusion d’un contrat avec la collectivité territoriale, ou un groupement de collectivités, dont l’objet sera soit la réalisation d’une opération de construction, de logement ou d’aménagement, soit la gestion d’un service public, soit toute autre opération d’intérêt général. Ainsi, ce procédé reposera sur une mise en concurrence de candidats potentiels à l’attribution d’un contrat, l’attributaire pressenti devant obligatoirement intégrer la société d’économie mixte créée dans le même temps par la collectivité publique qui a lancé la procédure.

Ce n’est donc pas l’entreprise gagnante de cette procédure qui exécutera elle-même le contrat pour lequel elle aura été choisie, mais une entité mixte uniquement créée pour cette mission. Comme toutes les SEM, cette société relèvera du régime des sociétés anonymes, mais elle pourra, par dérogation à ce dernier, n’être composée que d’au moins deux actionnaires. La collectivité territoriale ou son groupement détiendra entre 34 % et 85 % du capital de la société et 34 % au moins des voix dans les organes délibérants. La part de capital de la personne privée ne pourra être inférieure à 15 %.

Ce texte répond ainsi clairement aux trois objectifs partagés non seulement par les élus locaux, mais par tous les praticiens de la commande publique, à savoir : un contrôle étroit de l’opération de service public, de construction ou d’aménagement dont l’exécution est l’objet du contrat et une implication accrue dans la gouvernance tant de la part du donneur d’ordre que de l’opérateur ; le recours à l’expertise d’un partenaire économique et, enfin, le partage des risques avec l’opérateur privé à hauteur de sa participation au capital de la société commune.

Cette innovation juridique, qui concerne le moment de la mise en concurrence, doit toutefois respecter les exigences communautaires en matière d’égalité de traitement, de transparence et de publicité des procédures, comme l’ont rappelé la Commission européenne et la Cour de justice de l’Union européenne, lesquelles ont très clairement confirmé la validité de ce dispositif tout en l’assortissant de certains garde-fous. Je veux rappeler succinctement les conclusions de ces deux instances européennes.

Dans une communication interprétative du 5 février 2008, la Commission européenne définit le partenariat public-privé institutionnalisé comme étant « une coopération entre des partenaires publics et privés qui établissent une entité à capital mixte qui exécute des marchés publics ou concessions ». La Commission européenne estime possible la désignation du partenaire privé au sein d’une entité mixte à la suite d’une procédure de mise en concurrence.

En revanche, la mise en oeuvre d’une double procédure de mise en concurrence – la première pour la sélection du partenaire privé au sein de l’entité mixte, la seconde pour l’attribution du marché ou de la concession à cette même entité – lui apparaît difficilement compatible avec l’économie procédurale sur laquelle repose le partenariat public-privé institutionnalisé. La Commission européenne considère que la mise en concurrence doit avoir lieu une seule fois, soit au moment du choix de l’entreprise privée au sein de l’entité mixte dont elle sera à la fois l’opérateur actif et l’actionnaire significatif, soit au moment de l’attribution du contrat à cette entité, ce qui correspond aux sociétés d’économie mixte locales traditionnelles.

Quel que soit le moment retenu, le choix du partenaire privé doit respecter les principes de transparence, de concurrence et de non-discrimination, tandis que le contrat à l’origine de l’entité mixte peut être attribué à la nouvelle entité sans que soit organisée une nouvelle mise en concurrence. Les conclusions de la Commission européenne ont été confirmées par la Cour de justice de l’Union européenne dans sa décision Acoset du 15 octobre 2009. La Cour a en effet jugé que la sélection du concessionnaire résulte indirectement de celle de l’associé qui a eu lieu au terme d’une procédure respectant les principes du droit communautaire, de telle sorte qu’une seconde procédure de mise en concurrence en vue de la sélection du concessionnaire ne se justifierait pas.

La seule limite posée par la Cour à cette souplesse est la suivante : la société à capital mixte doit avoir pour seul objet, pendant toute la durée du contrat, la réalisation de l’opération qu’elle s’est vu attribuer. Toute modification substantielle du contrat entraînerait une obligation de mise en concurrence. Cette solution tout à fait logique est conforme aux principes généraux du droit communautaire.

Ainsi, la Commission européenne et la Cour de justice de l’Union européenne ont démontré qu’une concurrence efficace et une coopération étroite entre une personne publique et le secteur privé ne s’excluent pas mutuellement et s’adaptent parfaitement aux principes du droit communautaire. Sur ce point, l’avis du Conseil d’État du 1er décembre 2009 est plus réservé. En raison de l’application de la règle de l’identité entre le candidat et le titulaire du contrat à l’issue de la mise en concurrence, le droit interne de la commande publique interdit la constitution d’une société à capital mixte à laquelle l’opérateur privé serait tenu de participer. Le juge administratif semble écarter, au cours de la procédure de passation, toute substitution d’une personne morale distincte incluant une participation du pouvoir adjudicateur à un candidat participant à la sélection lorsqu’il est susceptible d’être lui-même retenu. Pour le Conseil d’État, la relation entre candidature et attribution serait garante des principes de valeur constitutionnelle de liberté d’accès à la commande publique, de traitement égal des candidats et de transparence des procédures.

Une telle jurisprudence du Conseil d’État nous oblige à faire évoluer la législation et donc à examiner la présente proposition de loi qui, à la suite des sociétés publiques d’aménagement créées en 2006 et des sociétés publiques locales créées en 2010, institue la formule de la société d’économie mixte à opération unique dont l’une des innovations est d’autoriser un actionnaire opérateur privé à détenir une part majoritaire du capital de la société nouvellement créée. À cet égard, j’évoquerai la question du quantum du capital détenu par l’actionnaire public. On pourrait en effet se demander si nous ne créons pas une nouvelle exception au principe posé par l’article L.1 522-1 du code général des collectivités territoriales disposant que les collectivités ou leurs groupements doivent détenir, séparément ou à plusieurs, plus de la moitié du capital de la société et des voix des organes délibérants.

Certes, il existe déjà plusieurs exemples de SEM locales dérogeant à ce principe – Erwann Binet les connaît bien – et les collectivités ou leurs groupements n’y jouent pas moins un rôle déterminant, comme les SEM relevant des décrets de la loi Poincaré de 1926, les SEM remontées mécaniques de 1983, la SEM relevant du droit spécifique d’Alsace-Moselle de 1895, les SEM sportives de 1984, les SEM immobilières d’outre-mer de 1946 et la société du marché d’intérêt national de Rungis créée en 1984 par décret spécifique en Conseil d’État. Néanmoins, contrairement à ces SEM locales, les SEM à opération unique que nous envisageons de créer aujourd’hui auront un champ d’application très large compte tenu de leur objet, par exemple des opérations d’aménagement ou la gestion d’un service public. Pour autant, il convient de souligner qu’il s’agit d’une exception encadrée par la présidence de droit du représentant de la collectivité territoriale et par la minorité de blocage applicable au sein des sociétés qui seront créées. Les décisions des assemblées générales extraordinaires seront prises à la majorité des deux tiers. La part minimale de la personne publique sera fixée à 34 %. Elle conservera donc une possibilité de blocage au sein des organes de la SEM à opération unique.

Après ces remarques liminaires, je tiens à saluer le travail de M. le rapporteur, Erwann Binet, et de la commission des lois qui a apporté au texte plusieurs améliorations essentielles. En premier lieu, elle a substitué la notion d’opérateur économique à celle de personne privée pour désigner le partenaire de la personne publique au sein de la société d’économie mixte à opération unique. Cette terminologie issue du droit européen de la commande publique ne préjuge pas de la forme juridique et de la propriété du cocontractant et présente l’avantage de ne pas exclure de l’accès au capital des SEM à opération unique certaines personnes publiques comme les établissements publics industriels et commerciaux. Le Gouvernement, en la personne de Mme Escoffier qui le représentait lors de la première lecture au Sénat, avait eu l’occasion de manifester son inquiétude à propos de l’utilisation de la notion de personne privée. L’évolution proposée par la commission des lois sur ce point l’apaise en se conformant aux principes constitutionnels de liberté d’accès à la commande publique et d’égalité de traitement des candidats.

La commission des lois a également précisé que l’objet unique de la SEM à opération unique ne pourrait pas être modifié au cours de l’existence de ladite société. Elle a aussi prévu que le partenaire appelé à constituer la SEM à opération unique serait sélectionné par une procédure unique d’appel public à la concurrence respectant les règles de la commande publique prévues selon l’objet du contrat destiné à être signé entre la SEM et la personne publique. Il s’agira donc des procédures relatives à la délégation de service public, à la concession de travaux, à la concession d’aménagement ou aux marchés publics.

Une telle évolution va dans le bon sens. En effet, la procédure d’appel public à manifestation d’intérêt initialement prévue, procédure ad hoc simplifiée de mise en concurrence des candidats à l’entrée au capital de la future SEM, risquait de se heurter à deux écueils. Tout d’abord, le caractère succinct de la procédure censée se substituer aux procédures de mise en concurrence précitées ne respectait pas le caractère formel des exigences du droit européen de la commande publique. En outre, la rédaction retenue en première lecture par le Sénat laissait subsister une ambiguïté sur la nécessité ou non de réaliser les procédures de mise en concurrence après sélection de l’actionnaire opérateur au moment de l’attribution du contrat à la SEM nouvellement créée. Ces deux incertitudes auraient pu conduire les juridictions à remettre en cause des procédures suivies de bonne foi par les collectivités territoriales, voire à des annulations de procédures de sélection et des mises en cause pénales d’élus qui les auraient mises en oeuvre de bonne foi.

Il semble donc plus sage de prévoir que le partenaire opérateur sera sélectionné dans le strict respect des procédures de mise en concurrence existantes. La procédure de mise en place d’une SEM à opération unique sera donc celle qui existe déjà pour l’appel public à la concurrence selon la nature du contrat à conclure, dont j’ai déjà énuméré les quatre types : délégation de service public, concession de travaux, concession d’aménagement ou marché public. Seul serait ajouté aux documents constitutifs du marché un document de préfiguration prévoyant les caractéristiques, modalités et coût de la SEM à opération unique susceptible d’être mise en place. Par l’adoption du même amendement, la commission des lois a prévu que les informations obligatoires nécessaires à l’appel public à la concurrence seraient complétées par un document de préfiguration de la SEM à opération unique comportant en particulier les principales caractéristiques d’organisation et de répartition du capital de la société à créer et le coût prévisionnel global de l’opération.

La commission a également adopté un amendement de réécriture de l’article 1er bis présenté par M. le rapporteur afin d’assurer que la procédure de sélection de l’actionnaire opérateur économique comme l’attribution du contrat à la SEM à opération unique créée à l’issue de la procédure fasse l’objet d’un référé pré-contractuel ou d’un référé contractuel. Enfin, toujours à l’initiative de M. le rapporteur, la commission a modifié le titre de la proposition de loi afin de préciser qu’elle a pour objet la création par les collectivités territoriales et leurs groupements de SEM à opération unique.

Ainsi, telle quelle, la proposition de loi que nous examinons ce soir répond à deux exigences majeures qui nous rassemblent tous, la maîtrise politique et la sécurité juridique. Le nouvel outil proposé assure la maîtrise politique car il répond à la volonté des collectivités territoriales de renforcer leur rôle et leur visibilité dans la gouvernance des services publics locaux sans revenir pour autant à des formules intégralement publiques, car la collectivité choisit le mode de gestion et sa part au capital en amont de l’appel d’offres. En outre, la SEM sera obligatoirement présidée par un élu. Quant à la sécurité juridique, les élus bénéficient, dans le cadre de la nouvelle SEM à opération unique, du régime de mandataire de la collectivité locale et de la protection afférente même si la collectivité est actionnaire minoritaire. Le recours à la SEM à opération unique contingente donc à la société elle-même les implications financières du contrat. Le risque financier pris par la collectivité est donc limité à son apport au capital.

Je tiens à vous assurer, mesdames et messieurs les députés, de l’approbation totale et sans réserve par le Gouvernement des évolutions du texte que vous avez décidées. C’est la raison pour laquelle je ne vous proposerai que deux amendements de précision. À l’article 1er, il s’agit simplement de préciser que le quantum minimum des parts attribuables aux actionnaires opérateurs économiques s’entend bien pour les opérateurs économiques dans leur ensemble et non considérés individuellement. À l’article 1er bis, il semble nécessaire de prévoir que l’assemblée délibérante de la collectivité ou du groupement de collectivités se prononce de manière effective et formelle sur le principe même du recours à la SEM à opération unique.

Comme nous le savons tous, mesdames et messieurs les députés, la gestion de tous les services publics connaît en France de grandes mutations. Sous l’effet des évolutions réglementaires et technologiques d’une part et des attentes des parties prenantes et bien entendu des citoyens d’autre part, le contenu des services publics est en pleine évolution. Simultanément, et fort logiquement, les entités juridiques à même de les exploiter et les outils de la commande publique doivent évoluer. Face à de tels changements, les collectivités territoriales ont spécialement besoin qu’on leur fasse confiance et qu’on leur simplifie les modalités de gestion du service public. La proposition de loi relative à la SEM à opération unique dont nous allons débattre ce soir participe indéniablement de ce chantier auquel le Gouvernement est très attaché.

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